- Coup de gueule - Écrire – L’École d’après -
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Ce bloc notes commence par un coup de gueule. A trop vouloir mettre l’accent sur les “incidents” dans les établissements scolaires, certains médias jouent un jeu dangereux. Et si on parlait aussi des moments et des endroits où ça s’est bien passé ? Et si on donnait la parole à ceux qui disent la complexité de leur mission mais aussi leur engagement dans un dialogue éducatif ? Le débat sur le rôle de l’École semble mal parti si ces excès conduisent à la réaction inverse qui conduit à disculper l’institution de tout travail de réflexion. On a absolument besoin de réfléchir à l’École d’après !
Coup de gueule
Sur Facebook, un de mes contacts numériques raconte :
« une journaliste de Télé Truc [c’est moi qui anonyme, NDR] me téléphone hier: "oui bonjour, c'est pour un reportage à diffuser au journal lundi, accepteriez-vous de parler de vos échanges avec les élèves sur "les évènements" et les problèmes de laïcité ?"
Moi : "euh oui pourquoi pas, cela dépend, sur quoi porte votre sujet exactement ?"
La journaliste: "pouvez vous nous raconter en quoi les profs sont démunis pour parler de tout cela, les tabous à l'école, etc..."?
Moi, sentant le truc venir : "Ben euh c'est à dire que c'est certain que cela demande du tact et du temps, un peu de prudence aussi, mais non j'arrive à parler de tout avec mes élèves, pas de tabou, les élèves de toutes confessions m'ont même remercié de ces échanges; et non je pense que l'école n'est pas si démunie que cela pour aborder toutes ces questions, à condition que de laisser du champ et de la souplesse, et je trouverais dommage voire inquiétant que les évènements récents aient pour conséquence la mise en place d'inserts supplémentaires rigides et froids dans les programmes sur l'éducation à la laïcité, à 'humour et à la liberté d'expression. Beaucoup d'autres profs de banlieue autour de moi vivent et pensent les mêmes choses"
La journaliste de Télé Truc : "......., ah euh oui c'est très intéressant mais ce n'est pas le type de témoignage que nous recherchons. Au revoir, merci monsieur ..."
Moi : "au revoir madame".
Dans ma tête : "qu'est ce que cela aurait donné si j'avais reçu un coup de fil de BFM TV..." Et donc lundi sur TéléTruc au journal attendons nous à apprendre que l'école est tout à fait démunie et perdue face à tous ces problèmes qu'évidemment elle devrait être la première à régler.... ».
Ce témoignage n’est pas unique . Je l’ai anonymé pour cette raison et pour ne pas faire de tort à quiconque y compris aux journalistes qui travaillent en se conformant aux ordres de leur rédaction.
Je sais bien que la presse s'intéresse surtout, et c'est normal, aux "trains qui n'arrivent pas à l'heure" plutôt qu'aux situations où ça se passe bien. Mais je trouve que, même s'il ne faut pas les minimiser, l'accent mis sur les difficultés dans les établissements scolaires est excessif. On est à la limite de l'effet pervers en ne privilégiant que cette dimension. Un effet pervers qui, d'une certaine manière, légitime (par la couverture médiatique) ce type de comportement chez certains jeunes et même encourage la surenchère. On me rapporte des situations où tout s'était bien passé jusque là et où maintenant des tensions apparaissent...
Sans vouloir faire un très mauvais jeu de mots : évitons les caricatures ! Laissons cela à ceux qui ont du talent et qui le font pour nous faire rire ou sourire. J’appelle donc la presse, les médias à un esprit de responsabilité et à faire leur métier. C’est-à-dire à ne pas tomber dans le sensationnalisme et être capable de nuancer, relativiser, contextualiser... Il y a du boulot !
C’est la raison pour laquelle, pour ma part j'ai surtout envie de privilégier dorénavant les cas où ça s'est bien passé et les discours nuancés.
Écrire...
Je n'ai jamais lu autant de textes intéressants, authentiques, sensés, sensibles sur le métier d'enseignant que durant cette période. Sur les blogs, les réseaux sociaux, on peut y lire aussi le meilleur. Pour une fois, me semble t-il, nous entendons une "autre voix". Une expression trop souvent masquée par les postures syndicales, les urgences du ministère, les débats récurrents et un peu vains sur l’École, etc... Enfin,on entend des enseignants généreux mais avec un sens de la complexité et de la subtilité qu'on souhaiterait dans les médias, chez les experts auto-proclamés et chez certains responsables politiques !
Alors, j’ai envie de consacrer cette partie de mon bloc-notes à ces billets de blogs où l’authenticité du témoignage va de pair avec l’engagement. Où l’émotion se combine avec la réflexion. C’est le cas avec “Mes élèves, un drame et des mots ” sur un blog intitulé Chouyo’s world. J’ai aussi apprécié sur Rue89 le témoignage de Msieur le prof qui écrit son “dialogue avec les élèves à propos de Charlie Hebdo ”.
Un témoignage et un coup de gueule très fort nous est aussi donné par “Marie” sur le blog collectif Tailspin elle s’exprime, dit-elle en titre, “Pour mes élèves de Seine Saint Denis ”. Et elle écrit : “ [...] je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.Pas d’amalgame, dit-on.Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître. [...] En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.”.
Un témoignage et un coup de gueule très fort nous est aussi donné par “Marie” sur le blog collectif Tailspin elle s’exprime, dit-elle en titre, “Pour mes élèves de Seine Saint Denis ”. Et elle écrit : “ [...] je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.Pas d’amalgame, dit-on.Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître. [...] En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.”.
Il faut aussi lire le billet de “Sacré Charlemagne” : “la question qui fait pleurer ”. Sur Politis, plus habitué aux tribunes, on trouve un texte où l’auteur, prof d’histoire géo dans un collège de Seine et Marne, décrit ce qu’il a fait en classe avec ses élèves. Un témoignage très fort est aussi à lire sur le site “Le Plus de l’Obs”où l’enseignante reprend en titre une question posée par un de ses élèves pour justifier son refus des commémorations “Moi, elle m’a donné quoi la France ? ”
Médiapart fait son boulot avec un bon article qui fait le tour des réactions des élèves et des profs. Il est intitulé fort justement “Pour les enseignants, il faut dialoguer, dialoguer et encore dialoguer ”. Et je n’évoque pas les nombreux témoignages publiés directement sur Facebook.
C’est tout cela que j’ai envie de privilégier dans ce bloc-notes très partial. Pour compenser. Je signale aussi que dans le prochain numéro des Cahiers Pédagogiques, outre un hommage à Charb qui dessinait bénévolement pour notre revue, nous publierons de nombreux témoignages positifs et nuancés sur ce qu’ont fait de nombreux enseignants dans leurs classes.
Et quand je lis tous ces écrits d’enseignants, je ne peux m’empêcher de penser que l’écriture est décidément un moyen essentiel pour réfléchir sur son métier. C’est ce que nous (Cahiers Pédagogiques) proposons depuis notre création et c’est aussi le sujet du dossier de notre dernier numéro .
Et quand je lis tous ces écrits d’enseignants, je ne peux m’empêcher de penser que l’écriture est décidément un moyen essentiel pour réfléchir sur son métier. C’est ce que nous (Cahiers Pédagogiques) proposons depuis notre création et c’est aussi le sujet du dossier de notre dernier numéro .
L’École d’après
“L’école ne peut pas résoudre tous les problèmes de la société ”. A lui seul, ce titre d’un article du Monde résume assez bien la position d’un certain nombre d’enseignants. Et il est vrai que face aux discours qui se sont développés depuis une semaine sur l’École, c’est une réaction compréhensible. On y évoque les manquements de l’École en oubliant aussi que, si les marches du week-end dernier ont rassemblé plus de quatre millions de personnes, c’est peut être parce que l’École a malgré tout transmis les valeurs républicaines au plus grand nombre.
On sait bien qu’il est très difficile de critiquer l’École. Car, dans un métier vécu de manière intime et où on se met beaucoup en “je”, on a tendance à prendre “pour soi” la critique de l’institution. Répétons le une nouvelle fois : on peut faire son métier du mieux que l’on peut dans une institution qui dysfonctionne. Et la critique de l’“École” ne se résume pas à la critique des “enseignants”. D’ailleurs LES enseignants, ça n’existe pas...
Alors, la tentation est grande de disculper l'institution scolaire de ses manquements, de son incapacité à remplir réellement sa mission : former des citoyens et offrir autant que possible les mêmes chances à tous. Non, l'école ne peut pas tout. L'école ne peut pas tout dans une société où les inégalités économiques s'accroissent et où la relégation se fait toujours plus marquée, plus violente. Mais l'école, en tant qu'institution, devrait travailler sur elle, réfléchir à ses méthodes et à sa vocation. A qui sert une école qui trie, et qui trie largement sur des compétences qu'elle ne se donne pas les moyens de transmettre ? Oui, cette école de la reproduction des inégalités devrait disparaître. Oui, l'institution scolaire peut plus que ça. On peut regretter que tant d'enseignants consacrent leurs efforts à disculper l'institution de ses manquements, et si peu à la rénover, à la refonder...
Loin du catastrophisme de certains médias, loin du discours décliniste ou des incantations, il peut, il doit, y avoir la place pour une réflexion sur la nécessaire évolution de l’École. Car les questions sont réelles. On ne peut se satisfaire d’une réponse sécuritaire et d’un seul discours de fermeté accompagné de quelques mesures cosmétiques.
Comme d’autres, je me suis risqué à faire quelques propositions pour construire “l’École d’après” en évitant de tomber dans les pièges de la généralisation et de la culpabilisation. Une fois n’est pas coutume, je vais donc finir par la mise en avant d’un texte que j’ai produit. Il s’agit donc d’un article intitulé “Ecole : et maintenant on fait quoi ? ”. Ce ne sont que quelques propositions qui méritent d’être discutées. Je termine donc ce bloc notes par un appel au débat et à la réflexion collective. L’avenir de l’École et l’avenir de la société dans laquelle nous vivons, c’est l’affaire de tous !
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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