lundi, avril 18, 2022

Enseignants, soyons des castors combatifs !

 L’éducation n’a pas été au cœur de la campagne du 1er tour même si chaque candidat avait des propositions sur ce sujet. Elle n’est pas non plus un des enjeux du second tour. Quoique… 

Car le vote (ou pas…) des enseignants n’est pas à négliger. Or, c’est ce que semble faire Emmanuel Macron qui multiplie les provocations à leur égard. Il rend ainsi plus compliqué encore l’idée même d’un « front républicain » et conduit à des choix difficiles pour tous. 

 

Un débat de 1er tour sans ambitions

Les questions d’éducation ont été très peu présentes dans la campagne. Les propositions n’étaient pas à la hauteur des enjeux et des défis. Le populisme éducatif et la démagogie étaient au rendez vous à droite, avec les inévitables « fondamentaux », « restauration » l’«autorité » et la remise en cause du collège unique. On trouve aussi la défense du mythe de la méritocratie. A gauche, la question de la revalorisation des enseignants a été mise en avant. Hormis quelques propositions (Jadot, Hidalgo,...), on trouvait peu de choses sur la pédagogie et les contenus mais plutôt une préservation de l’existant avec plus de « moyens ». 

J’ai souvent insisté sur la nécessité de « panser » l’École avant de la « repenser ». Mais il serait illusoire de penser que la revalorisation inconditionnelle et indispensable pour laquelle je milite, suffirait pour que l’École aille mieux et soit plus efficace. Elle doit aussi évoluer mais cela est devenu très difficile.

 

Le boulet Blanquer 

Il faut dire que l’École est aujourd’hui traumatisée. Nous avons été tellement maltraités par l’autoritarisme de Blanquer et son mépris technocratique que l’idée même de réforme ou de changement est insupportable à entendre par beaucoup. 

Même si aujourd’hui quelques articles commencent à se pencher sur ce point,  on peut dire que la presse et l’opinion n’ont pas vraiment pris la mesure des dégâts causés par ces cinq ans de mandat dans les écoles. Il est trop facile de réduire les enseignants à une caricature de râleurs permanents et rétifs au changement. Ceux-ci ont, au contraire, maintenu le service public malgré des réformes imposées et mal préparées tout en subissant un « prof bashing » ainsi qu’une dégradation de leurs conditions de travail, de leur pouvoir d’achat et de leur statut social. Tout cela aboutit à un niveau de détestation (du ministre et du président) rarement atteint et à une grande confusion.

On notera d’ailleurs que dans sa campagne, en termes de bilan pour l’éducation, Macron a peu de choses à se mettre sous la dent. On évoque timidement le dédoublement des classes de REP+ de CP et de CE1 et les quelques avancées pour les débuts de carrière. Mais on se garde bien de mettre en avant la réforme du lycée. Il est même contraint de proposer qu’elle soit déjà revue avec la réintroduction des maths dans le tronc commun. Tout se passe comme si le candidat tentait de faire oublier le boulet Blanquer...

Cela l’amène même à de magnifiques double salto-arrière... 

Quand le candidat Macron-2022 se fait le défenseur de la liberté pédagogique et de l’innovation, peut-on sérieusement penser qu’il ignore que son ministre de l’éducation (pendant 5 ans) a tenté d’imposer ses petits livres oranges pour le primaire et des manuels scolaires estampillés bonnes pratiques dans le secondaire ? Qu’il a été d’une verticalité et d’une surdité absolue ?

Tout cela ne peut qu’engendrer beaucoup de méfiance et de ressentiment…

 

Macron, le libéral

Les propositions que le candidat a formulées durant cette fin de campagne ne sont pas faites non plus pour rassurer les enseignants. 

Ce qu’il propose pour l’école est clairement un projet libéral au sens plein du terme. Il s’agit en effet pour lui de placer l’individu et la « performance » au centre du système. L’autonomie est pensée d’abord comme celle du chef d’établissement manager dans une vision entrepreneuriale et concurrentielle. 

Ses récentes déclarations sur son refus d’une revalorisation « homogène » des enseignants et de privilégier les enseignants qui « se démènent » et acceptent de nouvelles tâches réactivent la rengaine sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus ». Ce n’est pas ainsi qu’on permettra le rattrapage des salaires enseignants. 

Ces propositions  montrent surtout une méconnaissance totale de l’acte d’enseigner. Celui-ci ne peut se réduire à une performance individuelle alors qu’il dépend de tant de variables et surtout d’une action collective. Comme le disait très bien récemment François Dubet : « La valeur ajoutée, c’est-à-dire le mérite du travail éducatif, est le produit d’un travail collectif. C’est l’équipe ou l’établissement qui a du mérite, et celui-ci n’est pas la somme du mérite de chaque enseignant, de la même manière que c’est le service hospitalier qui crée la qualité du soin et pas le mérite de chacun de ses membres. » Vouloir évaluer le « mérite » de tel ou tel a quelque chose d’absurde et aboutirait à un climat de défiance et de rivalité. 

Le projet de confier le recrutement aux chefs d’établissement va dans le même sens.  Cette mise en concurrence peut faire craindre la fin du principe d’une même école publique pour tous. Tout comme ses déclarations ambigües sur « l’apprentissage dès la cinquième » devenues au fil des pirouettes rhétoriques une découverte des métiers dès le collège peuvent passer pour une remise en cause du collège unique. 

 

Marine Le Pen l’autoritaire

Cette remise en cause du collège unique figure quant à elle clairement dans le programme de Marine Le Pen. Tout comme elle l’était dans celui de Zemmour ou de Pécresse. La droite n’a jamais vraiment accepté la massification de l’École et encore moins l’idée de sa démocratisation sauf sous le faux nez de « l’élitisme républicain»  et de la fiction méritocratique.   

Autre point de convergence, la candidate du Rassemblement national fait appel au retour aux fondamentaux tout comme le dit Emmanuel Macron : français, mathématiques, histoire

La « restauration » passe par l’imposition d’un uniforme (qui n’a jamais existé) au primaire et au collège et la réaffirmation de l’autorité des enseignants. 

Ceux ci seraient revalorisés, ce qui peut séduire certains enseignants. Mais à quel prix ?  Elle veut « reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements » et que ce soit le Parlement qui fixe « de manière concise et limitative ce qui est attendu des élèves à la fin de chaque cycle ». Confier cette tâche à une institution par nature politique n’a jamais été mis en œuvre, ni de près, ni de loin fait remarquer l’historien de l’éducation, Claude Lelièvre. La vision de l’École qu’a Marine Le Pen, c’est celle d’une défiance à l’égard des enseignants avec un « renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique et religieuse vis-à-vis des élèves qui leur sont confiés » et un « accroissement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection en la matière »

Dans sa conférence de presse consacrée au thème de l’éducation, elle a aussi eu un long développement sur le « pédagogisme » et toute forme d’innovation qu’il faut bannir et propose également la suppression des INSPÉ. C’est donc  une école caporalisée et au service de son idéologie qu’elle souhaite. Il suffit d’aller voir ce qui se passe en Hongrie pour voir ce programme déjà à l’œuvre. 

 

Castors combatifs

On l’a déjà dit, le débat sur le vote au second tour dépasse l’éducation... 

On voit fleurir sur les réseaux sociaux des déclarations péremptoires (« sans moi ») et des comparaisons douteuses traçant un signe égal ou même préférant l’une à l’autre. On voit un président candidat qui semble ne tenir aucun compte des enseignants et à l’inverse une candidate qui envoie des signaux (salaires, postes…) qui pourraient séduire. Mais les enseignants savent bien que les enjeux sont autres et touchent à la démocratie même. 

Castor teigneux…

Les principaux syndicats de l’éducation se sont unis dans un appel à lutter contre l’extrême droite et sa « vision réactionnaire et antirépublicaine de l’école ». Mais si M. Macron, est élu, parce qu'on aura fait "barrage", ce qui est préférable, il faudra aussi lutter contre la vision libérale et destructrice du service public qu’il propose. Les castors ne sont pas des animaux paisibles...

Il ne s’agit pas de voter « pour » l’un ou l’autre mais de voter pour préserver nos libertés. Car le « ni-ni » n’est pas une option, le soir du deuxième tour, il y aura bien un.e élu.e et déléguer aux autres le soin de choisir est une forme d’irresponsabilité. S’opposer en s’abstenant, c’est s’abstenir de s’opposer. 

 

Philippe Watrelot


Ce texte a été publié sur le site d'Alternatives Économiques le 20 avril 2022

vendredi, avril 01, 2022

Je suis un p̶é̶d̶a̶g̶o̶g̶i̶s̶t̶e̶ troll...


Comme vous le savez peut-être, je quitte l’enseignement à la fin de l’année scolaire : l’heure de la retraite a sonné ! 

Cela aura forcément un impact sur mon activité dans les réseaux sociaux et sur mon militantisme associatif. Je m’exprimerai peut-être moins et de manière différente au fur et à mesure que le rapport au « terrain » s’éloignera. 

Mais je ne pouvais pas rester avec un poids sur la conscience : question de déontologie... 

La période est propice aux révélations : je suis un troll ! 

Et je dirais même plus : je suis un « hater »... J’ai créé des doubles maléfiques...

 

C’est la parution d’un film, l’an dernier, (qui n’a pas eu beaucoup de succès) et relatant un fait réel qui m’a confirmé que je n’étais pas le seul dans ce cas. Depuis 2016, j’ai donc créé plusieurs comptes sur Twitter. Ces « persona » incarnaient des profils d’anti-pédagogistes. Ils étaient chargés de m’attaquer et donc ainsi d’augmenter ma notoriété Car rassurez vous, je ne suis pas schizophrène (juste un peu masochiste, peut-être). L’utilité de ces comptes était bien réelle. Ils ont contribué  à booster mon audience sur Twitter. Je leur ai même consacré des billets de blogs pour donner encore plus de corps à cette réalité parallèle. 


La construction de ces doubles antinomiques m’a aussi permis de mieux comprendre la logique de la pensée « anti-pédago » et conservatrice. Ce fut un réel effort pour moi. Mais cela m’a permis d’affiner mon argumentation que l’on retrouve dans mon best-seller « Je suis un pédagogiste »

 

Parmi mes doubles maléfiques, celui qui m’a donné le plus de travail c’est Didier... 

Pour en faire un personnage crédible, il fallait aussi lui créer des amis et donner corps à cette hypothèse improbable. En effet, comment un personnage aussi méchant peut-il exister et avoir des amis ? 

Je vous rassure donc : Didier n’existe pas, une telle haine et une telle obsession ne peuvent être qu’une création de l’esprit !  

J’ai du passer beaucoup de temps sur les réseaux sociaux pour constituer des dossiers sur plusieurs camarades, faire des copies d’écran et archiver de vieux tweets... On se rend vite compte que tout ce temps passé sur les réseaux sociaux risque de vous faire perdre la raison et vivre dans une réalité alternative où chacun se répond et se donne l’illusion du nombre et de la puissance. 

C’est pourquoi il est temps de mettre fin à cette supercherie malsaine, c’est le jour approprié

Je conclurai donc cette confession par la phrase de mon maître à penser qui m’a servi de guide dans cette aventure sur les réseaux sociaux : « qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’important c’est qu’on parle de moi » Léon Zitrone. 


Ph. Watrelot

01/04/2022


Où se trouve l'appeau à trolls ? 



lundi, janvier 03, 2022

Les mots de l'éducation 2021

 

Cliquez pour agrandir

C’est donc la cinquième année que je propose cet exercice de rétrospective. Je demande aux personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) de donner trois mots pour caractériser l’année dans le domaine de l’éducation. J’ai eu près de 800 réponses et on aboutit à une récolte de 2130 mots. Je fais un petit travail de lissage et d’harmonisation en éliminant les différences entre pluriel et singulier (masque ou masques par ex.) ou encore les adjectifs et les noms (fatigant et fatigue par ex.). 

Après cette phase de réponses, les mots ou expressions sont passés à la moulinette d’une application permettant de fabriquer des « nuages de mots » plus ou moins gros selon leur fréquence.


Evidemment, cet exercice n’a aucune valeur scientifique. Cela dit, certains sondages présentés dans la presse n’en ont guère plus ! Quant à  la représentativité, elle n’est que celle des personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux (19 000 personnes sur Twitter et autant - ou les mêmes - sur Facebook). Ce sont majoritairement des enseignants et en tout cas des personnes qui s’intéressent à l’école et l’éducation puisque je pratique une « veille » sur l’actualité éducative en diffusant des articles de presse ou des billets de blogs sur ce sujet. 


Chaque année, on voit surgir le même reproche : ce n’est pas très positif ! Ma réponse est toujours la même. Ne confondez pas le messager et le message. Cet exercice avec ses défauts ne fait que refléter l’état d’esprit du moment d’une bonne partie du monde enseignant. Et j’ai un scoop : celui ci n’est pas bon. 

On pourra me rétorquer que ce n’est pas spécifique aux enseignants. La fatigue voire l’épuisement face à cette pandémie qui n’en finit pas, est un phénomène répandu dans toute la société. 

Mais il y a sans doute un sentiment d’abandon spécifique chez le personnel de l’éducation nationale. 

J’écris ces lignes alors que le Ministre vient de révéler dans la presse, un dimanche soir, les nouvelles dispositions à appliquer dès le lundi matin. Et celles-ci ne semblent faites que pour permettre de fermer le moins possible les classes et les écoles mais sans se préoccuper réellement de la protection des personnels. Le sentiment est très fort chez les enseignants d’être sacrifiés et de servir surtout de « garderie nationale » bien loin des discours grandiloquents sur l’«école ouverte» qui masquent mal l’impéritie ministérielle. 

On retrouve donc dans ce « nuage » (toxique ?) un grand nombre de mots liés à ce ressenti que je viens de décrire : mépris, abandon, maltraitance, et bien d’autres Beaucoup d’entre eux étaient déjà présents dans les collectes des années précédentes, en 2017 ; en 2018, en 2019en 2020... 

Car derrière la crise sanitaire, ce nuage de mots est aussi le résultat de cinq ans de gestion par le même ministre. Cette gouvernance se caractérise par la verticalité et une certaine arrogance technocratique avec une omniprésence médiatique qui joue l’opinion contre les enseignants. Le « prof bashing », la « manipulation » figurent parmi les griefs énoncés ici. 

Au delà, il y a encore un malaise plus profond qui est celui du déclassement. Celui-ci a évidemment à voir avec la rémunération comme plusieurs mots le rappellent, mais aussi avec la déconsidération et l’infantilisation. Ce n’est pas par hasard si le « mépris » arrive largement en tête. La question des démissions, de la perte de motivation et donc aussi des futurs recrutement est également à prendre en compte. 



Ces mots parlent d’eux mêmes et je ne vais donc pas m’engager ici dans une longue analyse. Pour conclure, je vais reprendre simplement ce que je formule dans mon livre : on ne réforme pas un système avec des personnes qui vont mal... Avant de penser l’École de demain, il faut déjà la panser... 

Cela passe par une réelle revalorisation et une gestion qui redonne du pouvoir d’agir et de la confiance (un mot bien galvaudé) aux enseignants. 

Alors que l’élection présidentielle se profile, tous les candidats devraient avoir cet impératif en tête. L’École telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, malgré le sens du service public des enseignants, est porteuse d’inégalités. Il y a une urgence sociale qui mérite bien mieux que les pauvres débats auxquels on assiste aujourd’hui. 

Il y a un petit « Espoir » caché au milieu de ce nuage, j’ai encore envie de croire à ce mot là... 



Je tiens à la disposition de tous ceux qui le souhaitent la liste complète des mots 






 
Licence Creative Commons
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.