dimanche, juin 05, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 30 mai au 5 juin 2016



- Revalo - polémique qui pue - Surcouf - Déploration - .



Un bloc notes plutôt morose à l’image du temps et du niveau de l’eau... Pourtant il y a des raisons de se réjouir avec l’annonce de la revalorisation des traitements des enseignants. Mais cela ne semble pas suffire à changer l’état d’esprit. Et ce n’est pas le spectacle navrant donné par certains politiques autour de la fausse polémique sur l’enseignement de l’arabe au CP qui va nous remonter le moral. La manifestation à Saint-Malo devant le collège Surcouf où plusieurs élèves de collège ont été blessés n’est pas non plus d’une franche gaieté. Tout cela nous amène à conclure cette revue de presse par un chapitre intitulé “déploration”...


Revalo
Les rumeurs qui circulaient se sont confirmées cette semaine avec l’annonce d’une revalorisation des enseignants. Celle ci a été interprétée par beaucoup comme un “cadeau” et un moyen de récupérer les votes enseignants. Ce n’est pas à écarter mais il reste à savoir si cela aura de l’effet. Et surtout se focaliser sur cela c’est oublier que c’est aussi le résultat du dialogue social et une nécessité réclamée depuis longtemps.
L’annonce a été faite par Najat Vallaud-Belkacem sur le plateau de RMC/BFM Tv le mardi 31 mai. Après l’annonce de l’augmentation de l’indemnité pour les professeurs des écoles, cette fois ci c’est une revalorisation à 1 milliard d'euros (à l’horizon 2020). Vous pourrez lire tout le détail de ces mesures sur le site du Ministère avec des infographies très précises.
Rentrons dans le détail. Cette revalorisation ne tombe pas du ciel. Il faut d'abord rappeler que plusieurs organisations syndicales (les "réformistes" mais aussi la FSU) avaient signé en octobre le protocole PPCR (Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations) l'an dernier qui contenait ces mesures mais pas la CGT ni FO ni Solidaires Il n'y avait donc pas eu la majorité pour valider l'accord. Néanmoins Marylise Le Branchu puis Manuel Valls avaient confirmé que ces propositions seraient travaillées. Grâce aux organisations syndicales qui avaient signé, et aux actions qui ont été menées sur les rémunérations des fonctionnaires, on aboutit finalement à ces annonces et surtout à l’ouverture de négociations dans le cadre de ce protocole PPCR. Concrètement , indépendamment de la hausse du point d'indice de tous les fonctionnaires, près de 500 millions seront débloqués dès le 1er janvier 2017 dans le cadre du budget pour la revalorisation de tous les échelons dans l’éducation nationale. Une seconde revalorisation interviendrait le 1er janvier 2019, et la création d'un nouveau grade - la classe exceptionnelle - au 1er septembre 2017. Dans la grille de rémunération des professeurs, tous les échelons vont monter d’un cran – de 9 à 40 points – d’ici à 2020. En définitive, un enseignant certifié gagnera 23 000 euros de plus sur l’ensemble de sa carrière. L’effort est particulièrement soutenu à l’entrée dans le métier : les stagiaires percevront 1 400 euros bruts par an de plus qu’actuellement. On verrait donc aussi se créer un nouvel étage de rémunération avec une « classe exceptionnelle », accessible en priorité à ceux ayant exercé en éducation prioritaire, ou ayant occupé des responsabilités (directeur d’école, formateur, conseiller pédagogique…) pendant au moins huit ans. Les annonces portent aussi sur les transformations des modalités d'évaluation des enseignants. Aujourd’hui l’avancement se fait en fonction d’une note attribuée par l’inspecteur et par le chef d’établissement et avec trois vitesses : : « ancienneté », « choix » et « grand choix ». Conséquence du PPCR, l’évolution dans la carrière se fera au même rythme pour tous. Les trois rythmes d’avancement disparaitraient donc, tout comme la double notation. Il y aurait désormais quatre rendez-vous de carrière pour apprécier la valeur professionnelle des enseignants : après sept ans, treize ans, vingt ans et en fin de carrière. A chacun de ces rendez-vous, un enseignant pourrait se voir proposer une accélération de carrière et de nouvelles perspectives. Cela pourrait donc aboutir aussi à une transformation du métier d’ inspecteur. Et nul doute que le rôle accru du chef d’établissement va faire débat. C'est (enfin !) la reconnaissance que le travail des enseignants mérite une revalorisation qui est en effet réclamée depuis des années. La dernière réorganisation générale des carrières des enseignants datait d'il y a 25 ans, sous Lionel Jospin en 1990. Et il s’agit de combler le retard avec les salaires des enseignants dans les autres pays, comme nous le rappellent plusieurs articles
Notons toutefois que tout cela n’est pas finalisé. C’est le principe même d’une négociation et du dialogue social... Il faut souligner aussi que contrairement à ce qu’on peut lire ce n’est pas réversible. En d’autres termes, en cas d’alternance, un nouveau gouvernement ne pourra pas revenir dessus. Mais comme cette revalorisation représente à peu près le coût de 20 000 postes on peut craindre que cela se traduise alors par des réductions de poste équivalentes.
«Ah, Ah, on veut nous acheter, la ficelle est trop grosse... ! » . Cette phrase, ou d’autres équivalentes, on a pu la lire et l’entendre de nombreuses fois de la part des enseignants. Et cela a aussi été interprété comme un “cadeau électoral” dans la Presse. Notons d’abord que la critique d'opportunisme pré-électoraliste doit être nuancée dans la mesure où les négociations ont été très longues et que de plus les élections sont dans un an et pas demain. Cela dit, il ne faut pas nier que cela n’est certainement pas dénué d’une logique électoraliste et que cela s’inscrit aussi dans un contexte de contestations sociales tendues.
Dessin de Martin Vidberg paru dans La Toile de l'Éducation -Le Monde
Deux questions... Faut-il s’en indigner ? Faire de la politique c'est aussi savoir gérer le temps. Et on ne peut pas dire que jusqu'à maintenant ce gouvernement ait eu un sens du timing très efficace... Et cela n’enlève rien à la nécessité de revaloriser les salaires des enseignants. Nulle naïveté là dedans...Est-ce que cela risque de changer le vote des enseignants ? Si certains enseignants le croient, c’est qu’ils ont alors une piètre opinion d’eux mêmes ! Et je ne suis même pas sûr que le gouvernement y croit lui même...
Pour finir sur ce point, j’aimerais pour ma part faire deux remarques. D’abord sur la comparaison avec les autres pays. Si l’on prend en compte seulement les rémunérations, la comparaison est incomplète. Si dans d’autres pays les salaires sont plus élevés, c’est bien souvent parce que les obligations règlementaires de services (horaires, temps de présence, missions, etc.) sont bien plus importantes. Et la deuxième remarque découle de la première. Si la négociation s’embourbe, on risque de s’acheminer vers une “revalo” qui reproduirait les mêmes erreurs que celle menée par Lionel Jospin, il y a 25 ans. Alors qu’il était prévu d’inscrire celle ci dans une renégociation plus globale des missions et statuts des enseignants, le ministre avait capitulé en rase-campagne devant la pression syndicale. Et on avait raté alors une occasion historique de faire vraiment évoluer les statuts et le métier enseignant... Saura t-on éviter ce piège cette fois ci ?






La polémique qui pue...
C’est la suite de la question qui pue... Et la preuve que toute cette affaire commencée la semaine dernière (alors que l’information date de janvier) est sinon orchestrée du moins une opportunité pour toute une partie de la droite et de l’extrême droite. Car ceux qui s’emparent des déclarations tronquées et déformées de la Ministre se situent aussi bien dans le camp des “Républicains” (je ne m’y ferai jamais) que dans celui du Front National.
Nous l’évoquions dans le bloc-notes précédent, mercredi 25 mai, lors des questions au Gouvernement, la députée Annie Génevard (LR) interpelle la Ministre de l’Éducation Nationale. Elle lui reproche d'ajouter l'apprentissage de l'arabe dans les programmes scolaires, au même titre que l'espagnol ou l'allemand et de faire le jeu du communautarisme. Elle reçoit une réponse cinglante de Najat Vallaud Belkacem qui lui rappelle qu’au contraire, il s’agit de le combattre en supprimant les ELCO (Enseignements de langue et de culture d’origine) qui le favorisait. “L’apprentissage de l’arabe, du turc ou du portugais doit se faire dans un cadre scolaire, banalisé, normalisé, comme toutes les autres langues” avait expliqué Najat Vallaud-Belkacem. Fin de la polémique ? Que nenni...
Deuxième étape avec l’interview de la Ministre à BFM TV. Jean-Jacques Bourdin la relance sur ce sujet. Najat Vallaud-Belkacem explique alors que l'arabe pourrait être enseigné comme langue vivante 1 dès le CP au même titre que toutes les autres langues concernées . Mais le tweet diffusé par l’équipe de Bourdin est : «L'enseignement de l'arabe se fera dès le CP, dès qu'on aura les moyens pour le faire». Réaction immédiate du Front National Le secrétaire général du FN Nicolas Bay, suivi de près par le maire de Béziers Robert Ménard, dénoncent ce qu’ils voient comme le signe d’une “défrancisation” (terme utilisé par Ménard). Il faut noter que depuis le tweet a été supprimé et remplacé par celui-ci : «L'arabe pourra être enseigné dès le CP comme d'autres langues».Car comme cela est annoncé depuis janvier, l'apprentissage d'une langue vivante 1 sera possible dès le CP. Il pourra s'agir de l'anglais, de l'allemand ou d'une des langues aujourd’hui concernées par les ELCO, dont l'arabe. Les élus frontistes ne se sont en revanche pas inquiétés de la possibilité que soit enseigné, dès le primaire, le serbe ou l'espagnol…
Malgré cette rectification, la polémique fabriquée de toutes pièces continue et déborde même du FN avec plusieurs élus LR. Hervé Mariton a lancé une pétition contre “l'enseignement de l'arabe à l'école primaire ”. Bruno Lemaire n’est pas en reste et déclare sur BFM TV que “l'apprentissage de l'arabe au CP mènera droit au communautarisme” et que que "s'il y a une langue qu'il faudrait apprendre au primaire c'est l'anglais, pas l'arabe".
C’est en tout cas la preuve que si beaucoup d’élus ont fait langue de bois en LV2 plusieurs ont rajouté “outrance” et “manipulation” en LV3...




Surcouf
La police est intervenue jeudi 2 juin au matin devant le collège Surcouf à Saint-Malo où des parents d'élèves et enseignants manifestaient contre la fermeture de ce collège REP+ que le Conseil départemental a décidé de fermer à la rentrée 2017 pour répartir les élèves dans les autres collèges de la ville et assurer plus de mixité sociale. Durant cette intervention des élèves ont été blessés. Certains parents ont décidé de porter plainte.
Les manifestants avaient bloqué les grilles de l'établissement avec des chaînes, empêchant la tenue des cours. Il semble que la police soit intervenue à la demande du Rectorat ou de l’inspection académique. Ils seraient intervenus sans sommation, en bousculant assez violemment les enfants et les adultes (voir les vidéos sur le site du Parisien). 11 enfants ont été blessés. Trois d'entre eux ont été transférés à l'hôpital dont un élève avec une jambe cassée. Le Préfet a déclaré que l'emploi de la force a été proportionné à la situation...! Le recteur quant à lui a indiqué tardivement dans un communiqué qu'il s'est "ému que, lors de l'ouverture des grilles, trois élèves aient été légèrement blessés. Il a pris des nouvelles des enfants, nouvelles qui sont rassurantes."...
Cette affaire provoque beaucoup d’émotions car elle s’inscrit dans un climat marqué par plusieurs dérapages de la part de la police et une certaine impunité. Et elle donne lieu à de nombreuses interpellations sur les réseaux sociaux demandant des réponses et une prise de position de la part du Ministère et du Gouvernement.

Déploration
Selon un sondage Apel/Opinionway, réalisé en partenariat avec La Croix, (auprès de 544 parents d’élèves selon la méthode des quotas) 52 % des personnes interrogées estime que l’école n’est pas adaptée aux nouvelles générations. Ce chiffre grimpe à 58 % chez les parents de collégiens et à 77 % chez les parents de lycéens. Et ils sont 92 % à penser que l’évolution du système scolaire doit surtout passer par une meilleure prise en compte de la personnalité et des talents de chaque jeune. Elle doit être aussi plus attentive au bien-être et au bien-vivre (89 %), et au lien avec les parents. Ils estiment également à une écrasante majorité (91 %) qu’il est important d’améliorer la pédagogie.
Ce qui est intéressant c’est la réception de ce sondage dans les réseaux sociaux et au delà dans l’opinion enseignante. Classiquement, on critique d’abord les modalités et la représentativité de ce sondage. Alors que celui-ci n’est pas plus et pas moins mal fabriqué que les autres. Mais surtout, il est vécu comme une énième attaque contre les enseignants eux-mêmes déclenchant beaucoup de cynisme et de déploration. On trouve les mêmes réactions outrées face à un article de Louise Tourret sur Slate.fr posant la question “L’École est-elle raciste ? ”. Et cela vient après la polémique sur les propos d'Antoine Prost aux journées de la Refondation.
On est à chaque fois dans le même mécanisme d’hyper-susceptibilité empêchant de prendre du recul sur le fonctionnement de l’institution “École” et la réduisant aux individus qui la composent. On ne peut pas complètement nier que l'École est injuste et inégalitaire et qu’elle n’est pas toujours efficace mais il ne faut pas le dire ou du moins c'est pas la peine d'en rajouter parce que les enseignants sont déjà dans la peine.... Or, au risque de me répéter, l'École (avec un grand E) ce n'est pas LES enseignants. C'est l'institution avec son fonctionnement, ses contradictions,... et là dedans les enseignants font leur métier du mieux qu'ils peuvent dans un système qui dysfonctionne... Tout se passe comme si les acteurs de l'enseignement, devant le côté "insupportable" éthiquement des phénomènes de reproduction des inégalités ou la faible efficacité du système, avaient tendance à le "refouler", à choisir le déni et à se construire d'autres "explications", qui leur permettraient de ne pas se sentir mal avec leur métier. La déploration, l’hyper-susceptibilité, le cynisme, l’esprit de critique systématique sont les symptômes d’un malaise généralisé que la revalorisation risque de ne pas parvenir à changer...

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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