vendredi, février 13, 2009

A propos des IUFM et des "simulateurs de vol"

Pendant longtemps, j’ai gardé une certaine estime pour Xavier Darcos. Naïvement, il m’arrivait de penser qu’il était sincère. Mais alors que j’écris ces lignes, je suis sidéré par le mensonge et l’insulte.

Lors de l’émission “Les grandes Gueules” ( !) sur RMC, à propos de la réforme de la formation, il a notamment déclaré "Aujourd'hui (...) les professeurs passent un examen, un concours, ils sont mis dans l'Institut de formation des maîtres, où on leur apprend des théories générales sur l'éducation et puis de temps à autre ils vont remplacer un professeur absent. Ce n'est pas comme ça qu'on forme des gens. Autrement dit, ils sont sans arrêt devant un simulateur de vol. Alors que dans le système que je propose, ils ne seront pas dans un simulateur de vol, ils s'installeront dans le cockpit avec un copilote et ils entreront dans la carrière."

Deux hypothèses. 
Soit Xavier Darcos, croit vraiment ce qu’il dit et alors cela signifie qu’il ne connaît rien à la réalité du ministère et du travail des personnes dont il a la responsabilité. Ce qui, en soi, est déjà une faute. Mais comme, c’est un ancien inspecteur général, directeur de cabinet et qu’il se targue d’avoir occupé toutes les fonctions, j’ai du mal à y croire…
Soit il ment effrontément et fait preuve d’un cynisme politicien qui confine au mépris.

Car Xavier Darcos sait bien que les professeurs stagiaires ne se contentent pas de remplacer “de temps à autre” quelques professeurs absents. Les stagiaires (Professeurs des lycées et collèges ayant obtenu le CAPES ou l’agrégation) ont entre 6 et 8 heures de cours par semaine en responsabilité avec souvent deux niveaux à préparer. Et un stage en “pratique accompagnée” (observation puis cours dans une autre classe sous la responsabilté d’un conseiller pédagogique) en plus en janvier et février. Plutôt que de "théories générales sur l’éducation” lorsqu’ils sont à l’IUFM, ils travaillent et échangent sur la didactique de leur discipline, sur des questions pédagogiques très concrètes : comment construire une pédagogie différenciée, évaluer, travailler en groupe, … Ils sont aussi accompagnés par des tuteurs et des conseillers pédagogiques qui les conseillent et les aident à prendre du recul sur leur pratique. Car en fait, au cours de cette année, ils sont surtout la “tête dans le guidon“ pardon, ”la tête dans le manche à balai”...
C’est pourquoi ce soir, je pense d’abord aux jeunes collègues dont j’assure la formation à l’IUFM de Paris et au mépris qu’ils peuvent ressentir devant tant de “méconnaissance” et de déni de leur travail.

Toute cette formation que je viens de décrire, c’est en fait ce qui serait remis en cause avec le projet Darcos-Pécresse de réforme de la formation. C’est la mort programmée des IUFM et donc de cette année de stage (payée) fondée sur l’alternance où on combine une vraie mise en situation (absolument pas simulée…) et une formation qui est très différente de la caricature qui est souvent faite. Avec la mastérisation et l’intégration de la formation des futurs enseignants dans le cursus universitaire telles que c'est engagé, on limite la découverte du métier à quelques semaines, et on risque de réduire la réflexion pédagogique au profit du bachotage. Après le concours, les lauréats se retrouveront avec 18 heures de cours et le soutien d’un collègue qui, vu les conditions de travail,  ne pourra pas être un co-pilote !
On peut craindre que cela ne conduise à terme à des démissions importantes ce qui est au passage un moyen de “dégraisser” sans bruit. J’en viens même à me demander si cette hypothèse n’est pas une preuve supplémentaire du cynisme politicien dont je parlais plus haut…

Pour rester dans la métaphore, si Xavier Darcos compare les IUFM à des simulateurs de vol, ce qu’il propose à la place aux futurs enseignants c’est de sauter de l’avion sans parachute !


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Déni et mépris, négation, annulation, mensonges effrontés, manipulation, suppression, effet de sidération, violence, brutalité, grossièreté, cynisme... Oui, c'est bien là l'attirail gouvernemental, l'outillage utilisé pour mettre en actes (et non en œuvre, car une œuvre se veut création) ce qu'ils ont le culot d'appeler projet éducatif.
Quelle tristesse que l'éthique ne soit plus que du toc dans les sphères au pouvoir.
D.C.

Anonyme a dit…

M. Darcos est très fort lorsqu'il s'agit de répandre une rumeur. Il sait toujours lacher la petite phrase (fausse) qui fait mal aux enseignants ou au systéme éducatif.
Est-ce bien le rôle d'un ministre ?.

Anonyme a dit…

C'est le même Darcos qui, en présentant sa "réforme" du primaire, il y a plus d'un an, n'hésitait pas à affirmer qu'à l'école, "depuis 30 ans, on n'a rien fait d'autre qu'apprendre aux élèves à s'amuser". Qui peut vraiment croire à l'honnêteté de Darcos ?

sejan a dit…

Les palinodies du pouvoir auxquelles nous allons continuer d’assister tant sur la question du statut des enseignants-chercheurs que sur celle de la mastérisation des concours de recrutement sont évidemment navrantes. Mais le ministère n’est pas, dans ces affaires, tout noir. De la Maternelle à l’Université, la faible capacité des titulaires en place à se remettre en question transforme trop facilement en indignation vertueuse de simples réflexes de repliement sur des avantages acquis. Le conservatisme, dans ce qu’il a de plus négatif – sous réserve d’un inventaire plus poussé – n’est pas du côté de la réforme, rejetée si j’ose dire « génériquement », c’est à dire, dans le milieu enseignant, en bloc, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne.

C’est cela qu’il faut accepter d’entendre. Ensuite on peut rediscuter du fond. Et redire qu’on voit de tous côtés à l’œuvre l’art de compliquer des choses simples.
De la maternelle à l’université (au niveau bac+5), l’Ensemble des Connaissances relevant de l’État arrêté/Actuel du Savoir doit être atomisé (E.C.E.A.S.) en micro-modules accessibles par emboîtement et/ou accumulation. Une mer d’unités de valeur. Où puiser tout au long des cursus.

A - Mastérisation ….
Dans les deux champs fondamentaux que sont la Maîtrise de la Langue Française et la Culture Générale, un ensemble d’unités de valeurs doit être défini, dont l’acquisition-validation à Bac+3 vaille licence M.L.F./C.G. et permette d’être candidat à un concours unique de recrutement qui, réussi, confère le statut de fonctionnaire et dont la finalité, au-delà, soit double :
- à titre principal, engager l’impétrant dans deux années de formation supplémentaires préparant à son entrée sur concours dans le corps enseignant…..
- à titre secondaire, soit en raison de son échec au concours terminal (à Bac+5) de recrutement, soit en raison de son souhait de reconversion au bout d’un an, lui garantir un emploi dans la fonction publique.

Les deux années de formation supplémentaire évoquées correspondent :
La première à une prise de contact approfondie avec la fonction enseignante (mi-temps en « doublette » et à responsabilité réellement partagée avec un titulaire en place), et à l’acquisition, dans le champ souhaité d’exercice de la fonction (polyvalence ou enseignement mono-disciplinaire) d’un ensemble d’unités de valeurs que validera globalement un Master1.
La possibilité est offerte de quitter le cursus à ce niveau (Bac+4) en raison d’une « incompatibilité d’humeur » avec les exigences pédagogiques découvertes lors du mi-temps de contact avec la fonction enseignante.
La seconde année est une année de préparation universitaire axée sur l’acquisition d’un Master2 dans le champ d’exercice retenu (polyvalence ou mono-disciplinarité) et sur la préparation du concours de recrutement final correspondant.
L’échec au concours renvoie sur un autre emploi de la fonction publique.

Je n’insiste pas sur l’entrée en fonction définitive, au-delà, qu’il n’est pas possible de maintenir dans l’isolement des pratiques actuelles et dont le succès exige que soit redéfinie l’autonomie des établissements et installés des fonctionnements en équipe prenant entre autres en charge l’encadrement-soutien des débuts de carrière.

B – Enseignants-Chercheurs …
Le travail des universitaires enseignants-chercheurs est à l’évidence d’enseigner l’état actuel des connaissances (ci-dessus ECEAS) et d’en affiner la maîtrise et élargir le champ (Recherche). La dimension « enseignement » devrait correspondre à un service imposé systématique de douze heures hebdomadaires. Les activités de recherche doivent s’adosser à des thèmes précis définis en amont (dossiers) avec estimation de durée et calendrier de bilans d’étapes. Elles doivent être contractuelles. C’est une fantaisie que d’affirmer la nécessité d’un horizon sans contrainte pour permettre à l’inventivité de se déployer. La rémunération de l’enseignant-chercheur en tant que fonctionnaire comme son déroulement de carrière sont à installer sur la base de son seul service d’enseignement. Les activités de recherche sont à financer par des bourses (d’état ou relevant de la commande d’organismes privés) et constituent la part mobile (et indépendante du salaire) de sa rémunération.

…………..

Je ne comprends pas que cette grille simple ne parvienne pas à émerger et à servir de cadre au règlement des questions soulevées.
L’enseignement doit d’abord s’appuyer sur la maîtrise de la langue et la culture générale, quoi qu’on prétende transmettre. Un pré-recrutement sur concours adossé à une licence MLF/CG (cf. ci-dessus) me semble donc indispensable.
La recherche n’est pas une abbaye de Thélème pour privilégiés. C’est une activité orientée vers le progrès de tous à partir des capacités de quelques-uns. Elle peut s’appuyer sur des propositions isolées, elle ne peut pas négliger les attentes collectives. Et elle est « à thèmes ». On ne cherche pas à vie tout et n’importe quoi.

Il y a par trop, dans les difficultés du moment, dilution des exigences premières de l’intérêt général au bénéfice des frilosités installées et du confort des échecs acceptés.

 
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