samedi, septembre 19, 2020

Où je reparle des "temps partagés" en INSPÉ…


La direction de l’INSPÉ de Paris demande à ses enseignants de faire des propositions concernant le statut des « temps partagés ». Le message de la directrice adjointe précise un peu la commande : « certains points en particulier peuvent peut-être faire l'objet de suggestions : les modalités de recrutement de ces collègues, la part de l'INSPÉ dans les évaluations contribuant aux évolutions de carrière, les possibilités d'aménagements du service qui est composé de deux parties. » 

J'ai donc tenté de répondre à cette demande. Ce qui va suivre  n’est pas une « note  technique » mais plutôt un récit et un retour d’expérience. Ce qui n’exclut pas quelques propositions. Je le publie sur mon blog car je me dis que cette réflexion n’est peut-être pas propre à l’institut où je travaille et peut intéresser d’autres formateurs.



Le choix et la nécessité



Je suis en temps partagé depuis quinze ans. J’ai été recruté par l’IUFM de Paris en 2006 alors que j’occupais un poste de professeur agrégé de SES dans un lycée de l’Essonne. A l’époque, la formation dans ma discipline était gérée de manière inter-académique et donc un prof de Versailles pouvait être recruté à Paris. Et c’était très bien comme ça ! 

Le fait d’être en temps partagé était à la fois le  produit de la nécessité et un choix politique. Le poste était forcément un mi-temps et de toutes façons, je n’aurais pas accepté un poste à temps plein. J’estime en effet depuis longtemps que, pour ce qui me concerne, ma légitimité de formateur se trouve dans cette alternance simultanée. Mais je sais que sur ce point là particulièrement, ma position est jugée, à tort ou à raison, comme trop radicale.

Je vais redire ce que j’écrivais déjà  en 2007 et reprenait en 2013 dans un billet de blog intitulé « Temps partagé des formateurs des ESPÉ » : « La solution est certainement dans un mélange équilibré au sein de l’équipe de formateurs entre « temps plein » et « temps partagé ». C’est une condition pour lever certaines critiques et apporter aux stagiaires une formation cohérente et complète.  Encore faut-il que la place de ces enseignants à « temps partagé » soit bien établie et permette cet équilibre. »


Cailloux dans la chaussure ? 

Une semaine parmi d'autres
(bleu = Inspé / rouge = lycée)
Car les temps partagés sont quelquefois vus comme des contraintes dans l’organisation des établissements où ils exercent. Dans les collèges ou lycées, il faut que les emplois du temps s’adaptent et ce n’est pas toujours évident alors que les bénéfices de cette double casquette ne sont pas visibles pour les établissements. Dans les INSPÉ, il en est de même. Les temps partagés sont des cailloux dans la chaussure. Ils limitent la souplesse dans les plannings. 

Il est donc difficile de leur faire de la place. Cela se ressent aussi dans la hiérarchie implicite au sein de l’INSPÉ. La mention des « temps partagés » vient souvent en dernier dans la liste des différents intervenants. Alors qu’ils sont supposés être des formateurs comme les autres. 

Et si on admettait, enfin, que les formateurs en temps partagés sont des formateurs d’égale dignité avec leurs collègues à temps plein et que ce qu’ils apportent à l’institution est utile à la formation ? Et inversement, que leur pratique de formateur peut être utile là où ils enseignent ? Et si, au lieu d'être un caillou dans la chaussure, c'était une richesse qui permette d'avancer ?


Une arithmétique biaisée 

Un mi-temps + un mi-temps = bien plus qu’un temps complet ! 

C’est un constat d’évidence. Et c’est peut-être la raison principale du turnover important de cette catégorie de personnels. 

Avec quinze ans d’ancienneté dans ce type de poste, je ne sais pas si je suis un vétéran ou un survivant. Mais ce que je sais, c’est la fatigue que cela entraine. Il faut naviguer entre deux endroits. Mais il faut aussi et surtout être capable de s’impliquer dans les établissements. La critique souvent formulée, y compris par les temps partagés eux-mêmes, est celle de la difficulté de s’investir. On est un pied à un endroit et l’autre à un autre endroit. Il m’est arrivé certaines années de cumuler la fonction d’élu au CA de mon lycée avec celle de coordonnateur du département à l’IUFM/ESPÉ. Pas facile tous les jours même si c’est enrichissant et que cela nourrit sa pratique de formateur.

Ce qui a considérablement alourdi la tâche et les contraintes administratives qui vont avec, c’est le passage à la masterisation et le lien avec les universités. On a multiplié les interlocuteurs, les réunions et donc rendu plus complexes la coordination et la fabrication des plannings et alourdi les tâches administratives. De fait, cette nouvelle organisation est moins favorable aux temps partagés alors que dans le même temps, leur présence devient une injonction ministérielle. 

Je voudrais aussi signaler une bizarrerie : les enseignants en temps partagés sont convoqués pour les épreuves du bac ou du brevet. Pas les formateurs à temps plein qui sont bien souvent pourtant sur les mêmes formations. On pourrait considérer que c'est normal et formateur de faire passer ces épreuves même si ça tombe dans une fin d'année déjà très chargée, en même temps que les épreuves de concours auxquelles il peut être intéressant d'assister pour mieux y préparer nos étudiants. C'est en tout cas une disposition qui renforce le sentiment d'injustice. Encore plus quand les inspecteurs, auxquels on s'adresse pour être dispensé de participer à ces jurys, s'indignent qu'on fasse une telle demande. 

Osons une proposition : pour résoudre cette arithmétique biaisée, s’il y avait une vraie volonté ministérielle, il suffirait de considérer qu’au lieu d’un mi-temps en établissement, on ait un quart de temps. On peut aussi concevoir l’inverse : un mi-temps en établissement et un tiers ou un quart de temps en INSPÉ. 

Mais pour cela il faudrait aller contre les règles communes et l’égalitarisme qui est souvent une force d’inertie du système. 


Quelle validation ? Quelle évaluation ? 

Je n’ai pas le CAFFA. J’ai toujours refusé de le passer. J’étais formateur avant et, en plus, j’ai même fait partie du groupe de travail ministériel qui a élaboré le référentiel de cet examen. Cette belle idée qui était de professionnaliser les formateurs du second degré est devenu un instrument de pouvoir créant de l’échec, de la frustration et du clientélisme. Conditionner le recrutement à ce parchemin est, à mon sens, sinon une impasse, du moins une voie pleine d’effets pervers. 

Il nous conduit à nous soumettre aux pressions de l’inspection et alourdit inutilement le parcours pour devenir formateur. Au regard du travail demandé, certains refus au CAFFA sont incompréhensibles, sauf à y voir une sorte de certificat de conformité à une doxa et surtout une volonté de remplir la case "refusés" (que serait un concours, mon brave monsieur, s'il n'y avait pas d'échec...? ). On est dans la parfaite illustration du génie bureaucratique qui parvient à transformer une idée généreuse au départ en un monstre administratif...

Il y a plusieurs années, mon ancienne IPR a réalisé un « rapport d’activité » à mon sujet. Il s’agissait pour elle de rendre compte de mon activité de formateur puisqu’elle ne pouvait voir qu’une partie de mon travail si elle venait m’inspecter dans mon lycée alors qu’elle était en contact permanent avec moi dans mon travail de formateur. Je lui en suis très reconnaissant parce que c’est la première (et unique fois) où cette activité a été prise en compte dans mon parcours. Et cela m’a permis d’avancer d’échelon et de classe !

Car le problème c’est celui de la carrière et cette question ne touche pas que les temps partagés mais tous les formateurs. Comment évaluer et tenir compte de la dimension de formation dans notre parcours professionnel (et donc notre rémunération) ? 

Je fais la proposition que cette  partie de notre métier soit vraiment prise en compte dans notre parcours par un entretien de carrière identique à ce qui existe pour les autres enseignants. Et cela devrait s'appuyer sur une véritable évaluation de notre pratique de formateur. 


Formateur/professeur 

Je vais terminer de la même manière que j’ai commencé. Au risque d’agacer certains de mes collègues. J'ai écrit que "formateur" et "prof" étaient deux métiers différents. Mais je crois aussi que l'un doit nourrir l'autre par l'alternance (simultanée ou successive), c'est une question de légitimité et de cohérence

Je ne dis pas que tout le monde devrait être, comme moi, en temps partagé mais je pense qu’il serait nécessaire qu’il y en ait un peu plus plus et qu’on crée de meilleures conditions pour cette alternance simultanée. Et puis je continue à penser que formateur ne peut pas être non plus un métier « à vie ». Plus que la perte du contact avec le terrain que peut compenser les visites, c’est aussi une nécessité pour maintenir une certaine "modestie" et nuance dans son action. Car la critique formulée par les stagiaires sur des formateurs trop prescriptifs ou s’érigeant en « juges » d’une certaine conformité ne résiste pas bien longtemps à cet aller-retour avec la réalité de la classe. On ne pourra défendre nos formations en INSPÉ qu’à condition de se livrer à un véritable aggiornamento plutôt qu’à une simple défense  de l’existant

Il faut aussi se pencher sur la pédagogie pratiquée dans les instituts de formation. Si les stagiaires subissent essentiellement des cours magistraux comment s’étonner de la permanence de cette forme scolaire avec les élèves ? Le rôle de la formation c'est aussi de faire vivre des situations de formation et des dispositifs variés pour que chacun puisse les expérimenter assez tôt. On parle beaucoup de didactique dans les INSPÉ, et si on parlait un peu plus de pédagogie ? Ce débat sur les temps partagés peut être aussi l’occasion de se poser cette question...


Pour conclure, je dirais que la situation des temps partagés est un bon révélateur de plusieurs maux de l'éducation nationale : le décalage entre le "prescrit" et le réel, la rigidité des règles et procédures, l'attachement excessif aux diplômes, le lien distendu avec le "terrain"... L'enjeu de la formation des enseignants mérite qu'on parvienne à débloquer ces verrous. 


Philippe Watrelot


Mes textes déjà parus sur ce sujet





 
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