dimanche, juin 26, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 20 au 26 juin 2016



- Bac et Brevet – Rapports et palmarès - Régions - Lectures - .


Cet avant dernier bloc notes avant les vacances ne parvient pas à contourner tout à fait le marronnier du bac et du brevet. Mais on s’intéressera aussi à plusieurs rapports qui nous donnent des clés d’analyse du système éducatif français. On évoquera aussi quelques décisions prises dans les régions avant de finir par quelques lectures et une réflexion sur l’optimisme.


Bac et Brevet
Suite du marronnier du Bac cette semaine.
Chaque sujet est scruté attentivement et peut potentiellement être l’objet de polémiques. Il faut signaler qu’il y a une erreur dans l’épreuve de spécialité mathématique du Bac S : un plus à la place d’un moins dans une équation. On a promis d’ajuster les barèmes. Pas d’erreur dans le sujet de SES mais un sujet de dissertation prémonitoire sur les difficultés d’harmonisation des politiques économiques au sein de l’Europe...
On a vu aussi cette semaine apparaitre une pétition Pour que les terminales arrêtent de se plaindre du Bac 2016. Elle a recueilli plus de 2000 signatures et c’est surtout une manière de se moquer avec humour de la multiplication des pétitions d’élèves pour protester contre les sujets du bac. Celle qui a surtout retenu l’attention cette année, c’est une pétition contre l’épreuve d’anglais, qui demandait de situer Manhattan. Cette pétition dont nous parlions la semaine dernière déjà a recueilli plus 15.500 soutiens. La moquerie est facile et certains ne se privent pas d’entonner la rengaine du “niveau qui baisse” et des “jeunes qui ne veulent plus faire d’efforts”. Essayons d’aller plus loin... Ce que semble vouloir dire les jeunes qui ont signé la pétition c’est qu’en demandant de dire quelle était la ville où se situait l’action, on demandait des choses qui ne figuraient pas dans le texte. D’une manière générale mon réflexe premier est en effet de dire qu'on doit évaluer uniquement ce qui est enseigné et éviter l'implicite qui est souvent le moyen d'évaluer le capital culturel des familles des élèves. Mais ici les choses sont un peu plus complexes. Car, il faut d'abord rappeler que dans les cours d'anglais on ne se préoccupe pas que de communication mais aussi de civilisation. Et les références à New York sont nombreuses (y compris dans les autres documents du sujet !). De même cela est enseigné aussi en Histoire-Géographie. Mais il fallait décloisonner les connaissances alors que notre système éducatif segmente et cloisonne les savoirs. La question renvoie donc à l'évaluation de la capacité des élèves à mobiliser les ressources pertinentes pour traiter une situation complexe. C'est finalement un des enjeux majeurs de l'évolution de l'évaluation.
Il n’y a pas que le bac ! Signalons aussi que jeudi et vendredi dernier ont eu lieu les épreuves du Brevet des Collèges. C’était la dernière fois sous cette forme avant l’entrée en vigueur de la réforme du collège, l’an prochain. En 2017 le nouveau Brevet comptera cinq épreuves dont une orale, au lieu de trois écrits jusque-là. Signalons une interview de François Dubet dans L’Obs qui répond à la question “Mais à quoi sert encore le brevet ? ”. Même s’il prédit sa disparition, pour lui, le brevet a trois fonctions. Il a encore une fonction pédagogique en organisant le travail des deux années en amont. Il a aussi une fonction symbolique : “L’école française vit à l’ombre de totems, dit-il L’opinion tient à ce qu’il y ait des examens nationaux, qui renvoient au modèle de l’école de la République, une et indivisible. Un mythe, on le sait, puisque chaque établissement fait un peu ce qu’il veut, et que les différences de niveau entre les collèges sont considérables. On le sait, mais on conserve le décor.” Et enfin le brevet a un rôle sociologique. “C’est un rite de passage pour les élèves, un baptême du feu, comme les sociétés traditionnelles ont des rites initiatiques. Décrocher le brevet, c’est rentrer dans le monde des grands –moins que le bac, certes, mais cela marque une étape.

Rapports et palmarès
La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par la publication de plusieurs rapports et palmarès qui invitent à réfléchir sur notre système éducatif.
Comme le souligne Le Monde en présentant ce rapport , en dépit des politiques et des discours sur l’égalité des chances, le système scolaire français reste fortement marqué par des écarts de réussite. Il ne parvient pas à réduire ce « noyau dur » d’élèves en difficulté, qui sont en grande majorité issus de milieu social défavorisé. La dernière étude en date, réalisée par le service statistique du ministère de l’éducation nationale, la DEPP, vient confirmer ce constat. Publiée mardi 21 juin, elle montre que dans l’ensemble, à la fin de l’école primaire, près de 20 % des élèves n’ont pas les bases suffisantes en français ; ils sont environ 30 % dans ce cas en mathématiques et en sciences. Entre enfants de milieu favorisé et enfants d’origine défavorisée, c’est le grand écart : quand 90 % environ des premiers ont les « acquis attendus » dans les deux domaines, ils sont moins de 70 % en français et seulement 55 % en mathématiques et en sciences, dans les familles les plus modestes.
Dans un article sur Slate.fr, Thomas Messias revient sur un récent rapport de l'OCDE sur le lien entre le niveau en mathématiques et l’origine sociale (évoqué aussi par La Croix ). Le constat est le même que pour le rapport précédent. La France semble être le pays qui creuse le plus franchement le fossé entre les élèves les plus favorisés et les moins favorisés. À la question «avez-vous souvent entendu parler des fonctions du second degré?», environ 80% des élèves favorisés de France ont répondu par l’affirmative, contre environ 42% des élèves défavorisés. Un écart de 38 points qui fait peur lorsqu’on le compare aux chiffres venus de Shanghaï ou de Rome (10 points environ). La France tire ses élites vers l’élite, et laisse vivoter les élèves du bas de l’échelle, sans réelle perspective d’évolution. Thomas Messias rappelle aussi que les élèves issus des familles les plus aisées fréquentent généralement les établissements les plus favorisés, qu’ils soient publics ou privés. Lorsqu’ils connaissent des difficultés, ils ont souvent la chance de pouvoir se faire aider à la maison. En 2013, un rapport du Centre d’analyse stratégique estimait que 40 millions d’heures de cours particuliers avaient été dispensés en France, ce qui en faisait le pays numéro 1 du soutien scolaire dans l’Union européenne.
Sur son blog hébergé par Le Monde Éric Charbonnier, expert OCDE se penche quant à lui sur un aspect de l’enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS). TALIS 2013 confirme que la culture de collaboration au sein des établissements est un ingrédient indispensable à la réussite éducative. Il est montré par exemple, et de façon explicite, que créer une culture de collaboration au collège contribue à améliorer l’apprentissage des élèves car les enseignants unissent leurs efforts, se penchent ensemble sur les difficultés d’apprentissage, sur la conception des leçons et sur les démarches pédagogiques à adopter pour améliorer la performance d’ensemble de leur établissement. Eric Charbonnier constate qu’en France cette démarche collaborative est rarement encouragée par le système. Un chiffre parmi beaucoup d’autres, en France, à peine 2 enseignants sur 10 déclarent par exemple recevoir des commentaires de leurs collègues après une observation de leur façon d’enseigner en classe, alors que c’est le cas de plus de 4 enseignants sur 10, en moyenne, dans les pays de l’enquête TALIS. En Corée, cette proportion atteint même 84%. Notre expert conclut : “La France est donc bel et bien (avec la Région flamande de Belgique) le seul des 32 pays de l’étude qui cumule au collège une faible collaboration à la fois entre enseignants et entre le chef établissement et ses équipes pédagogiques. Alors que la réforme du collège doit se mettre en place à la rentrée 2016/2017, on est en droit de se demander si les enseignants seront suffisamment préparés à travailler ensemble sur les ateliers pluridisciplinaires. On est tout autant en droit de s’interroger sur la capacité des chefs d’établissement à élaborer des projets pédagogiques avec leurs enseignants. Certes, ils ont tous été formés quelques jours cette année à ce virage à 180 degrés. Mais est-ce bien suffisant pour que cela fonctionne dans la majorité des établissements? Est-il possible de créer une culture de collaboration en une semaine alors que le système tout entier n’a jusqu’à présent rien fait pour encourager la mise en place de cette culture pluridisciplinaire ?
En attendant la prochaine livraison de Pisa en décembre prochain, cette semaine a été proposé un nouvel indicateur. La présentation s’est faite jeudi 23 juin à l’occasion d’un colloque intitulé “scénarios pour une nouvelle école” (auquel je participais), par le Collège des Bernardins – un «lieu de dialogue et de réflexion avec la société civile» dépendant du diocèse de Paris. Il a été notamment élaboré par Bernard Hugonnier un ancien expert de l’OCDE. En se servant de données déjà disponibles dans les enquêtes internationales, et en se centrant toujours sur les élèves de 15 ans révolus, le rapport combine plusieurs critères avec en tout une trentaine d’indicateurs Parmi ceux ci, on trouve “l’efficience“, l’ “équité” ou encore “l’engagement des enseignants” et des élèves. Comme on l’a fait remarquer lors de la présentation, aucun pays n’arrive en tête sur plus d’un critère. Mais, on le sait malheureusement, on aime bien les palmarès... Et c’est donc essentiellement sous cet angle que cet outil est traité. Ainsi Le Figaro comme d’autres journaux nous apprend que l’indicateur dit « des Bernardins » place donc l’école française à la 25e place parmi les 34 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et la compilation des données montre un système éducatif français qui manque d'équité et d’efficacité, où de nombreux élèves sont malheureux d'aller à l'école, absents, peu motivés… et les professeurs moins investis qu'ailleurs. Et au risque de se répéter, là où la France est sérieusement à la traîne c’est en matière d'équité, c’est-à-dire la capacité à limiter l'impact du milieu familial sur les performances des élèves. Pour une école plus juste et plus efficace, il y a encore du boulot...

Régions
On commence à voir les effets des dernières élections régionales (et départementales). Et en particulier dans le domaine de l’Éducation.
Se rendre au lycée pour un élève non boursier coûtera deux fois plus cher dans toute l'Ile-de-France dès la rentrée, nous apprend Le Point. De 180 euros par an, le prix de la carte Imagine'R passerait à 341,90 euros à la rentrée 2016. La FCPE observe que cette hausse du coût des transports pénalise particulièrement les lycéens des établissements d'enseignement professionnel. “Ces jeunes ne pourront plus choisir librement des lycées éloignés de chez eux, ils opteront pour des établissements plus proches, au détriment du choix de la filière. Toutes les études sur l'échec scolaire montrent que ce sont ces jeunes-là qui, mal orientés, quittent l'éducation nationale au premier trimestre de seconde. ” estime un responsable de cette fédération.
La politique menée par Valérie Pécresse, la présidente de Région donne lieu à des confrontations de tribunes. Ainsi, le socialiste Yannick Trigance dans une tribune publiée sur le Huffington Post s’insurge contre une autre tribune publiée sur le même site par Agnès Evren, vice présidente de la Région chargée de l’Éducation. Et il s’indigne surtout contre le fait qu’au nom de la “liberté scolaire” Mme Pécresse a décidé d'accorder des financements non obligatoires aux lycées privés - manuels scolaires, équipement, etc. Il en résulte que les lycées publics se voient mathématiquement retirer des moyens de financement, cette mesure étant prise à budget quasi constant. Elle aurait aussi réduit de 2M€ le budget « Réussite pour tous » qui soutient les projets de lutte contre le décrochage.
C’est ce qui semble se produire aussi dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Fin mai, le conseil régional décidait de supprimer l'ensemble des subventions accordées aux organismes de lutte contre le décrochage scolaire. Cela va notamment avoir des conséquences très douloureuses pour une des pionnières, l’association La Bouture qui va perdre 65.000 euros, soit la moitié de son budget annuel. Or,"La Bouture" a un rôle central dans la région, notamment à travers le CLEPT de Grenoble, le collège lycée élitaire pour tous qui a ouvert ses portes en novembre 2000 et qui accueille chaque année une centaine de volontaires âgés de 15 à 22 ans. D'autres dispositifs du plan de raccrochage de la région Rhône Alpes sont dans les mêmes difficultés.
Plusieurs années d’un travail de longue haleine et dont les résultats ne se voient pas immédiatement sont sacrifiées. Et on voit bien que plus encore que l’argument de l’austérité budgétaire, ces décisions sont aussi et avant tout idéologiques.

Lectures
Il y aurait encore bien d’autres points à aborder dans cette semaine somme toute assez riche sur le plan de l’éducation. J’invite tous mes lecteurs à se reporter à la revue de presse quotidienne qui détaille cette actualité. On peut aussi aller voir la veille pratiquée sur Twitter ainsi que les articles présentés sur mon “mur” Facebook (et souvent très débattus !) pour en savoir plus .
Cette semaine, un des articles les plus rediffusés sur les réseaux sociaux que j’anime a été un article paru dans La Croix et intitulé Enfants : et si on les laissait s’ennuyer ? ”. “Le temps libre et l’ennui sont indispensables pour accéder à nos pensées longues, à notre imaginaire, et c’est ce voyage intérieur qui aide un enfant à devenir plus autonome” explique le psychothérapeute et philosophe, Stéphane Szermann. Et il ajoute : “Les parents sont souvent persuadés qu’il faut les occuper, leur proposer des tas d’activités pour les aider à grandir, mais c’est au contraire de calme et de temps morts dont ils ont besoin pour s’épanouir. ”.
Pas loin derrière en nombre de “like” et de retweets”, vient un article de Slate.fr qui demande “Et si on obligeait les élèves et les profs à lire quinze minutes par jour?”. En fait, le texte relate l’expérience menée depuis quinze ans dans lycée francophone d’Ankara : un temps de lecture obligatoire quotidien de quinze minutes, pour tous les personnels et les élèves, du CP à la Terminale. La formule semble séduire et suscite de nombreux commentaires positifs.
Finissons avec une note d’optimisme... Enfin, pas vraiment... puisque l’objet de cet article paru dans “M” le magazine du journal le Monde est plutôt de déplorer le manque d’optimisme dans notre beau pays. Du moins de l’optimisme affiché et collectif car comme le remarque un observateur il s’agirait d’une manière d’afficher sa solidarité lorsqu’on ne s’estime pas si mal loti. Le problème c’est que ce pessimisme confine à la prophétie auto-réalisatrice. Pour Simon Kuper du Financial Times : “les Français pensent qu’ils sont moroses parce que la situation est terrible. En fait, la situation leur semble terrible parce qu’ils sont moroses. ”.
Quel rapport avec l’éducation ? Simon Kuper suggère de payer les enseignants à complimenter les élèves. Parce que, a-t-il observé, les Français entendent des critiques depuis leur premier jour d’école, ce qui compromettrait définitivement leur capacité à se réjouir. Claudia Sénik, une économiste qui a étudié cette question fait valoir que les immigrés, qui ne sont pas passés par le système éducatif français avant 10 ans, n’affichent pas le même déficit de bien-être et de confiance en l’avenir. Une autre hypothèse éducative voudrait que notre pessimisme soit culturel, qu’on nous ait inculqué très tôt que “l’intelligence critique est plus valorisée que d’avoir un esprit positif”. Et c’est ainsi que, comme le note le philosophe Michel Serres, “l’optimiste passe pour un imbécile”...
Sachons donc dans l’enseignement comme dans l’engagement, “conjuguer le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté” selon la belle formule de Romain Rolland reprise par Gramsci. À bas le cynisme, vive l’optimisme !

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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