L’éducation n’a pas été au cœur de la campagne du 1er tour même si chaque candidat avait des propositions sur ce sujet. Elle n’est pas non plus un des enjeux du second tour. Quoique…
Car le vote (ou pas…) des enseignants n’est pas à négliger. Or, c’est ce que semble faire Emmanuel Macron qui multiplie les provocations à leur égard. Il rend ainsi plus compliqué encore l’idée même d’un « front républicain » et conduit à des choix difficiles pour tous.
Un débat de 1er tour sans ambitions
Les questions d’éducation ont été très peu présentes dans la campagne. Les propositions n’étaient pas à la hauteur des enjeux et des défis. Le populisme éducatif et la démagogie étaient au rendez vous à droite, avec les inévitables « fondamentaux », « restauration » l’«autorité » et la remise en cause du collège unique. On trouve aussi la défense du mythe de la méritocratie. A gauche, la question de la revalorisation des enseignants a été mise en avant. Hormis quelques propositions (Jadot, Hidalgo,...), on trouvait peu de choses sur la pédagogie et les contenus mais plutôt une préservation de l’existant avec plus de « moyens ».
J’ai souvent insisté sur la nécessité de « panser » l’École avant de la « repenser ». Mais il serait illusoire de penser que la revalorisation inconditionnelle et indispensable pour laquelle je milite, suffirait pour que l’École aille mieux et soit plus efficace. Elle doit aussi évoluer mais cela est devenu très difficile.
Le boulet Blanquer
Il faut dire que l’École est aujourd’hui traumatisée. Nous avons été tellement maltraités par l’autoritarisme de Blanquer et son mépris technocratique que l’idée même de réforme ou de changement est insupportable à entendre par beaucoup.
Même si aujourd’hui quelques articles commencent à se pencher sur ce point, on peut dire que la presse et l’opinion n’ont pas vraiment pris la mesure des dégâts causés par ces cinq ans de mandat dans les écoles. Il est trop facile de réduire les enseignants à une caricature de râleurs permanents et rétifs au changement. Ceux-ci ont, au contraire, maintenu le service public malgré des réformes imposées et mal préparées tout en subissant un « prof bashing » ainsi qu’une dégradation de leurs conditions de travail, de leur pouvoir d’achat et de leur statut social. Tout cela aboutit à un niveau de détestation (du ministre et du président) rarement atteint et à une grande confusion.
On notera d’ailleurs que dans sa campagne, en termes de bilan pour l’éducation, Macron a peu de choses à se mettre sous la dent. On évoque timidement le dédoublement des classes de REP+ de CP et de CE1 et les quelques avancées pour les débuts de carrière. Mais on se garde bien de mettre en avant la réforme du lycée. Il est même contraint de proposer qu’elle soit déjà revue avec la réintroduction des maths dans le tronc commun. Tout se passe comme si le candidat tentait de faire oublier le boulet Blanquer...
Cela l’amène même à de magnifiques double salto-arrière...
Quand le candidat Macron-2022 se fait le défenseur de la liberté pédagogique et de l’innovation, peut-on sérieusement penser qu’il ignore que son ministre de l’éducation (pendant 5 ans) a tenté d’imposer ses petits livres oranges pour le primaire et des manuels scolaires estampillés bonnes pratiques dans le secondaire ? Qu’il a été d’une verticalité et d’une surdité absolue ?
Tout cela ne peut qu’engendrer beaucoup de méfiance et de ressentiment…
Macron, le libéral
Les propositions que le candidat a formulées durant cette fin de campagne ne sont pas faites non plus pour rassurer les enseignants.
Ce qu’il propose pour l’école est clairement un projet libéral au sens plein du terme. Il s’agit en effet pour lui de placer l’individu et la « performance » au centre du système. L’autonomie est pensée d’abord comme celle du chef d’établissement manager dans une vision entrepreneuriale et concurrentielle.
Ses récentes déclarations sur son refus d’une revalorisation « homogène » des enseignants et de privilégier les enseignants qui « se démènent » et acceptent de nouvelles tâches réactivent la rengaine sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus ». Ce n’est pas ainsi qu’on permettra le rattrapage des salaires enseignants.
Ces propositions montrent surtout une méconnaissance totale de l’acte d’enseigner. Celui-ci ne peut se réduire à une performance individuelle alors qu’il dépend de tant de variables et surtout d’une action collective. Comme le disait très bien récemment François Dubet : « La valeur ajoutée, c’est-à-dire le mérite du travail éducatif, est le produit d’un travail collectif. C’est l’équipe ou l’établissement qui a du mérite, et celui-ci n’est pas la somme du mérite de chaque enseignant, de la même manière que c’est le service hospitalier qui crée la qualité du soin et pas le mérite de chacun de ses membres. » Vouloir évaluer le « mérite » de tel ou tel a quelque chose d’absurde et aboutirait à un climat de défiance et de rivalité.
Le projet de confier le recrutement aux chefs d’établissement va dans le même sens. Cette mise en concurrence peut faire craindre la fin du principe d’une même école publique pour tous. Tout comme ses déclarations ambigües sur « l’apprentissage dès la cinquième » devenues au fil des pirouettes rhétoriques une découverte des métiers dès le collège peuvent passer pour une remise en cause du collège unique.
Marine Le Pen l’autoritaire
Cette remise en cause du collège unique figure quant à elle clairement dans le programme de Marine Le Pen. Tout comme elle l’était dans celui de Zemmour ou de Pécresse. La droite n’a jamais vraiment accepté la massification de l’École et encore moins l’idée de sa démocratisation sauf sous le faux nez de « l’élitisme républicain» et de la fiction méritocratique.
Autre point de convergence, la candidate du Rassemblement national fait appel au retour aux fondamentaux tout comme le dit Emmanuel Macron : français, mathématiques, histoire
La « restauration » passe par l’imposition d’un uniforme (qui n’a jamais existé) au primaire et au collège et la réaffirmation de l’autorité des enseignants.
Ceux ci seraient revalorisés, ce qui peut séduire certains enseignants. Mais à quel prix ? Elle veut « reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements » et que ce soit le Parlement qui fixe « de manière concise et limitative ce qui est attendu des élèves à la fin de chaque cycle ». Confier cette tâche à une institution par nature politique n’a jamais été mis en œuvre, ni de près, ni de loin fait remarquer l’historien de l’éducation, Claude Lelièvre. La vision de l’École qu’a Marine Le Pen, c’est celle d’une défiance à l’égard des enseignants avec un « renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique et religieuse vis-à-vis des élèves qui leur sont confiés » et un « accroissement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection en la matière »
Dans sa conférence de presse consacrée au thème de l’éducation, elle a aussi eu un long développement sur le « pédagogisme » et toute forme d’innovation qu’il faut bannir et propose également la suppression des INSPÉ. C’est donc une école caporalisée et au service de son idéologie qu’elle souhaite. Il suffit d’aller voir ce qui se passe en Hongrie pour voir ce programme déjà à l’œuvre.
Castors combatifs
On l’a déjà dit, le débat sur le vote au second tour dépasse l’éducation...
On voit fleurir sur les réseaux sociaux des déclarations péremptoires (« sans moi ») et des comparaisons douteuses traçant un signe égal ou même préférant l’une à l’autre. On voit un président candidat qui semble ne tenir aucun compte des enseignants et à l’inverse une candidate qui envoie des signaux (salaires, postes…) qui pourraient séduire. Mais les enseignants savent bien que les enjeux sont autres et touchent à la démocratie même.
Castor teigneux… |
Les principaux syndicats de l’éducation se sont unis dans un appel à lutter contre l’extrême droite et sa « vision réactionnaire et antirépublicaine de l’école ». Mais si M. Macron, est élu, parce qu'on aura fait "barrage", ce qui est préférable, il faudra aussi lutter contre la vision libérale et destructrice du service public qu’il propose. Les castors ne sont pas des animaux paisibles...
Il ne s’agit pas de voter « pour » l’un ou l’autre mais de voter pour préserver nos libertés. Car le « ni-ni » n’est pas une option, le soir du deuxième tour, il y aura bien un.e élu.e et déléguer aux autres le soin de choisir est une forme d’irresponsabilité. S’opposer en s’abstenant, c’est s’abstenir de s’opposer.
Philippe Watrelot
Ce texte a été publié sur le site d'Alternatives Économiques le 20 avril 2022