lundi, juin 04, 2018

Quand la cour des comptes s'intéresse à la formation des enseignants


La Cour des Comptes vient d’adresser un “référé” aux deux ministres en charge de la formation des enseignants. Elle fait six propositions sur une réforme des ESPÉ et de la formation, auxquelles répondent déjà Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal dans une lettre adressée au président de la Cour. 
Je me livre ci dessous à une lecture et une analyse à chaud de ces deux documents. Cela demandera bien sûr à être affiné et précisé. En tout cas c'est un dossier important qui mérite qu'on s'y intéresse. Bien plus qu'à l'uniforme à l'école... 
PhW
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La cour des comptes (CC) dans son référé paru lundi 4 juin 2018 fait un double constat et fait ensuite six propositions auxquelles répondent les deux ministres en charge du dossier

- Premier constat : il faut « renforcer le pilotage de l’État face aux universités et améliorer la connaissance des coûts»
Posture assez classique de la CC qui estime que la formation coûte trop cher et qu’il y a du gaspillage du fait d’une insuffisance de pilotage. On peut relever la phrase suivante : « il existe des sites où les effectifs de certains parcours sont inférieurs à dix étudiants. » utilisée pour justifier une rationalisation de la carte des formations et un pilotage plus volontariste. On suggère aussi de redonner plus de pouvoir à l’État au détriment des universités dans le pilotage de la formation

- Deuxième constat : il faut « mieux recruter, former et accompagner les jeunes enseignants»
La CC constate une crise de l’attractivité du métier d’enseignant et des difficultés pour les premières années. Pour y remédier, il faut dit-elle « organiser un accompagnement renforcé lors de l’entrée dans le métier ». Mais surtout, on propose de changer les modalités de recrutement avec des épreuves d’admissibilité en fin de licence et des épreuves d’admission au cours de l’année de M1. La CC conseille également d’aller vers plus de polyvalence et de la bivalence avec un système de majeure et de mineure pour les professeurs des écoles.

« À l’issue de son enquête, la Cour formule les recommandations suivantes :

• Concernant le pilotage de la formation initiale des enseignants :

* Recommandation n°1 : identifier dans les contrats des sites universitaires concernés la mission de formation des enseignants ; prévoir en annexe des contrats, un document d’orientation pour l’offre de formation MEEF au sein du site ; préciser dans le dialogue de gestion annuel les moyens au bénéfice de l’ÉSPÉ ;

* Recommandation n°2 : rationaliser l’offre de formation en affirmant le rôle d’impulsion de la région académique pour promouvoir les coopérations inter-ÉSPÉ et mutualiser des formations au niveau inter-académique ;

* Recommandation n°3 : mettre en place un dispositif d’évaluation de l’évolution des pratiques enseignantes et de l’entrée dans le métier à la suite de la création des ÉSPÉ

• Concernant les parcours de formation :

* Recommandation n°4 : formaliser et systématiser les procédures académiques de suivi des stagiaires et de repérage des difficultés ; organiser pour chaque stagiaire en difficulté un plan de formation et de suivi individualisé et, préalablement à la titularisation, formaliser l’engagement de l’intéressé à suivre ce plan ; débuter les formations complémentaires dès l’année de stage ;

* Recommandation n°5 : développer la bivalence et la polyvalence dans les parcours de licence, proposer des licences combinant une majeure et une mineure pouvant relever d’UFR différentes, et offrir aux étudiants de licence des modules de formation de nature à éclairer leur orientation vers les métiers de l’enseignement ;

* Recommandation n°6 : placer les épreuves d’admissibilité en fin de licence ; asseoir davantage les épreuves d’admission, qui seraient placées au cours de l’année de M1, sur des enseignements de professionnalisation. »


Dans leur réponse, les Ministres (Vidal et Blanquer) vont dans le sens des préconisations de la Cour des Comptes.
Ils rappellent qu’ont déjà été mises en place des procédures de contrôle des moyens.
Ils soulignent aussi que la rationalisation et la mutualisation des formations au niveau inter-académique font effectivement partie du programme de travail des ministères.
Ils annoncent aussi mettre en place un dispositif d’évaluation de l’évolution des pratiques enseignantes et de l’entrée dans le métier tout en constatant que l’approche par compétences définie dans le référentiel métier (et le PPCR) est insuffisamment pris en compte dans la formation et en particulier dans les universités. On évoque aussi un « outil d’auto-positionnement » des stagiaires, appelé à se développer. 
On confirme aussi la volonté d’aller vers plus d’interdisciplinarité dans la formation.
Enfin, sur la place des concours, « un consensus se dégage progressivement en faveur d’une épreuve d’admissibilité en fin de licence et d’une épreuve d’admission située en M1 ou en M2»


Analyse sommaire et à chaud...

Recommandation n°1 : Alors qu'on nous parle sans arrêt d'autonomie des universités (or les Espé sont justement partie intégrante des universités), la CC veut un pilotage ministériel plus centralisé, en particulier sur le financement : « préciser dans le dialogue de gestion annuel les moyens au bénéfice de l’ÉSPÉ ». En clair, on veut redonner le pouvoir au(x) ministre(s).

Recommandation n°2 : C’est là que se situent les économies. C’est évidemment en lien avec les rumeurs de fusions d'académies qui se sont précisées avec les déclarations du ministre à propos de Rouen et Caen.
On aurait donc des regroupement par pôle inter-académique afin de « rationaliser l'offre de formation ». Ce qui rend un peu amer le formateur de SES que je suis, c’est que lorsque j’ai été recruté en 2006 à l’IUFM de Paris c’était pour m’occuper de la formation au niveau de l’Ile de France regroupée à Paris. Quand on est passé à la masterisation et aux ESPÉ, j’ai alerté, mais en vain, sur l’erreur de ne pas conserver cette logique inter-académique pour des « petites » disciplines aux effectifs limités. Je n’ai pas été entendu. Maintenant on y revient mais cette rationalisation va faire des dégâts...

Recommandation n°3 : « Evaluation de l'évolution des pratiques enseignantes et entrée dans le métier ». Il ne s’agit pas de voir le mal partout. Il y a en effet une nécessité d’évaluer les effets de la formation sur les pratiques enseignantes. Mais la condition c’est que cette évaluation soit faite avec rigueur et qu’on évite le mélange des genres et le danger du « formatage » comme le laisse entendre la recommandation suivante.

Recommandation n°4 : il s’agit en effet de « formaliser et systématiser les procédures académiques de suivi des stagiaires et de repérage des difficultés ; organiser pour chaque stagiaire en difficulté un plan de formation et de suivi individualisé et, préalablement à la titularisation, formaliser l’engagement de l’intéressé à suivre ce plan ; débuter les formations complémentaires dès l’année de stage ».
Ce que je n’apprécie pas dans l’évolution de la formation que j’ai vécue c’est qu’aujourd’hui le formateur se transforme de plus en plus en évaluateur. Je trouve que cette évolution est néfaste à la relation de confiance avec les stagiaires.
Si on renforce cela, l'Espé serait tout le temps dans le suivi (flicage ?) des enseignants. Si en plus les inspecteurs/trices s’en mêlent on risque d’avoir une formation encore plus infantilisante. Quand on voit les annonces récentes sur les méthodes de lecture (livret orange) on peut là aussi craindre que cette logique d’évaluation renforcée se transforme en contrôle de conformité.

Recommandation n°5 : « développer la bivalence et la polyvalence dans les parcours de licence ». Cette logique se situe dans le prolongement d’autres évolutions récentes. La réforme du lycée par exemple multiplie les enseignements qui peuvent être assumés par des enseignants de différentes disciplines. Quand l’interdisciplinarité est au service de projet, on ne peut qu’être d’accord. Quand il s’agit d’une polyvalence contrainte et surtout destinée à faire des économies avec plus de flexibilité, on peut être plus inquiet.

Recommandation n°6 : C’est celle qui concerne la place du concours : « placer les épreuves d’admissibilité en fin de licence ; asseoir davantage les épreuves d’admission, qui seraient placées au cours de l’année de M1, sur des enseignements de professionnalisation ».
J’ai milité dès 2012 pour que le concours soit en fin de licence, je l’ai redit dans une note Terra Nova. Je pense aussi qu’il faut que l’admission se fasse sur des épreuves réellement professionnelles. Je suis donc plutôt favorable à cette évolution d’autant plus que le concours tel qu’il est placé en fin de M1 reposait sur un bachotage peu formateur
Mais il y a un risque, qui est celui de profiter de ce décalage pour placer les « stagiaires » dans un entre-deux qui pourrait reposer sur de la précarité et une remise en cause de l’année de formation en alternance (et du salaire qui va avec...).
Autre question : que faire de ceux qui seront admissibles et pas admis après avoir passé un an dans cette situation intermédiaire ? 

On peut dire que le rapport de la Cour des Comptes sert les intérêts de Jean-Michel Blanquer. Il va dans le sens d’une gouvernance modifiée et qui redonne la main au ministère et aux rectorats au détriment d’une certaine indépendance. On voit aussi se profiler des économies avec les regroupements académiques. 
Il y a aussi des zones d’ombres dans ces recommandations. 
Rien n’est dit explicitement sur les personnels des ESPÉ. J-M Blanquer a dit à plusieurs reprises lors d’interviews ou de déclarations plus restreintes qu’il fallait changer des situations acquises et aller vers plus de formateurs « de terrain ». En tant que formateur en temps partagé (depuis 11 ans...) je devrais me réjouir. Mais je ne peux m’empêcher de craindre que cela soit surtout l’occasion de revenir à un « compagnonnage » confié aux tuteurs dans les établissements et que la relative autonomie des formateurs ne soit contestée par un contrôle plus ferme et directif de l’État Employeur avec les rectorats et l’inspection. Et tout cela dans une logique d’économie...

Philippe Watrelot
Formateur en temps partagé à l’ESPÉ de Paris et "professionnel de la défiance" (©) ... !


Mes autres billets sur la formation
Des ESPÉ...rances ? (avril 2013)


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