mardi, novembre 04, 2014

WISE J-1



J’écris ce premier billet de blog dans un avion de la Qatar Airways qui m’emmène vers Doha où se tient la sixième session du World Innovative Summit for Education (WISE). Ce lundi matin, j’ai fait cours dans mon lycée de banlieue où j’ai rendu les copies que j’avais corrigé durant les vacances, comme de très nombreux profs, puis j’ai pris le RER pour me rendre à l’aéroport. A un collègue qui me demandait pourquoi je venais au lycée avec une valise, je lui ai répondu que je prenais l’avion pour me rendre à Doha. Et bien sûr la question qui est immédiatement venue : “mais qu’est-ce que tu vas faire là bas ?”.
Cette question je me la suis moi même posée. Et elle est corollaire à une autre question : pourquoi m’a t-on invité ?

Au mois de mai dernier, je reçois un e-mail dont voici un extrait « je suis XXXX et je travaille dans l’équipe de communication digitale pour le World Innovation Summit for Education (WISE), une initiative de la Qatar Foundation. Je vous contacte au sujet du 6ème sommet WISE, qui se tiendra du 4 au 6 novembre prochain, à Doha, au Qatar.
Nous vous suivons régulièrement sur Twitter et sur votre blog ‘Chronique Education’ et étant donné votre intérêt et votre expertise sur les questions relatives à l’éducation, à l’école et son évolution, nous aimerions vous inviter au prochain sommet WISE 2014. Seriez-vous intéressé ?  Cette année, le sommet aura pour thème "Imaginer - Créer - Apprendre : La créativité au cœur de l’éducation". »

Hésitations
J’ai fait patienter voire s’impatienter mon interlocuteur avant de lui donner ma réponse. Mes hésitations étaient faciles à comprendre. Ce sommet international a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Même si plusieurs français (experts et journalistes) s’y sont déjà rendu, il y a eu  aussi de la méfiance à l’égard de  l’organisateur de ce sommet, la Qatar Foundation.  Je ne vais pas ici et maintenant faire la liste des critiques, on pourra les trouver dans plusieurs textes ici ou là. Il y a de quoi hésiter ou en tout cas la nécessité de bien mesurer la portée d’une décision.
Car mes hésitations sont aussi liées à ma position institutionnelle. Même si l’invitation est personnelle et n’y fait pas référence, on ne peut oublier que je suis par ailleurs président d’un mouvement pédagogique. Lorsque j’ai demandé leur avis à mes collègues militants, les avis étaient partagés. J’ai, au final, pris ma décision seul, elle n’engage que moi et je m’exprimerai principalement sur mon blog personnel.
La possibilité d’une instrumentalisation existe. Je sais le pouvoir de la communication surtout quand cela s’accompagne de moyens financiers importants. Je m’attend à en avoir « plein la vue ». Je sais aussi que l’exotisme de l’endroit de ce sommet a pu jouer dans ma prise de décision. Pour le fils d’ouvrier (mais travaillant à Air France...) que je suis, la découverte d’une nouvelle capitale et d’une nouvelle culture est une motivation non négligeable. Soyons honnête la manière dont l’invitation est formulée a aussi un côté assez flatteur. Lorsqu’on se débat, comme moi, depuis des années avec un “complexe de l’imposteur”, cela est évidemment flatteur pour l’égo. Et en même temps, je suppose que si j’ai été invité c’est peut-être parce que je suis un “second choix” alors que de vrais experts n’ont pas souhaité s’y rendre. Je sais aussi que ce sentiment d’imposture est peut-être une de mes meilleures défenses pour ne pas me laisser complètement séduire car il m’a toujours donné une position de spectateur un peu décalé et donc critique. J’ai déjà vécu des situations semblables lorsque j’ai été amené à évoluer dans des milieux hyper-privilégiés quand j’étais enseignant au lycée français de New-York.


Motivations
C’est peut-être d’ailleurs ce séjour à l’étranger (et mes voyages antérieurs) qui m’a amené à avoir le regard que j’ai aujourd’hui sur la société et surtout le système éducatif français. Je trouve que l’on est bien trop franco-centré et que cela bloque le débat. Pendant longtemps, on a même pu affirmer que nous avions “le meilleur système éducatif “ (citation de Jack Lang qui sera d’ailleurs présent au WISE) et il était difficile d’envisager d’autres modalités de fonctionnement. La publication des rapports PISA à partir de 2000 a mis à mal cette affirmation et nous voyons bien que notre école n’est ni juste ni efficace. Il importe d’aller voir ailleurs non pas pour aller chercher un quelconque modèle scandinave ou asiatique mais simplement pour mieux réfléchir à notre propre École. Une de mes motivations principales en me rendant à ce forum est d’approfondir cette approche comparatiste qui me semble indispensable pour mieux réfléchir et agir en France et se dire simplement qu’on peut faire autrement...

Cette approche comparatiste, on pourrait simplement l’avoir par la lecture de livres. Mais cela ne remplacera jamais la rencontre humaine. Je me fais peut-être des illusions face à un grand barnum de plus de 1500 personnes mais j’espère sincèrement pouvoir échanger avec des personnes qui partagent la même passion de l’éducation. Car, je crois qu’au delà des critiques formulées à l’égard de ce sommet,  des logiques marchandes et géo-stratégiques  qui sont à l’œuvre, il y a des hommes et des femmes que j’espère sincères dans leurs engagements pour construire une éducation pour tous.

Et puis, il y a ce thème proposé cette année. La créativité est bien trop souvent négligée dans un système éducatif qui reste  très conformiste aussi bien à l’égard des élèves que des enseignants. Lorsqu’on a la conviction qu’on apprend mieux lorsqu’on crée les conditions pour que les élèves soient acteurs de leurs apprentissages, la créativité est alors un ressort puissant non seulement de la motivation mais des apprentissages eux mêmes. Comment faire de notre école un lieu d’une plus grande créativité ?  Voilà une question essentielle.
Mais pour que l’École soit plus créative, elle ne peut pas l’être uniquement pour les élèves. Il est nécessaire que les enseignants puissent être eux aussi créatifs et innovants. Cette question de l’innovation ou plutôt de l’expérimentation est pour moi un souci majeur. J’ai plusieurs fois écrit sur ce sujet et mon action militante est orientée vers cette nécessité de donner plus de pouvoir d’agir collectivement aux enseignants.  

Bien sûr, on pourra me rétorquer que je suis peut-être trop naïf ou exagérément optimiste. Au passage, je pense qu’il est préférable d’être optimiste que cynique quand on s’occupe d’éducation.  J’ai pris pour parti depuis longtemps de ne pas juger d'un dispositif "à froid" avant de m'y être impliqué ou d'en avoir vu les potentialités. Cela est surtout valable évidemment dans le domaine de l'éducation où, en France, on a souvent tiré les conclusions avant même d'avoir essayé ! Mais cela peut s’appliquer aussi à ces trois jours.
Je ne peux pas dire que je pars sans a priori (puisque j'en ai) mais du moins, je vais essayer de me faire une opinion à partir de ce que je vais observer et de mes rencontres.
A l’inverse de ce qui se pratique trop souvent en France, la question va donc être de savoir si on peut s'intéresser à ce qui est dit indépendamment de qui le dit et surtout de "où" il le dit...


Point d’ancrage
Pour clore ce billet comme je l’ai commencé, j’ai précisé à mon collègue ce lundi matin que je ne ratais que quatre heures de cours et que celles-ci seraient évidemment remplacées. Et dès vendredi, je serai devant mes élèves. Contre le risque de prise de grosse tête et un sentiment d’irréalité après ce voyage dans les “hautes sphères” rien de tel que ce remède : le contact et le travail  avec les élèves.




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