- L’année qui s’en va… - L’année qui vient – la droite et l’École – matière à réfléchir -
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C’est la rentrée ! Et c’est donc aussi le retour de la revue de presse. L’actualité éducative est déjà assez riche alors que nous ne sommes même pas encore au mois de septembre. Dans ce bloc-notes, avant de s’intéresser aux débats du moment et aux enjeux de l’année à venir, on jettera aussi un regard dans le rétroviseur sur l’année précédente marquée par beaucoup de tensions et d’excès. 2015-2016 va t-elle repartir sur les mêmes bases ?
On se penchera aussi sur l’intérêt de la droite pour l’éducation. Avant de finir par quelques conseils de lecture de rattrapage pour ceux qui ne seraient rentrés de vacances qu’au dernier moment.
L’année qui s’en va...
Réforme du collège, des programmes, valeurs de la République, évaluation… les sujets n’ont pas manqué au cours de l’année 14-15.
Le début de l’année scolaire a été marqué par le changement de ministre. Najat Vallaud-Belkacem devenait le 26 aout 2014 la première femme ministre de l’Éducation Nationale. Elle succédait à Benoît Hamon qui n’était resté que 147 jours à son poste. Dès le lendemain de sa nomination, le bureau du CRAP adressait une lettre ouverte à la Ministre où nous lui demandions de “s’indigner” et surtout de « continuer et d’accélérer ». Car, déjà au milieu de l’année 2014 après le départ de Peillon et le bref épisode Hamon, il y avait toutes les raisons d’être inquiets sur la suite de la refondation.
Cette inquiétude nous l’avions manifesté, au CRAP, avec le titre donné à nos assises de la pédagogie (20 et 21 octobre 2014) « Le changement, c’est maintenu ? ». La fin de l’année 2014 nous a fait espérer que les grands jurys et autre conférence nationale sur l’évaluation et le redoublement allaient relancer la dynamique de la refondation. Mais en vain.
S’il faut se souvenir particulièrement d’un moment dans l’année c’est bien sûr le mercredi 7 janvier. Cela nous a particulièrement touché puisque Charb, qui dessinait pour les Cahiers, faisait partie des victimes de ces attentats ... Cet état de sidération nous l’avons partagé avec toute la France dans ce moment très particulier qu’a connu la France avec les manifestations du 11 janvier.
Mais l’apparent consensus n’a pas duré longtemps. Si le discours de la Ministre le 22 janvier à Matignon ouvrait quelques pistes intéressantes et notamment la réforme de la carte scolaire et des ouvertures pédagogiques, si Manuel Valls a parlé de l’“apartheid social” comme d’une des causes des difficultés d’intégration, la réaction gouvernementale (Président et Premier Ministre) a surtout été sécuritaire. Plutôt que de faire vivre les valeurs de la République comme nous le préconisions avec beaucoup d’autres, on a surtout eu des injonctions et même une stigmatisation d’une partie de la population.
C’est le 11 mars dernier que le projet de réforme du Collège a été présenté en conseil des Ministres. Après un accueil modéré, la polémique est vite montée. D’abord parce que la négociation syndicale a été marquée par une relative fermeté du Ministère . Cela a abouti à une escalade verbale et des postures et à un clivage très marqué. Ensuite parce que certaines catégories d’enseignants ont su mobiliser les personnalités médiatiques et donc aussi une partie de l’opinion. Ensuite le débat politique s’est emparé de ce sujet ainsi que de la réforme des programmes présentée en parallèle par le Conseil Supérieur des Programmes.
On s’est retrouvé ensuite dans une logique du “camp contre camp” où la nuance et l’idée même d’un soutien vigilant plutôt qu’inconditionnel a été peu entendue. Il faut le déplorer. Et on peut craindre que l’année qui commence reprenne sur le même registre très vindicatif.
L’année qui vient...
“Najat Vallaud-Belkacem tente une année sans polémique” titre Le Monde Pas sûr qu’elle puisse y échapper...
Sur les réseaux sociaux, c’est reparti de plus belle avec un ton acrimonieux et dans une atmosphère “acariâtre” (selon le qualificatif de Philippe Tournier du SNPDEN ). Car c’est aussi la rentrée syndicale. Comme les autres syndicats, le SNES a tenu sa conférence de presse de rentrée il y a quelques jours. Et ils promettent de relancer leur opposition à la réforme du collège. Une grève sera programmée en septembre avant une manifestation nationale en octobre. Une phrase citée (entre autres) par Les Échos interpelle : selon un proche du dossier : «Manuel Valls cherche une porte de sortie sur le collège et a demandé à la FSU d'y réfléchir ». Si cette information est avérée, la question qui est posée est celle de l’avenir des réformes et en particulier celle du collège. Plus on va s’approcher des élections régionales (décembre) et a fortiori de l’élection présidentielle, plus la capacité de réforme va se réduire. Les opposants à la réforme vont mener une stratégie de guérilla et de harcèlement. Et on peut redouter alors que la crainte de s’aliéner une partie d’un électorat potentiel limite la capacité de mener les réformes au bout et amène à lâcher du lest.
Pour calmer les esprits, nous dit Le Monde la ministre de l’éducation nationale, vient d’annoncer qu’elle met sur la table, en ces temps de rigueur budgétaire, 24 millions d’euros pour financer la formation des enseignants à ce « collège 2016 ». Et elle a réaffirmé à l’université du PS à La Rochelle “Je mènerai à bien la réforme du collège, à laquelle tous les enseignants seront formés cette année. Je mènerai à bien la réforme parce que je crois à un collège véritablement unique et exigeant pour tous les élèves”.
La réforme du Collège ne sera pas le seul dossier de cette année qui ne sera pas “sans polémique”. Dans un portrait nuancé et sans complaisance paru sur le site Médiapart , la journaliste Lucie Delaporte conclut son papier ainsi : “Alors que Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que cette année serait celle de la « consolidation » des réformes engagées, deux dossiers brûlants attendent pourtant sur la table de la ministre : la réforme du brevet (et sa possible suppression) et l’évaluation des enseignants, un sujet hautement inflammable. Il n’est désormais plus tout à fait sûr qu’elle les enterre.”
L’Éducation et la droite
“L’Éducation : mère de toutes les réformes” c’est une formule utilisée par Alain Juppé qui a occupé la scène médiatique avec son livre programme sur l’éducation en cette fin de mois d’aout et de nombreux entretiens dans la presse (Le Parisien Magazine et Le Monde notamment) Les questions éducatives seront-elles au centre du débat de la prochaine présidentielle ? 2017 est encore loin mais on voit qu’à droite cela s’agite sur ce thème alors qu’en 2011-2012 c’était la gauche qui avait mis ce sujet à l’agenda. Car Alain Juppé n’est pas le seul.
Avant lui, il y a eu François Fillon, Bruno Le Maire qui se sont positionnés sur l’École et Nicolas Sarkozy a confié mardi dernier à Eric Woerth le soin d’installer le groupe de travail censé écrire le projet éducatif de son parti, Les Républicains. On peut citer aussi Nicolas Dupont-Aignan qui a invité Jean-Pierre Chevenement à intervenir dans son université d’été de “Debout la France” consacrée à « l’école du mérite ». Par curiosité, on pourra aussi aller lire le projet des jeunes UDI pour l’École .
C’est dans ce contexte de grandes manoeuvres à droite sur l’éducation qu’il faut aussi interpréter la démission de la députée LR Annie Genevard du conseil supérieur des programmes. Cette professeure de Lettre s’était jusque là investie dans les travaux de cette instance mais l’approche des élections durcit la stratégie des partis et l’heure n’est plus à la coopération constructive. (rappelez vous du rapport Grosperrin qui a lui aussi démissionné du CSP après une très courte participation).Toutefois elle évoque aussi dans sa lettre de démission des arguments pertinents. Il est vrai que le rythme imposé aux CSP et à ses membres aux agendas déjà très chargé est difficilement tenable. La question de l'indépendance du CSP est elle aussi assez juste. Notamment dans l'épisode récent de la saisine sur les langues anciennes qui semble effectivement « téléguidée » et a instrumentalisé le CSP pour gérer la fronde...
Mais revenons à Alain Juppé. Ce qui est notable c’est que son livre et ses propositions semblent échapper au durcissement du discours à droite. Luc Cédelle, dans la recension qu’il fait du livre pour le journal Le Monde fait remarquer que le terme de “pédagogiste” n’apparait pas une seule fois en plus de 300 pages. C’est reposant. Tout comme son souhait de maintenir le budget de l’Éducation Nationale à son niveau actuel et de continuer à “mettre le paquet sur le primaire. Mais la proposition phare qui a été la plus commentée est celle d’une augmentation de 10% des salaires des enseignants du Primaire (assortie d’une augmentation du temps de travail). Cela amène de nombreux commentateurs à voir dans cette proposition une forme de “drague” plus ou moins lourde de l’électorat enseignant (si tant est qu’il existe et qu’il soit homogène). D’autres y voient une forme de “triangulation” dans la mesure où cette tentative de séduction ne viserait qu’à faire passer la pilule d’autres mesures jugées dangereuses comme l’autonomie des établissements.
Najat Vallaud-Belkacem a commencé par critiquer cette idée qu’elle jugeait irréalisable en la qualifiant de “promesse de gascon” avant de changer de pied et de promettre cette augmentation pour le quinquennat prochain et d’affirmer que l’amélioration des salaires n’est pas incompatible avec les créations de postes. Car, il est indéniable qu’un rattrapage des salaires des professeurs des écoles est nécessaire et le nier serait une erreur de communication et un handicap politique.
Quoi qu’il en soit, on voit bien que le thème de l’éducation demeure un thème majeur du débat politique. Il peut aussi avoir une déclinaison régionale avec les élections de décembre.
Cette politisation peut être un danger pour l’École. C’est en substance ce que dit l’historien Antoine Prost dans une interview au quotidien régional Le Télégramme : « L'alternance politique tue l'école ». Et l’auteur du livre récent “Du changement dans l’École” précise son propos : “Le manque de continuité politique est catastrophique. La gauche défait ce que la droite a fait et la droite ce qu'a fait la gauche. Au bout de deux ans, on change de politique. Ce manque de consensus ne peut pas donner de bons résultats. On a tout essayé mais jamais sérieusement. […] Et comment voulez-vous que les professeurs se mobilisent pour une réforme alors que, dans deux ans, une autre majorité risque de faire le contraire ? On dit : « C'est la faute aux syndicats » mais je ne connais pas de réforme menée avec concertation, intelligence et continuité qui ait été empêchée par les syndicats. Les syndicats râlent mais ils sont faits pour ça. Ce qui fait leur force, c'est la faiblesse de l'administration, le fait qu'elle marche à la godille. […] L'Éducation nationale ne se remettra vraiment en marche que si on lui dit où on va durablement. Il faut que la droite et la gauche se mettent d'accord sur des objectifs. Et que ces objectifs soient reconnus comme pertinents par les enseignants et les parents.”
Cette politisation peut être un danger pour l’École. C’est en substance ce que dit l’historien Antoine Prost dans une interview au quotidien régional Le Télégramme : « L'alternance politique tue l'école ». Et l’auteur du livre récent “Du changement dans l’École” précise son propos : “Le manque de continuité politique est catastrophique. La gauche défait ce que la droite a fait et la droite ce qu'a fait la gauche. Au bout de deux ans, on change de politique. Ce manque de consensus ne peut pas donner de bons résultats. On a tout essayé mais jamais sérieusement. […] Et comment voulez-vous que les professeurs se mobilisent pour une réforme alors que, dans deux ans, une autre majorité risque de faire le contraire ? On dit : « C'est la faute aux syndicats » mais je ne connais pas de réforme menée avec concertation, intelligence et continuité qui ait été empêchée par les syndicats. Les syndicats râlent mais ils sont faits pour ça. Ce qui fait leur force, c'est la faiblesse de l'administration, le fait qu'elle marche à la godille. […] L'Éducation nationale ne se remettra vraiment en marche que si on lui dit où on va durablement. Il faut que la droite et la gauche se mettent d'accord sur des objectifs. Et que ces objectifs soient reconnus comme pertinents par les enseignants et les parents.”
Matière à réfléchir
La rentrée c’est un marronnier... mais ça n’empêche pas qu’à cette occasion on trouve des réflexions intéressantes dans la presse qui donnent matière à réfléchir. Passage en revue de quelques articles intéressants glanés au cours des butinages sur la toile...
Que font certains profs et militants pédagogiques pendant leurs vacances (ne pas confondre avec les congés) ? Ils se réunissent et travaillent ! C’est ce que raconte Luc Cédelle dans Le Monde. Il est allé faire un tour à Angers aux Rencontres du CRAP et ensuite à Aix où se tenait le congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet. À la fin de son article, il évoque aussi le congrès des CEMEA à Grenoble. A propos de celui-ci, je vous conseille vivement le visionnage de la conférence d’ouverture d’Edwy Plenel qui est remarquable. Le fondateur de Médiapart a commencé sa carrière de journaliste comme spécialiste de l’éducation et n’a pas oublié les enjeux de ce sujet. À voir.
Dans les lecture de l’été, je voudrais signaler deux livres que j’ai pu lire en avant-première. Il s’agit tout d’abord du livre d’un de mes collègues de SES, Arnaud Parienty “School Business. Comment l’argent dynamite le système éducatif,” (La Découverte 2015). Avec les outils de l’économie et des sciences sociales, il montre comment l’École, partout dans le monde, se marchandise. Et cette évolution n’épargne pas la France où elle se fait de manière souterraine et au service d’une reproduction des inégalités. L’autre lecture de l’été, c’est l’ouvrage de Lucien Marboeuf “Vis ma vie d'instit, Les 1001 histoires de ma classe ” (Fayard, 2015). Les lecteurs de ce bloc-notes connaissent déjà Lucien Marboeuf qui tient le blog “L’instit’humeurs” et dont je cite souvent les analyses. Ici, il s’agit plutôt du quotidien de sa classe qu’il nous raconte et donne à voir. C’est donc d’abord un livre destiné au grand public qui, bien souvent, considère un peu la classe comme une sorte de “boite noire” et qui veulent comprendre. Un livre optimiste et nuancé, bien loin du cynisme et de la déploration trop souvent présents dans les livres sur l’École.
Parmi les lectures de l’été, il faut signaler aussi une étude de la DEPP (service statistique du Ministére de l’Éducation nationale) parue fin aout avec le titre : “Acquis des élèves au collège : les écarts se renforcent entre la sixième et la troisième en fonction de l'origine sociale et culturelle”. Menée auprès de 35.000 élèves de la sixième à la troisième, cette étude a confronté les scolaires à des tests cognitifs portant sur la lecture, les mathématiques, la logique et la mémoire. Les élèves venus d'un milieu social aisé s'en sortent bien mieux que ceux élevés dans un milieu social défavorisé. Les écarts sont particulièrement marqués en ce qui concerne la lecture et les maths. Certains pourront se gausser en disant que l’on n’avait pas besoin d’une étude pour le savoir. Mais ce que nous dit cette étude (qui vient en effet après beaucoup d’autres) c’est que le collège ne parvient pas à atténuer les inégalités sociales et tend même à les accentuer en mathématiques et dans l'acquisition du vocabulaire scolaire. Et cela prend une résonnance particulière dans le débat actuel.
“Peut-on changer l'École ?” c'est le titre donné à ce dossier du Monde (Culture et Idées) paru il y a quelques jours et dont je conseille la lecture. Tous les articles ou presque méritent une lecture attentive avec une description et des reportages sur plusieurs écoles innovantes (le collège Clisthène , l’école Freinet de Mons en Barœul, les écoles Montessori , les pistes explorées autour de la “classe inversée”,…) et un entretien croisé de quatre personnalités (Claude Lelièvre, François Dubet, Philippe Meirieu et Peter Gumbel qui publie ce mois-ci chez Vuibère Ces écoles pas comme les autres. A la rencontre des dissidents de l’éducation.)
Les quatre experts voient dans la nature très bureaucratique (et infantilisante) du système éducatif un frein majeur à l’innovation et au changement bien plus important que le verrou idéologique. Pourtant, ce dossier le montre, l’aspiration à une autre école existe. Et cela passe par plus d’autonomie des équipes et une plus grande confiance faite aux enseignants.
On retiendra surtout les propos de Philippe Meirieu , très éclairants et nuancés, qui font écho à ceux d’Antoine Prost cités précédemment. “ […] le système scolaire, tel que nous le connaissons, est jacobin sur les modalités et girondin sur les finalités : dès lors que l’on respecte les consignes administratives, on peut se permettre de faire à peu près n’importe quelle politique éducative, ultra-sélective ou démocratisante, sans être interrogé le moins du monde… Ce dont nous avons besoin, au contraire, c’est d’un système scolaire jacobin sur les finalités – avec un cahier des charges précis définissant ces dernières – et girondin sur les modalités, afin de responsabiliser les acteurs et de permettre à tous les élèves – et non plus seulement à quelques privilégiés – de bénéficier de dynamiques fortes susceptibles de leur permettre de s’engager au mieux dans les apprentissages.”
Matière à réfléchir ... et à agir !
Bonne Lecture et ... bonne rentrée !
Philippe Watrelot
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