- La guerre du Trois (sur vingt) aura t-elle lieu ? – Analyse d’une “non-information” -
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Retour du bloc notes après une absence de plusieurs semaines. On y évoquera la visite de Najat Vallaud-Belkacem dans un collège sans notes dans le Gers et la manière dont les médias et l’opinion réagissent sur ce sujet de l’évaluation. La guerre du Trois (sur vingt) aura t-elle lieu ?
On reviendra aussi sur le thème de l’innovation qui fait partie des sujets qui n’ont pas été traités par les médias et on se demandera pourquoi...
La guerre du Trois (sur vingt) aura t-elle lieu ?
Vendredi dernier, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem est allée visiter un collège “sans notes” à Vic-Fezensac dans le Gers. . C’est dans le journal La Dépêche qu’on trouve une interview des enseignants initiateurs du projet et la présentation la plus complète du dispositif qu’on ne peut réduire à la seule suppression des notes.
Cette visite de la ministre se fait dans un contexte qui est celui du lancement prochain de la conférence nationale sur l’évaluation. La ministre a repris ce thème de travail lancé par son prédécesseur Benoit Hamon durant son court passage au ministère. Déjà à l’époque, plusieurs commentateurs avaient été très sceptiques sur l’opportunité de lancer ce débat sur l’évaluation craignant qu’il n’attise des conflits au sein du monde enseignant et de l’opinion publique. Cette fois-ci c’est Maryline Baumard du Monde qui développe cette argumentation. Pour elle : “Est-ce au ministre de dire aux enseignants comment noter leurs copies ? ” et elle prend l’exemple de la polémique sur les méthodes de lecture sous Xavier Darcos qui a braqué les enseignants et rappelle qu’ “au lieu de leur apporter les arguments scientifiques dont ils avaient besoin, il a crispé le débat en le politisant et a tué le sujet. C’est le risque que prend aujourd’hui la gauche en se saisissant d’une manière ostensiblement politique du dossier de l’évaluation des élèves.”. Et elle va plus loin dans son pessimisme avec ce paragraphe : “Pour la France, où beaucoup rêvent encore de coups de règle en fer sur les doigts et de blouses grises, le gouvernement livre sur un plateau le bâton pour se faire battre. Il propose le kit nécessaire pour laisser penser que la gauche française a encore de forts relents soixante-huitards. Que Najat Vallaud-Belkacem fasse sa première sortie sur « l’évaluation bienveillante » dans un collège qui a totalement aboli les notes ne contribuera qu’à alimenter un peu plus le moulin à caricatures. ”
D’abord faut-il considérer que les enseignants n'ont aucun compte à rendre à quiconque sur leur manière d'évaluer ? Drôle de conception... Certes le risque existe d’une certaine crispation. Mais est-ce une raison pour ne rien faire. Car on peut aussi penser que le débat en vaut la peine. Et qu’il peut permettre de faire la « pédagogie de la pédagogie ». Car, comme le note dans la suite de son article, la journaliste du Monde, cela a au moins le mérite de mettre ce sujet à l’agenda et d’éventuellement faire réfléchir les parents et les enseignants sur ce sujet. Un sujet majeur à plus d’un titre. D’abord parce que la question de la notation est au cœur de notre système républicain. Les notes ont été inventées pour servir la sélection. Il n’est pas interdit de réfléchir sur la nécessité de réserver cette sélection à certains moments de la scolarité plutôt que d’en faire un élément quotidien en oubliant que l’évaluation (qui ne se réduit pas à la notation) doit être aussi au service des apprentissages. Ensuite, on le sait bien, l’évaluation lors des examens conditionne une bonne partie de la pédagogie en amont. On enseigne pour préparer à l’examen...Enfin, on peut dire que l’évaluation et le débat sur la note est un bon analyseur non seulement des tensions qui traversent l’École mais toute la société française. Voulons nous une école et une société dure avec les faibles et fondée sur une sélection qui n’est plus méritocratique ou une société plus juste et qui cherche à faire progresser et réussir ?
Pour voir les tensions et blocages qui traversent l’opinion, il suffit de lire les commentaires qui suivent les articles pour s’en rendre compte. On y retrouve les vieilles accusations de naïveté et de “leurrer” les élèves en les maintenant dans “le monde des bisounours”. Notre École et notre société sont marquées par cette posture cynique et ce pessimisme face à toute évolution. C’est ce que notre ami Jean-Michel Zakhartchouk dans un très bon billet de blog sur ÉducPros appelle “les eaux glacées du ricanement cynique”. La “bienveillance” n’est pas un gros mot et on peut juger de la bonne santé d’une société à la manière dont elle traite ses enfants.
Il y a derrière ces oppositions à une évolution de l’évaluation, une logique qui est celle du mistigri, ce jeu où on se refile la mauvaise carte. “J’en ai bavé, alors pourquoi ceux qui me suivent n’en baveraient pas à leur tour ?. Mais il y a aussi des questions identitaires. L’attachement aux notes est aussi lié à sa position dans la société. “Pourquoi critiquer et remettre en cause un système qui m’a fait réussir ?” . Et parmi ceux là, les enseignants n’y sont pas les moins attachés. Car la note, c’est, au final, ce qui leur a donné leur légitimité avec la réussite à un concours.
Le débat sur l’évaluation n’est pas vain. Mais est-il bien posé ? Fait-on vraiment la « pédagogie de la pédagogie » ? Lorsqu’on lit les titres de la presse, lorsqu’on écoute les débats à la télévision ou la radio, on se dit que ce n’est pas toujours le cas. D’abord ce thème est souvent réduit à la seule question des notes et dans une logique très binaire du “Pour ou contre” sans nuances. On aimerait lire un peu plus que la question n’est pas forcément des notes en elles-mêmes ni même de la “bienveillance”. L’enjeu c’est de savoir comme nous le disions plus haut à quels moments il faut limiter la logique de sélection et comment faire de l’évaluation un réel outil au service des apprentissages. Ceci n’est pas une formule creuse. Très concrètement cela signifie que, plus que la note, c’est la moyenne qui pose problème en reposant sur un système de compensation (une difficulté est compensée par une réussite) qui masque les difficultés. La note est trop souvent vécue comme une fatalité alors que l’évaluation devrait être le point de départ d’un travail de remédiation. C’est là que se situe la vraie “exigence” brandie comme un étendard par ceux qui pensent être les seuls à la détenir.
On admettra que ce n’est pas facile d’apporter de la complexité dans un tel contexte de crispation. Mais la visite de la Ministre et la volonté de mettre les projecteurs sur cette question hautement pédagogique... et politique ! Il reste à espérer que ce débat ne soit pas dévoyé. C’est la responsabilité de chacun : enseignants, personnel politique et médias...
Analyse d’une “non-information”
Connaissez vous le Conseil National de l’Innovation et de la Réussite Éducative (CNIRÉ) ? Cette instance mise en place en 2013 (et dont je suis membre suppléant) est présidée par le sociologue Didier Lapeyronnie. Celui ci a remis son rapport , (consultable en ligne) à la ministre Najat Vallaud-Belkacem le 10 novembre dernier. Qui connait cette instance ? Qui a entendu parler de la remise de ce rapport ? Personne ou presque...
On me dira que des “Comités Théodule” existent dans tous les secteurs et que la presse et l’opinion ne s’intéressent pas forcément aux rapports qu’ils produisent. Mais il est curieux de constater cependant que ce rapport du CNIRÉ et les préconisations qu’il contient sont potentiellement des sujets de polémique dont la presse qui en est si friande aurait pu s’emparer. Quand on propose, par exemple, de plus ou moins supprimer ou du moins de changer radicalement les missions de l’inspection, il y a de quoi alimenter quelques débats...
Mais ici, on ne peut pas seulement incriminer les médias. Il faut dire en effet que la remise de ce rapport s’est faite en catimini. Seule une photographie prise dans le bureau de la Ministre et publiée sur le site du Ministère le 10 novembre, témoigne de cela. Il n’y a pas eu, à ma connaissance, de conférence de presse. Et donc pas d’articles de la presse généraliste non plus.
Une dépêche du site d’informations Touteduc et une autre dans le Café Pédagogique évoquent cependant ce rapport et ses principales conclusions.
Sur le site des Cahiers Pédagogiques, vous pourrez en lire aussi une analyse par Yann Forestier. Pour lui, le rapport évite un écueil celui du catalogue de “bonnes pratiques” et se concentre surtout sur les moyens de créer les conditions du changement et d’une structure plus favorable à l’innovation. : il s’agit d’« augmenter l’autonomie, la responsabilité, la réflexivité et l’accompagnement » des acteurs. Et il en détaille les principaux leviers parmi lesquels on signalera la réorientation du travail de l’Inspection vers l’évaluation et l’accompagnement d’équipes, la définition d’une véritable politique de formation à l’échelle de l’établissement et du bassin, ou encore l’élection du président du conseil d’administration parmi des personnalités extérieures. Au quotidien, la « réorganisation de la semaine-type de l’enseignant » ou l’institution d’heures de concertation prend en compte l’obstacle de la gestion du temps, dont la rigidité est génératrice de routine.
Mais Y.Forestier pointe aussi les manques du rapport : “Rien n’est dit sur les modalités des examens ou les procédures d’affectation des enseignants. La forme des programmes scolaires, sujet important lorsqu’on prétend accorder davantage d’autonomie aux acteurs, n’est pas non plus évoquée. L’orientation, bien que signalée comme un casus belli entre parents et enseignants, reste en jachère. ”.
Est-ce juste un problème de calendrier avec la proximité avec le 11 novembre ? On peut s’étonner que ce rapport trouve si peu d’échos auprès des commentateurs et des acteurs de l’éducation. On retrouve dans quelques commentaires des relents d’“aquabonisme” et du cynisme évoqué plus haut... Cela laisse penser que cette “non-information” est peut être le symptôme que la problématique du changement de l’École n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Le changement c’est maintenu ?
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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