Les révélations de Médiapart puis de Libération sur la création d’ «Avenir Lycéen» et la réécriture de communiqués d’élus lycéens par des rectorats et l’administration centrale du ministère, commencent à éclabousser le Ministre lui même. Dans le milieu enseignant, beaucoup se prennent à rêver à son départ tant il cumule un niveau de détestation rarement atteint.
Pourtant Jean-Michel Blanquer, dans l’opinion et dans les médias, semble bénéficier d’une sorte d’immunité qui l’épargne jusqu’à maintenant. L’objet de cet article n’est pas de revenir sur l’«affaire » en cours mais de s’interroger sur les raisons de cette image qui reste positive et de démonter l’imposture Blanquer, ou plutôt LES impostures...
Une immunité médiatique
On se souvient des campagnes haineuses dans la presse qui ont accompagné Najat Vallaud-Belkacem durant son ministère et en particulier au moment de la réforme du Collège. Avec Jean-Michel Blanquer, rien de tout cela !
D’entrée de jeu, dès son arrivée, il a bénéficié d’une couverture médiatique considérable. A tel point que j’ai très vite renoncé à en tenir le compte exact.
On a d’abord Le Point, pour qui le futur ministre a tenu une chronique régulière, qui titre en juin 2017 sur « École : Blanquer, l'homme qui veut arrêter les bêtises» puis plus tard, le qualifie de « nouveau ''cerveau'' de Macron » et de « vice-président ». Le Figaro Magazine n’était pas en reste avec « École : et si enfin ça changeait ?». Il a aussi fait trois fois la couverture de Valeurs Actuelles : « Dernière chance pour l'école » ; « La nouvelle star » et « Peut-on vraiment sauver l'école?». On peut citer aussi un numéro de Causeur en octobre 2017 où il partage la couverture avec Natacha Polony et cette Une : « Ecole, la dernière chance ». Même l’Obs proposera (août 2017) un grand entretien avec la vedette du gouvernement et fera sa Une sur « École, le grand ménage »
Depuis ces débuts tonitruants, l’ampleur de la couverture médiatique n’a jamais baissé d’intensité. Il faudra, un jour, faire vraiment le compte des interviews données sur tous les médias écrits ou audiovisuels.
Ceux-ci sont-ils complaisants à son égard ? Il y a en tout cas, au moins, une connivence. L’ancien élève du collège Stanislas trouve de l’écho chez les éditorialistes, anciens « premiers de la classe » qui avaient su se mobiliser contre la "destruction des humanités" qu’ils voyaient dans la réforme du collège. Pourquoi remettre en question un système qui vous a fait réussir ? Tous ces éditorialistes et intellectuels médiatiques, qui pensent encore qu’ils font l’opinion, ont une vision très conservatrice d’une École qu’en fait ils ne connaissent pas.
L’appareil de communication du ministre est également particulièrement efficace avec plusieurs (ex)journalistes dévoués aux commandes.
Tout cela contribue à créer une forme d’immunité assez étrange lorsqu’on songe à toutes les fois où le ministre a été contredit au niveau gouvernemental et où son discours performatif méritait au minimum d’être vérifié et même déconstruit. Certains analystes ont parlé d’ « effet Teflon » pour qualifier ce qui est bien plus que de la bienveillance de la part d’un bon nombre d’éditorialistes et d’une partie de la presse.
Il voulait le poste
L’élection présidentielle de 2017 ne s’est assurément pas faite sur l’éducation. On peut même dire que cette question a été sous-traitée à une officine spécialisée (l’institut Montaigne dont J.M. Blanquer était un éminent contributeur) et qu’il y a eu peu de prise en compte des débats citoyens sur ce sujet dans l’élaboration du programme présidentiel. Réduit à deux pages avec des propositions très disparates qui ont été la feuille de route du début du quinquennat, le programme s’est surtout incarné dans la personne de Jean-Michel Blanquer.
Faussement présenté comme « représentant de la société civile », c’est en fait un pur haut fonctionnaire, homme de réseaux, très marqué politiquement ancien conseiller ministériel de De Robien, ancien DGesco des ministres Darcos et Chatel, ancien recteur, il a écrit plusieurs livres sur sa vision de l’école qui étaient autant de « lettres de motivation » à l’égard d’un futur président-employeur. Il a donné l’impression d’un homme compétent qui savait où il allait et c’est aussi ce qui explique sa bonne image dans les médias.
En fait, tous ces éléments que l’on vient de brièvement rappeler sont au cœur d’une série d’impostures que l’on peut développer ici.
Erreur sur la personne
La première imposture n’est pas propre à l’éducation. Elle tient à la manière dont le programme d’Emmanuel Macron a été élaboré ou plutôt son image de candidat progressiste a été « vendue » à des personnes qui se sont engagées sur cette base et qui doivent se sentir aujourd’hui floués du moins pour ceux qui parviennent à gérer cette dissonance cognitive.
Dans le domaine de l’éducation, on peut dire en effet que Jean-Michel Blanquer propose une vision de l’école décalée par rapport à une bonne partie des (ex ?) militants d’En Marche. Je pense quelquefois à toutes ces personnes, enseignants pour la plupart, soutiens sincères du candidat Macron, qui m'avaient invité dans plusieurs débats sur l'École au moment de la présidentielle. Je me demande ce qu'ils pensent aujourd'hui de l'évolution de l'École sous Blanquer où se combinent libéralisme et conservatisme autoritaire. Je fais l'hypothèse que cela ne correspond pas aux idées généreuses et progressistes qu'ils développaient à l'époque et qu'ils doivent être bien déçus...
Une double imposture apparaît donc dès sa nomination. Le ministre présenté comme « issu de la société civile »se révèle en fait être un technocrate. Mais cela est assez habituel dans la composition des gouvernements. Bien souvent, cette étiquette commode est utilisée dans ce sens.
Mais c’est surtout comme on l'a évoqué plus haut, quelqu’un qui, même s’il n’était pas explicitement encarté, est déjà très « politique ». Il a été en effet conseiller ministériel, recteur, impliqué dans de nombreux réseaux qui le placent clairement à droite. Cet homme engagé, a beau affirmer dans plusieurs interviews qu’il place l’éducation au dessus des querelles politiques, il fait des choix très marqués idéologiquement et se révèle aussi un redoutable politicien capable de renier ses promesses (« pas de loi Blanquer »).
L’imposture de la confiance
La plus grosse imposture, ou plutôt devrait-on parler de mensonge, c’est ce fameux slogan de l’École de la confiance, qui est non seulement un slogan creux mais l’exact inverse du mode de gouvernance adopté par le Ministre.
Remettons nous en tête une de ses très nombreuses déclarations : « Ce que j'essaie d'enclencher, c'est que l'institution ait confiance en ses recteurs, ses inspecteurs, ses professeurs, et que les professeurs fassent confiance à l'institution, les chefs d'établissement à leurs professeurs, et qu'au bout de la chaîne les élèves aient confiance en eux-mêmes. Cela irradie la question du pouvoir. Cela commence par le cabinet, vous devez être une équipe respectueuse, que chacun soit humble, poli avec ceux avec qui il travaille. Je crois beaucoup à l'exemplarité, la façon d'être de la tête a un impact sur tout le reste. Et tout se conjugue dans les différents aspects, y compris pédagogiques : c'est-à-dire que mon objectif n'est pas de régler tout ce qui va se passer, comme du temps de Jules Ferry, quand tout le monde faisait la même dictée à la même heure, mais que tout le monde maîtrise l'orthographe. Mon but est que les chemins soient trouvés par le génie de chacun dans l'ensemble du système. »
[ «Blanquer, l’homme qui veut arrêter les bêtises» Le Point le 21/06/2017]
On ne sait si on est dans une sorte de pensée magique, où celui qui s’exprime s’auto-convainc, ou dans de la communication cynique et méprisante. Mais la réalité est l’exact opposé de ce discours.
Le style de gouvernance de JM Blanquer est marqué par la verticalité et l’autoritarisme. L’administration centrale de l’Éducation Nationale était déjà bureaucratique mais elle atteint ici des sommets. Alors qu’on devrait se concentrer sur les objectifs à atteindre, on produit des circulaires et des « livrets » pour encadrer les pratiques des enseignants et la conformité aux procédures. La hiérarchie est utilisée non pas pour aider et conseiller mais pour « évaluer », surveiller et réprimer.
Pragmatisme ?
Dans ses innombrables déclarations on l’a aussi beaucoup entendu dire qu’il se réclamait d’un certain « pragmatisme » et qu’il voulait s’appuyer sur les résultats de la science. Mais ses choix sont en fait très politiques et idéologiques marqués par une vision très libérale et individualiste de la difficulté scolaire. On déconstruit l’éducation prioritaire et son approche sociale et on privilégie l’aide individuelle et l’exfiltration des « méritants ». A propos de la science, on voit bien que la composition du Conseil Scientifique réunit seulement une petite partie de la recherche et en néglige des pans entiers. Quant au pragmatisme, on notera que le Conseil supérieur des programmes n’a tenu aucun compte des remarques des enseignants pour construire des programmes infaisables. Et sur tous les sujets, on avance à marche forcée sans entendre les remarques du terrain et des corps intermédiaires
L’article 1 de la si mal nommée « loi pour une école de la confiance » en 2019 a également marqué une étape importante dans le sentiment d’imposture. Cet article insistait sur la nécessaire exemplarité des enseignants. Elle a été lue par ceux-ci comme une défiance à leur égard.
Enfin, la polémique sur l’absence des enseignants durant le premier confinement s’est développée avec la complicité du cabinet du ministre. On peut donc dire qu’il a favorisé le « prof bashing ». Et, bien loin de la confiance, son mode de gouvernance repose au contraire sur la méfiance et l’autoritarisme.
Imposture de la compétence
Le diable est dans les détails… |
Il y a aussi cette image, savamment distillée, de joueur d’échecs qui avance ses pions de manière calculée.
Mais, au vu de l’action menée et notamment ces derniers temps, on peut légitimement questionner cette certitude. Est-il réellement compétent ?
D’abord il est victime de la maladie des technocrates : c’est un « sachant » empli de certitudes. On ne doute pas : « je pense donc tu suis... »
Et cette surdité, qui se double d’une incapacité à faire des compromis, n’est pas un gage de compétences lorsqu’on souhaite gouverner.
Mais surtout les dernières décisions, notamment durant la crise du bac de l’an dernier et surtout avec la crise sanitaire, révèlent pas mal d'impréparations et une forme d’amateurisme que les affirmations péremptoires « nous sommes prêts » ne font que rendre encore plus criantes.
Bien loin de la réputation de stratège échiquéen, on notera aussi qu’il sacrifie des pièces essentielles en réussissant même à se mettre à dos l’encadrement intermédiaire de l’EN avec des injonctions contradictoires et des demi-mesures.
Cet amateurisme conduit à la fébrilité et enferme dans le mensonge et un discours inaudible.
On est aujourd’hui au delà du slogan et de la com’ mais dans la fabrication d’une « vérité alternative » pour reprendre une expression utilisée à propos de Donald Trump. On va ainsi visiter des "écoles Potemkine" ou faire des colloques avec des invités choisis.
On pourrait aussi citer de nombreux exemples où on tord les chiffres. On peut évoquer la manipulation des évaluations CP-CE1. Mais c'est surtout plus récemment le cas avec les chiffres du Covid au sein de l’Éducation Nationale. La revalorisation des enseignants est aussi un bel exemple de manipulation communicationnelle tout comme le Grenelle de l’Éducation.
Mais on le voit, à l’ère du fact-checking, la presse et les journalistes spécialisés parviennent de plus en plus à démonter et déconstruire cette parole publique.
Ce qui interroge à propos de cette vérité alternative, c’est qu’on se demande s’il n’y croit pas lui même !
Et après ?
On dit qu’il a l’oreille du président (ou de la femme du président…) mais il n’arrête pas d’être contredit dans les arbitrages gouvernementaux. La dernière affaire en date avec la création et la manipulation d’un syndicat lycéen tombe bien mal dans une crise gouvernementale multiforme.
La carte d’immunité de Jean-Michel Blanquer va t-elle tomber ?
C’est peut-être en train de se faire. Mais Emmanuel Macron a du mal à se séparer de ses fidèles. Paradoxalement, la crise actuelle risquerait de le maintenir à son poste car il serait « grillé » pour les régionales. Ou pas…
Il est en tout cas en ce moment en train de battre un triste record (et pourtant il y avait de la concurrence !) : celui d’être le ministre le plus détesté par les enseignants.
Philippe Watrelot, le 28 novembre 2020
Une petite rétrospective...
École : les mots et les maux de 2019 (décembre 2019)
Tous ensemble contre Blanquer ? Oui, mais… (aout 2019)
La réforme par ruse (février 2019)
Le coup monté des évaluations de CP-CE1 (octobre 2018)
L’école de la méfiance (septembre 2018)
Ça va finir par se voir… (juin 2018)
Un an après, qui êtes vous M. Blanquer ? (mai 2018)
JM Blanquer : « je pense donc tu suis ! » (avril 2018)
Il faut prendre M. Blanquer au sérieux (décembre 2017)
Les mots de Blanquer (septembre 2017)
Nomination de Jean-Michel Blanquer (mai 2017)
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
1 commentaire:
Cher collègue,
Je me permets, en complément de votre propos, de partager avec vous quelques courriers que j'ai transmis au ministre par la voie hiérarchique : http://sebastiannowenstein.org/2020/12/05/blanquer-une-synthese/
Bonne journée,
SN.
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