samedi, septembre 29, 2018

Défendre les ESPÉ, oui, mais comment ?



Pour un réel bilan et un aggiornamento des ESPÉ

Non aux effets de yo-yo !
Jean Michel Blanquer semble vouloir aller vite sur la réforme de la formation. On s’achemine vers une réduction du nombre des Espé à 13 comme pour les académies. Les directeurs-trices ne seraient plus élus par leurs pairs mais désignés par le Ministre. Les écoles changeraient de nom pour devenir des Institut Nationaux Supérieurs du Professorat (INSP... ça sonne comme inspection). 
On voudrait donc « désuniversitariser » la formation initiale et redonner la main à l’État employeur (et à Jean-Michel plutôt qu’à Frédérique...).
Mais au delà du changement de nom et de gouvernance, il y a des choses bien plus inquiétantes dans la réforme qui s'annonce. D'abord JM Blanquer souhaiterait dissocier la formation des PE de celles des profs des lycées et collèges (PLC). Il y aurait aussi la volonté de confier la formation à des intervenants extérieurs : enseignants sur le terrain, universitaires et peut-être aussi les inspecteurs. Les INSP ne seraient plus alors que des coquilles vides. On envisage aussi une dissociation du concours : l'admissibilité en L3 et l'admission en M2. Et donc la fin des stagiaires avec un "apprentissage" moins rémunéré sur deux ans. 
Il y a matière à réfléchir sur le contenu et les modalités de la formation et discuter le projet qui se dessine sur le fond. Ici je voudrais surtout discuter d’une éventuelle mobilisation sur ce sujet. 


La formation ce n'est ni "sexy", ni mobilisateur... Et en plus les premiers concernés, les formateurs, auront du mal à mobiliser tant qu’ils n’auront pas intégré et discuté certaines critiques qui sont formulées

La formation n’a jamais fait partie des sujets "sexy" pour les journalistes. A part quelques journalistes spécialisés qui feront les bons articles, je fais le pari que ça ne dépassera pas ce stade et qu'on aura peu d'échos dans la presse généraliste. 
Ca n'intéresse malheureusement pas l'opinion et en plus les enjeux sont complexes avec des sigles bizarres (la plupart des gens viennent à peine d'intégrer le sigle IUFM à leur vocabulaire ! ). 

Ca risque de ne pas être mobilisateur, non plus, chez les enseignants. Les questions de formation ne passionnent pas les collègues qui tiennent souvent (pas tous) un discours très proche du sens commun et considèrent que le "terrain" est bien suffisant. 
Sans rentrer dans le détail de l'arguumentation, la conception de la formation rentre en effet en collision avec deux caractéristiques de l'identité enseignante qu'on retrouve dans les discours des collègues en salle des profs. 
- l'identité des profs des lycées et collèges est fondée sur la discipline d'enseignement. Donc toute la formation "transversale" est perçue comme inutile et une perte de temps. 
 - le métier est vécu comme un métier individuel (voire individualiste) et fondé sur la liberté. Beaucoup de pratiques de formation sont alors perçues comme des entraves à cette liberté pédagogique et des tentatives d'imposition d'une "doxa" ou même un "formatage".  

Les premiers concernés, c'est-à-dire les personnels des ESPÉ, parviendront-ils à mobiliser.  J'espère me tromper, mais si je m'appuie sur ce que j'ai vu et entendu dans les assemblées générales et lu dans les documents syndicaux, c'est mal parti...
 Si on s'en tient à une défense corporatiste des postes des formateurs, c'est mort d'avance. Qui va prendre leur défense? Je crois avoir donné la réponse plus haut : personne ou en tout cas pas grand monde. Car les formateurs ne sont pas exempts de critiques et feraient bien d'intégrer celles ci dans le bilan nécessaire des ESPÉ, j'y reviens un peu plus bas. 
De même si on s'en tient à une crispation sur la défense du dispositif de formation actuel. Dans les discussions internes, on ne trouvera pas grand monde pour défendre la place actuelle du concours en fin de M1. On convient tous que c'est un compromis boiteux qui ne satisfait personne. Quant à la place de l'université, là aussi, il y a beaucoup à dire. J'attends toujours la preuve que cette gestion complexe par les universités et les Etablissement améliore la formation. Et j'ai des doutes sur l'effet de la présence de plus d'universitaires sur la qualité de la formation. 
Il faudrait donc faire des propositions et un réel bilan de la formation. 

Revenons sur le cas des formateurs. On va m'accuser de "cracher dans la soupe", mais tant pis... J'ai écrit que "formateur" et "prof" étaient deux métiers différents. Mais je crois aussi que l'un doit nourrir l'autre par l'alternance (simultanée ou successive), c'est une question de légitimité, de cohérence et un impératif en termes de modestie... Je raconte souvent cette anecdote. Il y a quelques années à la fête de fin d'année de l'ESPÉ nous avons fêté le départ en retraite d'une collègue formatrice qui avait commencé sa carrière dans ces mêmes lieux du temps de l'École Normale. « Toute sa carrière» Est-ce normal ? je ne pense pas... 
Je ne dis pas que tout le monde devrait être, comme moi, en temps partagé (ou alors il faut me faire boire...!) mais je pense qu’il serait nécessaire qu’il y en ait plus (+) et qu’on crée de meilleures conditions pour cette alternance simultanée. Et puis je continue à penser que formateur ne peut pas être non plus un métier « à vie ». Plus que la perte du contact avec le terrain que peut un peu compenser les visites, c’est aussi une nécessité pour maintenir une certaine "modestie" dans son action. Car la critique formulée par les stagiaires sur des formateurs trop prescriptifs ou s’érigeant en « juges » d’une certaine conformité ne résiste pas bien longtemps à cet aller-retour avec la réalité de la classe. 
Les ESPÉ aujourd’hui ce sont aussi des universitaires : maitres de conf’, profs d’université et chercheurs, etc. J’ai beaucoup écrit sur le nécessaire lien de l’enseignement avec la recherche. Mais disons le clairement, ce lien est faible aujourd’hui. La recherche est trop souvent hors-sol et sans lien direct avec les établissements et en soutien à ce que peuvent faire des équipes sur le terrain. Mais cela tient surtout au fait qu’un bon nombre de ces collègues universitaires ont « atterri » dans les ESPÉ parce qu’il y avait des postes (rares ailleurs) et sans qu’ils aient une appétence particulière pour la pédagogie ni même pour la didactique... 
Pédagogie vs Didactique. Blanquer a tort de penser que les ESPÉ sont un repaire de « pédagogistes», on y trouve surtout des didacticiens. C’est-à-dire des spécialistes de l’enseignement d’une discipline. C’est évidemment utile voire indispensable. Mais la réflexion globale que représente la pédagogie est finalement assez marginale chez mes collègues formateurs. Elle est cantonnée aux « formations transversales » et autres « tronc commun » souvent assurées par des enseignants pour compléter leur services. Cette  formation mériterait d'être revisitée et améliorée.  


Pour finir provisoirement, je voudrais insister sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Quand on parcourt les salles d’un ESPÉ aujourd’hui, bien souvent on retrouve des images qui semblent les mêmes que celles d’une École Normale autrefois. Des tables et des chaises alignées face à un enseignant qui fait son cours. Seul le diaporama ajoute un peu de modernité... 
La question que je pose sans cesse est celle du principe d’isomorphisme : on enseigne comme on a été formé. Si les stagiaires subissent essentiellement des cours magistraux comment s’étonner de la permanence de cette forme scolaire avec les élèves ? Le rôle de la formation c'est de faire vivre des situations de formation et des dispositifs variés pour que chacun puisse les expérimenter assez tôt.
Quelle pédagogie pour la formation ?  Qui formera les formateurs ? 
J’ai assuré quelques formations de formateurs à l’IUFM-ESPÉ et à chaque fois j’ai été étonné de la surprise de mes collègues quand je leur proposais des dispositifs qui sortaient un peu de l’ordinaire. J’étais étonné qu’ils ne les connaissent pas alors qu’ils font partie du bagage de base des formateurs qui interviennent dans l’éducation populaire et les mouvements pédagogiques dont je suis issu. Tout ce que j’ai appris sur la pédagogie de la formation, c’est aux associations que je le dois. 


Pour conclure, même si je suis inquiet sur la réforme de la formation que nous prépare, pour de mauvaises raisons d’économies budgétaires Jean Michel Blanquer, je suis convaincu que l’on ne pourra pas défendre le beau principe « enseigner est un métier qui s’apprend » sans faire un aggiornamento des formateurs. 
En revanche, tant qu'on en restera à une défense corporatiste et crispée et qu'au nom de l'urgence on évitera d’entendre les critiques et de se poser des questions sur la finalité de la formation et sur ce qu'on veut promouvoir, Blanquer pourra faire plus ou moins ce qu'il veut et on enterrera bien vite les ESPÉ, tout comme on l'a fait avec les IUFM sans en faire de réel et honnête bilan.

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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

mercredi, septembre 19, 2018

« Les 60.000 postes n'ont jamais existé »



«Les 60.000 postes n'ont jamais existé ».
deux exemples de Tweets (anonymés par mes soins)
C’est cette affirmation faite à plusieurs reprises sur Twitter qui m’a donné envie d’écrire ce texte. Cette assertion surprenante et péremptoire venait après des échanges (que je n’ose qualifier de « débats ») à la suite d’une réaction (un peu provocatrice j’en conviens) de ma part à un commentaire comparant l’annonce des 1800 suppressions de postes par le ministre de l’éducation à la logique à l’œuvre durant “Collège2016” et le quinquennat précédent. Pour beaucoup d'intervenants, c'était pareil...
On peut retrouver tous ces échanges, ainsi que les invitations me demandant « de la fermer » accompagnées de quelques noms d’oiseaux, sur Twitter
«Les 60.000 postes n'ont jamais existé ». En lisant cela, je me suis rappelé de ce que les psychologues appellent la "dissonance cognitive" (Leon Festinger). Selon le paradigme de la "persistance des croyances réfutées", « la dissonance survient quand les personnes sont confrontées à une information qui n'est pas cohérente avec leurs croyances. Si la dissonance n'est pas réduite en changeant sa propre croyance, elle peut avoir pour effet la restauration de la cohérence au moyen d'une perception erronée de cette information non cohérente, du rejet ou de la réfutation de cette information, en recherchant le soutien d'autres personnes qui partagent les mêmes croyances, et en tentant d'en persuader les autres »
Ici, on est dans une double dissonance.

D'abord, par rapport à l'action syndicale et revendicative. Celle ci dans l'esprit de beaucoup et conformément à un "imaginaire prolétarien" ne peut être que dans l'opposition face à un "méchant patron" (ici l'État et par extension tous ses représentants inspecteurs, proviseurs, etc). Dans cette perspective , l'idée même qu'il puisse y avoir des personnes favorables à l'esprit d'une réforme tout en souhaitant l'améliorer, échappe à ce schéma de pensée sauf à considérer ceux ci comme des "jaunes" ou des "traitres" voire des abrutis n'ayant pas vu les intentions cachées.
Ensuite par rapport à l'analyse des politiques menées. Les "socialistes" au pouvoir entre 2012 et 2017 sont considérés comme des néo-libéraux ayant renié leurs idéaux et toute la politique est à rejeter en bloc. Je suis loin, sur un plan personnel, d’approuver toutes les mesures prises et je suis même très critique sur le tournant dans la politique économique et la faiblesse des décisions prises sur le plan écologique. Mais je considère que la politique menée dans le domaine de l’éducation allait dans le bon sens (même s’il y avait des critiques à formuler) . Et je pense donc qu’on peut approuver certains aspects d’une politique tout en en critiquant d’autres. 
Cela est visiblement impossible pour d’autres. Et pour faire rentrer cela dans un schéma de pensée, il faut alors voir la politique éducative dans son ensemble comme une politique « libérale » et de destruction de l’École. Quitte à nier des faits tels que la (re)création des postes ou le rétablissement de la formation initiale pour que cela soit cohérent et ne rentre pas en “dissonance”...


On pourrait aussi rajouter une troisième “dissonance”, même si ce n’est pas ici le terme le plus approprié et qu’elle est beaucoup plus légitime. C’est le décalage entre le vécu individuel et l’analyse plus globale. C’est d’ailleurs ce qui est présent dans le reproche qui est fait souvent à ceux qui ne pensent pas pareil, de « ne pas être sur le terrain ». 
Je l’ai écrit à plusieurs reprises, les (re)créations de postes (dont je maintiens qu’elles ont existé, même si ce n’était pas forcément 60 000 !) ne se sont que très peu vues dans les classes et les établissements et donc dans le quotidien des collègues. Comment croire à leur réalité et voir une amélioration si on s’en tient à son vécu ? 
Le ressenti c’est aussi dans le fait que les réformes et notamment celle du collège se sont faites dans un timing déplorable (tout en même temps) et avec une technostructure qui reproduisait ses mauvaises habitudes d’injonctions verticales. La brutalité de l’annonce de la promulgation du projet par Manuel Valls le soir même d’une grève d’une partie des enseignants a été également durement ressentie. 
Enfin et surtout, ces évolutions ont été perçues et vécues par des enseignants de plusieurs disciplines (LCA, allemand,...) comme une remise en cause de leur identité professionnelle et une dégradation de leurs conditions de travail. Là aussi, il est alors difficile de percevoir une réforme comme « allant dans le bon sens » si on s’en tient à cette dimension essentielle et dans un contexte plus général de sentiment de déclassement et de dégradation du niveau de vie. 
La manière dont les personnels vivent et ressentent les réformes, c’est important. Et malheureusement, l’expérience prouve que c’est rarement pris en compte...

Il y a aussi des conceptions pédagogiques différentes... Les réformes venaient se heurter à une conception relativement individuelle (voire individualiste) du métier et à une approche essentiellement centrée sur l’aspect disciplinaire. “Obliger” des pourtant fonctionnaires à travailler en équipe était perçu comme une intrusion dans la sphère privée et une remise en cause de la « liberté pédagogique ». Faire des travaux interdisciplinaires a été vu comme une soustraction des heures disciplinaires. 
Toutes ces critiques sont légitimes. On a évidemment le droit (et même le devoir) de discuter de pédagogie et de s’interroger collectivement sur les meilleures manières de faire apprendre et progresser les élèves. Ah, si on parlait plus pédagogie en salle des profs et si on redonnait toute sa place à la "dispute" ! 
Ce que je regrette, c’est que bien souvent, on a masqué ces questions pédagogiques derrière des postures politiques. On m’a beaucoup reproché le terme que j’ai utilisé plusieurs fois de « gaucho-conservatisme » pour désigner ceux qui combinaient un discours très radical de changement social avec des positions conservatrices sur le plan de la pédagogie. L’attente du « grand soir » est souvent (pas toujours...) une forme de procrastination pour éviter de faire évoluer ses pratiques, ici et maintenant. Considérer que l’École n’est que le réceptacle d’inégalités qui se sont formées ailleurs est souvent (pas toujours…) une manière de dédouaner l’institution scolaire de la nécessité de changer. Or, on peut vouloir à la fois changer l’École pour changer la société et changer la société pour changer l’École....


En relisant ce texte, je me rends compte de ce qu’une lecture mal intentionnée pourrait en retenir. Je fournis donc les contre-arguments...

• D’abord, on peut me reprocher un discours « surplombant ». 
Pour ma part, je pense que tout acteur social doit avoir la possibilité de penser son métier et l’évolution de l’institution dans laquelle il travaille. C’est ce qui explique mon engagement militant dans un mouvement pédagogique et mes prises de positions rendues possibles par la réflexion collective.

• Il est facile de passer du « surplomb » au « mépris ». C’est presque devenu un réflexe rhétorique. On invoque le « mépris » ressenti à tout bout de champ. Et au final ça empêche de penser. 
Je réponds habituellement à cela en deux temps. D’abord se sent « méprisé » qui veut bien l’être. Personnellement je ne me sens pas méprisé quand j’entends des critiques de l’École (avec un grand “E” pour signifier qu’il s’agit de l’institution). L’étude et l’enseignement de la sociologie m’ont appris à distinguer les individus et la structure dans laquelle ils évoluent. L’École ne se réduit pas aux enseignants et ceux-ci font bien leur travail dans un système qui dysfonctionne. Il faudrait parvenir à ne pas prendre « pour soi » toute analyse critique du système éducatif.

• On peut aussi se dire que ce texte « refait le match » d’une période révolue. 
Pourquoi ressasser ces vieux débats ? Pourquoi rouvrir des cicatrices alors que l’urgence est de se battre « tous ensemble, tous ensemble» contre la politique d’austérité du gouvernement et la politique éducative de Jean-Michel Blanquer. 
D’abord parce que ces débats ne sont pas si vieux que cela. La meilleure preuve en est que le traumatisme de « collège2016 » est encore très présent dans les interpellations et autres anathèmes sur les réseaux sociaux. 
Pour ma part, je ne me résigne pas à ce qu’on me dise que la politique éducative précédente a été globalement néfaste même s’il est évidement nécessaire d’en faire une analyse critique (je l’ai faite dans une série de 3 articles sur mon blog). Considérer que Blanquer et Vallaud-Belkacem c’est « blanc bonnet et bonnet blanc » (Jacques Duclos, sors de ce corps ! ) est une affirmation qui me semble manquer du plus élémentaire sens de la nuance à toute analyse rigoureuse. 
Tout comme c’est le cas, lorsqu’on affirme que « les 60 000 postes n’ont jamais existé».
On a l’impression d’être dans ce qui relève d’une « vérité alternative » pour reprendre un vocabulaire utilisé par les occupants actuels de la Maison Blanche.

L’appel à un « front uni » face à la politique de Blanquer me semble malheureusement illusoire ou en tout cas difficile tant qu’on reste avec ces débats en suspens... 
Au delà des revendications qualitatives (postes, salaires, pouvoir d’achat) et de la dénonciation du double langage du ministre, il faudrait dépasser les postures et construire une alternative qui sorte des antagonismes précédents et qui pose clairement la question des finalités que l’on veut assigner à l’École, des valeurs que l’on veut promouvoir et donc de la pédagogie...

Philippe Watrelot
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vendredi, septembre 14, 2018

L'école de la méfiance



« L’école de la confiance » est devenu le leitmotiv des innombrables interviews de Jean-Michel Blanquer. Mais, au delà de la déferlante médiatique, il est légitime de s’interroger sur la réalité de ce slogan facile. Car, au final, Jean-Michel Blanquer ne semble faire confiance qu’à lui même !
La majeure partie des annonces et décisions prises relèvent de l’idéologie bien plus que d’un prétendu pragmatisme ou de l’alibi de la science. Et beaucoup d’entre elles n’ont pour but que d’annuler méthodiquement les mesures prises par le précédent gouvernement. La communication et le populisme éducatif semblent aussi tenir lieu de stratégie pour une politique dont on commence à percevoir les enjeux.
L’invocation du « mérite » masque mal, en effet, une politique individualiste et libérale qui oublie comment se construisent et se reproduisent les inégalités sociales.
Bien sûr, il y a les CP dédoublés... Mais cet arbre cache mal la forêt des économies réalisées ou à venir dans de nombreux domaines. L’extension de cette mesure met aussi à jour l’impréparation et le manque de moyens dans la mise en œuvre des rares et disparates promesses électorales.

• Comment construire la confiance quand on voit que les décisions sont avant tout dictées par un impératif budgétaire et comptable ? 
• Comment construire la confiance quand les corps intermédiaires (syndicats, associations,...) sont ignorés par le pouvoir en place ?
• Comment construire la confiance quand les décisions sont élaborées par quelques « sachants » dans une pure logique technocratique ?
• Comment construire l’école de la confiance quand le ministre cherche le clivage et utilise le terme péjoratif de "pédagogistes" pour désigner ceux qui sont pourtant les plus favorables à la nécessaire évolution du système éducatif ?
• Comment construire la confiance chez les enseignants quand la logique du « control-z » conduit à l’attentisme et au cynisme en laissant penser qu’il est vain de s’investir dans des dispositifs qui ne dureront pas ?
• Comment construire la confiance quand on inonde les enseignants de vade-mecum qui sont autant de directives niant l’expertise des professeurs ?
Un dessin de Charb en 2007

Il faut refuser cette logique de clan et les caricatures qui sont à l’œuvre. On ne peut que déplorer  que la politique éducative soit soumise à la démagogie et aux mouvements de yo-yo. Le temps de l’éducation n’est pas celui du politique et l’École a besoin de continuité de l’action au service d’une véritable lutte contre les inégalités. 
Il est temps que les enseignants, tous les pédagogues sortent de la sidération pour construire une riposte.
C’est l’urgence de la situation que nous rappellent toutes les enquêtes et études internationales qui me fait réagir. Il faut une réponse éducative à la hauteur des enjeux ! 


Philippe Watrelot

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mardi, septembre 04, 2018

Les marronniers que l’on a relancé(s)


L'actualité éducative est très répétitive. Dans une année normale, on parle de l'École à la rentrée et puis au moment du bac. C'est ce que les journalistes appellent un "marronnier". 
 Mais il y a aussi des marronniers à l'intérieur du marronnier. Des polémiques reviennent de manière récurrente. A tel point qu'on pourrait ressortir pratiquement les mêmes articles, les mêmes arguments que ceux qu'on utilisait précédemment.
Cette année est particulièrement riche en polémiques inutiles. Et le développement des réseaux sociaux n'arrange rien, bien au contraire. 

D'abord, on a le retour de la rumeur de l'éducation sexuelle et des "cours de masturbation" qui nous rappelle 2013 et les "journées de retrait de l'école". Ce sont les mêmes à la manœuvre. Avec la même volonté de détruire le lien entre les familles et l’École. 

Et puis, voici venir la traditionnelle polémique sur l'orthographe ou la grammaire... Rappelez vous, on s'est déjà écharpé sur l'abandon du circonflexe et ensuite sur le prédicat. 
Cette année, nous avons un concurrent sérieux avec l'accord du participe passé. Libération a publié, il y a quelques jours une tribune de deux enseignants belges wallons proposant d'abandonner la règle d'accord. Et tous les médias ou presque, comme des morts de faim, se précipitent sur cet os à ronger. Voici que Le Monde reprend l’info, les radios en parlent. On peut s’attendre à voir des débats entre les « Pour » et les « anti » dans les colonnes et sur les plateaux télés. Les éditorialistes qui ont un avis sur tout vont s’en mêler. Et le Ministre interviendra pour tirer les marrons (ah ah !)  du feu... On parie ? 

Il faut dire que la recette est facile à cuisiner. 
Prenez un sujet sur lequel tous les 67 millions d’“experts” de l’École peuvent avoir un avis. Qui n’a pas eu à batailler avec cette règle durant sa scolarité et dans ses écrits au quotidien ? 
Pour l’assaisonner, faites revenir des morceaux de nostalgie (ah, l'école d'antan...) et un soupçon d’identité nationale (comment ? des belges voudraient nous dicter nos règles ?). 
Rajoutez enfin une bonne rasade de débat Pédago/Républicains de 30 ans d’âge avec des senteurs de « laxisme » et de « nivokibess ». Vous pouvez aussi utiliser le « pédagogisme » plus récent, mais au goût plus fort. 
 On a là tous les ingrédients d’une polémique bien française sur l’éducation. Celle ci est encore amplifiée par les réseaux sociaux où règne l’indignation permanente et sur-jouée. 


Est-ce que ça fait avancer la réflexion sur l’École ? La réponse est Non. Je pense même qu’au contraire, ça la fait régresser. 
Je dis à mes amis « pédagos » que l’on n’a rien à gagner dans ce débat qui nous fait perdre du temps et de l’énergie (la preuve avec celui que je perds en écrivant ce billet !) et nous détourne de l’essentiel.
 Car pendant ce temps là, des questions bien plus graves mériteraient d’être posées et débattues. Comment voulons nous que les élèves apprennent ? Quelle place pour l’expertise des enseignants dans l’élaboration de leurs pédagogies ? Quelle école voulons nous ? Comment lutter efficacement contre les inégalités dans et avec l’École ? Comment préserver l’École publique contre à la fois la marchandisation mais aussi les crispations et les conservatismes ? 
Bien loin de l’inanité du débat qui s’annonce, ce sont ces questions là qui mériteraient d’être posé(es) et débattu(es) !

Philippe Watrelot

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