La décision de Nicolas Sarkozy d'associer la mémoire d'un enfant juif à chaque élève de CM2 a suscité de nombreuses polémiques. Une des critiques formulées portait sur l'importance de l'émotion dans cette proposition. Critiques auxquelles Nicolas Sarkozy a répondu par cette affirmation "Rien n'est plus émouvant pour un enfant que l'histoire d'un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui " . Le ministre de l'éducation nationale est ensuite venu à la rescousse et a expliqué aux journalistes : "L’idée est venue lorsque j’ai vu cette carte postale représentant les enfants d’Yzieu en septembre 1943. Un an après, ils ont été gazés. On [sous-entendu, Sarkozy et lui] en est venus à cette idée».Les élèves feront «une petite enquête sur la famille, le milieu, les circonstances dans lesquelles l’enfant a disparu, rechercher s’il a des parents, des grands-parents». «Cette relation personnelle, affective pourra ensuite permettre de construire un travail pédagogique».
La question est donc bien ici une question pédagogique : peut-on baser une pédagogie sur l'émotion ?
Esther Benbassa dans le Parisien affirme "L'émotion est éphémère. Enseigner ne se fait pas dans l'émotion". Dans un (très bon) texte publié sur le site de Marianne, Nicolas Domenach après avoir rappelé la justification de Nicolas Sarkozy développe son point de vue : "L'émotion, l'émotion comme moteur de la prise de conscience du passé. Est-ce qu'on fait de la bonne histoire avec de l'émotion à la louche, pour ne pas dire, à la bassine ? Certes non. L''émotion à grosses doses tue la réflexion. L'émotion appelle l'émotion et submerge la raison. Elle pousse à la passion dévastatrice. Jusqu'au rejet meurtrier."
Je partage cette idée. Je ne crois pas qu'il y ait de bonne pédagogie fondée sur l'émotion et sur les sentiments. Si éventuellement, la motivation pour apprendre et comprendre peut partir de sentiments tels que l'indignation ou la passion, il est clair que l'acte d'apprendre ne peut se construire sur cette seule base. De même, la connaissance peut aboutir à mieux comprendre l'émotion ressentie au départ ou même générer des sentiments. Mais il me semble qu'un dispositif pédagogique qui reposerait aussi fortement sur ce ressort serait perverti dès le départ.
Ce que nous transmettons à nos élèves ce sont des connaissances pas des sentiments. C'est aussi ce qui éloigne l'école de la société du spectacle et des mécanismes si souvent utilisés à la télévision et dans les médias en général.
Or, justement cette société repose de plus en plus sur l'émotion et le sentiment. Faire appel à l'émotion, comme l'a bien compris le grand communicateur qu'est Nicolas Sarkozy, dispense d'argumenter et de faire appel à la raison...
Même si le sujet semble éloigné, je ne pouvais m'empêcher de faire le lien avec le débat d'il y a quelques semaines sur la place de l'entreprise dans les programmes de Sciences Économiques et Sociales (la matière que j'enseigne). Ce qui était reproché, au final, dans les critiques formulées par les lobbys patronaux, ce n'était pas l'étude de l'entreprise. Ce qu'on nous reprochait se situait là aussi au niveau des sentiments puisqu'on nous demandait surtout de faire aimer l'entreprise. L'aimer, pas la comprendre...
Et on voit bien, là aussi, que les sentiments n'ont plus grand chose à faire avec la connaissance et avec la finalité même de l'enseignement.
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