dimanche, février 16, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 10 au 16 février 2014





- Accord historique – Genre et manipulation – Genre et parapluie- Le monde comme il va… - .



Le bloc notes de la semaine revient sur l’accord syndical à propos du statut des enseignants du second degré. Est-ce un “accord historique” comme le dit un communiqué du ministère ? Ou un accord cosmétique ? Au risque d’y accorder trop d’importance, on revient aussi une nouvelle fois sur la polémique autour du genre qui a pris une dimension politique avec l’entrée dans la danse (du ventre auprès des traditionnalistes) de Jean-François Copé. Il faut aussi évoquer les pressions qui s’exercent auprès des écoles et des bibliothèques. Et se demander s’il ne faut pas arrêter de faire des concessions et de sortir le parapluie et faire preuve (enfin) de fermeté… On évoque aussi le monde comme il va (mal) pour finir…





Accord “historique” ?
Accord “historique” ? ou accord symbolique ?
A propos de l’accord qui vient d’être trouvé mercredi dernier sur l’évolution du métier d’enseignant du second degré, peut-on vraiment parler comme le font certains de la fin des statuts de 1950 ou est-ce seulement un changement cosmétique ? Verre au trois quart plein ou au trois quart vide ? se demande jean-michel Zakhratchouk sur son blog. : “doit-on être ravi devant le consensus, saluer un « bon compromis » et qualifier d’ « avancée » ce qui vient d’être établi, ou au mieux réservé, et pour le moins sceptique : si tout le monde est content, ne s’est-on pas « contenté » (c’est le mot) d’une réformette qui n’engage pas à grand-chose, qui ne change pas grand-chose et pourrait bien alors remettre aux calendes grecques (ou les calendes du « Grand Soir ») les vrais changements que beaucoup espèrent, y compris parmi les signataires de l’accord en question ? ”.
Si le qualificatif d’ « historique » est utilisé par le Ministère, et dans une moindre mesure par les syndicats signataires, la presse est, quant à elle, plus mesurée. Le journal Le Monde parle d’un “accord symbolique ”, Le Figaro évoque un “simple lifting .
Mais en quoi consiste cet accord ? Rappelons que le principe est de rendre visible le travail invisible qui était ignoré par les fameux statuts de 1950 qui ne reconnaissaient que les heures de présence devant élèves. On peut s’en féliciter. On aura donc bien avec cet accord une réécriture du fameux décret de 1950. La nouvelle version, qui prendra effet à la rentrée 2015, tiendra compte de l'évolution du métier. “Nous avons mis de la transparence, de la justice aussi, dans le maquis des décharges, des aménagements de service”, a indiqué le ministre, rappelant aussi la création de décharges en éducation prioritaire annoncées dès décembre. Par exemple, la décharge de “cabinet d’histoire-géographie” qui compensait le temps passé à gérer les cartes affichées dans les salles disparaît, mais des indemnités seront créées pour coordonner une discipline ou s’occuper d’un niveau de classe, selon le ministère. Les enseignants qui acceptent des responsabilités comme la coordination d'activités culturelles, le rôle de professeur principal ou celui de référent pour les élèves décrocheurs percevront dorénavant, une indemnité d'environ 1 200 euros par an, dont les modalités seront clairement établies. Une enveloppe d'une trentaine de millions d'euros est prévue à cet effet.
Mais l’accord trouve vite ses limites et on peut le lire en filigrane dans la déclaration du SNES. “Le ministère a compris dès le début qu’il y avait des bornes à ne pas franchir, notamment les volumes horaires de travail, et qu’il ne fallait pas entrer dans une logique d’annualisation”. “Le montant des indemnités n’a pas été discuté, ce sera fait ultérieurement”, a indiqué Frédérique Rolet, cosecrétaire générale du Snes-FSU, pour lequel l’identité professionnelle est “sécurisée” avec le futur texte. Mais on voit bien que les activités citées plus haut, si elles ont maintenant le mérite d’exister restent considérées comme annexes et ne sont pas l’occasion de réfléchir sur le “cœur” du métier et encore moins d’amorcer une réflexion sur les services enseignants.
Et puis surtout, cet accord ne concerne que l’enseignement dans les collèges et les lycées. On pourra vraiment parler d’un accord “historique” lorsqu’on parviendra à une réelle égalité de traitement (dans tous les sens du mot) entre les enseignants du primaire et les enseignants du secondaire. C’est là, véritablement, qu’on pourra aussi parler de justice et d’équité.

Genre et manipulations
La querelle autour du “genre” à l’École continue et a pris de nouvelles directions. D’abord un tour plus politique avec les interventions à répétition de Jean-François Copé et ensuite en élargissant le champ de la critique non seulement à l’École mais aussi aux livres jeunesse et aux bibliothèques.
La revue de presse de lundi 10 février revenait sur l’intervention de JF Copé au grand jury RTL-Le Monde dimanche dernier . Il s’en prenait à un livre jeunesse paru trois ans plus tôt, “Tous à poil”, dont il affirmait qu’il est recommandé par l’Éducation nationale et qui selon lui serait symbolique d’un gouvernement qui "s'immisce dans leur vie intime". Sur Europe1 quelques jours plus tard, il en rajoute une couche de plus en soutenant que ce livre est en fait un instrument de la lutte des classes.
M. Copé est intelligent (pensez donc, il a fait l’ENA…). C’est donc sciemment qu’il surfe sur la vague de la remise en cause de l’École. Lorsqu’il s’en prend à ce livre de jeunesse ce n’est pas de la bêtise mais du calcul politique. Il cherche à récupérer une opinion traditionnaliste et qui s’est agrégée l’an dernier avec les manifestations contre le mariage pour tous. A la suite de leur chef, plusieurs élus UMP semblent eux aussi, attiser la défiance à l'égard de l'École et jouent ainsi avec le feu... Je retiens cependant une réaction d'un député UMP, Franck Riester qui ne semble pas participer à cette manipulation générale, il s'étonne en effet que ses amis politiques «encouragent les familles à contrôler ce qui se passe en classe alors qu’ils en appellent sans cesse à la restauration de l’autorité du maître».
Une preuve supplémentaire de cette manipulation se retrouve en faisant un petit saut en arrière. En 2011, en effet, l’UMP (avec déjà à sa tête JF Copé) proposait de lutter contre les stéréotypes «dès la maternelle», exactement comme les ABCD de l’égalité d’aujourd’hui c’est ce que nous rappelle Libération et même Le Figaro ( !) . Nadine Morano invitait même à ce que l’on s’inspire du modèle scandinave… !

Genre, pressions et parapluie
Le Monde nous rapporte que des militants d'extrême droite intimident des bibliothèques”. Depuis une semaine, une trentaine de bibliothèques, selon le ministère de la culture, ont été ciblées par des activistes traditionnalistes, demandant le retrait de certains ouvrages dans les rayons jeunesse : dans la ligne de mire, Jean a deux Mamans, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi, La nouvelle robe de Bill, etc. Mercredi 12 février, sur RMC, Aurélie Filippetti a dénoncé des « attaques scandaleuses » contre les bibliothèques, qui sont des « espaces de liberté ».
Quant aux pressions sur les écoles, elles sont constantes et aboutissent à beaucoup d’inquiétudes. Un article du Monde décrit l’état d’esprit dans de nombreuses écoles . « Dans mon équipe, aujourd'hui, on porte un regard inquiet sur des ressources qu'on jugeait bon, jusqu'ici, d'utiliser », confie une directrice d’école primaire.
On apprend aussi qu’un collège de Tours a annulé une représentation théâtrale qui avait pour affiche une reproduction de L'Origine du monde, de Gustave Courbet, avec un bandeau noir masquant le sexe de femme.
« Tous à poil » n’est plus un outil pédagogique conseillé par le site des ABCD de l’égalité, révèle Le lab d’Europe1. Selon ce site d’information, l’Education nationale, le ministère des Droits des femmes et le Centre national de documentation pédagogique ont refondu leur site. Résultat : leur bibliographie jeunesse n’est plus une « ressource complémentaire » indicative mais un « outil pédagogique » recommandé aux enseignants.
En d’autres termes, face aux risque de pressions, beaucoup de personnes sortent le parapluie…
Pourtant quelques articles nous informent que la deuxième journée de retrait de l’école a fait un flop. Seules 71 écoles auraient été perturbées lundi dernier. Il ne faut donc pas sur-estimer la menace même si cet épisode de défiance à l’égard de l’École ne peut être non plus tenu pour négligeable. Pour revenir sur l’attitude de l’UMP, on ne peut qu’être scandalisé que les déclarations de plusieurs (ir)responsables de ce parti contribuent à entretenir le mouvement et à remettre en cause une institution telle que l’École.
Quelle attitude adopter ? Céder à la pression ou rester ferme ? En guise de réponse, il faut lire l’interview de Vincent Peillon dans Libération et titrée “Nous n’allons pas reculer sur nos valeurs, cela suffit ! ”. Le ministre, dont les services ont semblé reculer et faire des concessions douteuses face aux pressions, adopte dans cet entretien une position ferme : “Nous n’avons pas à nous excuser d’être de gauche ni d’être républicains. Nous n’allons pas reculer sur nos valeurs, sur l’égalité filles-garçons, sur la lutte contre le harcèlement, l’homophobie, les discriminations. Pas davantage sur la priorité à l’école. Cela suffit !
Espérons que ce discours de fermeté sur les principes soit suivi d’effets et conduise à des positions tout aussi claires à tous les échelons de l’administration. Et qu’on évite de sortir le parapluie…

Le Monde, comme il va (mal…)
L'habitat indigne a tué une petite fille de huit ans à Bobigny, mais quel média en a parlé... ? On a préfèrer parler de l’indignation de Copé sur un album de jeunesse.
C’est dans l’incendie d’un bidonville que la petite fille est décédée. Véronique Decker, directrice de l'école Marie-Curie de Bobigny, où était scolarisée la fillette évoque sa mémoire sur BFMTV et dans L’Humanité . Pour elle, Mélissa est "une victime de l'habitat en bidonville, une victime de l'habitat indigne. Ce n'est pas l'incendie qui l'a tuée! C'est notre indifférence à l'existence de l'habitat indigne.".
Un quart des Américains (26 %) ignorent que la Terre tourne autour du soleil et plus de la moitié (52 %) ne savent pas que l'homme descend du singe. C'est ce que révèle une enquête , menée auprès de 2 200 personnes par la Fondation nationale des sciences et publiée vendredi 14 février. Sur neuf questions portant sur des connaissances élémentaires en physique et en biologie, le score moyen des réponses exactes a été de seulement 6,5. Les Européens font-ils mieux ? Une petite recherche nous amène à un article paru dans Le Monde en juin 2012 qui nous donne les résultats d’une enquête réalisée à partir de quelque 33 000 entretiens menés dans une trentaine de pays d'Europe (Turquie comprise). Face à l'affirmation suivante – "le Soleil tourne autour de la Terre" – 29 % des personnes interrogées ont déclaré qu'elle était vraie, 66 % l'ont jugée fausse (ce qu'elle est) et 4 % ne savaient pas ou ont refusé de répondre. Et les russes sont 32% à penser que le soleil tourne autour de la Terre. L’article pose donc la question : “pourquoi le savoir scientifique peine-t-il à s'inscrire dans nos cerveaux ? ”. Selon plusieurs recherches — et l’expérience pédagogique nous le prouve au quotidien — lorsque les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants suivent des cours de sciences, ce qu'on leur enseigne entre parfois en conflit avec ce qu'ils savent intuitivement du monde car, lorsqu'ils arrivent en classe ou en amphi, leur cerveau n'est pas une feuille vierge attendant d'être imprimée. C’est ce que l’on appelle les théories "naïves", au sens d'"empiriques" ou plus simplement les représentations. Et selon la belle formule d’André Giordan, pour l’enseignant “il faut faire avec pour aller contre”.
Et sans le vouloir (quoique…) nous retombons sur la problématique du “genre”. Une partie de la difficulté vient de ce que certaines familles ont des représentations qui entrent en contradiction avec ce qui est enseigné à l’École. Dans le cas de la question du genre, cela est en plus renforcé par le fait que, pour beaucoup de personnes, les sciences sociales n’ont pas la même légitimité scientifique que les sciences “dures”. Mais il ne faut pas pour autant renoncer devant la difficulté et les résistances. Faire prendre conscience des déterminants culturels et sociaux et des stéréotypes grâce aux sciences sociales est le chemin pour éventuellement s’en émanciper. C’est bien de l’enseignement et non de l’idéologie… !

La revue de presse prendra un rythme aléatoire pendant la période des vacances d’hiver en fonction de l’actualité et de la disponibilité des différents rédacteurs.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, février 09, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 3 au 9 février 2014



- “Gel” décoiffant - Réduire les dépenses ? - peanuts - les statuts vacillent – vigilance - plaisir .

Même si la question du “genre” a continué à mobiliser les extrémistes, d’autres sujets sont venus aussi occuper l’actualité éducative. C’est le cas notamment de l’information démentie ensuite d’un projet de “gel” de l’avancement automatique de carrière. Cette information nous conduit à quelques développements économiques (on ne se refait pas…) autour de la réduction des dépenses dans l’E.N. et des salaires. On appelle aussi à la vigilance sur les petites renonciations sur le “genre” et on finit par un mot presque aussi tabou : le plaisir…





Un “gel” décoiffant…
Fonction publique : Peillon propose de geler l’avancement automatique ”. ce titre des Échos diffusé sur le site du journal à 19h le mercredi 5 février a immédiatement fait le buzz. Cette annonce se situait dans le cadre de la préparation du deuxième Conseil stratégique de la dépense publique (qui s’est tenu samedi 8/02). La mesure qui consisterait à “geler” l’avancement automatique (à l’ancienneté…) permettrait d’économiser 1,5 milliard d’euros.
L’information a été vite démentie par le principal intéressé, Vincent Peillon lui même dès le lendemain. Pourtant immédiatement, Le journal Les Échos confirmait ses informations : “Le gel de l'avancement des fonctionnaires est bien sur la table”. Tout comme France Info dont un des journalistes affirmait l’avoir entendu de la bouche du ministre mercredi midi.
Rumeur ou ballon d’essai ? On sait que c’est une pratique malheureusement assez courante chez les politiques de tester une idée en petit comité, de laisser “fuiter” et de voir ce que ça provoque comme réactions. Mais on peut aussi se demander si la rumeur n’est pas utilisée pour déstabiliser. Il y a un débat entre journalistes éducation sur ce point. Selon Marie-Caroline Missir dans l’Express il faut se demander qui a intérêt à fragiliser le ministre. D'après elle, avec cette fuite, Bercy fait ainsi pression sur le ministre pour qu'il limite ses velléités de dépenses. Pour d'autres journalistes, on l’a vu, Vincent Peillon aurait bien posé cette question à haute voix (et en "off") récemment. Ce qui semble certain en tout cas, d'après nos informations, c'est qu'Alexandre Siné, le directeur de cabinet de Peillon un inspecteur des finances (et agrégé de SES, comme quoi, ça mène à tout...) a produit un rapport sur cette hypothèse de "gel" de l'avancement automatique avec les services du ministère qui emploie à lui seul la moitié des fonctionnaires. Le point de départ est là. Ensuite, pour que cette info sorte, le Off du ministre avec les journalistes ne suffisait pas. Il faut une autre source qui confirme et c’est là que Bercy intervient.
Pourquoi le sujet est-il explosif ? D’abord parce que le point d’indice des agents est déjà gelé depuis 2010. Et que le pouvoir d’achat des enseignants et des autres fonctionnaires ne progresse plus hormis par l’avancement. L’économiste Robert Gary-Bobo qui a beaucoup travaillé sur la rémunération des enseignants, interviewé par Le Monde , rappelle que le pouvoir d’achat du salaire net des professeurs a baissé de 20 % entre 1981 et 2004, soit une diminution de 0,8 % par an en moyenne. D’après lui, en 2014, pour que les enseignants retrouvent, sur leur cycle de carrière, les mêmes espérances de gains que leurs aînés, recrutés en 1981, il faudrait revaloriser les salaires d’au moins 40 %. Cette hypothèse de gel se trouve donc en contradiction avec tout le discours sur la nécessité de revaloriser les enseignants. Elle est aussi le signe de l’absence de marge de manœuvre du gouvernement lié à la promesse de recrutement des 60 000 postes enseignants. Elle constitue aussi un élément de plus dans le désamour qui s’installe entre les enseignants et le gouvernement (et le ministre en particulier). Les tensions actuelles sur les dotations horaires en lycées et collèges et en particulier dans l’enseignement prioritaire, les reculades sur le “genre” à l’École, les difficultés de mise en place des ESPÉ, la querelle autour des rythmes réactivée dans le cadre des municipales, … sont autant de facteurs d’un clivage et d’une méfiance qui semblent s’installer entre le gouvernement et le monde enseignant. Dans ce contexte, poursuivre le travail sur l’hypothèse du “gel” de l’avancement serait une erreur ou un “suicide” politique…

Réduire les dépenses ?
On peut bien sûr rejeter a priori la nécessité de réduire les dépenses publiques et considérer qu’une autre politique économique est possible. Mais plaçons nous cependant dans la logique de ce “conseil stratégique de la dépense publique" . On peut alors voir qu’il y a d’autres sources d’économie.
C’est dans cette perspective que se situe mon collègue Arnaud Parienty sur son blog hébergé par Alternatives économiques . Pour lui “il est tout à fait possible de réduire la dépense publique d’éducation de plus de dix milliards d’euros par an sans toucher au salaire des enseignants. ” d’autant plus que payer les enseignants ne coûte que 22 milliards d’euros sur une dépense publique totale d’éducation de 72 milliards d’euros. Il est d’abord possible, nous rappelle t-il, de réduire le nombre d’heures de cours des élèves. Selon l’OCDE, la France dispense le plus grand nombre d’heures de cours aux écoliers de tous les pays européens, à égalité avec les Pays-Bas (un peu plus de 900 heures par an). Par comparaison, l’Allemagne est à moins de 700 h, l’Angleterre à 630 h, la Finlande est à 680 h. Petite contradiction, Parienty, prof en lycée, ne va pas au bout de son raisonnement et parle surtout d’une baisse d’heures possible dans le primaire mais reste timoré sur les réductions d’heures dans le secondaire.
Autre constat qui nous interpelle : pour un nombre d’élèves légèrement supérieur, l’Allemagne dépense 3 milliards pour les salaires des enseignants, moitié plus qu’en France. Et, au final, l’Allemagne dépense 1100 E de moins par élève, car la dépense hors enseignants est de 34 milliards par an en Allemagne, contre 50 milliards en France. Il y aurait donc potentiellement 16 milliards d’euros à gagner. Comment font-ils ? Des établissements moins nombreux et deux fois plus grands en moyenne. On pourrait réduire le nombre d’établissements en France et réaliser ainsi des économies d’échelle. Mais évidemment cela pose d’autres questions et notamment celle de l’aménagement des territoires. Au passage, on soulignera que des établissements plus grands touchant plusieurs communes peuvent aussi permettre une plus grande mixité sociale.
Autre piste : le personnel administratif et d’encadrement. Il y a un personnel administratif pour 8,5 enseignants dans le public. On pourrait atteindre des ratios d'encadrement plus bas. Concernant ces personnels de gestion, leur coût est estimé par l'OCDE à 3,5 milliards d'euros par an contre 0,9 en Allemagne. C'est, là encore, lié au nombre beaucoup plus élevé des établissements. Une économie substantielle sur ce poste de dépense est possible sans perte de qualité, si des regroupements de moyens sont opérés. De même, il y a un enjeu à faire évoluer la hiérarchie intermédiaire dont l’efficacité reste à prouver. Dans un système plus déconcentré et décentralisé et dans une logique d’empowerement des personnels, a t-on besoin d’une lourde structure administrative productrice de procédures et de contrôles a priori qui gênent les initiatives et l’innovation ?

Peanuts
If you pay peanuts, you get monkeys…” cette phrase célèbre de l’homme d’affaires Jerry Goldsmith a presque valeur de proverbe dans le monde anglo-saxon. Elle résume assez bien la théorie dite du salaire d’efficience. Les salariés ne sont pas payés en fonction de leur efficience mais ils adaptent leur efficience au montant de leur salaire. Autrement dit : si vous êtes payés des cacahuètes, vous en ferez pour le montant auquel vous êtes payé…
Cette réflexion peut venir à la lecture d’un article du Monde intitulé avec provocation : A-t-on les enseignants qu'il nous faut ?. L’article y rappelle cet extrait du rapport PISA :« Dans les pays où le PIB par habitant est supérieur à 25 000 euros, dont la France fait partie, il existe une corrélation entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale du système éducatif. ». Or l’enseignant français est moins bien payé que ses voisins. En France, le salaire hors indemnités diverses, après quinze ans d’exercice, est de 8 % supérieur au PIB par habitant. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, il est de 29 % supérieur à la richesse du pays par tête. Le dossier du Monde évoque l’exemple (discutable) de la Chine mais on propose aussi un reportage en Finlande où on apprend qu’il n’y a pas de crise de vocation pour les enseignants « Un professeur avec vingt ans de carrière peut gagner jusqu'à 5 000 euros », indique un responsable finlandais. Mais à salaire élevé, exigences élevées. Pour faire en sorte que l'élève s'épanouisse, l'enseignant doit déployer tout un éventail de méthodes pédagogiques. Le deal est donc clair : des salaires élevés mais un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989. Saura t-on évoluer cette fois ci ? Réponse la semaine prochaine (et plus bas dans cette chronique)
Cette question salariale a aussi une incidence sur le recrutement des nouveaux enseignants. Pour Robert Gary-Bobo, cité plus haut, La dévalorisation des carrières modifie évidemment les choix individuels d’une manière lente mais inexorable. Les concours sélectionnent de plus en plus de personnes qui valorisent le temps libre et la sécurité de l’emploi. […] Pour ces personnes, le temps libre est la contrepartie de leur modeste salaire. ”.
Il faut bien constater que malgré une légère remontée le nombre de candidats aux concours d’enseignement a tendance à baisser ces dernières années. En 2012 le nombre de candidat par poste était de 3,4… contre 7,8 six ans plus tôt . Les éléments d’explication sont nombreux : la réforme de la masterisation, qui a rallongé pour beaucoup la durée d’études avant d’accéder au métier, la suppression d’une réelle formation initiale et plus globalement la dévalorisation des métiers enseignants (absence de revalorisation salariale, image dégradée et attaques répétées de certains hommes politiques). Au total ce sont 16% des postes proposés au concours 2013-1 qui n’ont pas été pourvus dans le secondaire. Ainsi proposer des postes supplémentaires ne résoudrait pour l’instant qu’en partie le problème : il faut aussi trouver des candidats.
Et il faut aussi leur proposer une formation initiale et continue de qualité. Or, aujourd’hui, des doutes commencent à poindre sur la qualité et l’efficacité des nouveaux dispositifs de formation dans les ESPÉ. Il n’est pas trop tard pour faire évoluer ce qui se met en place. Là aussi un “choc de simplification” s’impose !
Ce rappel est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire d’André Ouzoulias, qui vient de décéder et dont ce fut le dernier combat. Le meilleur moyen de lui rendre hommage est de relire son entretien (réalisé il y a quelques semaines) avec Luc Cédelle où il nous alertait sur les dangers du dispositif de formation qui se met en place. Non pas pour le plaisir de la critique mais de manière constructive avec l' "optimisme de l'action"..

Les statuts vacillent…
Accord en vue sur le statut des enseignants titre Les Échos. Le ministre de l'Education souhaite obtenir le feu vert définitif des syndicats d'enseignants mercredi prochain, jour où ils sont tous conviés au ministère pour clore les discussions engagées en novembre. Daniel Robin, cosecrétaire général du SNES-FSU, le syndicat majoritaire, parle d'une réunion « conclusive », tandis que le secrétaire général du SE-Unsa, Christian Chevalier, prédit que « ça va déboucher ». Les Échos nous rappelle que Vincent Peillon a relancé les négociations stoppées en décembre, après le report de la réforme des professeurs de classes préparatoires. Sauf problème de dernière minute toutes les parties prenantes devrait signer et cela devrait permettre d’arriver à un nouveau décret, destiné à dépoussiérer des textes datant de 1950.
Ces décrets de 1950, maintes fois attaqués, jamais abrogés sont évoqués par Marie-Christine Corbier dans le journal Les Échos . La journaliste détaille la méthode suivie par Vincent Peillon. Le ministre s'est attaqué aux textes avec une méthode radicalement différente de ses prédécesseurs : pas question de toucher aux sacro-saintes heures de service. « Pourquoi reposer des questions dont nous savons que la réponse est non ? », confiait Vincent Peillon cet été. Et comme le souligne l’article, si dans l'aboutissement de sa réforme, la méthode Peillon a compté, « les syndicats savent aussi qu'il vaut mieux réformer maintenant qu'en 2017 sous un gouvernement de droite ».
Sur quoi reposent ces négociations ? L'un des enjeux est l'organisation du "bloc 3", c'est à dire l'indemnisation des activités exercées sur la base du volontariat (professeur principal, la charge de gérer un projet pédagogique d'équipe, le numérique...). Celles-ci sont actuellement rémunérées en heures supplémentaires, sans discussion au conseil pédagogique et au conseil d'administration sur leur répartition. Ces indemnités représenteraient quelque 30 millions d'euros. L’habileté est donc que les statuts ne sont pas attaqués mais contournés. Mais le texte redéfinit malgré tout le métier des enseignants en prenant en compte tout ce qu'ils font en dehors de leurs heures de cours - travail en équipe, conseil de classe, accompagnement des élèves, échanges avec les parents… En fait : officialiser ce que les enseignants font déjà !
Restent d’autres chantiers et notamment une réelle égalité entre les enseignants du primaire et du secondaire, ou encore l’évolution des métiers de la formation, mais si l’on aboutit à ce que l’opinion enseignante évolue sur ce que sont ses missions et fasse coïncider le discours et la réalité des pratiques, on aura déjà fait pas mal bouger la culture enseignante et la conception du métier !

Genre et vigilance…
Si nous n’avions pas parlé du “genre” dans cette revue de presse, nous n’aurions pas été complets. De nombreuses contributions et tribunes continuent à alimenter le flux médiatique. On s’attardera sur deux informations qui nous semblent mériter notre vigilance collective.
C'est un article de Mediapart qui a révélé le 6 février dernier que le gouvernement ferait la chasse au mot «genre» dans ses publications, circulaires, etc. L’information est reprise dans L’Humanité . Des intervenants voient leurs conférences et formations en milieu scolaire annulées au dernier moment, des sites officiels seraient “toilettés” pour éviter le mot jugé provocateur. Une tribune signée d’un collectif de plusieurs chercheuses et chercheurs parue dans Le Monde dénonce une “désolante capitulation gouvernementale ”.
Autre information qui doit nous inciter à la vigilance : à Angers, mardi dernier, des élèves de 4e du collège (privé) Saint-Martin n'ont pas pu assister à la projection du film Tomboy. Des représentants de la Manif pour tous menaçaient d'empêcher les élèves d'aller au cinéma. C’est un article de Ouest-France qui nous l’apprend. C’est l’occasion de rappeler que l’avis et les pratiques pédagogiques de très nombreux enseignants du “privé” est loin des caricatures faciles. Une enseignante d’histoire-géographie dans ce collège « catholique et républicaine » résume assez bien la position des enseignants « Notre philosophie, faut-il le rappeler à ces militants anti-mariage pour tous, est d’ouvrir le regard de nos élèves, d’éveiller leur esprit créatif et critique. ». A Angers, comme ailleurs, dans le privé comme dans le public…

Plaisir
Toute la semaine, le journal Le Monde a proposé une série intitulée “PISA-Choc(qu’on peut parcourir sous forme d’une synthèse interactive sur le site du journal. Deux mois après la publication de l’enquête PISA, nous sommes en effet loin des réactions unanimes et de l’avalanche d’articles qui ont suivi et qui n’ont duré que quelques jours… Et après, plus rien… L’initiative du journal est donc la bienvenue et les questions évoquées dans ce dossier méritaient d’être posées. Parmi les nombreux articles, plusieurs sont notables et méritent d’être relus.
En clôture de cette série, Vincent Peillon est interviewé par par Maryline Baumard et Mattea Battaglia . On lui demande de revenir sur les questions posées tout au long de la semaine. C’est bien sûr l’occasion de démentir à nouveau l’information sur le gel de l’avancement et aussi les rumeurs qui ont circulé sur l’ABCD de l’égalité. On retiendra surtout de cet entretien une affirmation pédagogique forte : “Il n'est pas possible de réussir à l'école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d'opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu'ils souffrent. ”.
Le “plaisir”, voilà un autre mot qui ne doit pas être tabou ni expurgé de l’École mais au contraire mis en exergue. Là aussi, les pédagogues doivent être vigilants…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, février 02, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 27 janvier au 2 février 2014





- Rumeur – Retour vers le passé – “Théorie” ou pas théorie ? - Défiance - .



Un bloc notes entièrement consacré à la rumeur qui a entrainé une journée de « retrait des écoles » et depuis un très grand nombre d’articles et de réactions politiques. Au delà de la question sur la naissance de la rumeur et la réflexion sur les mots utilisés (faut-il parler de “théorie” du genre ?) la question qui devrait préoccuper tous les pédagogues, c’est surtout le fait qu’elle ait trouvé un tel écho et qu’elle ait engendré dans certaines villes, dans certains quartiers, des “retraits” des écoles dans des proportions inquiétantes. Défiance et vigilance seront les deux mots clés de cette chronique…





Une rumeur unique en son genre
Théorie" du genre: guerre à l'école” C'est le titre de Libération, vendredi 31 janvier. 3 pages consacrées à cette rumeur unique en son genre (attention jeu de mots...)
J’ai toujours pensé qu’on devrait enseigner la sociologie de la rumeur en sciences sociales ou même en éducation civique et en éducation aux médias. A l’heure d’internet et des réseaux sociaux où le manque de recul sur une information de moins en moins tracable et de plus en plus abondante est encore plus criant, c’est une nécessité éducative et citoyenne que de réfléchir sur la manière dont se construit l’opinion. Tout autant que sur la construction des stéréotypes…
Mais s’agit-il vraiment d’une rumeur ? Guillaume Brossard, cofondateur de HoaxBuster est interviewé par Le NouvelObs.fr . Ce spécialiste de la rumeur décrypte le mécanisme à l'oeuvre avec la supposée "théorie du genre" : “Cet appel au "boycott d'un jour de classe" a ceci d'intéressant qu'il est très politisé, très réfléchi, et que les réseaux sociaux et autres canaux viraux ont servi à blanchir son origine. Nous ne sommes pas face à un mouvement spontané d'internautes, mais face à une instrumentalisation mûrement réfléchie. ”. Et il précise : “Cet appel a tout de la rumeur, mais ce n'en est pas vraiment une. Il s’agit d’une manipulation orchestrée, s’appuyant sur les mécanismes de diffusion d’une rumeur. Toute cette histoire est instrumentalisée et parfaitement maîtrisée en amont.”.
Même avis chez Aurore Van de Winckel, spécialiste des légendes urbaines, qui s’exprime sur le site NouvelObs.fr. Elle explique que ce qui permet à la rumeur de se développer c’est qu’elle s’appuie sur des éléments d’information (volontairement ?) mal interprétés ou tronqués. Selon cette expression, il y a donc la diffusion délibérée d’information “dramatisées”.
Une nuance toutefois, à mon sens, elles sont plus que dramatisées, elles sont mensongères. On n’est déjà plus dans la rumeur mais dans la calomnie, l’intox et la manipulation….
Pour la spécialiste, le public ciblé par les SMS appelant à la Journée de retrait de l’École ne prend évidemment pas le temps d’aller lire de longs discours ou des documents ennuyeux produits par les médias afin de les comparer avec ce qui arrive par des canaux non officiels. Si la rumeur se propage, souligne t-elle, c’est parce que le terrain est favorable. Elle trahit, en réalité, des problèmes identitaires et l’inquiétude de certains concernant la perte des repères traditionnels permettant d’identifier les sexes et les rôles de l’homme et de la femme. “Confrontés à une situation mettant profondément en cause leur manière d’être et la représentation qu’ils se donnent d’eux-mêmes, ils se sentent menacés et impuissants. La rumeur leur permet alors de substituer un problème fictif – l’apprentissage de la masturbation des enfants à l’école – à un problème réel – leur perte de repères identitaires – en leur donnant l’impression d’agir contre lui par leurs actes et leurs protestations.”.
Un terrain propice, donc et déjà bien labouré par des activistes, des médias et des partis politiques. La construction de cette polémique majeure on la doit en effet non seulement à des groupuscules et des sites qui leur seraient affiliés mais aussi à des médias traditionnels et supposés respectables. A cet égard, le rôle du Figaro dans cette construction est très net depuis longtemps et a contribué fortement à la situation actuelle. De même, pour les partis politiques, l’UMP on l’a vu ces derniers jours a tardé à condamner les appels au boycott de l’École et reste très ambigüe sur l’usage politique de la “guerre du genre”. Un article de Louise Tourret dans Slate.fr le met bien en évidence. La journaliste y écrit “il y a un usage politique à faire croire que des dispositifs tels que l’ABCD de l’égalité sont le fruit d’une idéologie inspirée par une théorie du genre —qui n’existe pas à proprement parler et que personne n’est vraiment capable de définir… Et on peut aussi rappeler que cette exploitation politique n’est pas seulement le fait d’extrémistes: en la matière, l’UMP a déjà préparé le terrain.”.On doit aussi ne pas oublier sa conclusion car c’est cette réflexion là qui doit le plus nous interpeller : “Mais Il faudrait aussi réfléchir au nouveau front qui s’ouvre sur une guerre de valeurs. Avec cette idée qui semble nourrir la rumeur: des gens «d’en haut» voudraient imposer leurs normes sexuées, plus libérales, aux gens «d’en bas»…

Retour vers le passé
Retour vers le passé est bien l’expression la plus appropriée à plus d’un titre. D’abord par l’aspect proprement réactionnaire de certaines opinions mais aussi parce que cette polémique ne peut être comprise que si on la resitue dans une histoire. En effet, ce n’est pas la première fois que l’on parle de la « théorie du genre ». Comme le fait remarquer Eric Fassin dans une interview au magazine Métro (voir plus bas), elle trouve son origine dans un Lexique du Vatican publié en 2005.
Une petite recherche sur mon blog où sont stockées toutes mes revues de presse depuis 2004 permet de retrouver des occurrences de cette expression dès 2011. En juin 2011, un article du Figaro, déjà très mobilisé sur cette question, nous informait que l’église catholique s'inquiétait de l'introduction en première de la «théorie du genre» en SVT, contestant les différences homme-femme. Christian Jacob, Président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, demandait une mission parlementaire sur les livres scolaires. 193 parlementaires UMP adressaient une lettre au Ministre de l’époque, Luc Chatel demandant le retrait des manuels scolaires de SVT de classe de première L et ES. Le 19 septembre 2011, un collectif composé d'Eric Fassin (sociologue), Geneviève Fraisse (philosophe), Françoise Héritier (anthropologue), Axel Kahn (généticien), Gérard Noiriel (historien), Christine Petit (biologiste), Louis-Georges Tin (littérature française), Catherine Vidal (neurobiologiste) signait dans Le Monde une tribune pour défendre les études de genre à l’école. Ils estimaient qu'il n'appartient pas aux politiques de "dire la vérité scientifique". Or «en février 2005, la loi imposant d'enseigner “les apports positifs de la colonisation” montrait déjà les dangers de l'intervention partisane dans les programmes », écrivaient-ils. “Demain, ils pourraient s'en prendre à la recherche - par exemple en matière d'immigration. ”. Et ils concluaient : “Contre un savoir partisan, nous prenons le parti du savoir.
La théorie du genre s'immisce à l'école ”. En mai 2013, un article du Figaro présentait ainsi un colloque du Snuipp autour du thème «Éduquer contre l'homophobie dès l'école primaire». On y évoquait longuement le livre Papa porte une robe et on rappelait aussi la polémique datant de 2010 autour du film Le baiser de la Lune . Cet article se situait évidemment dans un contexte qui était aussi celui du “printemps français” et de la contestation contre le mariage pour tous. Non, décidément, cette rumeur n’est pas un phénomène spontané…

Théorie ou pas théorie ?
Alors, en fait, la « théorie du genre » ça existe ou pas ?
Plusieurs dimensions s’entrechoquent dans la réponse à cette question. Une dimension stratégique et politique et une dimension théorique et même épistémologique.
Sur le plan politique, Vincent Peillon refuse la “théorie du genre : “ Il n’y a pas d’enseignement de la théorie du genre à l’école mais une « éducation à l’égalité fille-garçon ”a t-il déclaré mardi dernier à l’assemblée nationale. Mais sur i-télé , ses propos sont plus difficiles à interpréter :“la théorie du genre consiste à dire, dans le fond, qu'il n'y a pas de différences entre les garçons et les filles, j’y suis défavorable. ”. En s’exprimant ainsi, il laisse penser qu’il y aurait une “théorie” mais que celle ci n’est pas enseignée. Sa phrase est confuse et certains lui reprochent même une erreur politique . On peut comprendre la posture de Vincent Peillon. Il fait de la politique et cherche surtout à calmer le jeu. Mais en procédant ainsi, il risque de provoquer l’incompréhension chez certains et par un effet pervers de valider la manipulation de ceux qui propagent la rumeur.
Attardons nous sur le mot théorie et allons chercher sa définition dans le dictionnaire (ici le “Petit Robert”) : « Construction intellectuelle méthodique et organisée, de caractère hypothétique (au moins en certaines de ses parties) et synthétiques. Synonymes : hypothèse, système. ». Pour le dire autrement, une théorie est donc une approche globale d’explication du monde ou d’un certain nombre de phénomènes, sur un plan épistémologique cela suppose un seuil élevé de validation empirique. Mais dans le sens commun : Théorie = spéculation (plus ou moins “fumeuse”) Or, c’est ce sens là qui prévaut dans la polémique actuelle. Paradoxalement, la première acception peut être aussi détournée puisque la “théorie” peut également être associée à l’idée de dogme et à une approche totalisante et qui remette en question le “bon sens” et l’évidence visible. Les auteurs de l’intox ont particulièrement bien choisi le terme pour qu’il fasse son chemin dans l’opinion. Lorsqu’en plus on lui accole un terme américain (ici le “gender”…) cela renforce et valide la méfiance vis-à-vis d’un corps étranger et déconnecté du quotidien. Les mots sont importants et on sait bien que dans une bataille idéologique, le fait de reprendre les mots de l’adversaire est déjà une forme de défaite.
Que disent les spécialistes de cette question ? Valident-ils l’expression de “théorie du genre” ? "Cette rumeur est totalement mensongère", écrivent des universitaires alsaciens dans une tribune parue dans le journal L’Alsace. "La prétendue 'théorie du genre' n'existe pas. Le genre est simplement un concept pour penser des réalités objectives", expliquent-ils, soulignant qu'"on n'est pas homme ou femme de la même manière en Afrique, en Asie, dans le monde arabe, en Suède, en France ou en Italie". "Le genre est un outil que les scientifiques utilisent pour penser et analyser ces différences", poursuivent les universitaires. Même réfutation chez Éric Fassin sociologue et professeur au Département de science politique et au Centre d’études de genre à Paris 8, interviewé par le journal Métro . “Dans les études de genre, personne n’utilise cette expression : le genre est un concept, autour duquel s’organise un champ de recherches, avec des théories différentes. "La théorie du genre" est donc une expression polémique. Elle vient du Vatican, qui s’est lancé dans une croisade contre le genre avec un Lexique publié en 2005 par le Conseil pontifical pour la famille. Pourquoi tant d’inquiétude ? Pour Benoît XVI, défendre un ordre naturel (il appelait à une "écologie humaine"), c’était résister au "relativisme". Mais en réalité, c’était refuser l’idée que les normes ont une histoire, puisqu’elles sont sociales. ”. Enfin, on peut rappeler aussi que ce terme abusif de "théorie du genre" est en réalité une référence lointaine aux études sur le genre, les "gender studies", un champ de recherches interdisciplinaires davantage exploré dans le monde anglo-saxon. Le concept de "gender" est né aux Etats-Unis dans les années 1970 d'une réflexion autour du sexe et des rapports hommes/femmes, en plein mouvement féministe, nous rappelle le magazine Sciences humaines dans un article intitulé “Les gender studies pour les nul(-le)s”.
Bien sûr, on trouvera ici ou des expressions publiques qui revendiquent le concept . Mais il semble bien qu’il y ait un enjeu idéologique derrière l’utilisation de ce mot. Sans guillemets ou même avec guillemets… Selon un spécialiste en linguistique qui s’exprime dans le Nouvel Obslorsque Peillon proclame qu’il "refuse la théorie du genre", il commettrait donc une double erreur. Il valide l’existence d’une théorie pourtant imaginaire, et donne corps à une menace inexistante.
Avec le terme de "théorie", les colporteurs de la rumeur imposent donc leur grille de lecture et lorsque dans le débat public, les hommes politiques, les représentants syndicaux ou associatifs, les médias reprennent à l’envi cette expression de “théorie”, c’est déjà une victoire pour eux…

Défiance
Au delà de la question sur la naissance de la rumeur et la réflexion sur les mots utilisés, la question qui devrait préoccuper tous les pédagogues, c’est surtout le fait qu’elle ait trouvé un tel écho et qu’elle ait engendré dans certaines villes, dans certains quartiers des “retraits” des écoles dans des proportions inquiétantes. Comment une telle défiance a t-elle pu s’installer ? Comment des parents ont-ils pu croire toutes les âneries sur ce que les enseignants qu’ils connaissent pourtant pourraient faire à leurs enfants ?
Sur le plan politique il semble qu’il faudrait distinguer l’expression sur la question du genre elle-même — avec toutes les polémiques et la mauvaise fois qu’on a tenté d’analyser —  d’une expression plus ferme et précise sur la question de la défiance vis-à-vis de l’institution qu’est l’École. Les hommes politiques de tous bords devraient être unanimes sur ce soutien à l’institution clé qu’est l’école publique.
C’est aussi évidemment un enjeu majeur pour tous les pédagogues car cette déplorable affaire est le symptôme d’une désinstitutionalisation de l’École. Comment renforcer le lien avec les parents ?
C’est la question que posent plusieurs spécialistes François Dubet, dans Le Monde constate que “l'école n'informe pas de ce qu'elle enseigne en matière de « mœurs » et de morale. Or si vous laissez un vide, la rumeur s'en saisit. […] Quand il y a vacance d'information, la désinformation prend ses aises.” Pour lui cela s’explique car l’École (globalement) “ ne sait pas travailler avec les familles et qu'elle estime qu'elle n'a pas à rendre des comptes sur les enseignements, même si beaucoup d'équipes le font. L'école doit dire ce qu'elle veut faire avec ses ABCD de l'égalité dans les écoles maternelles. Elle doit prendre la peine d'expliquer aux familles.”.
Pour Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog cette affaire montre la nécessité d’un dialogue indispensable et qui s’apprend. Il insiste en particulier sur cette dimension de la formation au sein des ESPÉ. Et il conclut : “on peut se féliciter que Vincent Peillon invite de façon ferme à ce dialogue avec les familles qui ont manqué de confiance dans l’école, mais il ne doit pas s’agir de remontrances, mais bien d’un dialogue ouvert, « stratégique », manière la plus efficace de s’opposer aux élucubrations réactionnaires […]”.
Même tonalité chez Lucien Marboeuf, prof des écoles et blogueur Pour lui, “il apparaît en creux de cette affaire que l’école a laissé, d’une manière ou d’une autre, la place, l’interstice, un espace d’incertitude dans lequel s’est engouffrée la rumeur. Un espace institutionnel, un espace communicationnel, un espace relationnel. La leçon de cette affaire, c’est que l’école doit absolument resserrer les liens avec les familles.”.
Bien sûr, il ne faudrait pas que certains enseignants concluent de ces diverses prises de position qu’ils se trouvent –encore une fois – mis en accusation. Beaucoup font un travail remarquable dans ce domaine du dialogue avec les familles. Et il importe de toujours distinguer ce qui relève de l’action de chacun et ce qui relève de l’institution elle même dans laquelle on travaille. En d’autres termes, et pour reprendre une expression que j’ai souvent utilisée, on peut bien faire son travail dans un système qui dysfonctionne !
Face à cette situation sans précédent, un seul mot d’ordre s’impose pour les pédagogues : Contre la défiance, s’il faut de la vigilance il faut surtout (re)construire la confiance!

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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