A la fin du mois de juillet, le ministère de l’Education publie sur son site un « guide sanitaire » pour la rentrée 2020. Dans la torpeur de l’été, cette publication passe un peu inaperçue (en « catimini » titrera le Monde) jusqu’à ce que la presse et une bonne partie des enseignants s’en rendent compte au milieu du mois d’aout.
Que dit ce document ? Il assouplit la règle de distanciation physique « lorsqu’elle n’est pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves ». Les adultes (hormis les enseignants de maternelle) et les enfants de plus de 11 ans sont soumis au port du masque dans les espaces communs. Mais pour les enfants il n’est obligatoire en classe que lorsque « la distanciation d’un mètre ne peut être garantie ». Par ailleurs, le protocole du 20 juillet met fin à la limitation du brassage entre groupes d’élèves, très contraignante pour l’organisation scolaire. Tous les enfants peuvent être en récréation et rentrer dans leur établissement en même temps.
A la mi-août c’est pas fantastique
Depuis la publication discrète de ce document, le ministre a peu communiqué sur ce sujet. Il a cependant indiqué qu’il y aurait une réévaluation de la situation avant la rentrée et qu’il prendrait la parole le 26 août. On l’a surtout vu dans son rôle de ministre de la jeunesse faire du volley, du base ball, commenter la victoire du PSG et autres activités...
Mais alors que la rentrée se rapprochait, la situation sanitaire s'est dégradée. Le nombre de contaminations augmente de nouveau. Les règles très assouplies du début des vacances sont-elles toujours pertinentes ?
De son côté, la ministre du travail vient, en concertation avec les partenaires sociaux, de demander le port systématique du masque dans les entreprises car la plupart des nouveaux clusters s’y trouvent.
Or, qu’est ce qu’une salle de classe de moins de 50 mètres carrés avec une trentaine (ou plus) de personnes, sinon un cluster en puissance ?
Dans ce contexte, une prise de parole tardive du ministre devenait de plus en plus incompréhensible. Il s’est donc exprimé dans le Journal de France2 du jeudi 20 août. La seule annonce véritable concerne le port du masque pour tous et tout le temps à partir de 11 ans. Mais il maintient le dispositif de juillet en répétant que « tout est prêt ».Pourtant, il reste bien des incertitudes après cette interview. Et le protocole de juillet mériterait d’être réécrit et précisé pour rassurer non seulement les parents mais aussi les professeurs.
Congés et vacances
Les enseignants, après avoir pris des congés semblables à tous les salariés, profitent en effet de la fin des vacances des élèves pour préparer leur année scolaire. Certain.e.s., je peux en témoigner, sont déjà retourné.e.s dans leur école et leur salle de classe pour installer leur matériel. Et tous, dans le primaire comme dans le secondaire, préparent leur cours. D’autant plus que les programmes, pour certaines matières en primaire et au collège, ont été modifiés au cours du mois de juillet !
Et les questions qu’ils se posent n’ont toujours pas de réponses.
Comment faire cours ? Quelles activités, quels dispositifs, puis-je construire pour faire apprendre mes élèves ? Avec quels supports ? Toutes ces questions, les enseignants se les posent chaque année. Mais elles prennent un sens particulier dans l’incertitude de cette rentrée.
A moins d’une semaine de la rentrée, nous nous préparons sans savoir si une partie se fera en distanciel ou en présentiel ou (mot à la mode) en « hybride »... Quelle sera l’organisation de la semaine, avec quels horaires ? De quelles salles disposerons-nous et donc de quel matériel ? Quelles seront les consignes précises et notamment sur les distances et les effectifs ? Devrons-nous nous interdire certaines formes de travail ? Les programmes seront-ils allégés ? ...
Plus largement : Comment l’école peut-elle accueillir chacun tout en garantissant la sécurité de tous ? Comment garantir la justice sociale et sanitaire si on ne permet pas l’accès à des masques gratuits pour les élèves ?
Et bien d’autres questions encore...
Prof bashing
Il serait tentant pour des personnes jugeant rapidement (espèce très répandue dans les réseaux sociaux) de conclure de cette liste de questions que les profs sont des peureux qui procrastinent, ergotent et coupent les cheveux en quatre. Même si cette caricature pourrait bien arranger la communication du ministre, Il n’en est rien.
Et je suis sûr que la plupart des personnes apprécient de travailler dans un cadre relativement stable et avec des conditions de travail bien définies. Les enseignants ont envie de reprendre et de (re)voir leurs élèves. Mais ils aimeraient savoir comment cela va se passer pour bien s’y préparer. Et si en plus, ils pouvaient se concerter avec leurs collègues ce serait encore mieux !
Le prof bashing est une facilité dont usent et abusent certains médias pour masquer le vrai problème de lgouvernance verticale de l’éducation nationale.
Diplodocus
Tout le monde se souvient du terme « mammouth » créé par Claude Allègre. Mais cette image ne désignait pas dans l’esprit bouillonnant du ministre provocateur, l’ensemble du système éducatif mais plus précisément son administration centrale.
L’image la plus appropriée pour caractériser la chaîne de décisions aurait été plutôt celle du diplodocus. Selon les spécialistes, la distance entre son cerveau et ses membres inférieurs (7 mètres !) conduisait à un temps de réponse très long et qui pouvait lui être fatal. Il pouvait se faire grignoter la queue avant que l’influx nerveux ne remonte au cerveau… Et inversement, le temps qu’une décision prise descende jusqu’aux organes concernés pouvait lui aussi être très long.
Il en va de même pour l’Éducation Nationale et sa structure bureaucratique et pyramidale. Penser que la parole du Ministre va descendre impeccablement et s’appliquer immédiatement dans chaque école, collège et lycée relève du fantasme et de la pensée magique.
Mais cela relève aussi d’une méconnaissance de la réalité du travail des enseignants, des directeurs d’école et chefs d’établissements épuisés (malgré les « vacances ») par une succession d’ordres contradictoires. Et la méconnaissance confine (!) ici à la maltraitance…
Bas les masques !
Les enseignants ont su répondre « présents » au moment du confinement. Ils ont même fait preuve de beaucoup d’inventivité et de résilience.
Mais la séquence de prof bashing fondée sur la mise en avant d’un chiffre peu fiable de « profs décrocheurs » a marqué durablement les esprits.
Tout comme la promesse d’une prime pour l’équipement informatique dont on répète qu’elle est « sur la table » sans plus de précision.
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » disait le poète Pierre Reverdy. Les enseignants veulent aujourd’hui des preuves et non plus des promesses et encore moins de la culpabilisation.
Car, tout comme pour les personnels hospitaliers, il n’est pas sûr que l’appel au sens du service public suffise demain à remobiliser.
Les masques tombent…
Philippe Watrelot
Une version de ce texte a été publiée le 24/08/2020 sur le site d'Alternatives Économiques sous le titre « Ecole : une rentrée sous haute incertitude »