Cela fait 16 ans que je suis formateur en temps partagé à l’IUFM d’abord et à l’ESPÉ ensuite et aujourd’hui l’INSPÉ. Et c’est ma dernière année…
Je voudrais essayer ici d’expliquer pourquoi j’ai exercé avec passion cette fonction de formateur et ce que j’ai essayé de transmettre. Et donc faire ainsi le portrait de l’enseignant.e de demain.
Le/la collègue que j'apprécie (car ils sont nombreux), que j’aimerais ou aurais aimé avoir et que j’essaye de former, il/elle serait…
Professionnel
Ça semble une évidence. On ne cesse de répéter qu’ « enseigner est un métier qui s’apprend ». Les futurs enseignants sont dorénavant formés dans des “masters des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation”. Pourtant, cela ne va pas de soi. Sans rentrer dans les débats un peu byzantins des spécialistes sur la différence entre métier et profession, on peut dire simplement qu’être professionnel, ça suppose déjà qu’on soit capable de faire la différence entre sa personne et sa pratique. Il est vrai que cela est plus difficile lorsqu’on exerce comme c’est notre cas, un métier de la relation humaine. Mais trop souvent, les enseignants ont du mal à faire la distinction et cela aboutit à une réelle difficulté à prendre du recul et peut conduire aussi à un mal-être.
Un professionnel c’est quelqu’un qui est capable de comprendre que la situation difficile qu’il vient de vivre avec une classe n’est pas forcément une remise en cause personnelle. Lorsqu’un élève vous répond ou est agressif ce n’est pas forcément à vous en tant que personne que ça s’adresse mais au représentant de l’institution que vous êtes.
La professionnalité c’est aussi être capable de questionner ses gestes professionnels et d’accepter un regard critique sans le prendre comme une attaque.
En bref, même si la passion a à voir avec notre métier, y mettre un peu moins d’“intime” est utile à tous et y compris aux élèves. Et peut-être même y rajouter une pincée d’humour.
Empathique
Attention. Empathique ne veut pas forcément dire sympathique ! L’enseignant a un devoir d’empathie à l’égard de ses élèves. En formation, je cite très souvent cette phrase de Gaston Bachelard : “rien de pire que celui qui ne peut pas comprendre qu’on ne peut pas comprendre” et je rajoute qu’un bon enseignant c’est celui qui est capable de se souvenir des moments où il a été en difficulté. Le problème c’est que nous sommes bien souvent d’anciens bons élèves…
L’empathie est pourtant nécessaire dès l’instant où on se situe comme un spécialiste du “faire apprendre” et pas seulement comme un “transmetteur”. Si l’on veut accompagner les élèves sur la voie des apprentissages, il nous faut tenter de comprendre où ça bloque et proposer des solutions. Même si nous ne sommes pas télépathes !
“Avant de t’indigner, rappelle toi ce dont tu étais capable à leur âge” cette citation de Fernand Deligny (Graine de crapule, 1949) est une autre de mes phrases fétiches. Elle nous rappelle que nous travaillons avec des enfants ou des adolescents et tous leurs excès, leurs contradictions et leurs potentialités. Cela ne signifie pas qu’il faille tout excuser ou sombrer dans le laxisme. Mais qu’avant de juger de manière définitive, il faut relativiser et faire preuve d’une certaine indulgence et d’une confiance dans leurs potentialités. Tout en leur fournissant un cadre et des repères.
Cohérent
“Dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit”, ce pourrait être une des règles d’or de ce métier. La cohérence et la prévisibilité s’expriment d’abord dans la gestion de la classe. Lorsqu’on les interroge comme je l’ai fait, sur leur définition d’un “bon prof”, les élèves mettent souvent en avant le fait d’être “réglo”, c’est à dire de tenir ses engagements, d’être juste et équitable et d’être garant des règles. C’est la construction de ce cadre qui permet d’apprendre en sécurité et de grandir.
Mais la cohérence peut aussi s’exprimer autrement. Trop souvent, on note un décalage entre les valeurs exprimées dans les discours qu’on peut tenir et les actes pédagogiques eux mêmes. On peut prôner l’autonomie des élèves ou la réussite de tous et construire des dispositifs contraignants et discriminants ! Il importe donc dans la formation et tout au long de l’exercice de son métier de réfléchir sur ses pratiques et clarifier ses valeurs.
Innovant
Voilà un mot piégé. On met l’innovation à toutes les sauces et on lui fait dire tout et son contraire. Un collègue innovant ce serait d’abord un collègue qui considère que rien n’est jamais acquis et qui est capable de se remettre en question.
On assimile souvent l’enseignant innovant à un “rebelle” qui va lutter contre une administration forcément hostile et conservatrice. Or, innover ça peut être tout simplement vraiment appliquer les textes ! La déviance se situe alors plus par rapport à un conformisme ambiant et des normes non écrites qu’à des textes. Innover, nous le savons bien aux Cahiers Pédagogiques, c’est peut-être d’abord utiliser les marges de manœuvre disponibles et évoluer dans les interstices des textes et des procédures.
Innover c’est d’abord “s’autoriser”, car les barrières sont bien souvent celles de nos propres routines et nos représentations.
“Collectif”
Notre métier est marqué par l’individualisme et un exercice “libéral” de la profession. Or, pour innover durablement et efficacement, c’est mieux à plusieurs. Un bon enseignant seul contre tous, ça n’existe pas. Ou, en tout cas, pas longtemps…
Mon collègue idéal, c’est donc un professeur qui a appris à travailler avec les autres, qui est capable d’ouvrir la porte de sa classe à d’autres (collègues ou stagiaires), qui sait que pour construire des dispositifs ou des évaluations ou tout simplement faire le point il faut se parler et se mettre autour d’une table. Et qui sait que la “réunionite” n’est pas une fatalité dès l’instant où on a acquis des techniques d’animation.
Jouer collectif c’est aussi considérer les personnels de direction (ou même les inspecteurs) avant tout comme des collègues plutôt que comme des “patrons” et des ennemis potentiels. Et c’est aussi savoir construire des partenariats avec les autres acteurs de la vie de l’élève. Et faire alliance avec les parents plutôt que de les considérer comme des coupables ou des accusateurs dont il faudrait se méfier.
Éducateur
Encore un mot piégé… Bien sûr, être enseignant c’est une question de savoirs à faire acquérir aux élèves. Mais on sait bien que c’est aussi et d’abord une relation à établir avec des jeunes. Et qu’à travers son action on transmet des valeurs et des modèles. Il ne s’agit donc pas de raisonner de manière binaire en opposant “enseignement” et “éducation” mais de travailler en tension ces deux dimensions indissociables de notre métier. Et d’assumer cette double exigence.
Se définir comme un éducateur, cela suppose donc de ne pas considérer comme secondaire ou méprisable toutes les autres dimensions de la vie d’un établissement scolaire. Mais au contraire d’en assumer sa part en tant que membre de ce qui s’appelle justement la “communauté éducative”
Dans la formation des professeurs du secondaire, même si celle-ci évolue, on reste encore trop dans une référence (voire une “révérence”) aux savoirs savants et aux disciplines. Dans les dernières enquêtes réalisées sur l’identité professionnelle, les enseignants interrogés déclarent à près de 60% l’être devenus “par amour de la discipline”. C’est donc une composante forte qu’il ne s’agit pas de nier. Mais il ne faut pas non plus tomber dans une sorte d’ethnocentrisme voire même de messianisme disciplinaire : « Hors de ma discipline et de son apport fondamental, point de salut ! »
Un peu de modestie et de coopération s’impose. Mon collègue idéal c’est donc celui qui est capable de prendre du recul par rapport à sa propre discipline d’enseignement tout en maîtrisant la didactique et même son épistémologie. C’est celui qui se demande comment, avec les apports de sa matière, il peut construire des compétences en partie spécifiques et en partie partagées avec d’autres enseignements. On peut être passionné par ce qu’on enseigne mais voir un peu plus loin que le petit bout de sa discipline !
Optimiste
Cette passion est aussi un moteur de l’apprentissage. Car la motivation (des élèves et la nôtre aussi) passe par la capacité à créer du plaisir à apprendre et à transmettre la “saveur des savoirs” pour reprendre la belle expression de Jean-Pierre Astolfi. Dans la formation, tout en préparant les futurs enseignants à l’éventualité que ce qu’ils vont proposer ne va pas séduire tous les élèves, il importe de les faire réfléchir à cette dimension du plaisir et donc à la question du sens de ce que l’on enseigne.
Pour un enseignant, ne pas être optimiste est presque une faute professionnelle. Le philosophe Alain déclarait que « l’on ne peut instruire sans supposer toute l’intelligence possible dans un marmot ». Célestin Freinet, quant à lui, finissait sa liste des invariants pédagogiques par celui qui justifie toute notre action “l'optimiste espoir en la vie”. L’optimisme est la croyance, à la fois modeste et ambitieuse, que notre action peut avoir un effet et faire progresser les élèves. C’est un optimisme tempéré car cela ne peut se faire sans l’adhésion des élèves et en luttant contre un très grand nombre de contraintes. Mais comment peut-on faire ce métier si l’on pense que ce que l’on fait ne sert à rien et n’a aucun effet ?
Le cynisme tout comme la déploration et le fatalisme sont des formes de protection que développent de nombreux enseignants.
Ma crainte est que les enseignants que j’accueille, que je visite et que je contribue à former y succombent. Ils me disent d’ailleurs souvent que c’est cela qui les frappe le plus dans les salles des profs. “Ceux qui sont revenus de tout sans même y être allés” (Philippe Meirieu) sont souvent ceux qui accumulent les critiques et préalables à toute action de transformation de l’École. Pour cela, il faut bien sûr que le système éducatif soit moins infantilisant.
Mais il faut surtout que les enseignants, mes collègues, s’“autorisent” à explorer les marges de manœuvre, à sortir de l’intime de la classe, à travailler en équipe,…
Et surtout : ne jamais cesser de se poser des questions. Face à ceux qui sont emplis de certitudes si c’était cela la définition du pédagogue ?
Philippe Watrelot
Ce billet de blog est l’actualisation d’un article paru dans le numéro 514 des Cahiers Pédagogiques « Enseignant : un métier qui bouge » en juin 2014