L’appel d’offres pour une « veille de l’opinion » dans le domaine de l’éducation qui a agité la blogosphère éducative continue à faire des vagues et à créer le “buzz” comme on dit…
“Vrai-faux” blogueur depuis 2004 et tenancier d’une revue de presse depuis 2003 (pour plus de détail sur l’histoire de ce blog, lire ici), je me sens obligé de donner mon sentiment sur cette affaire. Même si je pense comme plusieurs autres que cet appel d’offres est un non événement, il est intéressant d’analyser le “bruit” médiatique qu’il a généré. Il est tout aussi intéressant de se pencher sur les pratiques des enseignants en matière de blogging et de forums..
Vrai-faux blogueur
Je dois faire une confession : je ne suis pas un blogueur, ou alors pas souvent… Dans la définition communément admise, un blog est un journal “extime”, c’est-à-dire un site où sont recueillies selon un rythme assez régulier, les réflexions personnelles de son auteur. Celles-ci peuvent porter sur tous les sujets ou bien au contraire traiter d’un domaine de compétences particulier, par exemple professionnel. Ces “post” ou plutôt ces billets génèrent des commentaires et selon l’expression consacrée “entament des discussions” qui font partie intégrante du blog.
Je ne rentre pas tout à fait dans cette catégorie. D’abord parce que, à mon grand dépit, et bien que je sois lu, il n’y a quasiment jamais de commentaires de mes billets. Cela tient à la nature de mon travail puisque pour l’essentiel, ce blog est d’abord une revue de presse. Même si mon avis transparaît (trop au goût de certains, pas assez pour d’autres), ce n’est pas l’essentiel de mon travail. Celui-ci est avant tout de présenter l’actualité de l’éducation telle qu’elle est traitée dans les journaux et sites d’informations. Je hiérarchise, je choisis, je relie et j’essaie de donner du sens à ce que je présente ce qui est une forme de travail journalistique. En fait, je dois l’avouer, mon idéal (mon fantasme ?) c’est la revue de presse radiophonique que j’écoute régulièrement sur France Inter et quelquefois Europe 1. Je me suis d’ailleurs risqué au mois de juin à quelques expériences d’évolution de ce blog en podcast audio, mais je ne suis pas allé plus loin par manque de temps.
Il est rare que je trouve le temps d’aller plus loin et de livrer des billets plus personnels. J’en ai fait quand même quelques uns au fil des années (notamment sur le débat avec les anti-pédagos et aussi sur mes expériences en tant qu’invité des médias).
Pas de pseudo
Je ne suis donc pas exactement un “prof blogueur“ même si quelques blogs de profs sont aussi maintenant sur ce créneau du commentaire de l’actualité éducative (comme Lofi, Lubin ou Chris). L’essentiel des profs blogueurs produit des billets portant sur leur activité professionnelle et personnelle dans un joyeux mélange qui donne beaucoup d’intimité et d’humanité à leurs propos. Certains sont excellents, comme par exemple Samantdi, qui parle trop peu souvent mais toujours justement de son métier de prof de lettres.
Bien souvent ces blogs se font sous couvert de l’anonymat d’un pseudonyme. Pour ma part je m’y refuse. D’abord parce que justement, je ne suis pas dans le même registre (je ne parle pas de choses intimes ou encore de mes élèves) et surtout parce que mon activité se situe aussi dans une perspective militante et donc publique. J’assume mes propos et je vois trop sur Internet les dérives de l’anonymat qui autorise souvent ceux qui en abusent à manier l’insulte et la violence verbale et à écrire n’importe quoi. La lecture de certains forums ou des commentaires de quelques blogs anti-pédagos (comme celui de JP Brighelli) en sont la preuve quotidienne…
Les profs blogueurs ont-ils raison d’être paranos ?
L’usage du pseudonyme est quelquefois une nécessité mais ce n’est pas pour autant une protection suffisante. On se souvient de Garfieldd, un proviseur qui, sur son blog, alternait des posts sur sa vie professionnelle et d’autres sur sa vie intime. Il a été découvert et sanctionné par une suspension de traitement pendant six mois au prétexte (fallacieux) que certaines photos étaient considérées comme “pornographiques”. On se souvient aussi de la fermeture du blog de “profenzep”. Là encore, malgré l’anonymat, l’auteure a été retrouvée et la direction de son établissement lui a intimé l’ordre de fermer son blog où des billets pointaient les incohérences et les insuffisances de l’établissement.
D’une manière générale, on peut dire que la machine “Education Nationale” n’aime pas la critique. Il est plus facile de casser le thermomètre que de soigner la fièvre. On a même quelquefois l’impression d’une plus grande sévérité vis-à-vis des blogs de profs que des blogs d’élèves. Face à ces phénomènes nouveaux, que sont le blog et les TICE d’une manière générale, l’attitude de l’éducation nationale surtout dans les échelons intermédiaires est plutôt une grande prudence voire une méfiance.
Alors oui, les profs blogueurs ont des raisons d’être paranos et de s’inquiéter de savoir qui lit leurs blogs. Car jusqu’à maintenant, le regard n’a pas été bienveillant. C’est dommage car il me semble qu’écrire sur sa pratique est indispensable à l’évolution du métier d’enseignant. Ce qu’a très bien compris, le québécois Mario Asselin qui fonde sa pratique du “carnet” (comme on dit là bas) sur cette dimension. Cela permet en effet de prendre du recul, d’analyser et d’échanger sur ses pratiques, ses réussites et ses difficultés. Trop souvent les difficultés des enseignants reposent sur la difficulté d’échanger sur son vécu.
Des nouvelles de la veille
L’annonce de l’appel d’offres pour une veille de l’opinion est un non-événement. Le marché existe depuis 2006 et est bien connu. Cette pratique n’est pas propre à l’éducation nationale et on la retrouve dans de nombreux secteurs. Comme je l’indiquais dans un précédent billet, il y a à l’Élysée, une personne (Nicolas Princen) dont la fonction est exclusivement de lire les blogs et les forums sur tout ce qui concerne son patron (et il doit avoir du boulot…)
L’analyse doit donc porter non pas sur la veille elle même mais sur les raisons pour lesquelles cette annonce a déclenché aujourd’hui une telle réaction. On peut la juger excessive mais ce n’est pas le propos ici. Il y a bien sûr un phénomène cumulatif. Cette annonce s’est faite sur un terrain favorable. Avant même Xavier Darcos, souvenons nous du ministre De Robien qui appelait les parents à vérifier si les enseignants pratiquaient bien une méthode syllabique. On se souvient aussi plus récemment de la convocation de Pierre Frackowiak, inspecteur auquel on reprochait ses prises de position publiques. Il est arrivé aussi la même mésaventure à Philippe Meirieu lorsqu’il était encore directeur de l’IUFM de Lyon.
Depuis plus d’un an, le climat est morose au sein de l’éducation nationale. Après une courte période où la personnalité et les premières déclarations de Xavier Darcos avaient pu faire penser à une embellie, il a fallu déchanter. La politique menée est marquée par la contrainte budgétaire et par des signaux important donnés à la frange la plus conservatrice de l’électorat et de la profession.
La succession des annonces de suppression de postes, la fin des Rased, le manque de concertation (en primaire et aujourd’hui dans le secondaire) , la surdité après la grande manifestation du 19 octobre sont parmi les évènements récents autant d’éléments qui expliquent la crispation et la réaction face à cette annonce. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire à plusieurs reprises : c’est surtout le décalage entre cette volonté de “prendre le pouls” de l’opinion et ce refus de l’entendre qui est choquant.
Certes le milieu enseignant est réactif et même, convenons-en, quelquefois parano. Il est tentant de voir dans chaque acte politique un complot et une intention inavouable. Mais j’ai montré aussi que cet événement a été amplifié par tout ce qui précède. En ce qui concerne cette veille, elle me semble surtout refléter la manière dont se construit aujourd’hui l’action publique : beaucoup de communication et une action guidée par une prise en compte des opinions (en essayant éventuellement de jouer les unes contre les autres comme les parents ou les élèves contre les enseignants).
Leaders d’opinion et “lanceurs d’alerte” ?
Cette politique se caractérise aussi par le contournement des interlocuteurs traditionnels : les syndicats et les associations. Les premiers “lanceurs d’alerte” ce sont eux… S’intéresser aux blogs et autres nouvelles formes d’expression est aussi une manière de s’intéresser aux “gens” au détriment des corps constitués. Or, on m’a appris dans mes cours de sciences politiques, que ces “corps intermédiaires” étaient justement ceux qui permettaient d’agréger et de trier les revendications, qu’ils jouaient en quelque sorte un rôle de filtre pour éviter les dérives. Négliger le rôle que peuvent jouer ces institutions c’est courir le risque de revendications exprimées de manière plus violente, c’est aussi laisser se développer sans censure toutes les rumeurs.
Je ne vais pas ici m’étendre sur le sort qui est fait aux associations complémentaires de l’école. Cela fera l’objet d’un autre billet. Mais on peut cependant dire que la fin des “mis-à-disposition” et la baisse drastique des subventions fait courir le risque de l’asphyxie et de la mort à plus ou moins long terme pour de nombreuses associations dont le CRAP-Cahiers Pédagogiques. On peut évoquer tout aussi rapidement les manœuvres autour de la représentation syndicale et la minoration de leur rôle.
Pourtant, qu’on ne s’y méprenne pas, les blogueurs et autres animateurs de sites, sont bien souvent des personnes très informées et militantes. Beaucoup sont syndiquées ou militent dans des mouvements pédagogiques. Ce qui est également intéressant c’est de voir l’évolution de certains sites et nouveaux médias. On constate que des sites qui étaient jusque là des sites consacrés essentiellement à la mutualisation et la diffusion d’outils pour la classe, développent aussi une réflexion plus globale et une dimension militante. C’est aujourd’hui une évolution qu’il est intéressant d’observer .
Elle montre aussi que la richesse de la blogosphère éducative est le signe d’une évolution du métier. Celui ci est moins solitaire. On mutualise de plus en plus, on n’hésite pas non plus à parler de ce qui se fait “entre les murs” de la classe. Un métier plus ouvert et qui se construit de plus en plus dans une logique de réseau. Les collègues de la "génération Internet" ne sont pas forcément les mêmes qu’avant mais ils ne sont pas pour autant moins revendicatifs et concernés par l’avenir de l’école et de leur métier…
De quoi tenir éveillés tous les veilleurs….
lundi, novembre 17, 2008
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1 commentaire:
Bravo et merci pour votre site.
Que cela vous encourage à persévérer.
Passionné, donc militant, je le suis aussi. Je découvre votre site et ne manquerai de m'y ressourcer de temps à autre.
Je vous inviterai aussi, quand il sera prêt, à visiter mon site sur la thématique de ma recherche :
"Ecole, éthique et déontologie"
Bien à vous, et vivent encore longtemps les cahiers pédagogiques...
Eric GROS.
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