dimanche, juillet 04, 2010

Menaces sur le CRAP-Cahiers Pédagogiques

Une journée éprouvante

Jeudi 1er juillet dans la soirée, un message sur mon répondeur du rédacteur en chef et permanent de l’association CRAP-Cahiers Pédagogiques que je préside, m’indique que le ministère cherche à me joindre et que je dois les rappeler demain. Mauvais pressentiment.

Vendredi 2 juillet, entre deux déballages de cartons et montage de meubles (je viens de déménager, ce qui explique l’arrêt de la revue de presse), je reçois le coup de téléphone en question. Le conseiller du ministre chargé des associations m’informe que « compte tenu de la situation économique » la subvention de fonctionnement qui permettait de payer les salaires des deux détachés est réduite de moitié à partir du 1er septembre 2010 ! Mon interlocuteur m’indique avec un ton très calme (qui paradoxalement rend la situation encore plus violente) qu’ils feront tout pour que la personne concernée par l’arrêt de cette subvention puisse retrouver une classe malgré les délais très courts et que « ça se passe bien… ». Se rend t-il compte de ce qu’il vient de dire ? Sait-il même exactement ce que nous faisons et les conséquences de cette décision sur notre petite structure ? C’est ce que j’essaye de lui dire dans une conversation qui tourne très vite au dialogue de sourds.

La suite de la journée est consacrée à essayer de mobiliser le maximum de personnes et à informer de notre situation.

Retour en arrière

Avant d’aller plus loin, un petit retour en arrière. Le Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques (CRAP) existe depuis 1963. C’est l’association éditrice des Cahiers Pédagogiques, une revue fondée en décembre 1945 par François Goblot pour accompagner les “classes nouvelles”. La revue a eu une histoire assez mouvementée que je ne vais pas retracer ici et a été maintes fois menacée. Elle a eu aussi des rédacteurs en chefs prestigieux : Cécile Delannoy, Philippe Meirieu, Jean-Pierre Astolfi, Jean-Michel Zakhartchouk et bien d’autres. Sachez que depuis une trentaine d’années, comme d’autres associations complémentaires de l’école, elle bénéficiait de postes de “mis à disposition” pour animer l’association et la revue. Les MàD sont des postes où l’enseignant est donc payé par l’éducation nationale pour passer une partie ou la totalité de son temps au service d’une association.Nous avions choisi depuis longtemps de séparer les deux “équivalents temps plein” en quatre mi-temps afin de garder un pied dans la classe.

Il y a deux ans, nous avons été prévenus par le Ministère que le statut de MàD devait disparaître pour cause de LOLF (la réforme de l’organisation du budget de l’État). Ils devaient être remplacés par le statut de “détaché”. Plusieurs différences : le détaché perd son poste, il est forcément à temps plein, il est payé par l’association. On nous a alors octroyé une subvention compensatoire pour financer ces deux postes de détachés. Nous savions bien que cette subvention était plus précaire que le statut précédent mais nous n’avions pas envisagé qu’elle soit réduite avec une telle brutalité.

De réelles menaces

C’est en effet, cette subvention qui est réduite de moitié aujourd’hui. Mon interlocuteur a bien pris soin de m’indiquer que ce n’était pas le principe du détachement qui était remis en cause. On peut continuer à avoir deux postes de détachés…mais en payant nous mêmes…

Ce qui est surtout très brutal, c'est le délai extrêmement court pour cette annonce. Nous avons montré dans le passé (y compris très récent puisque le passage aux détachés date de l’an dernier) que nous étions capable de nous réorganiser rapidement pour survivre et même nous développer. Mais dans des délais aussi courts... Vu notre taille, il y a des effets de seuil qui sont de réelles menaces pour notre existence, en tout cas dans notre périmètre actuel.

Avant de parler pédagogie, parlons “boutique”. Nous employons, en dehors de nos deux permanents, trois personnes (secrétariat, comptabilité, envoi des numéros,…). C’est aussi l’emploi des ces personnes qui est concerné. L’essentiel de nos ressources provient de la vente de nos revues mais ces publications (papier et numériques) il nous faut les fabriquer et les faire sortir chaque mois. Même si une bonne partie du travail provient d’un travail militant (les coordonnateurs de dossiers, les auteurs, sont tous bénévoles), l’emploi de permanents est indispensable ! Nous avons des abonnés à servir, des commandes à honorer ! Bien sûr, nous sommes une association à but non lucratif mais nous subissons les mêmes contraintes que toutes les autres formes d’organisations productives. C’est tout cela qui est menacé.

Vous avez dit pédagogie ?

C’est aussi un mauvais coup porté à la pédagogie. Notre revue, je l’ai dit, existe depuis 1945. Elle a toujours été aux côtés de ceux qui voulaient faire évoluer l’École. Elle combine les apports de la recherche avec les récits et les analyses de pratiques dans les classes. Nous avons aussi ces dernières années développé le site et d’autres supports que la revue papier pour diffuser nos idées. Par ailleurs, nous organisons des “rencontres du CRAP” qui ont lieu au mois d’août et des évènements tout au long de l’année (tables rondes, colloques, débats,…). En bref, nous sommes un mouvement pédagogique qui essaie, dans la mesure de ses faibles moyens et en partenariat avec les autres organisations, de faire vivre la réflexion pédagogique.

Mais on a bien vu ces dernier mois que la pédagogie était bien malmenée. La révélation par le Café pédagogique des “fiches” concoctées par le ministère pour réaliser des économies dans tous les secteurs montre bien que la pédagogie et les quelques pistes d’innovation sont sacrifiées sur l’autel de la rigueur budgétaire. On a vu aussi le sort réservé à la formation des enseignants. Tout cela aboutit à un climat très lourd dans l’Éducation Nationale et des conditions de travail qui se dégradent.

On ne peut nier que la situation budgétaire de la France est difficile mais l’Éducation Nationale aurait pu être préservée. C’est un certain Luc Chatel qui déclarait lors de sa prise de fonction « un pays qui croit en son avenir est un pays qui investit dans l’éducation »

Que faire ?

Depuis l’annonce par téléphone de cette diminution de moitié de notre subvention, nous essayons de réagir. Je voudrais ici faire le point des actions menées et à poursuivre et indiquer les pistes d’action pour tous ceux qui veulent nous soutenir.

Nous avons pris contact avec les autres associations complémentaires de l’école qui sont elles aussi (à des degrés divers) menacées. Nous ne pouvons pas être dans le “chacun pour soi”. Notre action doit être concertée et les adhérents et sympathisants du CRAP ne doivent pas oublier les autres mouvements.

Nous avons aussi contacté la presse. Une première dépêche est parue sur le site Educpros (L’Étudiant) et une autre a été produite par l’AEF. Nous sommes aussi en contact avec d’autres journalistes.

Il y a un lien très fort avec tous les syndicats enseignants depuis longtemps. Il a été particulièrement vif ces derniers jours. Il devrait y avoir très rapidement une action concertée des syndicats auprès du ministre sur la situation des associations complémentaires de l’École.

Nous souhaitons être reçus par le Ministre car nous ne pouvons pas nous contenter d’une annonce par téléphone. Un procédé peu respectueux et qui ne permet pas le dialogue. Nous avons des arguments à faire valoir au ministre notamment sur les délais très courts qui nous sont imposés.

Comment vous soutenir ? ” c’est la question que nous posent de nombreuses personnes.

Comme le dit un groupe Facebook qui s’est créé pour l’occasion, le premier moyen de nous soutenir est de nous rejoindre en adhérant à notre mouvement. On peut aussi acheter nos publciations. Nous ne vendons pas des savonnettes mais une revue elle même porteuse d’idées et de valeurs. En achetant la revue et les hors-séries numériques, en les faisant connaître, vous nous donnez les moyens de notre indépendance financière et éditoriale. Vous trouverez sur le site un courrier destiné à être envoyé le plus largement possible pour faire connaître notre situation et comportant un appel à adhésion et abonnement.

Nous proposons aussi à tous d’exprimer ce soutien sur une page dédiée de notre site. Plutôt qu’une pétition où il suffit de cliquer, nous vous demandons de témoigner et de dire en quoi les Cahiers Pédagogiques sont utiles à l’École et dans vos pratiques au quotidien.

Nous vous proposons aussi d’envoyer un courrier à votre député et aux sénateurs pour que cette décision soit discutée au niveau de la représentation nationale. Nous mettrons en ligne un argumentaire à utiliser pour rédiger cette lettre vous même.

Évidemment, les délais sont très courts et la date choisie pour annoncer cette mesure n’est pas innocente. La marge de manœuvre est étroite. Mais comme j’ai coutume de le dire, il est difficile d’être enseignant si on n’est pas optimiste. Il nous faut donc “conjuguer le pessimisme de la raison et l’optimisme de l’action”.

 
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