Après la sidération, après l’émotion, doit venir le temps de
la réflexion et des propositions.
Depuis les attentats des 7 et 8 janvier, beaucoup de
français sont restés dans une sorte de temps suspendu dont ils sortent
lentement. Les marches et tous les hommages permettent de faire le deuil. Mais
les questions qui se posent alors sont terribles. Sommes nous à la fin ou au
début de quelque chose ? Va t-on vers le pire ou le meilleur ?
Je suis un militant pédagogique dont l’association dans laquelle je milite (et que je préside jusqu’à la fin de l’année) s’est donné pour slogan depuis très longtemps “ changer l’École pour changer la société, changer la société pour changer l’École”. Je suis un militant pédagogique qui se rappelle qu’en 2007, Charb nous avait donné un dessin pour illustrer nos premières assises de la pédagogie avec ce titre “Résister et proposer”...
Alors, oui, il faut faire des propositions pour que “le jour
d’après”, nous puissions construire une École à la hauteur des enjeux et des
défis posés par ce terrible évènement. Pour construire l’École d’après...
COMPRENDRE N'EST PAS EXCUSER...
Depuis le jeudi 8 et la minute de silence, on a pu lire de
très nombreux témoignages dans la presse sur des incidents qui ont accompagné
les moments de commémoration et les cours où le sujet a été évoqué.
L'écueil qu'il faut éviter, me semble t-il, est celui du catastrophisme. Les médias
traitent trop souvent l'École sous ce seul angle. Il est bon d'apporter de la
nuance et de relativiser. Mais l'inverse est tout aussi dangereux. Il ne s'agit
pas non plus de tomber dans l'angélisme et de nier le moindre incident et ce
qu'ils nous disent sur l'école...
Passé l’émotion, il faut donc s’interroger et essayer de
comprendre les mécanismes qui conduisent un certain nombre d’élèves à ne pas se
reconnaitre dans le deuil et surtout pour quelques uns à glorifier des
assassins. Il faut s’interroger sur les mécanismes qui conduisent aussi des
jeunes, passés par l’École française, à partir pour le “Jihad” et à devenir des
meurtriers.
Une précaution toutefois avant d’aller plus loin : chercher
à comprendre, traiter ce qui vient de se passer comme un “fait social”, pour
reprendre le vocabulaire de la sociologie (que j’enseigne) n’est en aucun cas
une forme d’excuse.
On peut analyser les comportements de refus dans les
établissements qui oscillent entre la provocation adolescente et la
revendication identitaire plus construite comme le signe d’un défaut
d’intégration. Ce qui semble dominer dans les réactions, c'est l'identité
collective blessée, le sentiment d'humiliation, la stigmatisation, l'inégalité de traitement entre "eux" et
"nous", que l'on entend depuis très longtemps dans les groupes
d'élèves. Quel que soit le sujet. Dans bien des cas, c’est plus identitaire que
strictement religieux.
Comme je l’ai déjà écrit, ce n’est pas que la responsabilité
de l’École. Nous payons la facture jamais réglée des émeutes urbaines de 2005
et d’une politique de la Ville insuffisante et incapable de reconstruire de la
mixité sociale. Nous payons aussi la facture de la crise économique, du chômage
qui exclut et de l’austérité qui a coupé les moyens des services publics et des
associations. C’est aussi le fruit des surenchères politiques et de la
démagogie qui jouent sur la stigmatisation et la peur/haine de l’autre.
Mais on peut aussi considérer que c’est le produit d’une
défaite éducative. La promesse de l’École “républicaine” n’est pas tenue. Pour
beaucoup de jeunes aujourd’hui, l’École ne fait plus sens... Elle remplit mal
sa fonction d’intégration et les valeurs qui sont à son fronton sont remises en
question dans les actes. Pour la
liberté, il faut bien constater que les établissements scolaires font peu vivre
la liberté d’expression et le débat. Comment croire à la fraternité quand on
constate que les élèves sont discriminés dans l’accès aux stages ? Et
quand l’altérité, la connaissance de l’autre est si peu pratiquée ? Mais
surtout, comment croire à l’égalité (des chances, des droits...) quand on
constate que l’École française a le triste record d’être celle où le milieu
social joue le plus dans la réussite au diplôme ? L’ascenseur social est
en panne depuis bien longtemps.
Et la question n’est pas “ethnique”. Derrière la grille
d’analyse trop facile des communautés, il y a d’abord les classes sociales. Il
faut oser dire que l’École d’aujourd’hui fait le sacrifice des enfants des
milieux populaires. Il faut constater que l’École est inégalitaire et qu’elle
ne permet pas assez à ces enfants de trouver du sens à l’École, dans ses
contenus, ses méthodes et dans ses
missions. Et que l’exclusion conduit à la violence et la haine.
Si l’on veut construire l’École d’après, il faut tenir
compte de ce diagnostic et essayer d’y apporter des réponses pour que notre
école change. Durablement. Et pas seulement dans l’instant de l’émotion. La
refondation de l’École, c’est maintenant. Ou jamais.
DE QUELQUES IDÉES FAUSSES...
Mais avant de faire quelques propositions concrètes, il faut
aussi se déprendre d’un certain nombre d’idées fausses à propos des changements
dans l’École. Ce sont des représentations qui sont trop souvent entendues dans
l’opinion et pour certaines chez les enseignants eux mêmes.
« Les
enseignants ne font rien... »
C’est évidemment faux, les enseignants font déjà beaucoup. Comme
le dit avec justesse une de mes collègues, la mobilisation citoyenne
exceptionnelle montre bien que l’École a quand même transmis les valeurs de la
République au plus grand nombre. Et l’on a un peu trop mis de côté les
témoignages positifs de ce qui s’est fait dans de très nombreux endroits dans
les classes.
En tant que
prof de base je suis comme tout le monde énervé quand on dit que l'"École ne fait pas son travail".
Mais, avec un peu de recul, je me méfie de l'"esprit de corps" qui
conduit à serrer les rangs et à devenir imperméable à la critique même constructive.
Une des difficultés des réformes dans l'Education Nationale, c'est que beaucoup
d'enseignants prennent comme une attaque personnelle ce qui porte sur
l'ensemble du système.
Pour notre part nous avons toujours eu une
position critique et engagée et nous pensons que, même s’il ne faut pas
tomber dans l’excès de critique, il faut aussi améliorer le système et pointer
les défaillances et les insuffisances lorsqu’elles existent
« Il faut plus
de fermeté, il faut revenir à l’École d’hier, celle qui a fait ses preuves... »
Ce discours anti-pédagogique que je ne qualifierai plus de
“républicain” (car je me sens tout autant républicain que ceux qui le formulent)
a été très présent sur la scène médiatique. L’opinion est sensible à ce
discours nostalgique fondé sur une école mythifiée et la thématique du déclin.
Mais on voit bien aujourd’hui les limites et les impasses
d’une École de l’“instruction publique” alors que les évènements nous montrent la
nécessité de l’éducation. On aimerait moins entendre ceux qui moquent avec un
certain mépris l’éducation civique et tous ces dispositifs qui “prennent des
heures” aux vraies disciplines alors que la nécessité de l’éducation à la
citoyenneté apparait encore plus criante.
« Il suffit de le décider pour que les choses
changent ».
Le temps de l’École n’est pas le temps du politique. La
pédagogie c’est de la patience. Je reprends le très beau titre de billet de
blog d’une collègue « La pédagogie de l’urgence ne libère que de
l’écume » . Si l’on veut transformer durablement l’École cela ne
peut se faire que dans la durée et par la pédagogie dans les classes.
Il faut sortir du fantasme qu’une décision prise en haut va
redescendre immédiatement dans tous les échelons de la structure très
pyramidale et centralisée de l’École. Bien sûr, il est important que les
politiques disent quel est le chemin et l’affirment avec force. Je crois encore
à la vertu performative du discours politique. Mais pour en être un acteur et
un observateur engagé depuis 33 ans, je crois aussi aux changements “à bas
bruit” dans l’École, aux réponses des équipes localement.
« L’École ne
peut rien, les inégalités sont ailleurs, il faut changer la société. »
Bien sûr, nous l’avons dit plus haut, il ne faut pas tout
mettre sur le dos de l’École. Les inégalités sociales s’imposent à elle. Et les
enseignants font leur boulot, du mieux qu’ils peuvent. Mais on peut bien faire
son travail dans un système qui dysfonctionne. Et il faut rappeler aussi que
l’École produit ses propres inégalités. D’autres pays avec des inégalités
sociales comparables n’ont pas une école aussi inégalitaire.
L’école n’est pas responsable de tout, mais elle a ses
responsabilités propres et il serait regrettable qu’elle s’enferme derrière le
rejet des responsabilités sur « les autres », refusant ainsi de se transformer.
Il ne faut pas se réfugier derrière l’accumulation des
préalables qui consisterait à attendre que la société change pour éventuellement changer soi
même et transformer l’École. L’attente du “grand soir” ne dispense pas d’agir
chaque matin pour que l’École change...
« L’École peut
tout, la solution est dans l’Éducation... »
Il existe la dérive inverse qui consiste à tout attendre de
l’École et à lui confier une mission trop grande pour elle. Il ne faut pas
tomber dans une sorte de “prophétisme scolaire”. Mais si elle ne peut pas tout,
l’École peut beaucoup et doit faire sa part.
Par ailleurs, ne soyons pas “scolaro-centrés”. L’institution scolaire n’est qu’un des
éléments de l’éducation des jeunes. Elle est trop souvent encore close sur elle
même alors que le travail avec les collectivités territoriales, les
associations, les éducateurs, la justice (et même la police !) est
indispensable pour envisager les enfants, les jeunes dans leur globalité.
Et puis surtout, il ne faut pas oublier un acteur essentiel.
Ce sont les parents, les familles. Si l’on veut (re)donner du sens à l’École,
cela suppose de dépasser la méfiance réciproque trop souvent à l’œuvre dans les
relations parents/profs. Il faut faire alliance avec les familles et en
particulier les plus éloignées de l’École pour lutter contre le décrochage et
les phénomènes d’exclusion.
« C’est d’abord
une question de moyens. »
C’est un discours assez souvent entendu chez certains
collègues Ils ont le sentiment que la responsabilité qu’on prête aux
professeurs est inversement proportionnelle aux moyens qu’on leur donne. Il
faut tenir compte de ce sentiment et de cette réalité si l’on veut transformer
durablement le système éducatif avec l’adhésion de ses acteurs. C’était déjà
une évidence avant.
Mais on a envie de dire que pour répondre à la situation qui
s’impose à nous, il faut d’abord et avant tout s’emparer des dispositifs et des
outils qui existent déjà sans chercher à forcément en inventer d’autres. Et ce n’est pas alors une question de moyens mais de volonté
collective et de pédagogie.
ALORS QUE FAIT-ON ?
Pour construire une École à la hauteur des défis, on ne peut
se contenter de mesures cosmétiques. Cela s’inscrit dans la durée en s’appuyant
sur ce qui existe déjà ou est à venir , en faisant évoluer notre pédagogie mais
surtout en travaillant en profondeur sur les finalités de l’École.
Agir sur les contenus
Jean-Michel
Zakhartchouk, sur son blog, nous rappelle que le nouveau socle commun va
insister beaucoup sur la formation au jugement critique. Former le jugement,
voilà bien une des missions fondamentales de l’école commune du XXI° siècle,
que certains voudraient limiter pour la grande masse au « lire, écrire, compter
». C’est un objectif qui doit traverser toutes les matières d’enseignement et
qu’on doit être capable d’évaluer. Les dispositifs transdisciplinaires sont les
plus propices à un travail de ce genre tels que l’histoire des arts. Le futur
enseignement moral et civique peut aussi être l’occasion d’une réflexion et
d’activités sur toutes ces questions. Tout comme l’éducation aux médias.
Triste ironie. Le 7 janvier c’était aussi l’ouverture des
inscriptions pour la semaine de la Presse à l’École organisée par le CLÉMI. Cet
évènement est très apprécié et je ne doute pas que cette semaine (qui aura lieu
en mars) aura une résonance particulière cette année. Les enseignants de toutes
disciplines et les documentalistes peuvent s’inscrire avec leur classe pour recevoir
des ressources et travailler avec les journaux papier, la télévision et aussi
les médias sur Internet. C’est l’occasion de voir comment se construit une
information, quelle est la relation complexe entre les médias et la construction
de l’opinion. Ce peut être aussi l’occasion de plus en plus nécessaire de
réfléchir à la fiabilité des informations qui circulent sur les sites et les
réseaux sociaux et en particulier toutes les thèses complotistes. Je n’oublie pas non plus que Cabu a commencé à dessiner dans
un journal lycéen de Châlon sur Marne. J’ai pendant plusieurs années, animé
comme adulte référent un journal lycéen. Et je sais l’importance de ce moyen
d’expression dans la construction de l’esprit critique mais aussi du sentiment
d’appartenance à une collectivité. Or trop souvent ces initiatives sont
compliquées par la pesanteur des emplois du temps et surtout la frilosité
d’administrations et d’enseignants qui ne voient que les devoirs et oublient les
droits des collégiens et lycéens.
L'éducation citoyenne ne passe pas uniquement par
l'éducation civique ! Elle doit traverser toutes les matières et s’inscrire
dans une pédagogie qui permette à chaque élève de se sentir reconnu.
Agir sur la pédagogie
L’incantation ne satisfait que ceux qui la prononcent. Il ne
suffit pas d’énoncer des valeurs il faut les faire vivre.
Si l’on se contente de faire un cours sur les valeurs de la
République du haut de sa chaire, je doute que cela ait un effet sur les élèves.
Les dispositifs (enseignement moral et civique, ...) que nous évoquions
plus haut doivent reposer sur une pédagogie fondée sur le débat comme le
proposent aussi les discussions à visée philosophique initiées à l’école
primaire.
Plus largement pour lutter contre le sentiment d’exclusion
et l’échec scolaire, il importe de développer une pédagogie qui donne du sens
aux apprentissages et qui soit la plus explicite possible. Selon moi (mais on a
le droit de ne pas être d’accord !) c’est l’enjeu du travail par
compétences où, contrairement aux simplifications (je n’ose pas parler de
caricatures...) qui en sont faites, il s’agit de doter les élèves d’un ensemble
de ressources (connaissances, savoir-faire, savoir-être) qui doivent leur
permettre de résoudre des situations complexes et d’être acteur dans leurs
apprentissages. Une pédagogie où l’élève se sent reconnu et encouragé à
progresser.
La pédagogie ce sont des valeurs mises en action. Favoriser
la coopération entre les élèves, l’écoute, la prise de parole, la discussion
raisonnée, le débat argumenté...
ce sont des choix quasiment “politiques” mais surtout des dispositifs
qui permettent à chaque élève de se sentir reconnu et de construire ses
apprentissages... Pour mettre en œuvre une école inclusive plutôt qu’une école
qui exclut.
Agir sur la formation
(et le recrutement)
La formation a été réformée il y a deux ans avec la création
des ESPÉ. Aujourd’hui au sein des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de
l’éducation et de la formation) qui sont organisés autour de la préparation au
concours en 1ère année de master et autour du stage en
responsabilité en 2ème année, il existe une unité d’enseignement
baptisée “Culture commune”. Elle a, à mon sens, une place trop faible dans une formation qui reste essentiellement centrée sur la discipline d'enseignement. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une formation
qui s’adresse à toutes les disciplines et à tous les degrés
(primaire/secondaire) en même temps. Parmi les 16 thématiques à travailler
selon un arrêté du 27 aout, figure “Principes
et éthique du métier (la laïcité, la lutte contre les discriminations et la
culture de l’égalité entre les femmes et les hommes)” mais aussi “Education à la citoyenneté”, “conduite de classe”, “les connaissances liées au parcours des
élèves” etc.
C’est donc dans ce cadre qu’on pourrait
trouver des réponses aux questions qui nous sont posées par ce qui vient de se
passer. Mais malheureusement, trop souvent dans les ESPÉ, ces formations se
font sous forme de cours magistraux laissant peu de place aux échanges et aux
débats. Au sein de ces formations, il y en a une qui a une importance
particulière. Appelée aujourd’hui “gestion de classe et climat scolaire”, c’est
une formidable occasion de se former notamment à la gestion des conflits. J’ai
animé pendant plusieurs années ce type de module et je proposais de travailler
avec une vingtaine de stagiaires par le biais de jeux de rôles et d’étude de
cas. Mais là aussi, il faut donner à ces formations les moyens d’exister en
petits groupes pour permettre une réelle démarche active. Car là aussi, la
question est la même : il ne s’agit pas d’en rester au cours magistral et
à l’énonciation des valeurs mais de les faire vivre par une pédagogie active. Sur ce plan, l'apport des mouvements d'éducation et des associations complémentaires peut être un plus.
Les dispositifs existent déjà, il faut donc les rendre plus
efficaces. Mais il y a aussi des manques dans la formation. Je suis frappé par
le manque de culture sociologique de nombreux enseignants jeunes et moins
jeunes. Cela les conduit à naturaliser la difficulté scolaire (« il n’est
pas doué ») et à être surpris voire à s’offusquer de manifestations des
élèves qui ne sont que le produit du décalage culturel qui existe entre les
enseignants et les élèves qu’ils ont en face d’eux. Au passage, cela pose la
question du recrutement des futurs enseignants. Créons les conditions, par des
aides, par des bourses, pour que les enseignants recrutés soient aussi issus
des quartiers et que la mixité sociale soit aussi chez les enseignants. Soulignons aussi que les concours de recrutement laissent peu de place à ces questions et que cela est peu évalué.
La formation initiale ne suffit pas. Il faut reconstruire
une formation pour tous les personnels. Aujourd’hui la formation continue est
indigente. Il faut redonner des moyens pour des formations pédagogiques et
interdisciplinaires sur les thèmes évoqués plus haut mais plus largement sur
tout ce qui permet de lutter contre l’échec scolaire. Il faut aussi proposer
des formations à la prise en compte de ce que l’on appelle les “questions
sensibles” (fait religieux, enseignement de la Shoah, travail sur les
stéréotypes de genre, théorie de l’évolution...)
Peut-être que sur toutes ces questions de formation, le bon niveau d’intervention est celui
de l’établissement. On apprend que de nombreux établissements programment dans
les jours qui viennent des réunions de débriefing
avec les enseignants. C’est à ce niveau là qu’on pourra faire le bilan de ce
qui vient de se passer, mutualiser les expériences et les outils et réfléchir
collectivement aux suites.
Agir sur les
finalités de l’École : une école plus juste et plus efficace
Je l’ai déjà écrit, il a manqué un slogan à la refondation.
On n’a pas assez insisté, à mon avis, sur la nécessité de lutter contre les
inégalités et de combler le fossé qui existe avec les élèves des milieux
populaires les plus en difficulté. Les résultats de PISA à la fin de l’année
2013 n’ont pas créé le choc suffisant. Et si ce choc était aujourd’hui ?
Si on prenait enfin conscience qu’à force de maintenir une École injuste et qui
ne remplit plus sa promesse démocratique, on crée le risque potentiel de
nouvelles crises, d’émeutes et de radicalisations ?
Inscrivons explicitement la lutte contre les inégalités dans
les missions des enseignants. Faisons de ce critère un instrument d’évaluation
des enseignants et des établissements. Rendons obligatoire la formation
continue sur ces sujets. Intensifions la prévention contre le décrochage. Que la ministre aille aussi jusqu’au bout sur le
projet de répartition des moyens en fonction de la composition sociologique des
établissements.
Et si on donnait aussi un peu plus de pouvoir d’agir aux
équipes enseignantes dans les établissements au plus près du terrain ?
Notre système manque d’efficacité car il est beaucoup trop hiérarchique et
centralisé. Les réponses à la crise sociale qui est devant nous doivent être
trouvées au niveau local. Elles doivent être aussi trouvées en y associant tous
les partenaires de l’École et en premier lieu les parents. Reconstruire du sens
et de l’envie pour l’école passe
forcément par un travail important avec les parents.
Laïcité
Il serait surprenant que nous n’abordions pas le thème de la
laïcité. Il y a eu la loi
de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’École. “Dans les écoles, les collèges et les lycées
publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent
ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.” dit cette loi. Dans
chaque établissement scolaire, depuis 2013 est aussi affichée une “charte
de la laïcité”. C’est un symbole fort. Il faut relire et appliquer ce qui
est dit dans cette affiche. On y parle de rejet de toutes les discriminations,
on y affirme qu’aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique
et pédagogique. On y réaffirme aussi les principes de la liberté d’expression
et de la nécessité de faire vivre la laïcité au sein des établissements. Faut-il
en rajouter ? Faut-il aller vers plus de sévérité ? Je ne le pense
pas.
Le danger récent c’est celui du développement d’une laïcité
radicale et qui devient alors identitaire. Avec le risque de renforcer les
phénomènes d’exclusion et le sentiment de stigmatisation. Comme le dit le
spécialiste Jean Baubérot dans
une récente interview « il ne
faut pas que la laïcité ait l’air de favoriser une religion »
La laïcité bien comprise, me semble t-il, repose sur l’altérité et la tolérance.
C’est à dire la construction d’un espace qui donne sa place à chacun et qui le
reconnaisse dans sa diversité. La connaissance du fait religieux est alors un
moyen d’aller vers une meilleure connaissance de l’autre. La République repose
aussi sur la défense de la liberté de conscience et la non discrimination.
C’est cette laïcité là qu’il faut faire vivre dans nos établissements dans le
cadre législatif actuel.
PLUS RIEN NE SERA COMME AVANT ?
C’est une conclusion mais cela aurait eu sa place dans le
chapitre sur les idées fausses. Car ce n’est pas aussi simple. L’École comme
les autres composantes de la société évolue lentement même si quelquefois des
chocs la font bouger plus vite. Donnez nous du temps !
Mais il faut malheureusement ne pas oublier que cette phrase
“plus rien ne sera jamais comme avant”
a déjà été prononcée de nombreuses fois. Je me souviens des attentats de 1995,
du 11 septembre 2001, du 21 avril 2002, des émeutes urbaines de 2005... À
chaque fois, cela a interpellé l’École et la société et on a pu lire et dire
cela.... Et ce constat n’incite pas à l’optimisme puisqu’on peut se dire qu’il
y a eu déjà tant de rendez vous manqués.
Mais au pessimisme de la raison, il faut opposer l’optimisme
de l’action. Agir “ici et maintenant” en se saisissant des leviers qui
existent, en s’autorisant à innover et à bousculer quelques habitudes et
pesanteurs administratives. Je ne veux pas rajouter “janvier 2015” à la longue
liste des occasions manquées...
Si j’étais fataliste, si je ne pensais pas que mon action
peut faire changer (un peu) les choses, je ne serais pas enseignant !
Philippe Watrelot
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2 commentaires:
Je suis d'accord avec bien des points que vous exposez. Il y en a toutefois quelques-uns qui méritent à mon avis discussion.
Vous écrivez : "Les dispositifs transdisciplinaires sont les plus propices à un travail de ce genre [former le jugement] tels que l’histoire des arts." J'aurais pour ma part placé cette assertion parmi les idées fausses dont il importerait de se déprendre. Vous le considérez dans ce texte comme une donnée, et je comprends bien que vous ne pouvez pas refaire ici toute la démarche qui vous a permis d'aboutir à chacune de vos conclusions. Celle-ci en tout cas est douteuse au plus haut point et il conviendrait de la réexaminer sérieusement.
Vous développez un long paragraphe sur la formation et le recrutement des enseignants, sans discuter une seule fois les compétences essentielles pour le métier que sont la maîtrise d'un contenu à enseigner et celle des outils didactiques pour le faire. Il semble pourtant que ce soit là un manque tout aussi criant dans la formation des jeunes collègues que celui lié à une faible culture sociologique que vous relevez par ailleurs non sans raison ; mais avec cette distinction à mon avis cruciale que la capacité à ne pas essentialiser les difficultés des élèves s'acquiert rapidement par la pratique, ce qui n'est pas le cas des compétences intellectuelles et didactiques de base.
Enfin, vous faites à mon avis un contresens terrible sur ce que vous appelez l'"Ecole de l'instruction". Il n'est évidemment pas question, sauf chez quelques polémistes, qui certes font vendre, mais qui ne sauraient être tenus pour des participants sérieux au débat public sur les questions éducatives, de mépris pour l'éducation civique et à la citoyenneté, encore moins de nostalgie pour l'école ancienne - et vous êtes un observateur suffisamment scrupuleux pour savoir pertinemment cela, et distinguer les polémiques futiles des questions de fond. Il s'agit de discuter la possibilité d'une éducation dégagée de toute instruction et de tout objet d'étude. Le mouvement auquel vous appartenez semble défendre un tel projet. Et on vous répond à longueur de commentaires que ce projet est une illusion, et qu'il n'y a pas d'éducation, de développement d'un savoir-être, qui puisse se développer hors-sol, sans s'appuyer sur le développement de compétences techniques liées à un champ de savoirs ou de compétences dûment identifié. Peu importe que celui-ci relève de l'apprentissage d'un métier, des disciplines scolaires classiques comme les mathématiques ou le français, de champs universitaires comme la médecine ou le droit, ou du sport, du théâtre, des arts de la rue, ou que sais-je encore, tous ces parcours étant également dignes, et développant des moyens de se représenter le monde, d'agir dans celui-ci, et de s'y insérer.
Tout porte à croire qu'en revanche, de nombreux dispositifs purement scolaires développés depuis quelques décennies, par leur nature même, totalement artificielle, échouent largement à apporter aux élèves quelque compétence générale qui pourrait être réinvestie.
Et merci de tenir ce blog et cette revue de presse, d'exposer ainsi vos conceptions, de les argumenter, et de les ouvrir au débat.
Merci pour cette analyse. Il est bon que l'Ecole se remette en question et s'adapte aux réalités.
Toutefois, il me semble que le premier rôle éducatif incombe aux parents. Vous évoquez brièvement les parents dans leur relation avec les profs. Pourtant leur responsabilité dans l'intégration des enfants dépasse largement leur relation avec les profs.
Je connais suffisamment d'enfants issus de milieux populaires, voire pauvres, voire encore peu cultivés, et même apatrides, à qui les parents inculquent le respect des valeurs qui font qu'un enfant se sent concerné par la minute de silence après la tuerie de Charlie Hebdo. Même s'ils ne se reconnaissent pas du tout dans Charlie Hebdo.
Le milieu social ne fait pas tout. Bien former les profs est essentiel, et il y a de nombreux points d'amélioration. Et pourquoi pas une école des parents ?
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