J’ai participé à l’émission
Rue des Écoles diffusée dimanche 5 juin 2016 à 17h intitulée “Les vertus scolaires : L’exigence”.
Les deux autres invités étaient Cécile Ladjali et Augustin d’Humières. L’émission
avait été enregistrée le vendredi après-midi. Pour plusieurs raisons, et entre
autres les inondations, je n’ai pas pu me rendre à Paris et être présent dans le
studio. Je suis donc intervenu par téléphone et cela a évidemment limité les
interactions et mon temps de parole dans un débat déjà déséquilibré (C’est
souvent du 2 contre 1 à Rue des Écoles...).
D’une manière générale, on ressort toujours frustré de ce
genre d’exercice et avec le sentiment de ne pas avoir dit tout ce qu’on voulait
faire passer. Alors, comme je l’ai déjà fait pour
une précédente émission je vous propose un “écrit de rattrapage” pour
compléter cet oral frustrant et décevant...
L’exigence à tort et
à travers
Vous le savez, je publie une revue de presse consacrée à
l’éducation depuis 2004 sur mon blog. J’ai utilisé la fonction “recherche” de
celui-ci pour voir à quelles occasions le mot “exigence” apparaissait. Il y a
de très nombreuses occurrences. On peut même dire que le mot est utilisé à tort
et à travers. Louise Tourret en mars 2014 présentait dans un article de
Slate.fr et dans
son émission le portrait d’un jeune enseignant qu’elle présentait comme un
“professeur à l’ancienne” qui “réinvente l’exigence”. Si l’on s’en
tient à la période plus récente, Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la réforme du
collège, dans une interview au Figaro,
déroule une sorte de condensé de l’argumentaire : «Voici qu'on nous ressert le pédagogisme,
c'est-à-dire le contraire de ce qu'il convient de faire. [...] La seule chose qui compte, pour les auteurs
de cette réforme, c'est que l'enfant « ne s'ennuie pas ». Dans la République ce
qui devrait compter, c'est que l'enfant apprenne. Et pour apprendre, il faut
faire des efforts. […] La République
c'est l'exigence. Et c'est parce que l'on sera exigeant que l'on pourra tirer
tout le monde vers le haut. Cette réforme, c'est le contraire de l'exigence,
c'est le nivellement qui tirera tout le monde vers le bas. ». Toujours dans
cette logique, en juin 2015, trois anciens ministres (François Bayrou,
Jean-Pierre Chevènement et Luc Ferry) avec quelques intellectuels lancent une
pétition «pour un collège de l'exigence». Il y aura bien une tentative de
Najat Vallaud Belkacem en septembre 2015 de présenter les nouveaux programmes dans
une tribune dans le Monde comme le rétablissement d’une “école de
l’exigence”. Mais le Monde préfèrera titrer sur le rétablissement de la
dictée... Et le mot “exigence” semble durablement accaparé par un camp.
Hold up sémantique
On le voit, l’“exigence” est devenue un thème politique
souvent associé au refus du “laxisme” voire même de la “bienveillance”. Tout se
passe comme s’il y avait eu une sorte de hold-up sémantique où ce concept avait
été confisqué par ceux qui se réclament de la tradition et de la préservation
d’une École qui serait en train de disparaitre. On le trouve aussi beaucoup
utilisé avec la crainte du “nivellement par le bas” et le fameux “niveau qui
baisse”. Ainsi, on voit apparaître régulièrement des critiques sur la baisse
des exigences dans les examens et en particulier le baccalauréat. Pour les
déclinistes, le bac serait “donné” et le niveau attendu plus faible qu’avant.
Vieille rengaine infondée qui se téléscope aussi avec le débat sur les notes chiffrées. Avec
implicitement l’idée que seule la note permettrait de dire la vérité sur le
niveau et que la disparition des notes serait une étape de plus vers la baisse
des “exigences”.
Connaissances/compétences, didactiques/pédagogie,
enseignement/éducation, exigence/bienveillance, effort/plaisir… Le débat sur
l’éducation est plein de ces fausses oppositions binaires que
j’avais déjà essayé de recenser. Elles pourrissent le débat sur l’éducation. Il est vrai que
la nuance et la complexité ne font pas bon ménage avec les débats simplistes
qu’affectionnent les médias. La figure du “pédagogiste” (forcément délirant)
est un épouvantail facile dans certains discours conservateurs. Sans chercher
très loin, il suffit de relire les interventions récentes de Nicolas Sarkozy
qui fustige l’“esprit de 68” et qui, en
meeting à Lille, le 8 juin 2016, a estimé que les militants du « parti pédagogique » se sont « échinés à détruire méthodiquement le respect
de l’autorité, l’apprentissage de la langue, la transmission de notre histoire
nationale, de nos mœurs, de nos valeurs. »
Prendre les savoirs
au sérieux
Il nous faut réfuter l'opposition souvent entretenue par les
médias qui consiste à opposer des pédagogues/laxistes à des prétendus
"républicains" rigoureux et exigeants. L’exigence n’est pas une
valeur du passé. Et il est presque insultant pour les enseignants d’aujourd’hui
de postuler qu’il y aurait un recul de l’exigence. Ceux-ci sont dans leur
immense majorité, fiers de transmettre des contenus “difficiles”. Ce n’est pas
non plus parce qu’on a des objets de travail modernes qu’on n’est pas exigeant.
S’adapter n’est pas antinomique de “être exigeant”.
S’adapter c’est inventer des chemins d’accès, des passerelles. Il y a un devoir
d’invention pour prendre les élèves là où ils sont et les élever vers la
culture. Pour l’enseignant, il y a un rôle de passeur culturel à jouer. En
fait, iI n'y a pas plus exigeant que les méthodes actives et le travail des
pédagogues qui ne se contentent pas de la récitation pour croire que les élèves
ont compris mais construisent des situations pour que les élèves s'emparent des
concepts et les utilisent de manière pertinente.
En définitive, la vraie exigence c’est de prendre les
savoirs au sérieux et de ne pas se contenter de la récitation apprise par cœur et
de l’exposition de quelques “savoirs décoratifs” oubliés juste après
l’interrogation. L’enjeu c’est la maîtrise durable et efficace de ces
connaissances. Ce qui suppose de placer les élèves face à des tâches complexes
où ils doivent faire la preuve de leur capacité à mobiliser des ressources apprises
et appropriées.
Etre exigeant pour un enseignant, c’est donc aussi l’être d’abord
avec soi même. Pour cela il faut se méfier des évidences et de ce qui semble “aller
de soi” et être le plus explicite dans la définition de ce qui est attendu. Il
faut aussi se donner les moyens pour que les élèves progressent. Parmi les
idées toutes faites et les représentations fausses sur les pédagogies actives,
il y aurait l'idée qu’on laisserait aux élèves “le plus de marge
possible". En d'autres termes, on les laisserait se débrouiller tout
seuls. C'est faux. Il n'y a pas plus directif que la pédagogie active !
Simplement elle se situe en amont lorsque l'enseignant installe les dispositifs
qui vont permettre aux élèves d'être actifs sinon acteurs dans les
apprentissages. Il est aussi présent dans l'accompagnement des élèves dans la
voie de ces apprentissages. Dans une pédagogie du “côte à côte" plutôt que
du seul "face à face" qui laisse souvent les élèves dans une
situation de spectateur. "Laisser de la marge" aux élèves c'est
d'abord leur permettre de s'approprier les savoirs. C'est bien moins fatiguant
de faire un cours "magistral" qui permet surtout de répondre à une
logique narcissique que de préparer des situations qui permettent aux élèves
d'apprendre de manière coopérative et autonome...
La maison n’accepte
pas l’échec...
L’exigence ne s’oppose donc pas non plus à la
“bienveillance”. Car, il en va de l’exigence comme du cholestérol : il y a
une bonne et une mauvaise exigence. Il y a celle qui fait réussir, se dépasser
et encourage et il y a celle qui décourage et qui s’inscrit dans une culture
scolaire de la sélection et s’apparente à de l’intransigeance.
Notre système éducatif s’est construit sur le mythe de
l’élitisme républicain et de l’égalité des chances. La sélection est donc
inscrite dans l’ADN de l’École. Dans une sorte de “distillation fractionnée”,
il s’agissait de faire émerger les meilleurs et ainsi de renouveler les élites.
Mais, on le sait, ce système là dysfonctionne pour deux raisons. D’abord parce
qu’il est construit sur l’exclusion et l’échec: que fait-on des “vaincus”
du système ? Ensuite parce que l’égalité des chances ne fonctionne pas et
que ce sont les “héritiers’ qui se reproduisent.
Certains confondent “mixité sociale” et hétérogénéité des
élèves. Lorsqu’on regroupe tous les bons élèves de quelque milieu social que ce
soit dans des classes homogènes, il est plus facile alors d’être “exigeant”
avec ceux là. De même, il est moins difficile d’être exigeant pour les “bons”
de chaque classe que d’être exigeant avec chacun à sa mesure .
Comme le soulignait Michel Lussault lors des journées de la
refondation «c’est être peu exigeant que
d’accepter autant d’échecs».
Une école de l’exigence est incompatible avec le fatalisme. Et si la
vraie exigence était de faire réussir tous les élèves et de lutter
efficacement contre les
inégalités ? C’est le défi que les enseignants ont à relever de façon
collective.
Philippe Watrelot
10 juin 2016
Note : Pour préparer une intervention, je demande souvent des conseils et des contributions aux membres du CRAP-Cahiers Pédagogiques. Ce présent texte est issu de discussions au sein du bureau du CRAP. J'espère que les contributeurs s'y retrouveront !
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