La nuit fut courte... Arrivé à 1h du matin, lever à 6h pour
prendre une navette à 6h45, je ne vais pas me plaindre mais il y a un peu de
déficit de sommeil. Cela dit c’est un bon test : s’il y a de l’assoupissement
c’est peut-être que le discours est moins stimulant...
Tous les 1600 congressistes sont logés dans le quartier ...
des hôtels. Et le Quatar National Center of Congress (dire QNCC pour être dans
le coup...) où se tient le WISE est situé dans le quartier... de l’éducation.
“Education city” regroupe sur un large périmètre de très nombreuses écoles et
universités juste en face de l’endroit où nous assistons à ce congrès. On
passera sur les considérations à propos des embouteillages de Doha pour en venir
directement au récit de cette journée “riche” à tous les points de vue,
stimulante mais suscitant aussi des questions.
Riche et ambivalent
Le WISE, je
l’ai déjà écrit c’est une énorme organisation, un grand barnum
médiatico-politico-économico-pédagogique (rayez la mention inutile ? même
pas, c’est tout ça à la fois...). La logistique est impeccable, l’intendance
aux petits soins et la communication est extrêmement professionnelle (avec
beaucoup de jeunes français). Tout est rassemblé dans un même lieu avec des
salles de conférences aux fauteuils moelleux (et des prises électriques sous
chaque siège !), des salles
pour des ateliers (workshops) plus restreints, un “créative lab” qui est en fait
une grande salle d’exposition et des salles pour la restauration des
congressistes. Le luxe, les grands moyens. L’adjectif “riche” doit donc être
pris d’abord dans son sens premier.
Mais ce “sommet” est aussi riche en rencontres. Les
participants sont des personnes très ouvertes et très nombreuses à venir de
pays pauvres. Ce n’est pas le moindre des paradoxes et cela compense
l’impression première fondée sur ce luxe assumé. On se retrouve assis à côté
d’un enseignant du Bengladesh et d’un nigérian et on se met à discuter, et ça
c’est quand même bien.
Puisqu’on en est dans les paradoxes et les représentations,
il faut dire un mot aussi des images que l’on peut avoir d’un pays islamiste. Bien
sûr, on croise beaucoup de femmes toutes en noir et quelques unes entièrement
masquées mais on voit aussi de très nombreuses femmes tête nues habillées de
couleur vives. Je n’ai pas de statistiques mais je crois bien qu’il y a parité
dans les tables rondes et même dans les participants.
C’est d’ailleurs une femme qui a été récompensée par le prix
Wise 2014 (“richement” doté). Il s’agit d’Ann Cotton, une anglaise qui a fondé
il y a une vingtaine d’années, le CAMFED (campaign for female éducation) qui se
consacre à l’éducation des filles dans les pays d’Afrique de l’Est (Malawi,
Zimbabwe, Kenya, Tanzanie, ...). Et le prix lui a été remis par une autre
femme, la Sheikha Moza, mère de l’actuel émir. Evidemment cela ne doit pas
faire oublier les manquements aux droits de l’homme et de la femme mais cela
montre que la situation est plus complexe que les caricatures habituelles.
Stimulant...
Après cette première partie protocolaire, le sommet a
vraiment commencé avec l’exposé du Dr Tony Wagner de Harvard.
Il s’est intéressé à la question “peut-on
former et créer des innovateurs ?”. Une Keynote à l’américaine avec le conférencier qui déambule sur la
scène en s’aidant d’un diaporama très visuel. Je retiens une phrase qui
fait écho aux débats français sur les compétences : « What
you know doesn't matter, but what you do with what you know is the key » (ce que vous savez importe
peu, ce qui est fondamental c’est ce que vous faites avec ce que vous savez). Il
plaide pour l’interdisciplinarité, les tâches complexes, cite Montessori et
Piaget... Sur la forme, on est plus proche du stand-up que de la conférence classique mais le propos est
stimulant (et vous tient éveillé !).
Le format de la table ronde est plus classique et a été
moins motivant malgré le sujet “is there
a creativity impérative ?” et des participants prestigieux dont Graça
Machel, veuve de Nelson Mandela et ancienne ministre de l’éducation. La table
ronde était animée par un ancien ministre de l’éducation britannique. On avait
l’impression que les mots d’innovation et de créativité étaient mis à toutes
les sauces mais qu’on en restait à des lieux communs. J’écris cela en pensant à
ce qu’écrivait Philippe
Meirieu dans un article récent à propos du Wise où il évoquait son «Étonnement, d’abord, de voir des « experts
en éducation » découvrir et présenter comme des affirmations révolutionnaires
des lieux communs qui traînent dans la vulgate pédagogique depuis plus d’un
siècle ». Mais on peut inverser le propos de notre ami critique en
confessant à notre tour notre étonnement que ce qui nous semble à nous français
du (tout) petit monde de la pédagogie des évidences ne le soit pas pour bien
d’autres pays. Ce que nous apprend le Wise en tout cas, c’est qu’il est
dangereux de plaquer nos catégories de pensée sur des situations internationales
diverses et complexes. Et ensuite ne pas oublier non plus que ce qui nous
semble relever de la vulgate du discours pédagogique ne l’est pas forcément
dans les pratiques y compris en France... Il conviendrait de s’interroger
d’ailleurs sur la réalité de l’innovation et de la place laissée à la
créativité dans notre système français si peu ouvert sur le monde. J’y
reviendrai dans un billet spécifique.
L’après-midi était assez semblable à la matinée sauf que
l’on avait le choix entre plusieurs conférences et débats ainsi que des
ateliers. J’ai longuement hésité entre une conférence et un débat sur “comment (re)motiver les enseignants ?”
et la question “L’évaluation tue t-elle
la créativité ?”. Bien que la réponse à cette deuxième question ne
fasse aucun doute, c’est quand
même ce que j’ai choisi. On a pu y entendre un débat entre un enseignant de
Singapour, une professeur indienne et un chercheur allemand (et animé par une
américaine). Avec des positions assez communes sur la nécessité de desserrer la
contrainte de l’évaluationnite mais aussi des positions divergentes en
particulier sur notre capacité à évaluer la créativité.
Extrait du diaporama de Ron Beghetto |
Il dénonce par exemple la “pédagogie de la réponse” (Ph. Meirieu avait même parlé de “pédagogie du sourcil”) qui est un frein à la créativité. On ne propose pas des problèmes à résoudre mais on pose des questions à un élève qui essaie de deviner ce qui ferait plaisir à l’enseignant... Il montre aussi avec des exemples très concrets que mettre en place une pédagogie favorisant la créativité n’est pas forcément très ambitieux, ça peut être simplement de proposer des situations aux élèves où on leur demande de trouver plusieurs solutions. Pour lui, il ne s’agit pas d’être dans le “tout ou rien” il n’y a pas à choisir entre créativité et enseignement académique ils doivent être menés de concert. Des propos assez voisins de ceux de Wagner et qui donnent une tonalité très positive et surtout très concrète à cette question de la créativité : Comment moi dans ma classe, je peux mettre en place des situations créatives pour mieux apprendre ?
Innovation festival :
entre modernité et tradition pédagogique
Et pour terminer la journée (ou presque) on reprend un bus climatisé
pour aller se perdre dans les embouteillages de Doha (ici l’empreinte carbone
est un concept lointain...) et aller visiter le Learning festival
situé en bord de mer près d’un centre commercial. On y présente des animations
proposées aux habitants et plus particulièrement les enfants pour appréhender
certains concepts scientifiques.
Le robot |
Cette pédagogie des bouts de ficelles et accessible à tous
était un bon moyen de clôturer cette journée riche à tous égards...
Philippe Watrelot
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1 commentaire:
Merci pour votre retour complet. Le Wise, d'après vos retours, avait vraiment l'air "riche" en informations. Peut être un jour, j'aurai une note de frais pour y aller :)
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