lundi, mai 12, 2008

Débat sur l’école : Pourquoi tant de haine ?

Après le billet consacré à l’utilisation du motpédagogisme , je continue la réflexion sur le “débat” pédagogique.
Ce présent billet me trotte dans la tête depuis pas mal de temps mais c’est la lecture des commentaires qui suivent le compte rendu du chat de Philippe Meirieu dans le journal Le Monde qui en a précipité l’écriture. On peut y lire des commentaires d’un niveau de violence assez élevé. Philippe Meirieu y est traité au mieux de “charlatan” ou d’ “incompétent” mais aussi d’ “ennemi public” que l’on rend responsable à lui tout seul de la “faillite” de l’éducation nationale et même de la violence scolaire!
Cette violence dans les propos, même si elle n'est pas acceptable, n’est pas nouvelle. On la retrouve à l’œuvre sur de nombreux blogs. Je me souviens encore de celui d’Emmanuel Davidenkoff lorsqu’il était journaliste spécialisé à Libération

Les commentaires sur chacun des billets étaient très nombreux et sont, comme le disait Emmanuel Davidenkoff dans son dernier billet de février 2006, « Témoin de la difficulté à débattre de l’école, pas faute de combattants, pas faute d’intelligences ; mais trop de haine(s) recuite(s), de procès en sorcellerie, de mots qui font mal pour faire mal. » 
Depuis cette époque, la question que je me pose est toujours la même : Pourquoi tant de haine?
Je vois plusieurs familles d’explications qui se superposent. Certaines sont liées à l’outil Internet et aux blogs en particulier. On peut aussi avoir une approche sociologique des enjeux de pouvoir au sein du petit monde de l’éducation. D’autres raisons enfin sont, à mon avis, à relier à la construction de l’identité au métier et renvoie donc à une approche psychologisante. Je sais que c’est un domaine très risqué et très fortement critiqué mais je m’y risque quand même…


TOUT SEUL DERRIÈRE SON ÉCRAN... 
N’oublions pas qu’une bonne partie de ce déchaînement est lié à la nature même de l’outil utilisé pour s’exprimer. Les blogs et l’Internet d’une manière générale, favorisent l’anonymat. Il y est très facile d’exprimer toute sa rancœur et sa violence en s’abritant derrière un pseudo. Initialement, le recours à un nom d’emprunt était synonyme de liberté puisque l’expression sur un blog peut rentrer quelquefois en conflit avec les contraintes professionnelles. Mais aujourd’hui, c’est de plus en plus un moyen de s’affranchir de toutes les règles de la politesse et de la déontologie.

Autre phénomène bien repéré dans les différents forum et les blogs, celui du troll, du flaming et de l’écho. On connaît de nombreuses listes où une ou plusieurs personnes parviennent à modifier l’objet de la discussion en incitant à une polémique et en recourant à des propos diffamatoires. L’ “avantage” d’Internet c’est qu’il n’est pas nécessaire d’être nombreux pour parvenir à imposer cette intimidation. Il suffit qu’une ou deux personnes mal intentionnées se donnent la réplique et se fassent écho en inondant les commentaires d’un blog ou les listes pour donner l’illusion du nombre et dissuader ceux qui voudraient intervenir mais qui n’ont pas le goût ni le temps de la polémique de le faire.

Ce phénomène est particulièrement à l’œuvre dans le domaine du débat sur l’éducation. Il suffit de se rendre sur le forum de France 2 ou sur celui du journal Le Monde,  pour se rendre compte de la technique employée par quelques contributeurs acharnés.
Mais si cela permet de comprendre l’intensité de l’expression, cela n’explique pas pourquoi ce débat sur l’éducation est si particulièrement passionné et polémique. Il faut chercher des explications ailleurs et reprendre pour cela quelques uns des arguments utilisés par les anti-pédagogues.


LE SUPPOSÉ COMPLOT DES PÉDAGOS...
Un des arguments souvent utilisés est celui de la confiscation du pouvoir par les “pédagos”. “Ils” tiendraient les rênes de l’Éducation Nationale, contamineraient l’inspection et prospéreraient dans les IUFM, où ils décérébreraient à tour de bras les pauvres stagiaires. Outre que cette thèse relève de la théorie du complot et trouve très vite ses limites lorsque l’on regarde la réalité des pratiques et des décisions prises, elle est surtout le symptôme des enjeux de pouvoir qui sont sous-jacents dans ce débat.
En effet, sans faire du sous-Bourdieu  , on peut dire qu’il s’agit là d’une manifestation classique de la lutte symbolique qui est à l’œuvre pour la domination du “champ” de l’école. On voit bien que derrière les attaques répétées et les pamphlets sont aussi à l’œuvre des structures organisées en groupes de pression, des syndicats, des maisons d’édition. On sait aussi toute l’importance que peuvent avoir les rancœurs et les déceptions, les logiques d’égo dans les comportements individuels de tels ou tels acteurs de cette lutte d’influence.
Poser le problème en ces termes est aussi confortable car cela a l’avantage de placer ceux qui la développent en supposés “rebelles” contre une hypothétique “doxa” et contre l’institution. 
La position des pédagogues dans cette situation est confrontée à deux difficultés. La première est que le discours officiel emprunte en effet souvent au discours des “pédagogues” même si malheureusement il est souvent perverti et que les actes ne suivent pas les discours. La deuxième difficulté tient à une période historique récente qui a été désastreuse. C’est la période ”Allègre”. Si cette période s’est caractérisée par quelques avancées et par des intentions allant dans le sens de l’innovation, elle a été gâchée par une communication désastreuse et un mépris affiché des enseignants dont on subit encore durablement aujourd’hui les effets négatifs. On ne fait pas avancer le système éducatif et les enseignants en les insultant. Comme Philippe Meirieu fût un des conseillers du ministre, il est malheureusement durablement associé à cette image et subit aujourd’hui encore une violence disproportionnée et irrationnelle.


LA POLÉMIQUE EST À LA MESURE DE LA CHARGE AFFECTIVE 
Irrationnel, le mot est lâché. Je pose comme hypothèse que le caractère excessif et violent du débat sur l’école tient au fait que les acteurs ont un investissement affectif lourd vis-à-vis de l’école. Et que cela renvoie pour une bonne part à la manière dont chacun s’est construit son rapport à l’école et son identité professionnelle.
Posons d’abord que chacun, quelque soit le “camp”, est sincère dans ses engagements et est fortement attaché à l’idée qu’il se fait de l’école. C’est ce qui rend le débat difficile (voire impossible) et passionné. On ne peut blâmer la passion et on doit la reconnaître à ses adversaires. Mais il faut admettre qu’elle complique singulièrement les choses lorsqu’elle conduit au mieux à la mauvaise foi et au pire à la violence et à l’insulte.
On sait que le métier d’enseignant est un métier où l’on se met fortement en “je”. Et que la remise en question voire le simple questionnement de ce qui constitue la manière dont on s’est construit son identité professionnelle (ses valeurs, son histoire et son passé d’ancien élève, l’amour de la discipline que l’on enseigne…) peut être vécu comme une agression. De ce que je perçois, de ma place d’enseignant de base dans un lycée de banlieue et de responsable associatif amené à débattre publiquement, c’est que le discours des “pédagogues” – bien qu’ils s’en défendent – est vécu comme un discours culpabilisateur. Et les enseignants sont particulièrement réactifs à cette dimension car il est souvent difficile de dissocier la pratique et la personne. Discuter du métier c’est souvent vécu comme une remise en cause de la personne. ”La pédagogie c’est de l’ordre de l’intime” m’avait affirmé un collègue prof de philo il y a quelques années…
Cette charge affective se retrouve aussi pour les non-enseignants. Je dis souvent, en débat, qu’en France, il y a 64 millions d’experts de l’école… Tout le monde aura, a, ou a eu un rapport avec l’école. Une expérience heureuse ou malheureuse, des espoirs ou des déceptions. Les enjeux y sont extrêmement forts. Pour beaucoup, l’école c’est une nostalgie d’un temps mythifié. Pour d’autres c’est une source d’angoisse face à l’évolution du marché du travail et à l’avenir de leurs enfants. 
Difficile dans ces conditions d’avoir un débat rationnel et une parole d’expert sur la question. Difficile, en particulier, d’accepter que le métier et les techniques d’enseignement aient pu changer, que celui ci – loin de l’image de la “vocation” – suppose la maîtrise d’un certain nombre de compétences et se dote de concepts utiles à la réflexion sur ses pratiques. Il est alors facile de se moquer du “jargon pédago” et de dauber sur les dérives telles que le fameux “référentiel bondissant”… Il est tout aussi facile et confortable de décréter que les sciences de l’éducation sont des fausses sciences.


OPTIMISTE MALGRÉ TOUT...
On peut se dire que dans ces conditions le débat est bien mal engagé. Malgré toutes les tentatives d’explications qui précèdent, les insultes et la violence des propos dans le débat sur l’école sont inacceptables. Pour ma part, même si ma nature et mon goût de la polémique m’y incitent, j’ai du mal à engager le débat avec des interlocuteurs qui m’insultent.
La seule chose qui puisse me faire espérer consiste à distinguer les pratiques et les discours. Ce que je vois depuis maintenant 26 ans que j’enseigne, ce sont des discours souvent très virulents et qui montrent l’attachement des uns et des autres à ce qui les a construit et engagé dans ce métier. Et ces discours il est très difficile de les faire changer. C’est ce que les psycho-sociologues analysent à travers la notion de “dissonance cognitive” 
Mais derrière les discours, dans le secret des classes, au quotidien, les pratiques diffèrent. Et il y souvent un grand écart entre les discours et les actes. Dans les deux sens d’ailleurs. Tel collègue qui va tenir un discours “républicain” affirmant avec force qu“’il n’est pas un animateur” et qu’il n’est là que pour “transmettre des connaissances” va faire du soutien sauvage avec ses élèves et passer de longs moments pour dénouer des problèmes personnels propres à un élève. Tel autre à l’inverse, qui professera des convictions fondées sur une pédagogie active se retrouvera à faire bien souvent un cours purement magistral qu’il dénonce par ailleurs. C’est donc une dimension supplémentaire qui complique le débat.

Encore une fois, et c’est là peut-être mon incorrigible optimisme (mais c’est une qualité essentielle pour ce métier où trop souvent les cyniques tiennent le haut du pavé), j’espère que le débat est possible et qu’on sortira de ces insultes et de ces caricatures. Même si mon propos est en partie psychologisant et qu’on peut m’en faire le reproche, j’aimerais qu’on cesse de prêter des intentions aux supposés adversaires. Et surtout qu’on sorte du confort intellectuel qui consiste à voir la cause de tous les problèmes dans un hypothétique bouc émissaire et la solution dans un âge d’or tout aussi mythifié. Le débat sur l’école mérite mieux que cela !

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