Je suis heureux d’annoncer la sortie de mon livre « Je suis un pédagogiste » aux éditions ESF-Sciences Humaines pour cette rentrée scolaire 2021. Même si celui-ci est le prolongement du blog que je tiens depuis 2004, je n’avais pas cru bon d’y consacrer un billet jusque là. En revanche, ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux ont été abondamment (trop ?) informés de sa parution !
Le livre devrait se suffire à lui même et je vous invite tous évidemment à le lire ! Plutôt que d’en proposer un résumé, dans ce billet de blog, je voudrais surtout raconter un peu la genèse et les réflexions qui m’ont accompagné tout au long de ce processus d’écriture et de réflexion.
Aux origines…
L’idée de cet ouvrage date d’il y a plusieurs années. Il me trotte dans la tête depuis 2015. Je me souviens très bien du moment : le 19 mai 2015. J’étais pour quelques mois encore président du CRAP-Cahiers Pédagogiques. Ce mouvement soutenait (avec nuances) la réforme du Collège. C’est pour développer cette position que je suis invité sur le plateau d’une chaine d’information continue dans un de ces débats binaires (et sans trop de nuances) que la télévision apprécie tant. Avec moi et face à moi, des syndicalistes enseignants et un professeur de sciences de l’éducation. La disposition autour de la table est simple : d’un côté les « Pour », de l’autre côté les « Contre ». Le journaliste commence en me présentant ainsi : « Philippe Watrelot, vous êtes un pédagogiste... »Je réagis immédiatement en lui faisant remarquer que le terme qu’il emploie est plutôt utilisé pour discréditer la position de celui qu’on qualifie ainsi. Une fois le débat terminé, le journaliste revient vers moi pour m’avouer qu’il ne savait pas la signification péjorative de ce terme. Il l’entendait et le lisait constamment et pensait donc qu’il convenait parfaitement.
A partir de cette année 2015, le mot s’est répandu dans la presse et les médias. Nicolas Sarkozy l’utilise dans ses discours. François Fillon, à plusieurs reprises parlera des « pédagogistes fous ». Jean-Michel Blanquer, lorsqu’il devient Ministre de l’Éducation en 2017, l’utilisera lui aussi pour désigner ceux qu’il voit comme des idéologues déconnectés du réel. Les couvertures de journaux reprennent évidemment cette thématique. Le terme a aussi été abondamment utilisé dans les réseaux sociaux. Avec le « pédagogiste » on se trouve donc avec la fabrication d’un épouvantail. Cet artifice rhétorique est bien commode. Il permet de se fabriquer un ennemi facile à combattre et qu’on accuse de tous les maux : le déclin de l’École, l’échec scolaire, la baisse des exigences...
De multiples obligations et des ennuis de santé m’ont empêché d’avancer dans ce projet. L’année 2020 m’en a enfin donné l’occasion. Je ressentais aussi une certaine urgence car je voulais m’exprimer alors que je suis encore en activité, avant la retraite.
Sa rédaction a donc commencé au début de l’année 2020 (eh oui, le premier confinement…). Le premier jet était monstrueux (520 000 signes pour ceux à qui ça parle). La pandémie a peut-être rendu sinon obsolètes du moins décalés certains propos initiaux. Mais c’est surtout la proximité avec les élections de 2022 qui m’a amené à revoir la structure du manuscrit initial. Celui-ci était peut-être trop dans la défensive et la réfutation des clichés et lieux communs. Il a évolué pour devenir plus revendicatif et force de propositions. Et il a maigri, lui…
Je dois remercier la maison d’édition qui m’a fait confiance et m’a permis de faire évoluer ce projet. Les conseils de Carole et Sophie ont été précieux. Merci à elles !
Articuler le «Je/Nous»
J’ai consacré une bonne partie de ma vie à agir et réfléchir sur les questions d’éducation. Je suis d’abord un praticien. J’enseigne les Sciences économiques et sociales depuis 1981. J’ai participé à de nombreux projets et expérimentations au cours de toutes ces années. J’ai aussi produit des manuels, des vidéos, des sites pédagogiques…Je suis devenu aussi formateur d’enseignants à l’IUFM puis à l’ESPÉ et aujourd’hui l’INSPÉ en temps partagé depuis 2006. On reproche, à tort ou à raison, aux formateurs d’être « déconnectés du terrain » pour ma part je maintiens ce cap du temps partagé depuis 15 ans…
Je suis aussi « engagé », « activiste », « militant » « bénévole », (selon l’expression que vous préfèrerez !) en agissant dans plusieurs mouvements pédagogiques et d’éducation populaire.… J’ai commencé pendant plusieurs années par être animateur puis directeur de centres de vacances. J’étais militant aux Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMÉA) où j’ai été formateur (à l’époque on disait « instructeur ») et responsable d’une association locale. J’ai aussi eu des responsabilités dans une association de profs de SES. Puis je me suis tourné vers le Cercle de recherches et d’action pédagogiques (CRAP ) qui édite la revue les Cahiers Pédagogiques. J’y ai occupé de nombreuses fonctions bénévoles et j’en ai été le président pendant une dizaine d’années. Mes fonctions m’ont aussi amené à participer à plusieurs instances. J’ai en particulier été entre 2016 et 2017 président du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite éducative (Cniré).
C’est aussi à ce titre de représentant associatif que j’ai été amené à intervenir dans les médias pour représenter ce courant de pensée et défendre nos positions. Je ne suis plus en responsabilité aujourd’hui mais j’interviens toujours sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ma conviction est que le débat sur l’École est un débat citoyen. Il mérite d’être éclairé, argumenté et nuancé. C’est la raison principale de cet ouvrage que d’essayer d’y contribuer.
Ce livre, dès le titre, est écrit à la première personne. Mais le « Je » s’articule avec le « Nous » !
J’y fais référence à des travaux collectifs (en particulier le rapport du Cniré) et, même s’il serait immodeste de présenter ce livre comme un manifeste, j’essaie aussi d’être le représentant d’un courant de pensée. Ma réflexion, comme mon parcours le montre, s’appuie sur du collectif et ne peut se réduire à une pensée et une aventure individuelles.
« Retournement du stigmate »
Si j’appelle à la nuance, on pourrait me reprocher de ne pas en faire preuve avec ce titre qui en manque et reprend une dénomination polémique. Avant même de lire le livre, mes adversaires se sont vite emparés du dessin de couverture pour faire ce même reproche. Plusieurs de mes amis pourraient aussi me faire le grief de l’utiliser et cautionner ainsi un qualificatif qu’ils réfutent. C’est en effet une provocation ! Il est quelquefois nécessaire d’en user pour se faire entendre.
C’est surtout l’occasion de re-questionner et déconstruire toutes les critiques et les présupposés associés à cette expression. C’est le fil rouge de la première partie de cet ouvrage où il sert aussi d’analyseur des maux de l’École. On pourra me blâmer de ne pas rentrer dans le détail et de survoler certains points. Mais il s’agit avant tout de faire œuvre de vulgarisation. Ce n’est malheureusement pas par une publication savante (je n’en suis pas un…) qu’on combat les polémistes.
« Résister et proposer » c’était le slogan que nous avions retenu pour les premières assises de la pédagogique que nous (le CRAP-Cahiers Pédagogiques) avions organisé en 2006. Résister aux discours cyniques et les simplifications, résister aussi contre toutes les instrumentalisations de l’École, notre bien commun. Je ne me résigne pas à laisser le champ libre de l’opinion publique à ce type de discours.
Proposer parce que le meilleur moyen de combattre les caricatures et la fabrique d’épouvantails faciles c’est justement de dire clairement ce que nous défendons. C’est pour cela qu’il m’a semblé utile de revendiquer avec fierté un terme qui a été au départ forgé pour déconsidérer, voire insulter. C'est justement l'objet de la deuxième partie du livre.
Un autre des éléments déclencheurs de ce livre a été, en effet, au hasard de mes lectures, d’apprendre l’origine du mot « intellectuel ». Initialement c’est un terme péjoratif créé au moment de l’affaire Dreyfus pour discréditer ses partisans. S’il peut être encore utilisé négativement, il a pris aujourd’hui un tout autre sens.
En sociologie, on parle de « retournement du stigmate » pour désigner ce phénomène. Les exemples sont nombreux dans ce domaine. On peut citer le mouvement noir avec « Black is beautiful » ou la gay pride. Rappelons que « gay » ou « queer » (désaxé) sont au départ des termes péjoratifs. Très immodestement, mon ambition est d’essayer de faire de même avec ce mot « pédagogiste ». Même si le risque est de devoir assumer cette étiquette…
Suis-je masochiste ?
Car le risque est en effet de « remettre une pièce dans la machine » de la polémique, de l’attaque violente et gratuite, voire de la calomnie sur les réseaux sociaux. Je le subis, comme d’autres, depuis plusieurs années.
Dans l’hypothèse (on peut rêver…) où ce livre rencontre un certain écho dans la presse au delà du petit monde de la pédagogie, c’est risquer d’être enfermé dans le rôle du « pédago de service ». Mais comme c’est déjà un peu le cas et que par ailleurs je constate que les idées que je défends sont partagées, cela vaut la peine. Je suis prêt, en tout cas à répondre de manière argumentée aux critiques. Figurez vous, j’aime le débat et je me répète, je pense que les questions autour de l’École doivent faire l'objet de vrais débats citoyens.
Mais s’il le faut, j’endosse aussi les attaques. Elles peuvent être le signe que les idées font mouche et interpellent. Et elles me renforcent dans mon engagement. Je ne sais pas si je suis masochiste mais je suis « teigneux » !
Philippe Watrelot
16 aout 2021