jeudi, décembre 06, 2018

Inquiétudes



Je suis inquiet...
Le mouvement lycéen qui prend de l’ampleur m’inquiète beaucoup. Et il me ramène 12 ans en arrière. En mars 2006, j’étais déjà enseignant dans le lycée où je suis toujours aujourd’hui : le lycée Corot à Savigny sur Orge. Nous venions de subir les émeutes urbaines des banlieues de l’hiver 2005 à la suite de la mort de Zyed et Bouna. Cela avait été très « chaud » à Grigny, la grande cité à côté du lycée. 

En mars, c’est la mobilisation pour le contrat première embauche (CPE) imaginé par le gouvernement De Villepin qui prend le relais. Mais les manifestations encadrées avec un objectif clair se transforment très vite dans notre banlieue en une réédition amplifiée des émeutes urbaines. Les images qui me restent sont celles des fumées de gaz lacrymogènes sur la place Davout en face du lycée avec les CRS qui interviennent face à des jeunes déterminés à rejouer la prise de la Bastille avec le château du Lycée Corot. Ce sont aussi les images d’une centaine de jeunes accrochés à la grille du lycée qui plie sous leur poids... 
Ces images de violence m’ont marqué à jamais. Et m’ont convaincu du danger de ces manifestations marquées par la violence et l’anomie. Très vite tout peut basculer tant la violence, qui est à fleur de peau, peut prendre le pas et s’imposer. 

Nous sommes sur une poudrière qui ne demande qu’à exploser. Et en banlieue, nous pouvons payer à tout moment une facture qui n’a jamais été réglée et qui est celle des émeutes de banlieue de 2005. Cette facture c’est celle de l’injustice sociale, de la relégation, de l’angoisse et de la pression scolaire et d’une promesse républicaine d’ascension sociale qui n’a pas été tenue...
La situation est explosive et je suis très inquiet. 
Philippe Watrelot



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Je reproduis ci dessous le texte que j’avais écrit à l’époque (en 2006) et qui avait été publié dans les Cahiers Pédagogiques. Il s’appelle « Novembre en Mars ». Aujourd’hui en 2018, avec ce foutu réchauffement climatique on a Mai en Décembre... 





𝐍𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝐞𝐧 𝐦𝐚𝐫𝐬
Lundi 20 mars. J’ai cours avec une classe de 2de dans des préfabriqués au fond du terrain du lycée. J’enseigne depuis quatre ans dans un très grand (par la taille) lycée de la banlieue sud de Paris. Tout se passe bien, le cours se déroule normalement. Soudain, on entend une clameur, des cris. Comme mercredi dernier, mais je n’étais pas présent, des élèves se sont introduits dans le lycée.
 Mes élèves sont littéralement terrorisés, ils veulent sortir du bâtiment. J’essaie de les calmer et de les raisonner. 
Fort de mes 25 ans d’expérience de ce type de situation, je leur dis : « Mais ce n’est tout de même pas la première fois que des élèves viennent dans un établissement pour appeler leurs camarades à la grève ! S’ils arrivent, nous les laisserons rentrer et nous écouterons ce qu’ils ont à nous dire... ».
Les élèves me regardent alors avec une sorte de commisération et me répondent : « Mais monsieur, ça n’a rien à voir avec le CPE, ce qu’ils veulent c’est juste tout casser... »
Ils avaient raison.
 
Dans l’établissement où je travaille, comme dans beaucoup d’autres établissements de banlieue, la période du mouvement anti-CPE a donc été un mélange dangereux entre (faibles) revendications et regain d’émeutes urbaines. 
Dans cet énorme lycée de près de 3000 élèves, il n’y avait pas plus de 200 élèves qui étaient mobilisés contre le CPE. Le matin des grandes manifestations, le plus souvent, une petite centaine de jeunes bloquait l’entrée des grilles.
 Mais ce que tous craignaient, élèves et professeurs, c’était le déclenchement de la violence. Plusieurs « attaques » (il n’y a pas d’autres mots qui me viennent à l’esprit) ont eu lieu au cours de cette période. Les premières ont entraîné surtout des bris de vitres et de matériel. Il y a eu cependant une blessée assez grave. C’étaient essentiellement des jeunes venant des lycées professionnels voisins et des quartiers proches.
 
Un stade a été franchi, le jeudi 23 mars. Le lycée a été « attaqué » pour la quatrième fois en une semaine. Il faut dire qu’il s’agit d’un château et que dans l’imaginaire de certains jeunes de cette région, c’est un symbole. Une sorte de « Bastille » à prendre. Le lycée des « bourgeois ». Près de 200 jeunes ont tenté d’entrer en forçant les grilles. Il y a eu de violents affrontements avec la police arrivée assez vite. J’ai pu assister à tout cela dans la fumée des lacrymogènes et les tirs de flash-balls...
 Sentiment d’être assiégé, sidération devant la violence gratuite et surtout beaucoup de questionnement sur l’évolution de notre société. Revanche sociale, expression d’un malaise toujours présent, situation anomique, tout cela peut expliquer ces évènements. On était loin en tout cas de la revendication contre le CPE, on assistait plutôt à une réédition de novembre, qui avait déjà été très chaud dans notre banlieue. Les braises sont loin d’être éteintes...

Les débats dans la salle des profs étaient peut-être différents de ceux d’autres établissements. Ici, il ne s’agissait pas seulement de savoir comment s’organiser pour la manifestation et le lien à faire avec les quelques élèves grévistes. Le débat principal durant les AG portait sur la sécurité : « faut-il demander la fermeture du lycée ? », « peut-on revendiquer le droit de retrait ? ».
Le lycée a finalement été fermé le 28 mars, jour d’une des grandes manifestations parisiennes. Des informations laissaient craindre de nouvelles violences devant le lycée. Le défi qui circulait dans les messages échangés (par MSN ou par SMS) était de « faire tomber le lycée ».
Ce même jour, j’étais dans la manifestation avec d’autres collègues. Nous avions proposé aux élèves désireux de manifester, de les accompagner pour prévenir les violences par notre présence. Nous avons pu éviter ainsi plusieurs petits incidents. Vers la fin de la manifestation, nous avons été dépassés par une bande d’une centaine de jeunes qui couraient vers la place de la République et qui dépouillaient et frappaient, au passage, ceux qui se trouvaient sur leur chemin. J’ai été impressionné par la grande jeunesse de ces gamins âgés d’à peine quatorze ans et par la présence non négligeable de filles parmi eux. 
Là aussi, c’était la violence qui prévalait plus qu’une quelconque revendication.
 On a pu lire dans la presse certains commentateurs qui faisaient le lien entre les émeutes urbaines de novembre 2005 et le mouvement anti-CPE de mars 2006. La question de la précarité et de l’avenir de la jeunesse est en effet centrale dans les deux évènements, mais on ne peut pas dire pour autant qu’elle soit vécue de la même façon par les jeunes les plus défavorisés et les autres lycéens et étudiants.
 Plutôt que l’image idyllique d’une jeunesse unie, le mois de mars 2006 me donne surtout à voir celle d’une cassure entre deux jeunesses. Au-delà du sentiment d’amertume, je me demande surtout comment recréer du lien entre eux et leur redonner de l’espoir. Sacré défi...

Philippe Watrelot, lycée de Savigny-sur-Orge.
Cahiers Pédagogiques L’actualité éducative du N°444 de juin 2006



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mercredi, décembre 05, 2018

A propos de quelques préjugés sur les enseignants

Le think tank "Vers le haut" m'a proposé d'intervenir à l'occasion d'un évènement qu'ils organisaient le mercredi 5 décembre à Paris : « Chers éducateurs, chers professeurs, j'aime beaucoup ce que vous faites ! ». On m'a demandé de démonter quelques préjugés à propos des enseignants. Voici le texte de mon intervention.
PhW
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400... C’est le nombre messages de réponses, lorsque sur Facebook, j’ai demandé aux personnes qui me suivent, quelles étaient, selon elles, les représentations qui existaient sur les enseignants. Des réponses très pertinentes et diverses et qui sont la preuve que ce sujet est loin d’être anecdotique et peut être révélateur sinon d’un malaise du moins d’un décalage entre l’opinion enseignante et l’opinion publique. 
Voici quelques extraits de ces messages : 
« Les profs ne préparent pas leur cours , ils improvisent, ils mettent la note à la tête de l’élève »
« Les vacances, le temps de travail, le syndicalisme, les grèves, les-préparations-qui-ne-sont-pas-si-longues-que-cela-une-fois-qu'elles-ont-été-faites-une-fois, tous les prétextes sont bons pour ne pas travailler... »
« Être prof c’est une vocation faut avoir ça dans le sang, parce que c’est pas pour l’argent, hein...»
« L’autorité, c’est inné, ça ne s’apprend pas ! »
« Bah, une fois que vos cours sont faits , hein, vous êtes peinards pour les années suivantes .... »
« Les profs ne connaissent pas la vraie vie, on devrait les obliger à aller travailler une année dans le privé pour qu'ils découvrent ce que c'est qu'un vrai travail »
« Avec tous tes diplômes tu n'es QUE prof ? »
« J’aimerai pas faire ce que tu fais...»
« Le prof croit toujours tout savoir sur tout. Ne sait pas écouter, se contente de pérorer. Même en famille. Même avec ses amis ». 
« Le prof en vacances : "Ah j'aurais pas dit que vous étiez prof parce que quand vous m'avez posé une question pour préparer votre randonnée de demain, vous avez écouté ma réponse et suivi mes conseils » ! 
Je pourrai continuer longtemps (et épuiser mes dix minutes) avec cette litanie...
Avant de me risquer à prendre un peu de recul avec quelques éléments d’analyse et d’explications, je voudrais revenir sur les préjugés les plus courants et faire un peu de « fact checking » (ou de désintox)

• « Ils ne travaillent pas beaucoup / Ils sont toujours en vacances »… FAUX
Souvent on se focalise sur le temps devant élèves :  15 heures par semaines c’est pour les profs agrégés. Les profs certifiés eux, font eux 18 heures. En primaire, un professeur des écoles a 24 heures de classe devant élèves, à quoi il faut ajouter 108 heures annuelles d’activités pédagogiques complémentaires, de réunions, conseils d’école, etc. Un PE français enseigne 924 heures par an, soit 152 heures de plus que la moyenne de l’OCDE. Bien évidemment, qui peut imaginer qu’il suffit d’arriver en classe sans préparation et sans corrections faites ?  Une étude de la DEPP datant de 2010 établit à 44 heures le temps de travail hebdomadaire d’un enseignant (52 heures pour les plus jeunes), soirées et weekend compris. Et ce travail n’est pas fait une fois pour toutes, d’abord parce que les corrections c’est comme la vaisselle : une fois que c’est fini ça recommence. Selon les niveaux cela représente entre un quart et un tiers du temps de travail des enseignants. 
Le travail invisible ne se fait pas seulement pendant l’année. Selon la même étude, un prof travaille 20 jours par an sur ses vacances. Comme le disait un prof internaute « J'aime être en vacances car ça me laisse le temps de travailler. » Et on les paye cher ces vacances dans tous les sens du mot : en temps de cerveau disponible, en plein tarif et en préjugés négatifs... 

• « Ils font toujours la même chose d’une année sur l’autre ; sans se renouveler...» FAUX
Je suis formateur en temps partagé à l’ESPÉ de Paris depuis douze ans. Et parmi les stagiaires chaque année j’accueille à peu près un tiers de personnes en reconversion. Toutes me disent à quel point elles n’imaginaient pas combien le travail enseignant est prenant avec des heures pleines (et non-« poreuses ») mais aussi toujours différentes les unes des autres. C’est le propre des métiers de la relation humaine et c’est à la fois une de ces difficultés mais aussi sa richesse et son intérêt. (La seule routine selon moi réside dans les corrections de copies). 
Bien sûr on connait tous « un prof qui... une instit qui...» n’a pas changé de niveau et fait les mêmes cours... Mais ils sont rares et un exemple ne vaut pas généralité. Les enseignants dans leur ensemble renouvellent leurs cours et pas seulement parce qu’ils y sont obligés par les changements de programme mais pour répondre au mieux aux difficultés et aux besoins des élèves qu’ils ont en face d’eux. Et puis aussi parce que, justement, faire toujours la même chose, c’est ennuyeux ! 

• « Ils râlent toujours, ils sont toujours en grève.» VRAI et FAUX...
Les enseignants français sont... français ! Et donc ils râlent. La question est de savoir s’ils râlent plus que les autres et s’ils râlent pour de bonnes raisons. 
Il est de bon ton chez les pédagogues d’insister sur la déploration, le fatalisme et le manque d’initiative dans les salles des profs. C’est aussi, bien souvent, mon sentiment premier. J’ai souvent dénoncé les “aquabonistes”, ceux qui sont revenus de tout sans jamais y être allés. Ceux qui accumulent les préalables pour éviter de “s’y mettre”. Ceux qui confondent l’esprit de critique systématique  avec le nécessaire retour critique qui permet la réflexivité sur les actions menées.
Si cette dénonciation est souvent justifiée, il faut rappeler que la déploration n’est pas l’apanage des enseignants. Elle est une des composantes du “malheur français” où le pessimisme est érigé en valeur. Une recherche récente d’une économiste, Claudia Sénik, montrait dans une comparaison internationale sur le sentiment de bonheur, que pour un même niveau de revenus, d'emploi et d'éducation, le seul fait d'être Français réduisait de 20 % la probabilité de se déclarer heureux !
Quoi qu’il en soit, ce sentiment général semble encore plus exacerbé dans le système éducatif. L’étude citée attribue d’ailleurs une part de responsabilité à l’École dans la construction de ce “malheur français”. Il faudrait réfléchir à la manière de faire évoluer cela en particulier par des démarches de projet valorisant l'enthousiasme et l'engagement. 
Si on peut quelquefois « déplorer la déploration » de nos collègues (et nous mêmes n’y succombons nous pas ?) elle peut être aussi justifiée. Les enseignants râlent aussi pour de bonnes raisons. Et ce n’est pas qu’une question de « moyens » mais aussi de mode de gouvernance et de réformes mal préparées. 
Parce qu’on s’occupe d’enfants, on a fait de l’École un  système infantilisant et bureaucratique. #Pasdevague a bien montré les limites de ce système. Et si on construisait vraiment, au delà des slogans, l’école de la confiance ? 
Quant aux grèves, celles ci sont au final relativement peu nombreuses. Et on notera que les enseignants sont collectivement encore attachés à l’existence des corps intermédiaires dont on voit bien l’importance aujourd’hui. 

•  « Ils sont sous-payés… » VRAI
Cette question se pose quand on lit cet extrait du rapport PISA :« Dans les pays où le PIB par habitant est supérieur à 25 000 euros, dont la France fait partie, il existe une corrélation entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale du système éducatif. ». Or l’enseignant français est moins bien payé que ses voisins. En France, le salaire hors indemnités diverses, après quinze ans d’exercice, est de 8 % supérieur au PIB par habitant. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, il est de 29 % supérieur à la richesse du pays par tête.
La question de la rémunération se situe à deux niveaux : les enseignants du primaire à niveau égal sont moins payés que ceux du secondaire (30% de moins en moyenne) et globalement les enseignants français sont moins payés que dans la plupart des pays européens. L’OCDE dans le dernier “Regards sur l’éducation” affirme que « les systèmes performants sont aussi ceux qui offrent des salaires élevés à leurs enseignants, surtout dans les pays au niveau de vie élevé ».
L'OCDE a aussi comparé le salaire enseignant avec ce que ces diplômés gagneraient s'ils avaient opté pour une autre carrière. En France, un(e) professeur(e) des écoles gagne 72 % de ce qu'il/elle pourrait escompter avec son niveau de diplôme s'il travaillait ailleurs que dans l'éducation nationale. Au collège, un professeur français gagne 86% du salaire de ses camarades d'université. Et au lycée, 95%.
Il faut cependant noter que dans la plupart des pays si les salaires sont élevés c’est avec des conditions de travail différentes marquées par un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier qui ne se réduit pas à la seule présence devant des élèves. On gagnerait à plus le mettre en avant en France
Mais le salaire, s’il est un élément de la considération de la société à l’égard de ses enseignants, ne peut, me semble t-il, à lui seul permettre une transformation du métier d’enseignant.  Suffirait-il de mieux payer les enseignants pour qu’ils fassent leur métier autrement et de manière plus enthousiaste? 
Car au delà de la rémunération et du sentiment de déclassement qui en découle, il se pose aussi une question de conditions de travail et d’évolution des carrières. Le mythe de la “vocation” est passé et c’est tant mieux. Nous exerçons un métier, pas forcément “pour la vie” et surtout un métier qui s’apprend. Il faudrait que la gestion des ressources humaines et des carrières et la gouvernance soit améliorées. 

• « Ils sont déconnectés du monde et de ses évolutions (l’innovation, le numérique, le monde du travail) » FAUX
Même si le taux d’endogamie est relativement fort (30%), tout comme la reproduction sociale, les enseignants ne sont pas en dehors de « la vie ». Ils ont une famille, des enfants, des amis qui sont confrontés aussi à la crise, la précarité, au chômage. Et de plus en plus, les enseignants ont eu une vie professionnelle avant de changer de voie. 
Pour ma part, j’enseigne en banlieue où je suis né et j’ai grandi et j’y habite aussi. J’ai eu en classe la fille de la pharmacienne et celle des boulangers. Je croise mes élèves au marché. Il faut aussi rappeler que les écoles sont, dans bien des quartiers défavorisés, les derniers services publics qui restent. Et les enseignants sont en première ligne face à la misère sociale et aux inégalités. 
Ils ne sont pas non plus déconnectés du monde qui va, de ses évolutions et de ses innovations. Ils sont très équipés en numérique et hésitent de moins en moins à l’utiliser en classe. Ils sont aussi innovants bien plus qu'on ne le croit et le laisse entendre. Il faudrait en finir avec ces images toutes faites laissant penser que l'esprit de recherche et d'expérimentation ne peut se développer dans le service public d'éducation ! 


Au delà des préjugés...
Au delà des préjugés... il y a donc une réalité complexe. “LES” enseignants, ça n’existe pas : nous sommes 800 000 avec nos différences et nos singularités ! 
Cette accumulation de préjugés témoigne aussi d’un paradoxe enseignant : ceux-ci sont persuadés qu’ils sont mal considérés, mal aimés voire méprisés alors que toutes les enquêtes montrent que le métier d’enseignant a une bonne image !

Ces représentations sont aussi la preuve que le débat sur l’école est difficile.
J’ai souvent dit et écrit qu’il y avait en France 67 millions de spécialistes de l’École. Et cela donne un débat où le ressenti et l’expérience personnelle prennent le pas sur l’argumentation et l’expertise. 
On a aussi une hyper-susceptibilité (amplifiée par les réseaux sociaux).  Les enseignants ont tendance à prendre pour eux-même toute critique de l’École. C’est un métier où on se met en « Je ». Et il y a  malheureusement souvent confusion entre les pratiques professionnelles et la personne elle même
Or, les enseignants sont comme les musiciens à bord du Titanic. Ils font leur métier le mieux qu’ils peuvent même si le bateau coule. 
Le débat est donc passionné. C’est un handicap parce qu’il rend difficile l’échange d’arguments mais cette passion est aussi à la mesure de l’engagement des enseignants pour ce métier. 

Sigmund Freud, dans deux ouvrages, parle de trois “métiers impossibles” : gouverner, soigner et éduquer. Freud associe ces trois métiers au fait que, pour chacun d’eux, « on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant ». En d’autres termes, les résultats sont incertains, et bien souvent on ne voit pas l’effectivité de son travail.
Et il est vrai que, sauf dans de rares cas (l’apprentissage de la lecture en CP par exemple), on ne peut avoir de certitudes sur l’impact de son action sur les élèves. Ils apprennent mais est-ce durable, est-ce efficace ? Au final, que retiennent-ils ? Y sommes nous pour quelque chose ? A moins d’être télépathe (ce qui n’est pas mon cas), il n’y a aucune certitude. C’est aussi ce qui fait de ce métier, un travail frustrant et quelquefois ingrat. Et, répétons-le, modeste.
Alors on doit se contenter quelquefois de petits bonheurs. On peut guetter les déclics qui se font dans la tête des élèves. Et croyez moi, ça s’entend très bien ces déclics. D’un seul coup, untel qui bloquait, comprend. Tel autre va, des jours voire des mois plus tard, faire référence à une notion que vous aviez abordée. On peut même (mais si !) trouver des motifs de satisfaction en corrigeant des copies…
Les petits bonheurs on les trouve aussi dans la satisfaction de voir un dispositif se dérouler comme vous l’aviez prévu. Avec des élèves, concentrés, attentifs, motivés qui ne s’aperçoivent pas de l’heure qui tourne. Il faut se rappeler de ces moments là quand ça va moins bien, où rien ne se déroule comme prévu…
Philippe Meirieu parle du “postulat d’éducabilité” et cite souvent cette phrase du philosophe Alain « l’on ne peut instruire sans supposer toute l’intelligence possible dans un marmot ». Célestin Freinet, quant à lui,  finissait sa liste des invariants pédagogiques par celui qui justifie toute notre action “l'optimiste espoir en la vie”. La bienveillance suppose l’optimisme et la croyance, à la fois modeste et ambitieuse, que notre action peut avoir un effet et faire progresser les élèves. Mais c’est un optimisme tempéré car cela ne peut se faire sans l’adhésion des élèves et en luttant contre un très grand nombre de contraintes. Mais comment peut-on faire ce métier si l’on pense que ce que l’on fait ne sert à rien et n’a aucun effet ? C’est sur cet optimisme nécessaire que je voudrais conclure. 

Philippe Watrelot

La vidéo de l'intervention





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lundi, décembre 03, 2018

Les lycéens, c’est comme le dentifrice...

Lycéens à Manosque - La Provence


« Les lycéens, c’est comme le dentifrice, une fois que c’est sorti c’est difficile de les faire rentrer… » Cette phrase célèbre (prononcée semble t-il par Christian Forestier, un pilier des cabinets ministériels) résume une des angoisses récurrentes des ministres. Elle annonce des manifestations incontrôlables (!) et des reculades sur les réformes. 
Va t-on vers une mobilisation des lycéens ? Je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais on peut faire une série de remarques qui laissent penser que ça pourrait bien prendre si on n'y prend garde...



D'abord, il est intéressant de se pencher sur la cartographie de ces premières mobilisations. D'habitude, ce sont plutôt les lycées parisiens et des grands centres urbains qui s'agitent. Là, on voit les petites villes et aussi les banlieues qui se mobilisent dans une répartition géographique assez voisine de celle des gilets jaunes. Pour l'expliquer, il faut s'attarder sur l'organisation de la réforme des lycées. Les lycées doivent proposer les enseignements obligatoires et ils disposent ensuite, dans le cadre de l'autonomie, d'une "marge" pour proposer les enseignements optionnels. Mais cette marge est contrainte et seuls les plus gros lycées peuvent jouer sur les économies d'échelle liées à leur taille pour proposer un grand nombre d'enseignements. De plus, s'ils ne peuvent pas trouver un enseignement dans un lycée donné, les élèves des grands centres urbains pourront trouver un autre lycée pas trop loin qui le proposera. 

Or, ce n'est pas le cas, des petites villes et des lycées ruraux : de petite taille et isolés, ils ne pourront pas tout proposer. Et cela risque de renforcer les inégalités territoriales. C'est en tout cas ce que craignent les lycéens de ces zones géographiques déjà frappées par toute une série d'inégalités. Il peut donc y avoir une convergence avec les revendications des gilets jaunes. 



Ensuite, on peut s'étonner que la mobilisation se fasse seulement maintenant alors que ParcourSup date de l'an dernier. Je fais l'hypothèse qu'il y a un an, on n'en saisissait pas tous les enjeux. C'est vraiment avec la mise en place de la réforme du lycée que ParcourSup devient la colonne vertébrale du dispositif. Et ce que les élèves commencent à percevoir c'est que, outre le caractère très sélectif, on s'achemine vers un système relativement rigide (contrairement à l'objectif initial) et aboutissant à une orientation précoce. Autrement dit, dès quinze ans et la fin de la seconde on te demande de savoir plus ou moins ce que tu veux faire...Et en plus tu n'as pas trop le droit à l'erreur...

Cela crée de l'angoisse et on sait qu'il n'y a pas loin de l'angoisse à la révolte. Ce sentiment peut aussi être renforcé par l'impression d'impréparation qui se dégage de cette réforme ainsi que par son urgence et sa précipitation pour cause d'impératif politique. On ne connait pas encore les programmes de Terminale et encore moins les "attendus" des universités. Les lycéens, encore plus que l'an dernier, ont le sentiment d'être des "cobayes"...



Enfin, la méthode Blanquer est assez proche de la méthode Macron : verticalité, passage en force, refus des corps intermédiaires. Je ne sais pas si les lycéens le perçoivent mais les profs (qui pourraient -un jour - se mobiliser...), eux, commencent à s'en rendre compte. On est dans une sorte de mépris technocratique et d'injonctions verticales qui ne tiennent pas compte des réalités du terrain et de la nécessité de la concertation. On veut avancer vite au mépris des corps intermédiaires pour cocher les cases des promesses électorales tenues. 2021 année du premier bac "Blanquer" est un an avant 2022, année électorale. Et face à cette surdité du pouvoir, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets...

Pourtant, on aurait du entendre ces signaux d'une évolution de l'opinion. #pasdevague avait déjà été une première alerte. Alors que beaucoup de ceux qui s'exprimaient évoquaient des questions de management et de gestion des ressources humaines et de besoin de considération, la seule réponse fut une réponse sécuritaire et où les élèves étaient considérés comme des dangers potentiels. Ce ressenti d'un certain mépris et d'un déni peut, là aussi, être le ferment d'une mobilisation. 



Dessin d'Aurel paru dans Le Monde

Je ne suis pas devin. Mais qui a prévu que l'accumulation des inégalités et des injustices allaient s'exprimer à partir d'une augmentation des carburants pour évoluer vers un mouvement social plus global ? Pas grand monde... 

Dans le contexte actuel qui est très mouvant, on ne peut donc rien prédire mais on voit qu'il y a quand même des raisons qui peuvent aboutir à une mobilisation. 

Le dentifrice est prêt à sortir...




Philippe Watrelot
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jeudi, novembre 22, 2018

Les 5 malédictions des Sciences économiques et sociales

J'enseigne les SES depuis 37 ans et je forme des professeurs de SES depuis 12 ans. Et les projets de programme présentés par le CSP m’inquiètent beaucoup car ils constituent une étape supplémentaire dans la remise en cause de cette discipline scolaire pour la conformer à une logique universitaire aux finalités idéologiques, peu motivantes et reposant sur des conceptions pédagogiques rétrogrades. 
Certains peuvent s’étonner qu’un « pédago » (avec tous les suffixes possibles…) défende une logique disciplinaire. A ceux là, je répondrais que si j’ai une conception large de mon métier, je n’oublie pas que j’ai fait le choix d’enseigner une discipline particulière et qu’elle constitue une part non négligeable de mon identité professionnelle. J'ai toujours été attaché à la défense de ce que sont les sciences économiques ET sociales. C'est-à-dire un enseignement pluridisciplinaire et même inter-disciplinaire qui se situe dans une logique de culture générale. Une discipline utile, comme d’autres,  qui permet de croiser des savoirs pour comprendre le monde. 

Dans ce texte, je voudrais surtout essayer d’analyser les raisons qui expliquent que cette discipline est aujourd’hui (comme hier) autant remise en cause. Pour moi, elle est le produit d’une quintuple malédiction... 


1. La malédiction du dernier arrivé
« Qu’est-ce qui n’est pas indispensable ? » « tout le monde réclame sa place » etc. Lorsque les professeurs de SES disaient que la discipline qu’ils enseignent avait sa place dans le tronc commun, cela déclenchait des réponses de cet ordre. Oui, bien sûr. Les SES mais pourquoi pas la culture technologique ou artistique ou le droit ou que sais je encore ? 
Je note que la culture technologique et la culture artistique sont abordées dès le collège. L’EMC évoque le droit. La seule approche qui n'était pas abordée ce sont les sciences sociales. Or, c’est (c’était ?) une des disciplines clés d'une des séries du bac général et une voie d'orientation post-bac. Mais en dehors de cet aspect technique de choix, c'est surtout la dimension de culture générale qui me semble essentielle. 
Lorsqu'on dépasse l'agacement lié au fait qu'on a l'impression qu'une nouvelle (50 ans) matière (les SES), "réclame" sa place, et qu'on pose la seule question qui vaille c'est-à-dire de savoir si tout un chacun, nous avons besoin de maitriser une culture économique (et sociologique) dans le monde d'aujourd'hui, il est alors difficile de répondre Non. 
L’attitude à l’égard des SES me fait penser à ces passagers d’un autobus qui refusent de se pousser pour faire monter de nouveaux voyageurs. La malédiction du dernier arrivé…


2. La malédiction du précurseur.
Les SES ont donc 50 ans. Dès leur création, les membres de la commission chargée d’élaborer les programmes ont voulu en faire un enseignement pluri-disciplinaire et même inter-disciplinaire. Leur projet était de faire se croiser, autour d'objets économiques déterminés - la famille, l'entreprise, l'économie d'un pays - les approches de la démographie, de la sociologie, de la science politique, de la statistique, de la science économique, etc. 
L’enjeu est aussi, dès le départ, de favoriser la motivation des élèves. Face à une question complexe et qui doit faire sens pour les élèves, il faut convoquer plusieurs sciences sociales pour en comprendre les enjeux. 
Le problème, c’est que cette approche ne rentre pas dans les cases universitaires. Les SES n’ont pas d’équivalent dans le supérieur. On peut même dire que cette approche va agacer les tenants d’une économie pure et dure. Toute l’histoire des SES peut alors être résumée en une normalisation progressive visant à faire rentrer, dans le rang et dans les cases, cette discipline atypique. Les différentes versions des programmes vont faire la part belle aux cloisonnements disciplinaires (avec des parties « Eco » et « socio ») au détriment de ce qu’on appelle aujourd’hui les regards croisés. On va même qualifier il y a quelques années la discipline d’ « erreur génétique »
Cette évolution on la doit aussi en partie à quelques enseignants de SES qui, soucieux de respectabilité et de légitimité universitaire, vont agir pour une séparation de plus en plus marquée des disciplines. Sans qu’il y ait d’ailleurs de réels soutiens universitaires pour les SES en retour.
Pour ma part, comme je le signalais plus haut, le mot auquel je suis le plus attaché dans la dénomination est le « ET ». C’est celui qui donne du sens et qui permet d’aborder la complexité. 
Les SES ont-elles eu raison trop tôt ? Aujourd’hui les sciences économiques et sociales semblent connaitre une évolution à rebours et une remise en cause de ce qui faisait leur originalité à l’époque de leur création.  Il y a une sorte de malédiction du précurseur... ! 


3. la malédiction du parano
La réputation des professeurs de SES est de s’être construit au fil des années une mentalité de village gaulois assiégé ayant toujours peur que le ciel leur tombe sur la tête... 
Comme dans la légende du « petit garçon qui criait au loup », on est tenté de se dire que ce ne sont que des fantasmes et qu’au final les SES sont toujours là, cinquante ans après. Et on se lasse d’entendre crier au loup ces profs un peu fatigants et arrogants....
Parce que j’enseigne les SES et que je forme les étudiants et stagiaires, j’ai eu quelques lectures et recherches sur l’histoire de la discipline. J’ai participé également  (il y a un an, il y a un siècle...) à une commission sur les programmes de SES. Au risque de paraitre péremptoire, je pense pouvoir dire que je ne parle pas sans savoir. Et je ne suis pas paranoïaque ! 
L’histoire des SES est jalonnée de tentatives de remises en cause. Je les avais retracées dans un précédent billet de blog. L’enseignement des SES partage le triste privilège avec celui de l’Histoire-Géographie d’être un sujet de polémiques récurrentes dans les médias et dans l’opinion. Et l’élaboration de leurs programmes a tendance à échapper, de fait, à la règle commune qui prévaut pour les autres disciplines…
L’essentiel des critiques vient de deux directions : le monde de l’entreprise et les universitaires. Leurs critiques sont le plus souvent opposées mais quelquefois se rejoignent. Pour le monde de l’entreprise, on déplore que l’enseignement de cette discipline “diabolise” l’entreprise et le marché et propage une vision unilatérale et “idéologique” de l’économie. Nous avons même un « Rastapopoulos » des SES, c’est-à-dire un « vilain » récurrent en la personne de Michel Pébereau. Et bien d’autres procureurs encore ! Et qui oublient qu’il ne s’agit pas de transmettre un catéchisme et de faire « aimer » quoi que ce soit mais de donner des outils pour comprendre. Le reproche d’idéologie peut se retourner facilement. 
La deuxième critique vient du monde universitaire. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les SES sont atypiques et ne rentrent pas dans les cases. Ce sont surtout les économistes qui s’alarment d’un supposé décalage entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire. Mais la question reste unilatérale : on voit peu de questionnements de leur part sur la pédagogie et les contenus enseignés à l’université. Et on oublie aussi que l’enseignement des SES développe des compétences et des savoirs utiles dans bien des domaines post-bac. 
Mais surtout, il y a, chez les uns et des autres, une méconnaissance de ce qu’est un élève de 15 ans et des mécanismes de l’apprentissage. Là où on croit parler d’économie, on parle en fait de pédagogie sans en maîtriser les tenants et les aboutissants. Et on oublie aussi que le lycée procède également d’une logique de culture générale : former le citoyen autant que le bachelier et l’étudiant. 
Et pour revenir sur l'accusation de "paranoïa", il y a une citation de Roland Topor qui s’applique assez bien à la situation : « Même les paranoïaques ont des ennemis »... Si les profs de SES sont méfiants, ils ont des raisons de l’être. Et comme le disait le PDG d’Intel, Andy Grove « Seuls les paranoïaques survivent » ! 


4. La malédiction de l’étiquette
Vous le savez, en France, quand on vous a collé une étiquette, il est très difficile de la décoller...
Ne tournons pas autour du pot : les professeurs de SES ont une image de « gauchistes »... Cela rejoint l’accusation d’idéologie évoquée plus haut. 
On serait tenté de prendre par la dérision cette critique récurrente. On peut rappeler que Nicolas Sarkozy ou bien encore Marine Le Pen ont fait un bac B (l’ancêtre du Bac ES) : dans ce cas, leurs enseignants sont de bien piètres propagandistes ! C'est aussi le cas de Jean-Michel Blanquer...
Plus sérieusement, cette accusation ne correspond pas à la réalité des pratiques que je pense bien connaitre. S’il peut y avoir encore chez une minorité, une sorte de prurit gauchiste, les enseignants de SES ne sont pas différents du reste de la population. On y trouve, dans leurs positionnements personnels, toutes les nuances de l’échiquier politique.  
Et puis surtout, cette accusation est très insultante dans la mesure où elle suppose que les enseignants n’auraient pas de déontologie et ne respecteraient pas un devoir de discrétion. Il s’agit d’enseigner un programme, pas d’endoctriner ! 
D’ailleurs, même l’Académie des Sciences Morales et politiques, dirigée par Michel Pébereau,  pourtant hostile était obligée de reconnaitre que les manuels correspondaient à cette éthique. 
Mais, malgré tout cela, cette malédiction de l’étiquette poursuit les SES et lui porte un tort considérable. Toutefois, cela peut aussi être quelquefois un atout quand cela se transforme en réputation de réactivité, parce qu’il n’en est pas moins vrai que, collectivement, les enseignants de SES ont une capacité de mobilisation  et d’influence bien supérieure à leur importance numérique. Il faut dire que quand on a au programme des notions telles que « répertoire d’actions », « action collective » « groupes de pression » ou bien encore « réseaux sociaux », on peut être enclin à s’en servir dans la vie. D’autant plus, quand on ne peut compter que sur ses propres forces ! 


5. La malédiction du réseau
Si les SES ont souvent été amenées à se mobiliser par elles-mêmes, c’est aussi parce que le travail d’influence y est plus faible que dans d’autres disciplines. Les SES, à l’inverse d’autres, ne disposent pas de relais dans la technostructure de l’éducation nationale, ni dans l’opinion et très peu chez les universitaires.
Ce n’est pas trahir un secret que de révéler que le travail des lobbys disciplinaires et des inspections des différentes disciplines a été très actif dans la période de l’élaboration du rapport Mathiot et depuis sa sortie. Les antichambres des cabinets n’ont pas désempli. 
Ce qui est piquant c’est d’accuser l’association des profs de SES d’être un lobby parce qu’ils agissent au grand jour alors que le vrai travail de lobbying est souterrain et redoutablement efficace. 
Une des malédictions des SES est de disposer d’un faible nombre de relais. L’inspection générale, à l’inverse d’autres matières, a toujours eu une méfiance à l’égard de l’association disciplinaire. Ce qui fait que les actions concertées sont rares. 
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les relais universitaires, dans un contexte très idéologique,  sont rares. Il n’y a pas ou peu de personnalités médiatiques qui pourraient incarner la cause de notre discipline comme cela peut être le cas pour d’autres. 
Mais aujourd’hui, on le sait, le réseau est aussi ce que permet le numérique. Et si à travers les réseaux sociaux, tous ceux qui ont suivi un bac B ou un bac ES, et qui ont apprécié l’enseignement des sciences économiques et sociales se mobilisaient pour dire l’intérêt d’avoir une discipline qui combine plusieurs savoirs et permette de comprendre l’économie et la société ? 




Une lecture rapide de ce texte pourrait conduire au pessimisme. Mais si ce billet se veut lucide et (auto) critique il n’est pas pour autant défaitiste. L’enjeu est de déjouer ces malédictions construites au fil des années. Ce texte se veut aussi une interpellation auprès de l’opinion enseignante et des différents acteurs du système éducatif. 
Si la réforme du bac et du lycée conduit à abandonner la logique de culture générale, à confondre disciplines scolaires et disciplines universitaires et à demander aux élèves de s’inscrire dans des choix précoces au lieu d’être « le lycée de tous les possibles », ce serait alors une occasion manquée et la négation de la spécificité du lycée. 

Philippe Watrelot

 [Ce texte est une version actualisée d'un article publié initialement en février 2018]
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mercredi, octobre 24, 2018

#pasdevague : maux-valise



Plus de 35 000 messages avec ce mot-balise (hashtag) ont été émis sur le réseau social Tweeter depuis lundi 22 octobre. Comme les journalistes sont très attentifs à ce qui s’y passe, cela a aussi été repris par de nombreux médias.
On ne peut passer à côté de ces messages. Mais, même s’ils sont rassemblés sous le même hashtag, il sont aussi très divers et peuvent être analysés à plusieurs niveaux et avec plusieurs sens. Mot-balise ou « mot valise » ?


Écouter 
Les 35000 messages ne sont pas l’expression de « profs qui n’aiment pas les élèves » comme on a pu le lire. Certes, dans la diversité des tweets exprimés, certains peuvent se laisser aller à penser cela. Mais la très grande majorité exprime d’abord un ras-le-bol et témoigne non seulement de la violence mais aussi des dysfonctionnements de la machine éducation nationale.
Si l’évènement déclencheur de cette explosion de tweets concerne la violence on voit bien qu’il est le révélateur d’un malaise plus profond qui va bien au delà de ce seul aspect.
Le mot-balise est d’ailleurs bien choisi puisqu’il évoque à la fois le fonctionnement vertical de l’éducation nationale et le manque de considération qui en découle.
Il y a bien sûr la violence de la société que se prennent aussi en pleine face bien d’autres catégories de salariés (allez passer une soirée aux urgences, par exemple…). Cette violence peut prendre diverses formes qu’il est difficile de qualifier et surtout de quantifier : des agressions aux incivilités en passant par les vols et autres comportements délictueux ou criminels.
Y a t-il une violence scolaire spécifique ? Celle-ci est-elle masquée ? Les sociologues de la délinquance (et les profs de SES) connaissent bien le « chiffre noir » qui représente la différence entre les statistiques des infractions recensées et le nombre “réel”
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aujourd’hui les études reposent plutôt sur des enquêtes de victimation (basées sur le ressenti et les déclarations des personnes) plutôt que sur les seules statistiques officielles. C’est notamment ainsi que pratique Eric Debarbieux et son équipe. D’une certaine manière, le hashtag #pasdevague est une gigantesque enquête spontanée de victimation...
Mais, même sur cette base, les chiffres de la violence scolaire ne montrent aucune hausse générale. Ils montrent surtout une concentration de celle-ci dans quelques établissements. De même, il est difficile de dire que le système éducatif est laxiste. Benjamin Moignard, dans ses travaux, a montré que c’était l’équivalent d’un collège qui était exclu chaque jour. Jean-Michel Blanquer a beau dire qu’il va « rétablir l’ordre », celui-ci n’est pas vraiment en déliquescence. Et l’accusation de “laxisme”, refrain classique de tout un discours décliniste, est à questionner plutôt que de le poser comme une évidence comme le font malheureusement beaucoup de commentateurs
J’ai bien conscience en écrivant cela que ce que je pose est peu entendable aujourd’hui pour beaucoup. On est aujourd’hui dans une concurrence des vérités. La vérité factuelle est contestée au profit de « vérités d’opinion » ou le ressenti tient lieu de certitude. Et la bataille pour ces vérités est l’objet d’un enjeu politique (et syndical). 
Mais qu’on ne se méprenne pas ! Il ne s’agit pas de discréditer ici les témoignages des uns et des autres. Ceux ci sont légitimes et réels. Je pourrais moi-même y contribuer. Ils sont l’expression des difficultés rencontrées dans l’exercice de notre métier et de la souffrance qui peut en résulter. Ce qui fait la force de ce mot-balise c’est qu’il agit comme une soupape pour lâcher une pression trop longtemps conservée. Il y a un effet d’accumulation et l’agrégation de maux trop souvent tus ou peu entendus. Le mot-balise se mue en « maux-valise »…


Des mots et des maux
Mais finalement, de quoi parle ce mot-balise ? de violence,  de “management”, d’un sentiment de déclassement ?  
De tout cela à la fois.
Sur le plan de la violence, cela révèle surtout de profondes inégalités entre les établissements. L’éducation “prioritaire” est loin de l’être en termes de moyens comme le montre la dernière (ultime ?) enquête du CNESCO. Il y a une fracture territoriale et sociale qui est criante dans ces questions de violence. Et qui ne se réduisent pas à la question scolaire mais aussi à la politique de la ville et des « quartiers », au rôle des associations, de la police etc ;
C’est aussi évidemment une question de moyens. Un établissement peut basculer en quelques mois par manque de personnel, de pions, de  défaillance des personnels de direction, d’absence d’assistante sociale. Et les réductions de postes (2600 dans le secondaire) promises par Blanquer avec le budget 2019 ne vont rien arranger 

Mais ce n’est pas le plus important. Ce que disent avant tout les messages rassemblés sous la balise #pasdevague c’est le manque d’écoute et la culpabilisation qui caractérise l’administration de l’éducation nationale. On se défausse sans cesse sur l’échelon inférieur dans un système marqué par l’individualisme, l’infantilisation et la solitude du métier. Et la souffrance personnelle y est peu entendue, non seulement par la hiérarchie mais, reconnaissons-le, aussi par les collègues. Mais c’est bien surtout une forme de management qui est ici remise en cause : verticale, quantitative (par les « objectifs de performance ») et peu à l’écoute des individus. Et ce, jusqu’au plus haut sommet de la hiérarchie.
Évidemment, là aussi, sur le management, il faudrait faire la part des choses. Ces messages prospèrent sur un fond de culture anti-autoritaire et un « imaginaire prolétarien » où la hiérarchie est vue comme un ennemi. Or, s’il existe évidemment des personnels de direction défaillants et qui, pour plusieurs raisons, ne veulent « pas de vagues », il ne faut pas oublier que dans de très nombreux cas, les personnels de direction sont des alliés et des collègues (mais si ! ) qui sont bien souvent au premier rang dans la gestion de ces violences et autres difficultés.
C’est aussi l’expression d’un malaise dû au décalage entre le métier « rêvé » et le métier subi, ce que Françoise Lantheaume appelle le "métier empêché". Le sentiment de ne plus reconnaitre le métier pour lequel on s’est engagé dans les évolutions actuelles est aussi un aspect important. Cela en dit long sur la construction de l’identité professionnelle ainsi que sur la formation initiale des enseignants. Et la sur la nécessité d’une réelle formation continue et d’espace de dialogue et de mutualisation dans les établissements.

Mais derrière ces questions de management qui mériteraient de longs développements, il y a aussi, plus globalement, le manque de reconnaissance institutionnelle et le sentiment de déclassement. C’est aussi tout cela qui transparait dans ces très nombreux messages
Les enseignants, à tort ou à raison, ont le sentiment d’être déconsidérés et de manquer d’estime au sein de la société. C’est en partie un paradoxe puisque les enquêtes montrent que le “prestige” des enseignants est toujours assez élevé chez les autres catégories sociales. Mais ils se sentent quant à eux, méprisés et déclassés. Dans le dernier baromètre UNSA on constate que si les professeurs aiment à 92% leur métier, seulement 35% se sentent respectés. Les conditions de travail sont jugées satisfaisantes  que par 29% des professeurs des écoles et 35% des autres enseignants. Seulement 15% ont l'impression que ça s'arrange. 


Un malaise enseignant qui ne demandait qu’à s’exprimer
L'analyse des médias n'est pas une science exacte. Qui aurait pu prévoir que les agissements d'un producteur de cinéma allaient déclencher un mouvement d'ampleur de dénonciation des violences faites aux femmes ?
Avec #pasdevague, on est aussi dans un phénomène cumulatif et en partie imprévisible. Le déclencheur a été cette image forte et choquante d'un jeune braquant un pistolet sur sa prof. Cela se passe juste avant les vacances à un moment où les enseignants sont un peu plus disponibles pour s'exprimer et dans une actualité moins dense. Et c'est ainsi que va naître ce hashtag qui rassemble aujourd'hui plus de 35000 messages et qui exprime de nombreux griefs.
Sans vouloir sur-interpréter, on peut penser que la logique du « control-z » à l’œuvre depuis un an n’est pas étrangère à ce malaise. Comment vivre sereinement son métier quand les programmes de primaire, du collège et bientôt ceux du lycée sont réformés dans une parodie de consultation et sans écouter personne ?  Comment s’engager dans des dispositifs alors que toute la politique éducative jette le doute sur leur permanence ? Comment se sentir considéré quand on vous inonde de vadémécums et d’injonctions laissant entendre que jusque là vous faisiez mal votre métier ? Comment envisager sa profession de manière positive quand l’évaluation se joue de manière individuelle et infantilisante alors que la réussite de ce métier et la résolution des problèmes ne peut se faire que dans le collectif ? 
Et puis bien sûr, cela permet d’agréger des revendications et des frustrations plus larges : le gel du point d’indice et de la revalorisation des salaires, la baisse du pouvoir d’achat, les faibles salaires, la réforme des retraites à venir...
Dans ce contexte, la position du ministre n’est pas très favorable. Il a essayé de montrer qu’il n’était pas dans cette culture du « pas de vague » mais il est aussi un des représentants majeurs de cette technostruture qui est aux manettes depuis longtemps (Dgesco, deux fois recteur dont Créteil...) et que ce mouvement remet en cause. Et sa réponse immédiate proposant d’étendre l’interdiction du portable au lycée est dérisoire et a eu plutôt pour effet d’exacerber les tensions.


Récupérations
Mais le ministre a de la ressource et on peut craindre que la réponse proposée soit essentiellement sécuritaire et autoritaire. Ce qui ne serait pas forcément pour déplaire aux initiateurs de ce hashtag et de la protestation qui en a suivi.
Car ne nous leurrons pas, ce mouvement fait déjà l’objet de récupérations de tous ordres. Syndicales d’abord puisqu’il se situe dans un contexte pré-électoral, les élections professionnelles se situant début décembre. Politiques ensuite, avec les tentatives de séduction à droite comme à l’extrême droite.
Mais le débat le plus vif se situe surtout au niveau pédagogique. C’est l’occasion, pour certains, d’accuser pêle-mêle, le « collège unique », le « laxisme », la « pensée 68 », les « pédagogistes » et de se fabriquer des ennemis faciles et confortables pour éviter de se poser des questions plus pertinentes.  Comme par exemple, celle de la réponse à apporter à la permanence des voies de relégations, aux inégalités sociales et à l’échec scolaire qui sont pourtant des questions clés dans le traitement du problème. 
Ce hashtag peut donc être malheureusement au service d’une pensée très conservatrice qui prône l’exclusion et le renforcement des inégalités alors qu’il pourrait être l’occasion d’une vraie réflexion sur la gouvernance de l’éducation nationale et du pouvoir donné aux collectifs enseignants.


De quoi #pasdevague est-il le nom ? 
Il y a de tout dans ce mot-balise . A la fois des choses qu'on doit entendre et qui ont été masquées ou tues pendant longtemps mais aussi des discours pas très jolis qui parlent des élèves comme d'ennemis, qui considèrent que certains n'ont rien à faire à l'école, etc. Et la récupération, on l’a vu, a déjà commencé...
On peut trouver de l'intérêt à ce mouvement si ça permet de créer des espaces de parole dans les établissements et surtout si le déni qui est encore trop souvent la règle dans certains établissements disparait ou recule.
Si cela peut aussi faire comprendre que les suppressions de postes dans le secondaire ne feront qu'aggraver la situation, ce serait bien.
Ce que je lis aussi dans les nombreux témoignages c'est que, plus encore que la violence des élèves, ce qui est remis en question c'est la solitude des enseignants et une gestion très verticale et cloisonnée. Alors, si cela peut conduire à une vraie réflexion sur le management et la gouvernance dans l'Éducation Nationale, ce serait aussi une bonne chose.
Pour l'instant, #pasdevague est un exutoire mais plutôt qu'une parole qui se libère d'un seul coup, il faudrait créer des espaces et des temps de parole réguliers dans les établissements comme cela se fait dans les établissements innovants. Mais cela suppose de sortir d'une vision individuelle et solitaire du métier dont je ne suis pas sûr que tous ceux qui témoignent veulent sortir.

Dans le même temps, ce mouvement peut être inquiétant.
Dans une posture, malheureusement assez classique on s'oppose les uns aux autres. Les enseignants contre les personnels de direction, les CPE, les parents... Alors que la solution est dans le dialogue et la co-construction. Pour certains personnels de direction défaillants ou sourds combien qui sont en première ligne et soutiennent les équipes au quotidien ? Combien de CPE qui sont les premiers à se prendre toute cette violence et à la gérer avec les AED ?
Mon autre inquiétude porte sur la recherche des causes de cette violence. Beaucoup de ceux qui s'expriment franchissent le pas : la responsabilité est à chercher dans le "laxisme" et dans un grand mouvement de rejet ils mettent tout dans le même sac : la pédagogie trop "bienveillante" et une vision trop angélique des jeunes (un ancien responsable syndical parle de "culture bisounours"). Ce hashtag dès le départ était aussi destiné à cela et pas seulement à remettre en question un mode de management.
Et je ne parle pas de ceux qui considèrent que certains jeunes n'ont rien à faire à l'école et remettent en question le collège unique et l'éducation pour tous.


En résumé, je m’inquiète si l’issue de ce mouvement, dont on ne sait pas s’il va durer, conduit à justifier des réponses autoritaires et purement répressives. La vague ne sera alors que de l’écume...
Mais si ce hashtag permet à la parole de se libérer et conduit alors à sortir de la culpabilisation individuelle pour envisager la résolution des problèmes de manière collective et à penser autrement la gestion de l’éducation nationale, alors la vague se sera muée en énergie positive…

Philippe Watrelot


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lundi, octobre 22, 2018

Braquage(s) et effet d'aubaine...

Ce qui est délicat dans cette affaire de lycéen qui braque une arme sur une prof, c'est de distinguer le fait lui même de l'exploitation médiatique et politique qui en est faite.

Le fait, en lui même, est grave. En 36 ans de carrière j'ai déjà connu quelques situations extrêmes (et pas uniquement dans la période récente). Mais je dois dire que les images diffusées et reprises sont extrêmement choquantes. Le symbole est fort : un jeune braque une arme sur un(e) enseignant(e). 
Même si c'était "pour rigoler" (comme il semble le dire), même si l'arme était factice, cela doit être sanctionné. Car il faut qu'il y ait prise de conscience de la gravité de l'acte. Et c'est important qu'il y ait publicité de cette sanction pour qu'elle ait une vertu sinon éducative du moins d'avertissement. 

 Il est logique que les médias aient repris cette image qui est forte et symbolique. Elle attaque une représentation de l’École et des enseignants. Mais comme toute image, elle doit être questionnée et ne pas être sur-interprétée et l’information doit être délivrée avec précaution. 
C’est d’abord l’honneur de la presse que de ne pas tomber dans l’intrusion et de respecter les personnes. En d’autres termes, si on pouvait laisser en paix l’enseignante ainsi que les familles, ce serait la moindre des choses . « Braquer » les projecteurs doit se faire avec mesure. 

La presse et les commentateurs se doivent aussi de ne pas sombrer dans les clichés et les lieux communs. En d’autres termes, il importe de relativiser et de remettre en contexte. Ce fait est heureusement rarissime à moins qu’on ne prouve le contraire. 
Il est tentant de donner prise à tous les lieux communs autour de la perte de l’autorité, du laxisme, de la recrudescence de la violence... 
Il est moins confortable et plus rigoureux de montrer que dans la très grande majorité des cas, l’autorité des enseignants et des personnels éducatifs est respectée et construite collectivement et que les établissements savent gérer cela en alliant fermeté et éducation. Tous les travaux montrent aussi que la supposée « recrudescence » est à relativiser. 
Dire cela ne relève pas du déni et encore moins de l’excuse mais d’une simple exigence de rigueur dans l’analyse et n’enlève rien à la gravité de l’acte évoqué plus haut. 

 La responsabilité est encore plus grande pour les hommes politiques. Il s’agit de ne pas tomber dans la démagogie et la gesticulation. Malheureusement cette affaire apparait comme un effet d’aubaine médiatique. On retrouve des vieux réflexes politiciens qu’on a déjà connus par le passé et qui consistent à inventer des dispositifs ou même des lois pour répondre à l’émotion et à l’actualité. Nicolas Sarkozy en avait fait sa spécialité. 
Ici, Jean-Michel Blanquer et Christophe Castaner nous annoncent un « grand plan d’action », alors que tout l’arsenal juridique existe déjà. Mais cela permet des grandes déclarations où on annonce qu’on va restaurer l’autorité et « rétablir l’ordre ». Pour l’opinion publique, cela laisse entendre que les établissements scolaires sont des lieux où cela aurait disparu et jette encore plus le discrédit sur les enseignants. 

 Présenté comme « issu de la société civile », Jean Michel Blanquer est peut être le plus politicien de tous les ministres de l’éducation. Il sait se servir de toutes les occasions et maîtrise parfaitement la dimension médiatique. Cet évènement tragique est aussi, pour lui, un formidable moyen pour détourner l’attention des premières critiques sur son action et reprendre la main. 
Pendant ce temps, on ne parle plus de la dérive autoritaire de son ministère, et en particulier du CSP, dans la confection des programmes. On ne parle plus des évaluations des élèves et des établissements. On ne parle plus de la confusion et de l’impréparation de la réforme du lycée. On ne parle pas de la remise en cause de la formation des enseignants. On ne parle pas des suppressions de postes dans les lycées et collèges. Et de bien d’autres choses... 
La réponse à cet évènement risque d’être purement cosmétique (l’interdiction des portables dans les lycées) et répressive. Alors que la réponse doit être aussi du côte de la prévention. Avec non seulement une vraie politique des quartiers et de soutien aux associations qui y œuvrent mais aussi dans les établissements, des personnels suffisants avec des temps d’échange et de la formation continue... 
Mais mettre en place tout cela, ça demande du temps et ça ne fait pas de bruit médiatique. 

Philippe Watrelot


Ajout à ce billet (lundi 22/10 17h)
Sur Twitter a été lancé un mot-balise #pasdevague. Celui-ci semble rencontrer un succès certain (plus de 20 000 messages). Les témoignages doivent être surtout vus comme l'expression d'une souffrance et une défaillance de la gestion des ressources humaines dans un certain nombre d'établissements.
Si ce hashtag peut conduire à la naissance de lieux de paroles et à plus de solidarité et d'écoute mutuelle ce serait une bonne chose. S'il permet aussi d'éviter la culture du déni qui existe dans quelques endroits, ce serait encore mieux.



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