WISE J3 (jeudi 6 novembre 2014)
Suite et fin du WISE.
C’est l’occasion en guise de bilan de revenir sur le titre donné à ce sommet (Imagine, Create Learn – Creativity at the
heart of éducation) et de réfléchir sur cette notion de créativité qui a été
dans tous les discours pendant trois jours.
Suite et fin
Les journées se suivent et se ressemblent un peu. On
commence toujours par une réunion en plénière avant des travaux dans les
ateliers. La séance de ce jeudi matin avait pour thème “Let’s be créative !”. Et l’exposé initial était proposé par Paul Tough auteur de “How children
succeed". Pour lui, persévérance, créativité, optimisme et bien
d’autres attitudes ne sont pas des traits de caractères, ce sont des compétences
qu'il faut construire. Selon lui, la créativité suppose que l’on soit
capable d’apprendre de ses erreurs et d’analyser la manière dont on apprend et
on agit (il parle bien de métacognition). On pense souvent, dit-il, que la
créativité a à voir avec la liberté mais ça a surtout à voir avec le “cran”
(grit) et la persévérance. Pour lui, une des choses les plus importantes que peuvent faire les
enseignants est donc d'apprendre aux élèves à gérer l’erreur. Mais bien sûr, la
gestion de l'échec ne peut marcher que si les enseignants croient en la
capacité de réussite de leurs élèves. La table ronde qui a suivi a essayé de
repérer les blocages qui gênent la créativité. Nous y reviendrons.
La deuxième partie après l’inévitable coffee break, proposait plusieurs choix. Pour ma part, je me suis
intéressé au jeu. La conférence introductive au thème était donnée par le Pr. James Paul
Gee. Celui-ci a montré les mécanismes d’apprentissage qui étaient favorisés
par le jeu (aussi bien les jeux de plateaux que les jeux vidéo). La table
ronde a été assez interactive et vivante et un des intervenants a même
fait se lever tout l’amphithéâtre pour...jouer.
Après la pause repas, retour en plénière pour la séance de
clôture. L’occasion d’entendre un discours très émouvant d’Ann Cotton la
lauréate du prix Wise 2014. Elle est revenue sur son parcours et son projet Camfed (campaign for female éducation) . Pour elle, la cause de la
non-scolarisation des filles n’est pas d’abord culturelle mais avant tout
économique. C’est la pauvreté qui oblige à faire des choix dans l’éducation des
enfants et c’est là que la préférence pour les garçons intervient. Pourtant
selon elle « Rien n’a plus d’effets pour
une nation que la scolarisation des filles, dans tous les domaines : une fille
éduquée a des revenus 25 % supérieurs à ceux d’une fille analphabète. Elle est
capable de mieux se prémunir contre tout type de virus ; elle a notamment trois
fois moins de risques d’être malade du sida. Elle est plus autonome, se marie
et a des enfants plus tard. Ses enfants sont en meilleure santé, et, à leur
tour, ils ont plus de chances d’aller à l’école. Enfin, elle contribue à la
bonne santé économique du pays et au processus démocratique.» c’est ce
qu’elle déclarait dans une
interview proposée par Le Monde
dans son édition du 4 novembre 2014.
Après ce très beau discours, un dernier panel (c’est ainsi qu’on nomme ici les tables rondes) a rassemblé
Jack Lang, Charles Leadbeater un expert anglais et une étudiante Wise. Pour la
première fois, on a donc entendu une intervention en français (il y avait des
casques de traduction simultanée) puisque l’ancien ministre et aujourd’hui
président de l’Institut du Monde Arabe a prétexté un “anglais rustique” pour pouvoir s’exprimer en français. Ce choix de
langue a déclenché une mini vague de francophonie puisqu’on a eu droit ensuite
à quelques questions du public exprimées en français par des africains ou des
quataris. Et curieusement cela a aussi déclenché des questions sur le système
éducatif français que l’ancien ministre a jugé trop sélectif et « bon pour les
bons, mais ne parvenant pas à répondre aux problèmes de ceux qui ont des
difficultés d’apprentissage ». L’expert anglais, pour sa part a rappelé qu’un
système inégalitaire ne peut pas être jugé efficace...
Le discours du président du WISE a ensuite clos
officiellement ce sixième sommet.
Questions sur la
créativité.
Il est difficile de faire un bilan après trois jours
menés à un rythme effréné. Mais en guise de conclusion on peut proposer de
revenir sur le mot-clé de ces trois journées : la créativité.
(Avant d’aller plus loin dans cette tentative de réponse à
ces questions, je dois dire que cette partie de texte s'appuie sur les contributions des lecteurs de mon mur Facebook aux
questions que je leur ai posées. C’est donc une forme d’écriture collaborative.)
Qu’est-ce que la
créativité ? et pourquoi est-ce important ?
Le terme est revenu sans cesse dans la bouche de tous les intervenants. Mais peu ont pris la peine de le définir tant il semblait
évident. Pourtant, ce n’est pas aussi simple que cela même si on peut repérer
quelques constantes. D’abord évidemment la créativité a à voir avec
l’innovation et la capacité à créer quelque chose de nouveau et d’original.
Mais c’est aussi la capacité à trouver des solutions à un problème. Des
solutions et pas une seule (flexibilité), ce qui suppose la divergence voire la
déviance. Et l’acceptation du hasard et de l’erreur. Car il faut aussi rappeler
que la création, si elle est souvent dans les représentations associée à
l’image de l’“éclair de génie” est en fait un processus lent, itératif fait
d’essais et d’erreurs où l’on se questionne sur ce que l’on est en train de
faire.
“La créativité c'est l'intelligence qui s'amuse” |
Avec cet essai de définition, on voit bien le lien avec les
mécanismes d’apprentissage. Fondamentalement l’acte d’apprendre est une forme
de créativité puisqu’il s’agit de créer des liens et des connexions nouvelles
dans notre cerveau. Si la créativité est souhaitable c’est donc d’abord parce
que c’est la condition même pour apprendre ! La simple reproduction d'un exercice ne suffit
pas à inférer qu’on a appris et qu'on maîtrise un savoir, il faut pouvoir mobiliser ses ressources dans un
contexte nouveau. Et la gestion de
l’erreur évoquée par Paul Tough est aussi un élément important de la
construction des connaissances et des compétences.
Et la créativité n’est pas seulement au coeur des apprentissages mais est aussi la condition de l’enseignement. Enseigner n’est pas (encore !) un métier standardisé et taylorisé. C’est un artisanat où l’on doit trouver les meilleurs moyens de répondre aux besoins spécifiques de ses élèves. Et cela passe forcément par un processus de création.
Et la créativité n’est pas seulement au coeur des apprentissages mais est aussi la condition de l’enseignement. Enseigner n’est pas (encore !) un métier standardisé et taylorisé. C’est un artisanat où l’on doit trouver les meilleurs moyens de répondre aux besoins spécifiques de ses élèves. Et cela passe forcément par un processus de création.
Bien sûr la créativité a aussi d’autres enjeux. Proposer une
formation qui favorise la créativité et créer les conditions favorables à une
culture de l’innovation, cela a évidemment des effets économiques. Cela a été
dit explicitement à de nombreuses reprises au cours du sommet : des
individus innovants sont de plus en plus nécessaires dans un contexte
incertain. Et l’économie de la connaissance repose évidemment sur l’innovation économique
et sa maîtrise.
Est-ce que la
créativité s’enseigne ?
Lors du diner de gala, j’étais assis à côté d’une
enseignante allemande vivant en Nouvelle Zélande et qui s’est présentée à moi
comme “professeure de créativité”. Elle travaillait dans l’enseignement
supérieur et animait des ateliers où elle mettait les étudiants dans des situations
de création.
Pour un français cela peut sembler curieux (sauf peut-être
pour ceux qui travaillent dans des écoles d’art appliqués...) On a tendance à
voir de manière spontanée la créativité comme une disposition, un trait de
caractère, presque de l’ordre de l’inné...
Pour Paul Tough l'intervenant du jeudi matin, la créativité
tout comme la persévérance ou l’optimisme ne sont pas des traits de caractère,
ce sont des compétences qu'il faut construire. Dès l’instant où on fait cette
hypothèse, il peut être alors question de ressources, de modalités favorables
etc...
C'est un peu la même problématique que pour l'oral.
On peut dire d'un élève “il est réservé,
c'est son caractère” et ne jamais le faire travailler l'oral ou considérer
que c'est une compétence qu'il faut développer ! C’est une vraie difficulté
qu’on retrouve avec le débat sur les compétences. Si (avec du mal... !)
certains admettent qu’il peut y avoir des compétences liées à des savoirs, cela
devient plus difficile dès l’instant où on parle de compétences sociales (et
qu’on appelait autrefois “savoir-être”). A la rigueur dans les petites classes
mais dans le secondaire vous n’y pensez pas... Pour ceux là ce serait évaluer
la “personnalité”.
Peut-être pourrait-on s’accorder sur l'idée qu’il y
a des dispositifs, des organisations de classe, des formes d’enseignement qui
favorisent plus ou moins la créativité des élèves (et aussi des enseignants...) ?
Comment mettre en
place les conditions de la créativité ? Et qu’est-ce qui bloque ?
Repérer ce qui bloque peut être un moyen par un raisonnement
a contrario de définir les conditions
pour faire vivre la créativité.
Le premier jour du WISE, Ronald Beghetto s’interrogeait sur les
conditions favorables et les blocages et dénonçait la “pédagogie de la réponse”
comme un frein à la créativité. On
ne propose pas des problèmes à résoudre mais on pose des questions à un élève
qui essaie de deviner ce qui ferait plaisir à l’enseignant...
“Je suis très créatif, et les gens créatifs ne craignent pas d'échouer” |
Une très belle citation pourrait résumer cette posture éducative : “Agis en sorte qu'autrui
puisse augmenter le nombre de choix possibles”(Camus)
Plus globalement, on est créatif dans un
environnement où les possibles sont multiples et riches, où l'on est invité et
encouragé à faire preuve d’autonomie. Cela suppose des situations où on n’est
pas inhibé par des jugements qui tombent comme des couperets.
Un autre frein à la créativité peut se trouver dans
l’excès de contrôle. Pour beaucoup d’enseignants, l’autonomie et a fortiori la créativité, c’est le
chaos, le désordre ! L’enjeu se situe donc dans la posture de
l’enseignant. Celui-ci doit donc être capable de lâcher prise et de
s’autoriser à accepter de ne plus être dans une position centrale et d’avoir
l’illusion de tout contrôler.
Au delà de l’enseignant dans sa classe, c’est tout
le système éducatif qui doit être interrogé. Lorsque j’ai posé la question dans
les réseaux sociaux où je suis présent, tous ceux qui m’ont répondu l’ont fait
en constatant que la créativité des élèves et encore plus celle des enseignants
n’était pas encouragée dans le système scolaire. Mais les constats sont les
mêmes au niveau international si l’on entend bien ce qui s’est dit au WISE.
D’abord parce que dans de très nombreux systèmes et la France en est un exemple
ultime, les programmes définissent non seulement ce qu’il faut apprendre mais
aussi la façon de l’apprendre. Lorsqu’on est à ce point obsédé par les
procédures, comment laisser de la place pour la créativité ? La question
est donc aussi politique. Veut-on
un enseignant concepteur ou créatif ou applicateur ? On n’a pas le
choix. Dans un contexte de plus en plus incertain et changeant, on a besoin de
créativité.
Les conditions de la créativité sont donc à la fois
personnelles, institutionnelles et culturelles.
Comment former les
enseignants à la créativité et l'innovation ?
Le titre de la première conférence (Tony Wagner) du WISE était
“peut-on former et créer des innovateurs ?”
Bien sûr on y parlait plus des élèves que des enseignants. Mais la question de
leur formation était directement posée dans plusieurs autres moments de ce
sommet. “Empowering
Teachers for Creativity” était ainsi le titre d’une autre table
ronde. D’autres ateliers ont aussi abordé cette thématique.
La Compétence 14 du référentiel métier de 2013 en France définit l’objectif de «S'engager
dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel»
et insiste sur la nécessité pour
les enseignants de développer des « démarches
d'innovation pédagogique visant à l'amélioration des pratiques.» Mais au
delà des référentiels officiels qui définissent un enseignant idéal, la
question est surtout de voir quels dispositifs peuvent se mettre en place dans
une formation initiale et continue favorisant l’innovation et la créativité.
Je m’étais déjà risqué à proposer quelques pistes dans
un billet de mars 2014 portant sur l’innovation. Parmi toutes celles
évoquées, j’insisterais sur la nécessité d’une approche plus
interdisciplinaire. Comme on a pu le voir à travers plusieurs projets présentés
lors de ce congrès, la culture de l’innovation et de la créativité passe par l’interdisciplinarité
et la capacité à faire des liens entre différents domaines.
Mais l’autre condition majeure c’est l’analyse de pratiques.
Le créateur, dans quelque domaine que ce soit, est quelqu’un qui interroge sans
cesse sa manière de faire. Alors que rouvre à Paris, le musée qui lui est
consacré, souvenons-nous que Picasso, qui est sans doute l’exemple ultime du
créateur, a sans arrêt, tout au long de sa vie, questionné sa manière de faire et
de créer. « Un tableau était une somme
d'additions. Chez moi, un tableau est une somme de destructions. » avait-il déclaré. Pour être capable
de créer, il faut se placer dans une logique de recherche permanente et de
doute critique. Et cette compétence là devrait être au coeur de la posture de l’enseignant.
Au terme de ces trois jours, je ne sais pas s’il est déjà le
moment de tirer un bilan complet sur cette expérience particulière et ce moment
privilégié ( ! ) et hors du temps. Le retour au réel est cependant rapide
puisque j’ai retrouvé ce vendredi mes élèves dans mon lycée.
Le premier bilan sera peut-être de se demander si les
réflexions issues de ces trois jours auront eu un effet sur ma réflexion et
surtout sur ma pratique professionnelle.
Les polémiques sur cet évènement existent et doivent être entendues, j’ai essayé à ma
manière d'en tenir compte et d’y répondre dans les précédents billets. Mais, dans celui-ci j’ai surtout tenté de traiter le sujet lui même de ce sommet et de questionner le
concept qui a traversé toutes les contributions et d’en voir la pertinence.
En somme de parler de pédagogie, c’est ce qui m’intéresse le plus...!
En somme de parler de pédagogie, c’est ce qui m’intéresse le plus...!
Philippe Watrelot
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