Notre mouvement, le CRAP-Cahiers pédagogiques, a une longue expérience en ce domaine. Notre présence sur le terrain des établissements scolaires (nous sommes tous des praticiens dans les divers niveaux d’enseignement et de formation, de la maternelle à l’université) ainsi que nos liens multiples avec le monde de la recherche en éducation et celui de la formation, donne légitimité à nos propositions et à nos revendications. Nous souhaitons pouvoir être sinon entendus, du moins écoutés par les politiques, alors même que des jugements à l’emporte-pièce sont proférés sur l’école et relayés par les médias sans le recul critique nécessaire.
Quels choix politiques ?
Il nous semble essentiel de :
- Résister à la logique libérale, calquée sur le marché et selon laquelle la mise en concurrence d’établissements permettrait plus d’efficacité. L’hypothétique « égalité des chances » dont cette logique tente de se réclamer vise en réalité à dégager une élite dès le début d’un cursus scolaire considéré comme une compétition. La responsabilité des échecs est alors rejetée sur les individus et le soutien scolaire n’a plus pour fonction que d’assurer une vaste « garderie » pacificatrice.
- Réaffirmer la mission du grand service public de l’Éducation nationale : permettre à tous de se former et à chacun de réussir. La sélection des élites ne peut pas se faire au détriment de la formation qui se doit d’être exigeante et équitable. Et c’est cette formation qui permettra à tous les talents de se révéler en nombre et en qualité.
- Refuser la logique conservatrice qui s’accroche à une mythique école du passé, à un découpage disciplinaire intangible et à une conception réductrice du métier qui, en mettant en avant « le mérite », ne fait rien pour réduire les inégalités dont souffrent les jeunes issus des milieux défavorisés. Nous refusons, quant à nous, de nous enfermer dans une logique binaire nécessairement simplificatrice qui opposerait la transmission des connaissances à la pédagogie, l’efficacité à la démocratisation, l’instruction à l’éducation, la place de l’élève à la primauté des savoirs enseignés.
Dans cette perspective, nous défendons en priorité les propositions suivantes :
Mettre en place - vraiment - un socle commun de connaissances et de compétences que tout le monde doit avoir acquis à la fin de la scolarité obligatoire. À l’heure actuelle, ce socle apparaît plutôt comme un slogan et sa conception reste largement à revoir et à approfondir. Le texte actuel sur le socle reste prisonnier d’une logique d’accumulation et ne se préoccupe pas suffisamment des moyens qu’il faut déployer pour parvenir à cette indispensable appropriation par tous. Le citoyen de demain doit être capable d’affronter les problèmes nouveaux qui se posent pour l’environnement et de faire face aux dangers qui menacent la cohésion sociale. C’est pourquoi on ne peut se contenter de considérer l’acquisition de compétences civiques et la constitution d’un patrimoine culturel commun comme de simples compléments des savoirs traditionnels.
Transformer les pratiques pédagogiques. Pour s’insérer et vivre dans un monde en évolution rapide et permanente, il faut savoir faire preuve d’autonomie, de capacité d’analyse et d’invention : une pédagogie active permettant aux élèves de prendre des initiatives, d’expérimenter, de développer leur esprit critique et leur créativité doit être mise en place. Pour s’insérer et vivre dans un monde complexe, aux savoirs de plus en plus interconnectés, il faut favoriser une pédagogie basée sur des projets collectifs, souvent interdisciplinaires. À cet égard, il est urgent de rétablir tout ce qu’ont pu apporter des dispositifs innovants comme les Itinéraires de découverte en collège ou les TPE en lycée, et d’encourager la mise en place de nouvelles façons de travailler etd’apprendre.
Il apparaît en effet de plus en plus indispensable de prendre en compte les talents et les centres d’intérêt des élèves pour leur permettre de s’appuyer sur ce qu’ils savent déjà afin de mieux accéder aux connaissances qui se trouvent en dehors de leur univers quotidien.
Faire évoluer les pratiques d’évaluation : il s’agit de faire preuve d’imagination, d’inventer de nouvelles formes de certification, y compris en transformant les examens actuels. Il est important d’entrer dans une logique formative de l’évaluation, de retarder les moments d’évaluation certificative, d’autoriser les expérimentations au lieu de renforcer un système de notation (moyennes trimestrielles, introduction de la « note de vie scolaire »...) qui encourage à comptabiliser des résultats chiffrés plutôt qu’à considérer ce que chacun a acquis sous forme de connaissances et de compétences efficientes.
Changer le fonctionnement des établissements, en particulier ceux qui sont concernés par la scolarité obligatoire : par exemple en mettant réellement en place un enseignement par cycles à l’école primaire, en diversifiant les regroupements d’élèves dans les collèges.
Adapter le métier d’enseignant à ces exigences nouvelles. On nous dira que les questions de statut ne sont pas de la compétence d’un mouvement pédagogique... Certes, mais il est de notre responsabilité de dire que les tâches de l’enseignant ont déjà évolué dans les faits, que l’accompagnement des élèves les plus en difficulté et l’aide en général au travail scolaire sont partie intégrante de son travail, et qu’il devient urgent de le reconnaître institutionnellement.
Responsabiliser les acteurs : l’ordre, nécessaire à la vie de l’établissement scolaire comme à celle de la classe ne passe pas par un durcissement des sanctions, arme vaine d’une illusoire « tolérance zéro ». Les professionnels de l’éducation savent bien que c’est la mise en œuvre d’un projet pédagogique et éducatif, élaboré dans le cadre d’un travail d’équipe, qui permet d’installer les conditions d’un enseignement respecté. Les problèmes liés à l’incivilité ou aux difficultés des élèves ne peuvent en effet se régler à coup de gratifications distribuées à des enseignants volontaires ou spécialisés mais doivent faire d’abord l’objet d’une action collective concertée au niveau de chaque établissement.
Former aux nouvelles compétences définies pour le métier d’enseignant. La formation ne doit pas se réduire à un simple compagnonnage, les enseignants « apprenant sur le tas ». Si la formation doit bien sûr prendre en compte les pratiques des enseignants expérimentés, elle doit aussi permettre la réflexion, encourager l’innovation et s’inscrire dans la durée. Notre métier autant que les autres a besoin de formation continue.
Enfin, nous estimons nécessaire de donner « plus » aux établissements ou aux élèves en difficulté.
Réduire la taille des classes ne peut suffire. La question des moyens doit impérativement être pensée en lien avec les transformations des pratiques pédagogiques qu’ils doivent permettre.
Texte à diffuser le plus largement possible
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