dimanche, janvier 26, 2014
Bloc-Notes de la semaine du 20 au 26 janvier 2014
- Délires autour du genre - Vacances et confiance - Pédagogies – Numérique - .
Le Bloc Notes de cette quatrième semaine de 2014 revient sur les rumeurs et délires autour de la “théorie du genre”. Alors que des groupuscules extrémistes font circuler un mot d’ordre de “journée de retrait des écoles”, il importe d’appliquer la théorie du vampire : c’est la lumière qui les fait reculer… La rentrée en aout, en revanche, ce n’est pas une rumeur. On s’intéresse aux réactions à cette annonce concernant le calendrier scolaire des trois prochaines années. On profite aussi d’une interview d’un sociologue pour prendre le luxe d’un long développement sur la pédagogie. Désolé, mais ça fait du bien. On termine avec d’autres formes de délire autour de l’informatique…
Délires
Une collègue de primaire nous faisait part récemment que dans son école des enfants leur avaient rapporté "que demain à la maternelle et au CP, les maîtresses vont apporter des "sexes en bois" pour expliquer aux enfants comment il faut se toucher et que vous allez aussi parler des hommes qui aiment les hommes”.
Visiblement cette rumeur court un peu partout. Les Dernières nouvelles d’Alsace s’en font l’écho dans un article du 23 janvier. Tout cela n’est pas fortuit et est organisé par un collectif proche de la manif' pour tous qui prône une journée de "retrait des écoles”. Selon le journal alsacien, cette action est initiée par une romancière et cinéaste, Farida Belghoul, une figure historique du mouvement Beur des années 80. Son message est relayé par un certain nombre d’associations dont Égalité et Réconciliation, l’association d’Alain Soral, proche de Dieudonné. Pour comprendre le délire dans lequel se trouvent les activistes de ce mouvement on peut visionner l’interview de Farida Belghoul par un média Franco-Turc . Elle y déclare notamment que "l'Organisation mondiale de la santé préconise elle-même qu'on enseigne la masturbation à la crèche sous prétexte de l'exploration des corps. Il s'agit d'un mouvement qui est mondial aujourd'hui et qui tient au fait que l'humanité connaît en ce moment une décadence dont elle doit se relever impérativement.". Un esprit malade qui combine les délires complotistes et les thématiques du discours décliniste et anti-pédagogique. Dans un excellent billet sur son blog, Luc Cédelle déconstruit ce discours et revient sur la personnalité de Farida Belghoul, dont le récit de la dérive est extrêmement inquiétant.
Il est à souligner que cette focalisation et cette construction autour d’une supposée “théorie du genre” n’est pas le fait que de médias et sites complotistes et marginaux et trouve des relais dans des médias nationaux et supposés sérieux comme Le Figaro, .
“Ni atelier, ni intervention ne sont prévus dans l’école concernant la théorie du genre”. C’est la photo d’une affiche posée sur la porte d’une école primaire qui circule sur les réseaux sociaux. Autre anecdote, à un collègue qui travaille sur ces questions, un inspecteur conseillait récemment de faire “profil bas”… Dès septembre dernier, le Premier ministre Ayrault avait confié au quotidien La Croix qu'«il n'est pas question d'introduire je ne sais quelle idéologie sur la théorie du genre, pas plus dans les programmes scolaires que dans la formation des enseignants.» . Discours assez voisin chez Vincent Peillon. Faut-il faire “profil bas” ? Faut-il renoncer aux actions menées contre les stéréotypes comme les “ABCD de l’égalité” ? La prudence excessive voire la crainte de certains membres de la hiérarchie intermédiaire de l’éducation nationale est étonnante dans la mesure où ces actions mises en place par le gouvernement sont bien loin de ce que les esprits délirants et malintentionnés évoqués plus haut veulent croire. Il s’agit simplement de faire réfléchir les enfants sur la construction des stéréotypes et les amener à un peu plus de relativisme. Quant à une supposée “théorie du gender” agitée comme une menace qui plus est venue de l’étranger, il faut rétablir les choses plutôt que de les nier. Oui, que l'école permette de réfléchir à la construction des stéréotypes (sexués ou autres) et à la socialisation est extrêmement utile et formateur. Oui, les rôles sociaux masculins et féminins sont des constructions sociales. Il n’y a pas un gène du rose ou un gène de la vaisselle… Oui, ces savoirs (car il s’agit bien de savoirs) sont émancipateurs. Il ne s’agit pas d’une “théorie” (forcément “fumeuse”) mais d’une approche éducative où il s’agit d’exercer un sens critique et de prendre du recul face à ce qui est présenté comme “naturel” et une vérité d’évidence. Il faut aussi redire que faire la différence entre connaissance et croyance n’empêche pas de croire mais permet peut être de croire autrement…
Vacances et confiance
L’Education nationale va faire rentrer les enseignants en août dès 2014 (vendredi 29 août), mais aussi en 2015 (28 août) et en 2016 (mercredi 31 août) peut-on lire dans la presse (et dans la revue de presse d’hier ). Sur ces trois années, les élèves feront eux aussi leur rentrée en août en 2015 (lundi 31), mais ils reviendront sur les bancs de l’école les lundi 1er septembre 2014 et jeudi 1er septembre 2016.
Et alors ? On peut se dire que revenir le 29 aout plutôt que le 1er septembre n’est pas très grave. Et que si cela permet de mieux équilibrer le rythme scolaire de l’année c’est acceptable. Mais visiblement, les premières réactions ne vont pas dans ce sens. La bascule symbolique dans le mois d’aout est vécue par certains enseignants comme la limite qu’il ne fallait pas franchir. D’autant plus qu’un peu plus tôt dans le mois on a appris que Vincent Peillon semblait céder au “lobby de la neige” en promettant de revenir sur le calendrier des petites vacances d’hiver et de Pâques.. Cela n’aide pas à accepter avec confiance ce calendrier.
Qu’on le veuille ou non, à tort ou à raison, les enseignants semblent très réactifs et crispés sur ces questions. Le professeur des écoles et blogueur Lucien Marboeuf résume très bien sur son blog cet état d’esprit . Après avoir expliqué que personnellement, il s’en moque de rentrer en aout, il ajoute : “pour beaucoup, les deux mois d’été sont intouchables. « Déjà que depuis quelques années on finit de plus en plus tard en juillet, voilà qu’on va commencer en août ! », entend-on. De plus il y a, toujours vivace dans l’imaginaire collectif enseignant, ce mythe d’après lequel on ne serait pas payés durant les deux mois d’été (on a déjà démontré sur ce blog que rien ne le prouve) : dans ce cas, travailler en août ne pourrait se faire qu’en contrepartie d’une rémunération supplémentaire… ”
On peut analyser cette “grogne” comme un des symptômes supplémentaires de la crise de confiance qui touche les enseignants. Une crise faite d’amertume, d’épuisement et d’un sentiment de déclassement. Une crise teintée de cynisme et d’aquabonisme et qui peut nuire fortement à la volonté de réforme.
Pédagogie
Daniel Frandji est maître de conférences en sociologie à l’Ecole normale supérieure de Lyon . Il était interrogé par Libération sur la lutte contre les inégalités en lien avec la réforme des ZEP. L’article était signalé dans la revue de presse de lundi 20 janvier . Même si cela semble déjà un peu loin, je souhaiterais revenir sur certains propos tenus dans cette interview. Et en sachant bien que l’on ne peut réduire la pensée d’un chercheur à quelques paroles prononcées à l’occasion d’un entretien avec une journaliste.
Si on adhère bien sûr lorsque Daniel Frandji dit que “tant que l’école sera un système sélectif et concurrentiel, il y aura des élèves en échec”, en revanche on a un peu plus de mal avec la phrase suivante : "En voulant innover, on n’utilise pas forcément les méthodes les plus adaptées. Afin que l’élève s’épanouisse et apprenne par lui-même, les enseignants lui laissent par exemple volontairement le plus de marge possible. Sauf que dans les milieux défavorisés, les enfants n’ont parfois pas les ressources, les prérequis nécessaires pour y arriver. Ces méthodes handicapent certains élèves. Il faut que l’on retourne vers des pédagogies plus «explicites», comme le dit le sociologue Pierre Bourdieu, qui ne reposent pas sur des prérequis, mais uniquement sur des savoirs appris à l’école.". La difficulté avec cet extrait c’est qu’il part d’un constat (produit de la recherche) pour aller vers du prescriptif. Et que les propos tenus (ou interprétés) sont pleins de confusions et de contresens. D'abord sur le sens du mot pédagogie "explicite". Car il faut bien le dire, il y a une escroquerie intellectuelle autour de ce terme. Ceux qui l'ont accaparé sont en fait des tenants d'une pédagogie traditionnelle et opposés à la démarche “socio-constructiviste”. Or ces méthodes sont souvent très peu "explicites" et fondées d'abord sur la répétition et un exposé magistral. Même si on ne peut nier qu'il y a eu certaines dérives faisant la part belle à l’activité et au “spontanéisme" chez certains enseignants développant une vulgate des pédagogies nouvelles, celles ci sont derrière nous et concernaient peu de personnes.
Je considère au contraire que les pédagogies réellement explicites sont celles où l'on décrit le plus précisément aux élèves ce qu'on attend d'eux et ce qu'ils doivent être capables de faire. Cela suppose d'identifier clairement les ressources qu'ils auront ensuite à mobiliser dans des situations complexes et inédites. Ce que je viens de décrire sommairement ce n'est rien d'autre que le travail par compétences ! C'est là qu'on est véritablement dans une pédagogie qui ne serait pas faite uniquement pour les “héritiers“. Ensuite, il y a un implicite dans la phrase de ce sociologue qui est difficile à entendre. Dire que dans les milieux défavorisés "les enfants n’ont parfois pas les ressources, les prérequis nécessaires pour y arriver" ressemble presque à du renoncement et du fatalisme indigne d'un sociologue. Alors que c'est là qu'on devrait être le plus vigilant contre toute tentation de naturaliser la difficulté scolaire. De plus dire que "ces méthodes handicapent certains élèves" consiste aussi à pérenniser une école à deux vitesses. Aux uns les "méthodes actives" aux autres les méthodes "explicites" (c'est-à-dire répétitives et routinières). À force de mettre le doigt et l'emphase sur les supposées dérives des pédagogies actives on ne fait que conforter les positions conservatrices.
L'enjeu presque politique derrière la pédagogie apparaît alors clairement. Mais à rebours des positionnements politiques souvent professés par ceux là même qui les prononcent. Car refuser aux élèves de milieux défavorisés une pédagogie où les enseignants les AIDENT à construire leurs savoirs c'est les maintenir dans une position de domination. Et c'est refuser une autonomie et une approche démocratique des rapports aux savoirs. Célestin, reviens ils sont devenus fous !
Enfin, comme souvent, il y a une captation d'héritage à l'égard de la pensée de Pierre Bourdieu. Je ne suis pas un "bourdivin" et un idolâtre de l'auteur à qui il est arrivé d'écrire des choses contradictoires et pas forcément pertinentes. Mais il serait bon de ne pas lui faire dire plus qu'il n'a dit. Bourdieu dans le fameux rapport “Bourdieu-Gros” sur les contenus à enseigner préfigure le socle commun et annonce même la notion de compétences en évoquant la "disposition à acquérir des savoirs”. Je ne résiste pas à citer un extrait de ce rapport de 1989 “Des programmes nationaux devraient définir le minimum culturel commun, c’est-à-dire le noyau de savoirs et de savoir-faire fondamentaux et obligatoires que tous les citoyens doivent posséder. Cette formation élémentaire ne devrait pas être conçue comme une sorte de formation achevée et terminale mais comme le point de départ d’une formation permanente. Elle devrait donc mettre l’accent sur les savoirs fondamentaux qui sont la condition de l’acquisition de tous les autres savoirs et sur la disposition à acquérir des savoirs (adaptabilité intellectuelle, ouverture de l’esprit, etc.).” Certains qui développent une pensée conservatrice à rebours de leur positionnement politique devraient d'abord réviser leurs "classiques"...
Rajoutons enfin que parmi les idées toutes faites et les représentations fausses sur les pédagogies actives, il y aurait l'idée que, comme le dit le sociologue interrogé, on laisserait aux élèves “le plus de marge possible". En d'autres termes, on les laisserait se débrouiller tout seuls. C'est faux. Il n'y a pas plus directif que la pédagogie active ! Simplement elle se situe en amont lorsque l'enseignant installe les dispositifs qui vont permettre aux élèves d'être actifs sinon acteurs dans les apprentissages. Il est aussi présent dans l'accompagnement des élèves dans la voie de ces apprentissages. Dans une pédagogie du “côte à côte" plutôt que du seul "face à face" qui laisse souvent les élèves dans une situation de spectateur. "Laisser de la marge" aux élèves c'est d'abord leur permettre de s'approprier les savoirs. C'est bien moins fatiguant de faire un cours "magistral" que de préparer des situations qui permettent aux élèves d'apprendre de manière coopérative et autonome...
Jean-Michel Zakhartchouk a lui aussi réagi sur son blog à cette interview. C’est ce passage qui, quant à lui, l’a fait réagir : “Est-ce qu’on souhaite une école qui dispense un savoir scolaire, qui apporte des compétences critiques, cognitives et qui apprend aux élèves à réfléchir à leur rapport au monde ? Ou préfère-t-on une école qui apporte un outillage social, qui prévient la délinquance et qui prépare au marché du travail ?”. Notre ami dénonce cette opposition binaire et pense qu’on peut faire l’un et l’autre et ne trouve pas déshonorant que l’École prépare aussi à un métier. Il en appelle même, lui aussi à Célestin Freinet. Je vous invite à lire son billet de blog
Numérique et n’importe quoi…
Louise Tourret dans un article paru sur Slate.fr s’intéresse à la revendication de certains groupes pour rajouter une nouvelle discipline scolaire. Des universitaires, des associatifs, des chefs d’entreprises, des membres de l’Académie des sciences et du collège de France ont en effet signé une lettre ouverte au président de la République lui demandant d'accélérer l'enseignement de l'informatique. La journaliste se demande s’il faut ajouter une discipline aux programmes scolaires français alors que les journées et les semaines des lycéens sont déjà si denses. Et, non sans malice, elle pose une bonne question : “Reste à savoir si nous sommes prêts à retrancher des enseignements et des savoirs enseigné actuellement, bref ce que nous sommes prêt à échanger pour l’informatique… ”
C’est la même interrogation qu’on retrouve dans un billet de blog intitulé “Jusqu’où empiler les disciplines ? ” rédigé par Olivier Rey de l’Institut Français de l’éducation sur le blog “Éduveille”. Et il ajoute “alors même que le président du Conseil supérieur des programmes met en avant la nécessité d’une approche globale et curriculaire, les pétitionnaires empruntent la voie classique typiquement française consistant à rajouter une couche à l’empilement disciplinaire dont souffre déjà l’enseignement secondaire.”. Les lobbyistes de l’informatique sont peut-être en retard d’une réforme…
Délire sécuritaire. Dans le NouvelObs.fr on apprend que le ministre de l'Intérieur Manuel Valls s'est rendu, mardi 21 janvier, à Lille pour remettre à une classe de CM2 leur "permis internet", programme issu d'un partenariat entre la gendarmerie nationale et AXA Prévention. Un assureur, qui au passage en profite pour s’introduire à l’École et vendre ses produits. Mais c’est aussi l’intervention de la gendarmerie qui tient un discours alarmiste et méfiant à l'égard d'internet qui pose question. Où sont les pédagogues ? Peut-on fonder un usage du numérique uniquement sur un discours sécuritaire et la méfiance ? Et si on arrêtait d’avoir peur pour bâtir une éducation au numérique basée sur une approche raisonnée des outils numériques et en faisant confiance ici comme ailleurs aux enseignants ?
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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dimanche, janvier 19, 2014
Bloc-Notes de la semaine du 13 au 19 janvier 2014
- Prioritaire et consensuel - Vacances – Pessimisme - .
Incroyable ! Une réforme qui ferait (presque) l’unanimité. Avec les annonces sur l’éducation prioritaire, Vincent Peillon semble rencontrer l’approbation de la grande partie des acteurs de l’éducation. Un moment rare alors que les sujets de polémiques et les motifs d’inquiétude ne manquent pas. Comme par exemple, le recul sur les dates des vacances scolaires ou la difficile mise en place de la formation des enseignants. Les motifs d’être pessimistes sur l’avenir de la “refondation” restent nombreux.
Un sujet prioritaire et consensuel
Vincent Peillon devrait savourer cette semaine. Il n’est pas sûr qu’une telle situation se reproduise avant longtemps. Avec la réforme de l’éducation prioritaire, il a annoncé une réforme qui semble convenir à (à peu près) tout le monde !
Pour Véronique Soulé journaliste éducation à Libération , il s’agit d’une réforme “ambitieuse qui ne révolutionne pas le système, mais cherche à l’améliorer”. Elle s’interroge quand même sur les moyens mis en œuvre car c’est un plan qui devrait coûter «entre 300 et 400 millions d’euros, sans rallonge budgétaire»
La réforme s’appuie sur deux axes : un encouragement à de nouvelles pratiques pédagogiques et une amélioration des conditions de travail des profs.Les établissements en REP recevront des financements supplémentaires au vu des projets pédagogiques qu’ils porteront. Cette règle devrait même s'appliquer à l'enseignement privé, où "l’allocation des postes devrait se faire en contrepartie de l’effort engagé pour accueillir des élèves en difficulté". Les enseignants seront mieux payés : la prime de 1.156 euros par an que touchaient les personnels de l’éducation prioritaire va être multipliée par 1,5 et même par 2 dans les 350 REP les plus sensibles. Les professeurs qui assureront des missions supplémentaires verront la leur tripler.
Et puis surtout, on semble à la fois revenir aux fondamentaux de l’éducation prioritaire et en même temps tenir compte des derniers résultats de PISA. Depuis 30 ans que les zones d’éducation prioritaire avaient été créées par Alain Savary, on ressassait comme un mantra le généreux principe de "donner plus à ceux qui ont moins". Dans les faits, il n’en était rien. La Cour des Comptes l’a montré . Quand on additionne toutes les dépenses, y compris les salaires des professeurs, les élèves des réseaux d’éducation prioritaire ne coûtent pas plus cher que ceux qui n'y sont pas. En 2012, celle-ci avait calculé que l’Etat dépensait 47 % de plus pour former un Parisien qu’un jeune des académies de Créteil ou Versailles.
Si nous disions plus haut que la réforme semble contenter tout le monde. Il y a quand même quelques craintes qui s’expriment et notamment que les ZEP, qui scolarisent pour l’heure 20 % des élèves, se réduisent pour ne plus concerner que les établissements les plus en difficulté. Ce qui finalement semble logique si on veut être plus efficace et revenir à l’esprit des origines . Dans La Croix, Marc Douaire président de l’OZP (observatoire des zones prioritaires) resitue les enjeux : “Le problème, c’est qu’en trois décennies, on a labélisé « éducation prioritaire » de nouveaux établissements à chaque fois que s’y posaient des problèmes d’apprentissage ou de violence, au lieu de chercher à les résoudre dans le cadre ordinaire. Résultats : beaucoup restent classés « ZEP » sans vraie justification tandis que d’autres, qui auraient besoin de plus de moyens, se trouvent à l’extérieur du dispositif. Très clairement, il faudrait revoir la géographie de l’éducation prioritaire. En corollaire, il faudrait aussi revenir sur l’assouplissement de la carte scolaire qui avait été décidée sous Sarkozy et qui a essentiellement profité aux initiés. Mais cela suppose, comme le font déjà un certain nombre de communes, de définir de manière très fine la sectorisation pour assurer une mixité sociale dans les établissements. Et aussi d’améliorer la qualité de l’offre dans les ZEP en y implantant des filières d’excellence qui leur redonnent une attractivité.”
En tout cas, les réactions des principaux syndicats (hormis SUD) semblent plutôt favorables. La FSU, parle de « rupture radicale avec les politiques d’éducation prioritaire mises en œuvre depuis 2006 ». « Le ministre fait le choix de la relance d’une politique d’éducation prioritaire ambitieuse comme condition d’un progrès nécessaire des résultats scolaires de ces jeunes », en difficulté. Le SNES salue « le véritable plan de formation initiale et continue en faveur des personnels ; le temps libéré pour permettre le travail collectif des équipes ; la reconnaissance des personnels avec une indemnité revalorisée». Le SNUipp « se félicite de voir traiter dans un même mouvement la situation des collèges et des écoles ». Et il énumère les points positifs « Dotation de toutes les écoles du « plus de maîtres que de classes » ; développement de la scolarisation des moins de trois ans ; formation initiale et continue alimenté par les travaux de la recherche ; temps libéré pour déconnecter le temps élève et le temps enseignant ; reconnaissance de l'engagement des enseignants par une revalorisation indemnitaire. ». L’UNSA emploie, elle aussi, l’adjectif « ambitieux » pour évoquer ce plan qu’elle juge « cohérent ». Elle parle de « moyens concrets et d’importance ». Pour elle, ce plan « va dans le sens d’une meilleure prise en compte des territoires qui cumulent les difficultés et d’une plus juste reconnaissance des personnels qui s’y investissent. Il est bienvenu ».
Bien sûr, certains esprits chagrins voient quand même la bouteille à moitié vide ou trouvent que cette réforme vient un peu tard. Et il reste à mettre tout cela en œuvre. Ce qui n’est pas toujours simple avec la “machine” éduc’nat… Mais Vincent Peillon devrait apprécier ce consensus si rare
Vacances
Car si l’on veut trouver des sujets de polémique, il n’est pas nécessaire de chercher trop longtemps. Cette semaine, le thème des rythmes scolaires resurgit avec la question des vacances. En séance des questions au gouvernement, mercredi 15 janvier, le ministre de l'éducation nationale, lors des questions au gouvernement , Vincent Peillon, a semblé céder du terrain sur la question des vacances en faveur des professionnels du tourisme. « Je modifierai les deux semaines de Noël, en particulier du calendrier 2016-2017, et aussi ce calendrier qui prévoyait d’aller jusqu’à la mi-mai » pour les vacances de printemps, a-t-il confirmé, répondant à une question de la députée (UMP) de Haute-Savoie, Sophie Dion. Il a cherché à temporiser : « Je reste disponible, je le renouvelle, pour envisager une réforme plus profonde du temps scolaire à partir de 2015 sur l'année ».
C’est cette annonce qui fait titrer à Lucien Marboeuf son billet de blog “Lobby du tourisme 1 - Conseil Supérieur de l’Education 0 ”.
Concrètement, le calendrier de l’année 2016 – 2017 proposait initialement de commencer les vacances de Noël le mercredi 21 décembre pour les terminer le jeudi 5 janvier. De quoi mécontenter les professionnels du tourisme hivernal, où les réservations se font souvent du samedi au samedi. Moralité, les vacances auront lieu du samedi 17 décembre au mardi 3 janvier. Par ailleurs, les vacances de Pâques n’iront pas au-delà du 9 mai, alors que le projet prévoyait de les échelonner jusqu’au 15 mai, une date trop tardive pour les sports d’hiver. Dès le lendemain, le ministre a présenté ce projet modifié au Conseil supérieur de l’Éducation . Cette instance consultative a voté, de manière extrêmement claire : 41 voix contre les modifications, 19 abstentions, 3 refus de vote et 0 voix pour… Mais cela n’empêcherait pas ce projet de s’appliquer. Dans ce cas, on retomberait dans les mêmes pratiques qu’avec les ministres précédents où cette instance a été bien malmenée.
« La période qui ira d'avril à la fin de l'année sera particulièrement lourde pour les écoliers, regrette Claire Krepper, du syndicat d'enseignants SE-UNSA interrogée par Mattéa Battaglia pour Le Monde ; dans l'une des zones, on a calculé que les enfants auront plus de 10 semaines de classe, alors qu'il faudrait tendre vers 7 semaines d'école, 2 semaines de congés. » Pour Lucien Marboeuf “ le ministre perd ainsi toute crédibilité quant au fameux « intérêt supérieur de l’enfant », pourtant brandi à longueur de déclaration depuis son arrivée rue de Grenelle…”
Oui, décidément l’épisode “réforme des ZEP” est bien une oasis de consensus dans un désert de difficultés et de polémiques.
Pessimisme
On retrouve aussi les critiques dans bien d’autres domaines de l’action ministérielle. Nous évoquions, la semaine dernière les critiques formulées par André Ouzoulias sur le blog de Luc Cédelle sur la formation des enseignants. L’animateur du GRFDE (groupe “reconstruire la formation des enseignants”) était longuement interviewé (en quatre épisodes) par le journaliste. Cet entretien est rassemblé en un seul article sur le blog de Luc Cédelle. On l’a vu, Ouzoulias est très critique sur ce qui se dessine dans le domaine de la formation marqué par des querelles de territoire et une mainmise du supérieur et une trop faible place laissée à la pédagogie et la professionnalisation du métier, même s’il pense qu’il reste des possibilités de faire évoluer les choses.
On notera d’ailleurs que le discours officiel semble évoluer vers plus de réalisme et se départir d’une langue de bois et de la méthode Coué qu’on a trop vue à l’œuvre jusque là. Lors de la conférence de presse sur l’éducation prioritaire, Vincent Peillon a reconnu la difficulté à demi-mot : « Il y a une bagarre sur la professionnalisation dans les Espé. Nous la menons. Partout où nous allons, nous rappelons que c'est l'engagement qui a été pris ».
La tonalité pessimiste on la retrouve aussi chez Emmanuel Davidenkoff dans une chronique sur ÉducPros (et dans l’Écho républicain . Le journaliste spécialisé dans l’éducation depuis de (très) nombreuses années pose la question : “Le gouvernement devra-t-il ralentir ou renoncer sur toutes les réformes qu’il envisageait pour l’école. ” Pour lui la question se pose pus que jamais. Car, pointe t-il, la promesse présidentielle des créations de 60 000 postes “prive le gouvernement de toute monnaie d'échange dans ses discussions avec les syndicats, à l'heure où viennent sur le tapis les questions les plus incandescentes – le collège, le métier d'enseignant, l'éducation prioritaire…”. Au risque de paraître immodeste, je voudrais rappeler que j’avais aussi pointé cette difficulté dans une chronique, il y a un an.
Emmanuel Davidenkoff prend exemple sur la question des programmes pour montrer les résistances syndicales et les verrous qui sont à l’œuvre dans la société “tant l'opinion est majoritairement conservatrice en matière de pédagogie.”. Et ce bon analyste conclut “Si le gouvernement ne trouve pas la clé du changement, la "refondation" de l'école risque fort de se traduire au sens le plus strict du terme par une consolidation des fondations d'un système scolaire dont chacun sait, pourtant, qu'il est impuissant à remplir la promesse d'égalité inscrite au fronton des écoles. ” On ne saurait mieux dire. Mais pour finir, on préfèrera cette citation que j’ai si souvent utilisée :“Il faut conjuguer le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté”
Romain Rolland (repris par Antonio Gramsci)
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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samedi, janvier 11, 2014
Bloc notes de la semaine du 6 au 12 janvier 2014
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- Prestige – ESPÉ rances - Polémiques - Ailleurs -
L’année 2014 commence sur la lancée de 2013. Avec une actualité éducative encore très riche. On revient sur les articles récents consacrés curieusement à une enquête datant d’octobre 2013 sur le prestige des enseignants à travers le monde. Et on s’attarde aussi sur les déclarations d’Antoine Compagnon dans le Figaro qui ont suscité beaucoup de réactions sur ce sujet. Curieusement, alors que c’est un sujet peu traité en général, plusieurs articles s’intéressent à la formation des enseignants et aux ESPÉ. On développe aussi quelques polémiques amorcées cette semaine autour de la question des rigidités syndicales. Et on finit comme on a commencé, c’est-à-dire par des comparaisons internationales.
Prestige
Je n’ai toujours pas compris pourquoi cette enquête de la Varkeys fondation a resurgi en ce début du mois de janvier. Nous en faisions déjà état dans notre bloc-notes de la fin octobre. Elle est donc revenue au cours de cette semaine dans une dépêche avec cette accroche "le salaire des enseignants devrait être moins élevé selon les Français". Plusieurs articles ont recuisiné du réchauffé en se posant une question tout aussi mal formulée : dans quels pays les enseignants sont-ils les plus “respectés” ? Mal formulée car le mot “respect” peut induire en erreur. Il semble être une mauvaise traduction de ce qu’on appellerait en sociologie “statut” ou “prestige social”. L’étude de la Varkeys Gem Foundation se basait sur des enquêtes auprès de 1000 adultes dans chaque pays. Celles-ci ont examiné les attitudes du public envers le statut professionnel, la confiance, la rémunération et les avantages de l’enseignement en tant que carrière professionnelle. Au Royaume-Uni, seul 1 adulte sur 5 croit que les étudiants montrent du respect à leurs professeurs à l’école. Tandis qu’en Chine on compare les enseignants à des médecins, au Royaume Uni ils sont davantage susceptibles d’être rattachés aux infirmières et aux assistantes sociales et aux États Unis comme des bibliothécaires. Le rapport initial indique la place de la France dans ce classement : 11e position. D'ailleurs, si vous pratiquez l'anglais, le rapport est vraiment intéressant à lire. Surtout les graphiques !
Cette réflexion sur la perte de prestige du métier enseignant a connu un développement annexe avec une interview d’Antoine Compagnon au Figaro en accompagnement d’un article présentant l’enquête évoquée plus haut . Ce n’est pas au spécialiste de Montaigne que la journaliste s’adresse mais à celui qui fut membre du Haut Conseil de l’École. On l’interroge sur l’évolution du métier d’enseignant : pour lui, il le déplore, “le métier de professeur est un métier sans aucune évolution. Les seules promotions possibles, c'est le syndicalisme ou l'inspection. ”. A propos de l’enquête internationale sur le prestige perdu des enseignants, il déclare : “Cette déconsidération est liée au déclassement social des professeurs, lui-même lié à la massification de l'enseignement. Environ 20% d'une génération d'élèves obtenaient le bac en 1970, contre 76% en 2012! Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, un professeur était un notable dans sa préfecture, l'instituteur était un notable au même titre que le maire ou le médecin du village. Les métiers de l'enseignement étaient des métiers de promotion sociale. Ils ont cessé de jouer ce rôle. La féminisation massive de ce métier a achevé de le déclasser, c'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer pour la magistrature. C'est inéluctable. Un métier féminin reste encore souvent un emploi d'appoint dans un couple. L'enseignement est choisi par les femmes en raison de la souplesse de l'emploi du temps et des nombreuses vacances qui leur permettent de bien s'occuper de leurs enfants.”.
Cette déclaration a suscité de très vives réactions accusant ce professeur au collège de France de faire preuve d'un conservatisme doublé d'un machisme inacceptables. On peut citer en particulier une tribune écrite dans un style très enlevé sur Rue89 et intitulée (au départ, le titre a été changé ensuite) : “Profs : si le métier est déclassé c’est à cause des femmes. Sans déconner ? ” ou encore une tribune dans Les Inrocks . Au risque de m’attirer moi aussi les foudres de plusieurs lecteurs, je ne vois pas en quoi ces propos sont condamnables. Certes, Antoine Compagnon n’est pas sociologue et le fait d’être professeur au Collège de France ne vous rend pas omniscient et légitime pour s’exprimer sur tous les sujets. Mais à l’inverse une lecture trop rapide de ses propos ne doit pas aboutir à une confusion entre jugement de valeur et constat de fait, entre le descriptif et le normatif. Et le constat qui est fait est malheureusement assez partagé. Sociologiquement, il faut bien constater que ces trois phénomènes (déclassement, massification, féminisation) sont souvent associés. Il faut y adjoindre aussi la faible rémunérationMais le lien logique n'est pas celui que Compagnon semble énoncer. Ce n'est pas forcément parce qu'un métier se féminise qu'il perd de son "prestige" c'est la relation inverse qui peut être aussi posée : c'est parce qu'un métier perd de son "prestige" associé à une faible rémunération qu'il se féminise. En fait on peut même dire qu'il y a une relation circulaire. C'est parce que le métier de prof se dévalorise (à mesure que baisse sa rémunération réelle et relative) que les hommes le choisissent moins et que donc ils ""laissent la place"" aux femmes. Ensuite on fabrique un discours légitimant l'affaire : "enseignant c'est un métier pratique pour les femmes, peu de travail, beaucoup de temps libre et de nombreuses vacances pour s'occuper de leur foyer etc.”. A noter pour préciser encore l’analyse qu’au sein même des enseignants les femmes sont moins bien payées que les hommes.
Je me répète ce n'est pas faire injure aux femmes que de constater que dans notre société la perte de “prestige" est corrélée à la féminisation. Mais ce n'est pas le seul phénomène à prendre en compte. Par exemple, je pense que l'élévation du niveau de diplôme de l'ensemble de la population a joué beaucoup plus dans le déclassement en réduisant l'écart relatif avec l'ensemble de la population Quand les enseignants étaient peu nombreux et détenteurs d'un savoir largement supérieur à celui du reste de la population il étaient des notables. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. C'est aussi ce qui se produit avec les médecins. C'est un constat pas une opinion...
Reste à réfléchir aux moyens de reconsidérer le statut des enseignants. Cela peut passer par une revalorisation salariale mais aussi par la reconnaissance de leur expertise et de leur professionnalité.
Des ESPÉ rances ?
Quelques articles récents s’intéressent à la formation des enseignants. Alors que Vincent Peillon a installé un comité de suivi de la mise en place des ESPÉ , un article du Monde affirme que “Les écoles de professeurs apprennent encore peu à enseigner”. Certes, nous dit l’article, il y a eu le rétablissement de la formation en alternance et une professionnalisation des épreuves avec des concours rénovés. Mais cette évolution des concours est très variable selon les disciplines et le temps de formation n’est pas forcément à la hauteur des ambitions. L’article pointe la difficulté à trouver un “nouvel équilibre entre théorie et pratique” et constate que “ce résultat mitigé est le fruit d'un compromis entre les formateurs de l'IUFM et les universitaires. Les premiers défendent une formation professionnelle, les seconds sont plus souvent dans une posture de défense des savoirs.”.
On trouve une tonalité assez voisine chez André Ouzoulias, un des principaux animateurs du GRFDE (Groupe “reconstruire la formation des enseignants”) . Il est interrogé par Luc Cédelle sur son blog. Il s’agit en fait d’une série de quatre billets. On ne peut lire pour l’instant que la première et la deuxième partie de l’entretien . Dans cette première partie, Ouzoulias considère comme “une grave erreur” le fait de vouloir donner une coloration professionnelle aux concours. On pêche selon lui par excès de simplicité et de naïveté. Excès de simplicité car, selon lui, on confond concours et recrutement alors qu’un concours placé en fin de licence aurait permis de dissocier les deux et de garantir une formation délivrée du conformisme et du bachotage associée au concours. Car, dit notre collègue, “les défenseurs du « concours professionnel » font également preuve de naïveté : ils pensent que des épreuves écrites et orales bien conçues peuvent donner à voir les premières capacités professionnelles des candidats. On ne comprend pas comment ces capacités peuvent se développer dans l’année précédant le concours alors même que celle-ci ne comporte pas de stages pratiques conséquents. […] Ce n’est pas la même chose de dire ce qu’il faut faire et de pouvoir le faire dans des conditions réelles. Enfin, le candidat doit dire ce qu’il croit que le jury attend de lui, laissant éventuellement place à l’hypocrisie… Le jury observe-t-il un futur enseignant ou un candidat qui n’a qu’une idée en tête : réussir le concours en tenant du mieux possible le rôle auquel il s’est préparé ? À tous points de vue, le « concours professionnel » est l’exemple même de la fausse bonne idée. ”
On retrouve aussi une tonalité assez critique chez Antoine Prost. L’historien de l’éducation était auditionné par une Mission du Sénat le 7 janvier dernier et l’on en trouve le compte rendu dans le Café Pédagogique . Il y a défendu le bilan des IUFM et énuméré les difficultés des Espé : budget insuffisant, gestion difficile entre les deux ministères, vivier de formateurs vidé par les politiques précédentes, dépeçage des moyens par les UFR, millefeuille administratif avec les Communautés d'universités… L’historien fait aussi des recommandations concrètes. Il invite à définir nationalement le service des formateurs des Espé et à établir des règles nationales de comptabilité des heures réalisées par les UFR pour la formation des enseignants. Et il propose aussi que " les formateurs des Espé aient une obligation de retour sur le terrain", pour gagner en crédibilité auprès des étudiants.
Comme vous le savez, j’ai consacré plusieurs billets à ce sujet de la formation où je disais mon inquiétude et où je faisais mon propre bilan d’étape Je me réjouis que ce sujet apparaisse dans les médias et qu’on sorte enfin d’un discours officiel d’auto-persuasion pour vraiment faire évoluer ce levier majeur de l’évolution de l’École. Il n’est pas trop tard…
Polémiques
Le ton est à la polémique en ce moment et plusieurs personnalités du monde éducatif ne mâchent pas leurs mots.
A commencer par Christian Forestier, ancien recteur et membre de plusieurs cabinets ministériels, ancien président du Haut conseil d’évaluation de l’École. Dans un entretien à l’Express, il règle ses comptes et se livre à une analyse en forme de bilan d'une carrière à tous les postes clés de l'Education nationale. Il y fustige le modèle des classes préparatoires qu’il juge "malthusien, élitiste, infantilisant". Quand on lui demande de tirer un bilan de la refondation, il répond “On ne répètera jamais assez que le temps de l'école n'est pas le temps du politique. Tirer aujourd'hui un bilan de la réforme Peillon n'a pas grand sens; au risque de décevoir beaucoup de monde je dirai que nous saurons au plus tôt dans le PISA 2021 si la réforme a permis une réelle inversion de tendance; d'ici là il est à craindre que les évaluations internationales de 2015 et 2018 continuent à montrer l'excessif déterminisme social de notre école. Tout va se jouer sur la priorité qui est donnée à l'école primaire et surtout à la qualité de la formation des maîtres dans les nouvelles ESPE. ”. Comme d’autres, il s’insurge contre les inégalités renforcées par l’école et demande à faire “de la lutte contre l'échec scolaire lourd une grande cause nationale,”. Il dénonce aussi les rigidités syndicales et s’attaque frontalement à la FSU et en particulier au SNES : “Il faut d'abord rappeler qu'il existe des syndicats vraiment réformateurs qui prennent autant en compte la réussite des élèves que les intérêts de leurs mandants. Il faut aussi se souvenir qu'il existe des mouvements pédagogiques qui font un travail remarquable et à qui on ne donne pas suffisamment la parole. S'agissant de certains syndicats, il est inutile de chercher à les associer à un quelconque projet éducatif, figés qu'ils sont dans leur corporatisme. […] . Il faut d'abord ne pas être dupe du double langage souvent pratiqué, ouvert en privé, fermé en public, et surtout savoir que cette fédération [la FSU], majoritaire, n'est pas aussi unifiée qu'on le croit. Jusqu'à la période récente il existait des différences intéressantes et visibles entre le monde du premier degré et celui du secondaire, il serait dommage que cela disparaisse. Il faut aussi savoir qu'en allant sur le terrain on rencontre souvent des enseignants de base, syndiqués, ayant une véritable volonté de changement. Enfin quand on a compris que le Snes défend toujours, systématiquement, tout ce qui est acquis, même lorsqu'il s'y était opposé au départ, par exemple les travaux personnels encadrés, on comprend l'utilité d'une plus grande détermination puisque toute bonne réforme imposée sera ensuite défendue. ”
Alors qu’il est habituellement très modéré dans ses propos, Jean-Michel Zakhartchouk, membre du bureau du CRAP s’élève lui aussi contre certaines déclarations récentes du SNES. En effet la direction de ce syndicat dans un communiqué s’inquiète de la « logique curriculaire» qui prévaudrait pour la construction des programmes, logique impliquant une marge d’autonomie locale des équipes ». Dans un billet sur son blog , Jean-Michel Zakhartchouk le regrette : “Le SNES s’oppose donc à ce qui serait une avancée énorme pour notre école. Concevoir les contenus scolaires du point de vue de ce qui est appris réellement et non de ce qui est enseigné. Pouvoir substituer à ces listes de notions qu’il faut avoir « vues » et qu’en fait on n’a jamais le temps de traiter sinon par le survol, une autre logique, plus réaliste mais aussi plus impliquante pour les professeurs comme pour les élèves. Refuser le quantitatif qui conduit à s’indigner dès qu’un chapitre est supprimé ou à rajouter sans cesse des savoirs nouveaux sans en retrancher aucun au profit du qualitatif, de l’appropriation réelle, en incluant de manière autre que marginale les méthodes de travail par exemple. ”. Pour lui, la logique curriculaire serait une évolution majeure à la fois pour les enseignants et pour les élèves . D’abord parce qu’elle permet de “donner de l’autonomie aux acteurs, oui, en leur faisant un peu confiance. Disons d’ailleurs que ce serait reconnaitre officiellement une autonomie qui existe dans les faits, mais de manière sauvage et brouillonne. ”. Et pour les élèves, la logique curriculaire préparerait mieux les élèves “à affronter les défis de demain en leur permettant de se confronter à ces fameuses situations complexes, où il faut mobiliser des savoirs divers sans entrer forcément sous les fiches caudines des progressions soi-disant raisonnées et rationnelles des « programmes ». Bien sûr que des cadres sont nécessaires, mais il faut les limiter au maximum à ce qui est vraiment indispensable. Des systèmes qui sont dans cette logique ne s’en sortent pas si mal… ”. Mais selon lui, malgré ces crispations, il y a de l’espoir “Heureusement, beaucoup d’enseignants se rendent bien compte qu’ils sont dans une logique schizophrène, que les « programmes » tels qu’ils sont, surtout dans les années de scolarité obligatoire sont plus des contraintes absurdes que de vraies aides à l’enseignement, comme le montre la consultation sur les programmes de l’école primaire. Mais en même temps, il y a cet attachement ancestral à cette logique magistrale, à un dérisoire totem, mais désormais la question du crépuscule des Saintes Écritures n’est plus taboue ! Resteront des cadres, des repères, des référentiels utiles, avec quelques notions-clés, quelques points incontournables, mais pas cette logique folle qui met au second plan ce qui est à apprendre et au premier ce qui est à enseigner… ”
Ailleurs
"Pour que Gove enseigne pendant un semestre", c'est le titre de la pétition lancée en Grande Bretagne pour que le ministre de l'Éducation (Michael Gove) retourne à l'École, nous apprend le site d’information myeurop.info . "Nous aimerions que vous enseigniez à une classe d'école primaire pendant au moins un demi-semestre, afin que qu'il vous soit possible d'apprécier et de respecter le travail difficile que nous faisons réellement. Il est inepte que le ministre de l'éducation, qui a le pouvoir de faire des changements importants, n'ait aucune connaissance du système éducatif et du travail des professeurs." dit le texte de cette pétition qui vient de passer les 100 000 signataires.
En préconisant des vacances plus courtes et des jours d'école plus longs, et en critiquant le système actuel qu'il qualifie de dépassé, il s'était déjà attiré les foudres de certains professeurs. Plus récemment, le ministre anglais de l'éducation a encore fait parler de lui en déclenchant une polémique. Le 2 janvier dernier, il déclarait en effet que les historiens et les programmes télé comme Blackadder, une série sur la Première Guerre Mondiale, dénigraient le patriotisme et le courage britannique en dépeignant ce conflit comme une "pagaille illégitime". La faute, selon lui, aux historiens de gauche et aux "mythes" qu’ils ont construits... L'année dernière, Michael Gove avait déjà fait faire d'importants changements dans les programmes scolaires notamment en Histoire. On lui avait reproché de trop se concentrer sur l'histoire britannique, au détriment d'une vue d'ensemble historique plus large.
Pour ceux qu’une approche comparatiste intéresse, je signale aussi une émission de la série Learning wordl sur EuroNews qui pose la question “Redoubler pour quoi faire ? Le reportage nous emmène en Uruguay, en Hongrie, en Thaïlande et en France.
Mais ce qu’il faut surtout retenir de ce rapide tour du Monde c’est cette interview trouvée sur un site intitulé “visa japon” et signalé par un journaliste de France Info. Il s’agit d’un entretien très intéressant avec une Japonaise qui compare le lycée français où elle s’est trouvée avec le système japonais. Tout pour elle est sujet d'étonnement et cet entretien nous invite à réfléchir sur le fonctionnement de notre système éducatif. Elle est surprise, par exemple, par l’absence de « rituels » et de cérémonies dans les établissements français, par la saleté des toilettes ou par l’absence de proximité avec les enseignants. Un de ses constats est terrible : “Les élèves japonais aiment bien aller à l’école, et ce quels que soient leurs résultats et leurs capacités académiques. J’ai été très étonnée en arrivant en France de découvrir que les jeunes Français n’aimaient pas aller à l’école et surtout qu’ils n’aimaient pas leur école. Dès qu’un élève français a fini ses cours, il file à la maison. Pour lui, l’école est comme une prison ; et son but est de s’en échapper.”
Pourtant elle aime bien la France, malgré ses défauts qu’elle analyse de manière très fine : “Ce qui est très appréciable dans votre pays, c’est la dimension critique. Vous critiquez sans cesse. Pour le meilleur et pour le pire. C’est par exemple la force de votre école ; vous y apprenez à argumenter, à discuter, à remettre en cause. Mais en même temps, c’est une faiblesse. Je crois que c’est cela qui fait que vous ne respectez pas toujours les règles et que vous détournez le système. Je suis parfois choquée de voir comment les élèves remettent en cause les professeurs, au point souvent de ne pas les respecter. Et choquée aussi du comportement des professeurs qui ne respectent pas toujours les élèves, qui mélangent leur compétence (leur travail, leurs résultats) et leur être. Il suffit de lire un bulletin scolaire pour s’en rendre compte. On ne cherche pas assez en France à valoriser l’élève et à travailler sur ses compétences. ”
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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- Prestige – ESPÉ rances - Polémiques - Ailleurs -
L’année 2014 commence sur la lancée de 2013. Avec une actualité éducative encore très riche. On revient sur les articles récents consacrés curieusement à une enquête datant d’octobre 2013 sur le prestige des enseignants à travers le monde. Et on s’attarde aussi sur les déclarations d’Antoine Compagnon dans le Figaro qui ont suscité beaucoup de réactions sur ce sujet. Curieusement, alors que c’est un sujet peu traité en général, plusieurs articles s’intéressent à la formation des enseignants et aux ESPÉ. On développe aussi quelques polémiques amorcées cette semaine autour de la question des rigidités syndicales. Et on finit comme on a commencé, c’est-à-dire par des comparaisons internationales.
Prestige
Je n’ai toujours pas compris pourquoi cette enquête de la Varkeys fondation a resurgi en ce début du mois de janvier. Nous en faisions déjà état dans notre bloc-notes de la fin octobre. Elle est donc revenue au cours de cette semaine dans une dépêche avec cette accroche "le salaire des enseignants devrait être moins élevé selon les Français". Plusieurs articles ont recuisiné du réchauffé en se posant une question tout aussi mal formulée : dans quels pays les enseignants sont-ils les plus “respectés” ? Mal formulée car le mot “respect” peut induire en erreur. Il semble être une mauvaise traduction de ce qu’on appellerait en sociologie “statut” ou “prestige social”. L’étude de la Varkeys Gem Foundation se basait sur des enquêtes auprès de 1000 adultes dans chaque pays. Celles-ci ont examiné les attitudes du public envers le statut professionnel, la confiance, la rémunération et les avantages de l’enseignement en tant que carrière professionnelle. Au Royaume-Uni, seul 1 adulte sur 5 croit que les étudiants montrent du respect à leurs professeurs à l’école. Tandis qu’en Chine on compare les enseignants à des médecins, au Royaume Uni ils sont davantage susceptibles d’être rattachés aux infirmières et aux assistantes sociales et aux États Unis comme des bibliothécaires. Le rapport initial indique la place de la France dans ce classement : 11e position. D'ailleurs, si vous pratiquez l'anglais, le rapport est vraiment intéressant à lire. Surtout les graphiques !
Cette réflexion sur la perte de prestige du métier enseignant a connu un développement annexe avec une interview d’Antoine Compagnon au Figaro en accompagnement d’un article présentant l’enquête évoquée plus haut . Ce n’est pas au spécialiste de Montaigne que la journaliste s’adresse mais à celui qui fut membre du Haut Conseil de l’École. On l’interroge sur l’évolution du métier d’enseignant : pour lui, il le déplore, “le métier de professeur est un métier sans aucune évolution. Les seules promotions possibles, c'est le syndicalisme ou l'inspection. ”. A propos de l’enquête internationale sur le prestige perdu des enseignants, il déclare : “Cette déconsidération est liée au déclassement social des professeurs, lui-même lié à la massification de l'enseignement. Environ 20% d'une génération d'élèves obtenaient le bac en 1970, contre 76% en 2012! Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, un professeur était un notable dans sa préfecture, l'instituteur était un notable au même titre que le maire ou le médecin du village. Les métiers de l'enseignement étaient des métiers de promotion sociale. Ils ont cessé de jouer ce rôle. La féminisation massive de ce métier a achevé de le déclasser, c'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer pour la magistrature. C'est inéluctable. Un métier féminin reste encore souvent un emploi d'appoint dans un couple. L'enseignement est choisi par les femmes en raison de la souplesse de l'emploi du temps et des nombreuses vacances qui leur permettent de bien s'occuper de leurs enfants.”.
Cette déclaration a suscité de très vives réactions accusant ce professeur au collège de France de faire preuve d'un conservatisme doublé d'un machisme inacceptables. On peut citer en particulier une tribune écrite dans un style très enlevé sur Rue89 et intitulée (au départ, le titre a été changé ensuite) : “Profs : si le métier est déclassé c’est à cause des femmes. Sans déconner ? ” ou encore une tribune dans Les Inrocks . Au risque de m’attirer moi aussi les foudres de plusieurs lecteurs, je ne vois pas en quoi ces propos sont condamnables. Certes, Antoine Compagnon n’est pas sociologue et le fait d’être professeur au Collège de France ne vous rend pas omniscient et légitime pour s’exprimer sur tous les sujets. Mais à l’inverse une lecture trop rapide de ses propos ne doit pas aboutir à une confusion entre jugement de valeur et constat de fait, entre le descriptif et le normatif. Et le constat qui est fait est malheureusement assez partagé. Sociologiquement, il faut bien constater que ces trois phénomènes (déclassement, massification, féminisation) sont souvent associés. Il faut y adjoindre aussi la faible rémunérationMais le lien logique n'est pas celui que Compagnon semble énoncer. Ce n'est pas forcément parce qu'un métier se féminise qu'il perd de son "prestige" c'est la relation inverse qui peut être aussi posée : c'est parce qu'un métier perd de son "prestige" associé à une faible rémunération qu'il se féminise. En fait on peut même dire qu'il y a une relation circulaire. C'est parce que le métier de prof se dévalorise (à mesure que baisse sa rémunération réelle et relative) que les hommes le choisissent moins et que donc ils ""laissent la place"" aux femmes. Ensuite on fabrique un discours légitimant l'affaire : "enseignant c'est un métier pratique pour les femmes, peu de travail, beaucoup de temps libre et de nombreuses vacances pour s'occuper de leur foyer etc.”. A noter pour préciser encore l’analyse qu’au sein même des enseignants les femmes sont moins bien payées que les hommes.
Je me répète ce n'est pas faire injure aux femmes que de constater que dans notre société la perte de “prestige" est corrélée à la féminisation. Mais ce n'est pas le seul phénomène à prendre en compte. Par exemple, je pense que l'élévation du niveau de diplôme de l'ensemble de la population a joué beaucoup plus dans le déclassement en réduisant l'écart relatif avec l'ensemble de la population Quand les enseignants étaient peu nombreux et détenteurs d'un savoir largement supérieur à celui du reste de la population il étaient des notables. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. C'est aussi ce qui se produit avec les médecins. C'est un constat pas une opinion...
Reste à réfléchir aux moyens de reconsidérer le statut des enseignants. Cela peut passer par une revalorisation salariale mais aussi par la reconnaissance de leur expertise et de leur professionnalité.
Des ESPÉ rances ?
Quelques articles récents s’intéressent à la formation des enseignants. Alors que Vincent Peillon a installé un comité de suivi de la mise en place des ESPÉ , un article du Monde affirme que “Les écoles de professeurs apprennent encore peu à enseigner”. Certes, nous dit l’article, il y a eu le rétablissement de la formation en alternance et une professionnalisation des épreuves avec des concours rénovés. Mais cette évolution des concours est très variable selon les disciplines et le temps de formation n’est pas forcément à la hauteur des ambitions. L’article pointe la difficulté à trouver un “nouvel équilibre entre théorie et pratique” et constate que “ce résultat mitigé est le fruit d'un compromis entre les formateurs de l'IUFM et les universitaires. Les premiers défendent une formation professionnelle, les seconds sont plus souvent dans une posture de défense des savoirs.”.
On trouve une tonalité assez voisine chez André Ouzoulias, un des principaux animateurs du GRFDE (Groupe “reconstruire la formation des enseignants”) . Il est interrogé par Luc Cédelle sur son blog. Il s’agit en fait d’une série de quatre billets. On ne peut lire pour l’instant que la première et la deuxième partie de l’entretien . Dans cette première partie, Ouzoulias considère comme “une grave erreur” le fait de vouloir donner une coloration professionnelle aux concours. On pêche selon lui par excès de simplicité et de naïveté. Excès de simplicité car, selon lui, on confond concours et recrutement alors qu’un concours placé en fin de licence aurait permis de dissocier les deux et de garantir une formation délivrée du conformisme et du bachotage associée au concours. Car, dit notre collègue, “les défenseurs du « concours professionnel » font également preuve de naïveté : ils pensent que des épreuves écrites et orales bien conçues peuvent donner à voir les premières capacités professionnelles des candidats. On ne comprend pas comment ces capacités peuvent se développer dans l’année précédant le concours alors même que celle-ci ne comporte pas de stages pratiques conséquents. […] Ce n’est pas la même chose de dire ce qu’il faut faire et de pouvoir le faire dans des conditions réelles. Enfin, le candidat doit dire ce qu’il croit que le jury attend de lui, laissant éventuellement place à l’hypocrisie… Le jury observe-t-il un futur enseignant ou un candidat qui n’a qu’une idée en tête : réussir le concours en tenant du mieux possible le rôle auquel il s’est préparé ? À tous points de vue, le « concours professionnel » est l’exemple même de la fausse bonne idée. ”
On retrouve aussi une tonalité assez critique chez Antoine Prost. L’historien de l’éducation était auditionné par une Mission du Sénat le 7 janvier dernier et l’on en trouve le compte rendu dans le Café Pédagogique . Il y a défendu le bilan des IUFM et énuméré les difficultés des Espé : budget insuffisant, gestion difficile entre les deux ministères, vivier de formateurs vidé par les politiques précédentes, dépeçage des moyens par les UFR, millefeuille administratif avec les Communautés d'universités… L’historien fait aussi des recommandations concrètes. Il invite à définir nationalement le service des formateurs des Espé et à établir des règles nationales de comptabilité des heures réalisées par les UFR pour la formation des enseignants. Et il propose aussi que " les formateurs des Espé aient une obligation de retour sur le terrain", pour gagner en crédibilité auprès des étudiants.
Comme vous le savez, j’ai consacré plusieurs billets à ce sujet de la formation où je disais mon inquiétude et où je faisais mon propre bilan d’étape Je me réjouis que ce sujet apparaisse dans les médias et qu’on sorte enfin d’un discours officiel d’auto-persuasion pour vraiment faire évoluer ce levier majeur de l’évolution de l’École. Il n’est pas trop tard…
Polémiques
Le ton est à la polémique en ce moment et plusieurs personnalités du monde éducatif ne mâchent pas leurs mots.
A commencer par Christian Forestier, ancien recteur et membre de plusieurs cabinets ministériels, ancien président du Haut conseil d’évaluation de l’École. Dans un entretien à l’Express, il règle ses comptes et se livre à une analyse en forme de bilan d'une carrière à tous les postes clés de l'Education nationale. Il y fustige le modèle des classes préparatoires qu’il juge "malthusien, élitiste, infantilisant". Quand on lui demande de tirer un bilan de la refondation, il répond “On ne répètera jamais assez que le temps de l'école n'est pas le temps du politique. Tirer aujourd'hui un bilan de la réforme Peillon n'a pas grand sens; au risque de décevoir beaucoup de monde je dirai que nous saurons au plus tôt dans le PISA 2021 si la réforme a permis une réelle inversion de tendance; d'ici là il est à craindre que les évaluations internationales de 2015 et 2018 continuent à montrer l'excessif déterminisme social de notre école. Tout va se jouer sur la priorité qui est donnée à l'école primaire et surtout à la qualité de la formation des maîtres dans les nouvelles ESPE. ”. Comme d’autres, il s’insurge contre les inégalités renforcées par l’école et demande à faire “de la lutte contre l'échec scolaire lourd une grande cause nationale,”. Il dénonce aussi les rigidités syndicales et s’attaque frontalement à la FSU et en particulier au SNES : “Il faut d'abord rappeler qu'il existe des syndicats vraiment réformateurs qui prennent autant en compte la réussite des élèves que les intérêts de leurs mandants. Il faut aussi se souvenir qu'il existe des mouvements pédagogiques qui font un travail remarquable et à qui on ne donne pas suffisamment la parole. S'agissant de certains syndicats, il est inutile de chercher à les associer à un quelconque projet éducatif, figés qu'ils sont dans leur corporatisme. […] . Il faut d'abord ne pas être dupe du double langage souvent pratiqué, ouvert en privé, fermé en public, et surtout savoir que cette fédération [la FSU], majoritaire, n'est pas aussi unifiée qu'on le croit. Jusqu'à la période récente il existait des différences intéressantes et visibles entre le monde du premier degré et celui du secondaire, il serait dommage que cela disparaisse. Il faut aussi savoir qu'en allant sur le terrain on rencontre souvent des enseignants de base, syndiqués, ayant une véritable volonté de changement. Enfin quand on a compris que le Snes défend toujours, systématiquement, tout ce qui est acquis, même lorsqu'il s'y était opposé au départ, par exemple les travaux personnels encadrés, on comprend l'utilité d'une plus grande détermination puisque toute bonne réforme imposée sera ensuite défendue. ”
Alors qu’il est habituellement très modéré dans ses propos, Jean-Michel Zakhartchouk, membre du bureau du CRAP s’élève lui aussi contre certaines déclarations récentes du SNES. En effet la direction de ce syndicat dans un communiqué s’inquiète de la « logique curriculaire» qui prévaudrait pour la construction des programmes, logique impliquant une marge d’autonomie locale des équipes ». Dans un billet sur son blog , Jean-Michel Zakhartchouk le regrette : “Le SNES s’oppose donc à ce qui serait une avancée énorme pour notre école. Concevoir les contenus scolaires du point de vue de ce qui est appris réellement et non de ce qui est enseigné. Pouvoir substituer à ces listes de notions qu’il faut avoir « vues » et qu’en fait on n’a jamais le temps de traiter sinon par le survol, une autre logique, plus réaliste mais aussi plus impliquante pour les professeurs comme pour les élèves. Refuser le quantitatif qui conduit à s’indigner dès qu’un chapitre est supprimé ou à rajouter sans cesse des savoirs nouveaux sans en retrancher aucun au profit du qualitatif, de l’appropriation réelle, en incluant de manière autre que marginale les méthodes de travail par exemple. ”. Pour lui, la logique curriculaire serait une évolution majeure à la fois pour les enseignants et pour les élèves . D’abord parce qu’elle permet de “donner de l’autonomie aux acteurs, oui, en leur faisant un peu confiance. Disons d’ailleurs que ce serait reconnaitre officiellement une autonomie qui existe dans les faits, mais de manière sauvage et brouillonne. ”. Et pour les élèves, la logique curriculaire préparerait mieux les élèves “à affronter les défis de demain en leur permettant de se confronter à ces fameuses situations complexes, où il faut mobiliser des savoirs divers sans entrer forcément sous les fiches caudines des progressions soi-disant raisonnées et rationnelles des « programmes ». Bien sûr que des cadres sont nécessaires, mais il faut les limiter au maximum à ce qui est vraiment indispensable. Des systèmes qui sont dans cette logique ne s’en sortent pas si mal… ”. Mais selon lui, malgré ces crispations, il y a de l’espoir “Heureusement, beaucoup d’enseignants se rendent bien compte qu’ils sont dans une logique schizophrène, que les « programmes » tels qu’ils sont, surtout dans les années de scolarité obligatoire sont plus des contraintes absurdes que de vraies aides à l’enseignement, comme le montre la consultation sur les programmes de l’école primaire. Mais en même temps, il y a cet attachement ancestral à cette logique magistrale, à un dérisoire totem, mais désormais la question du crépuscule des Saintes Écritures n’est plus taboue ! Resteront des cadres, des repères, des référentiels utiles, avec quelques notions-clés, quelques points incontournables, mais pas cette logique folle qui met au second plan ce qui est à apprendre et au premier ce qui est à enseigner… ”
Ailleurs
"Pour que Gove enseigne pendant un semestre", c'est le titre de la pétition lancée en Grande Bretagne pour que le ministre de l'Éducation (Michael Gove) retourne à l'École, nous apprend le site d’information myeurop.info . "Nous aimerions que vous enseigniez à une classe d'école primaire pendant au moins un demi-semestre, afin que qu'il vous soit possible d'apprécier et de respecter le travail difficile que nous faisons réellement. Il est inepte que le ministre de l'éducation, qui a le pouvoir de faire des changements importants, n'ait aucune connaissance du système éducatif et du travail des professeurs." dit le texte de cette pétition qui vient de passer les 100 000 signataires.
En préconisant des vacances plus courtes et des jours d'école plus longs, et en critiquant le système actuel qu'il qualifie de dépassé, il s'était déjà attiré les foudres de certains professeurs. Plus récemment, le ministre anglais de l'éducation a encore fait parler de lui en déclenchant une polémique. Le 2 janvier dernier, il déclarait en effet que les historiens et les programmes télé comme Blackadder, une série sur la Première Guerre Mondiale, dénigraient le patriotisme et le courage britannique en dépeignant ce conflit comme une "pagaille illégitime". La faute, selon lui, aux historiens de gauche et aux "mythes" qu’ils ont construits... L'année dernière, Michael Gove avait déjà fait faire d'importants changements dans les programmes scolaires notamment en Histoire. On lui avait reproché de trop se concentrer sur l'histoire britannique, au détriment d'une vue d'ensemble historique plus large.
Pour ceux qu’une approche comparatiste intéresse, je signale aussi une émission de la série Learning wordl sur EuroNews qui pose la question “Redoubler pour quoi faire ? Le reportage nous emmène en Uruguay, en Hongrie, en Thaïlande et en France.
Mais ce qu’il faut surtout retenir de ce rapide tour du Monde c’est cette interview trouvée sur un site intitulé “visa japon” et signalé par un journaliste de France Info. Il s’agit d’un entretien très intéressant avec une Japonaise qui compare le lycée français où elle s’est trouvée avec le système japonais. Tout pour elle est sujet d'étonnement et cet entretien nous invite à réfléchir sur le fonctionnement de notre système éducatif. Elle est surprise, par exemple, par l’absence de « rituels » et de cérémonies dans les établissements français, par la saleté des toilettes ou par l’absence de proximité avec les enseignants. Un de ses constats est terrible : “Les élèves japonais aiment bien aller à l’école, et ce quels que soient leurs résultats et leurs capacités académiques. J’ai été très étonnée en arrivant en France de découvrir que les jeunes Français n’aimaient pas aller à l’école et surtout qu’ils n’aimaient pas leur école. Dès qu’un élève français a fini ses cours, il file à la maison. Pour lui, l’école est comme une prison ; et son but est de s’en échapper.”
Pourtant elle aime bien la France, malgré ses défauts qu’elle analyse de manière très fine : “Ce qui est très appréciable dans votre pays, c’est la dimension critique. Vous critiquez sans cesse. Pour le meilleur et pour le pire. C’est par exemple la force de votre école ; vous y apprenez à argumenter, à discuter, à remettre en cause. Mais en même temps, c’est une faiblesse. Je crois que c’est cela qui fait que vous ne respectez pas toujours les règles et que vous détournez le système. Je suis parfois choquée de voir comment les élèves remettent en cause les professeurs, au point souvent de ne pas les respecter. Et choquée aussi du comportement des professeurs qui ne respectent pas toujours les élèves, qui mélangent leur compétence (leur travail, leurs résultats) et leur être. Il suffit de lire un bulletin scolaire pour s’en rendre compte. On ne cherche pas assez en France à valoriser l’élève et à travailler sur ses compétences. ”
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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samedi, janvier 04, 2014
Bloc-Notes de l'année 2013 (4 janvier 2014)
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- Rétrospective 2013 – rythmes & blues - Refondation – Du changement – Grand écart – indignations éphémères – Verrous va t-on ?
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Dans une année “normale”, les médias ne parlent de l’École qu’à deux moments : la rentrée scolaire et le bac. Hormis ces deux marronniers, on n’évoque les questions éducatives que sous l’angle de la violence scolaire ou à l’occasion de la sortie d’un livre à succès sur la nostalgie d’une École d’autrefois mythifiée. Assurément, l’année 2013 n’est pas une année “normale”… Car l’actualité éducative a largement occupé les médias et le monde politique tout au long de l’année. Quand l’École quitte le champ des spécialistes pour celui de l’opinion publique, il y a alors en France plus de 60 millions d’“experts” de l’éducation… On devrait s’en réjouir car cela devient un débat citoyen, mais ce n’est pas toujours avec la rigueur souhaitable
On ne peut commencer une nouvelle année sans un dernier regard sur l’année écoulée. Une année marquée, bien sûr, par la querelle sur les rythmes scolaires mais aussi par le vote de la loi de refondation. Si les médias se sont focalisés sur la semaine de 4 jours et demi, il n’en reste pas moins que d’autres sujets liés à cette loi ont marqué l’année : la création des ESPÉ et la reconstruction de la formation, le lancement de l’évolution des programmes, le début de négociations sur le métier. Et puis, il y a eu aussi Léonarda qui a occupé l’opinion une quinzaine de jours avant de retourner dans l’oubli. Et puis aussi le rapport PISA qui a engendré de nombreuses réactions sur le moment mais dont on peut se demander s’il aura des effets sur le long terme…
Que sera l’année 2014 dans le domaine de l’éducation ? Sans boule de cristal, on peut quand même se risquer à quelques prévisions ou conjectures…
Rythmes & blues
Pour faire la rétrospective de l’année 2013, il faudrait remonter jusqu’en 2012. Car c’est en octobre 2012 que se fait la remise au ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon du rapport issu de la concertation "Refondons l’école de la République" Celui-ci porte sur tous les sujets qui vont ensuite se retrouver dans le projet de loi qui ne sera soumis au parlement qu’en janvier 2013.
Sur la question des rythmes auquel Vincent Peillon dit vouloir s’attaquer en premier (avant même le vote de la loi), le rapport propose un retour à une semaine de neuf demi-journées. Il envisage la possibilité d’allonger d’une à deux semaines l’année scolaire mais en supprimant le zonage de certaines petites vacances pour respecter l’alternance sept semaines de cours / deux semaines de vacances. Sans attendre, malgré un passage devant le CSE qui ne fera pas unanimité, le 24 janvier 2013 le ministre publie un décret “relatif à l’organisation du temps scolaires dans les écoles maternelles et élémentaires” . D’après ce décret, la réforme des rythmes scolaires entrait en vigueur au début de l’année scolaire 2013-2014. Toutefois, jusqu’au 31 mars 2013, les communes pouvaient demander au directeur académique des services de l’éducation nationale le report de la réforme à l’année scolaire 2014-2015.
Sur la question des rythmes auquel Vincent Peillon dit vouloir s’attaquer en premier (avant même le vote de la loi), le rapport propose un retour à une semaine de neuf demi-journées. Il envisage la possibilité d’allonger d’une à deux semaines l’année scolaire mais en supprimant le zonage de certaines petites vacances pour respecter l’alternance sept semaines de cours / deux semaines de vacances. Sans attendre, malgré un passage devant le CSE qui ne fera pas unanimité, le 24 janvier 2013 le ministre publie un décret “relatif à l’organisation du temps scolaires dans les écoles maternelles et élémentaires” . D’après ce décret, la réforme des rythmes scolaires entrait en vigueur au début de l’année scolaire 2013-2014. Toutefois, jusqu’au 31 mars 2013, les communes pouvaient demander au directeur académique des services de l’éducation nationale le report de la réforme à l’année scolaire 2014-2015.
Cette réforme des rythmes semblait bien balisée puisqu’elle semblait faire l’objet d’un consensus préalable. Outre les recommandations de la concertation, on pouvait aussi s’appuyer sur l’avis unanime de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires qui avait rendu ses conclusions en 2011. Les oppositions sont ambigües et complexes. Ambigües car la plupart n’attaquent pas la réforme sur le fond (et vont même jusqu’à s’abriter derrière un intérêt de l’enfant mal compris) et contestent la mise en œuvre trop précipitées. Complexes car derrière l’abcès de fixation du rétablissement de la semaine de 4,5 jours, il y a surtout l’expression d’un “blues”, d’un véritable malaise des enseignants du primaire qui remonte à loin et trouve son expression à ce moment de crispation. La complexité est aussi à chercher dans la difficulté à faire évoluer les relations entre le monde de l’éducation nationale et celui des collectivités locales concernés tous deux par cette réforme.
Cette crise a aussi été révélatrice d’une organisation restée très centraliste et d’un jacobinisme déresponsabilisant. On attend beaucoup d’ “en haut”, peut-être trop, alors que cette réforme suppose en effet une mise en œuvre décentralisée et des initiatives locales. Dans différentes chroniques nous nous sommes aussi interrogés sur l’absence de culture du “work in progress” où tout semble déjà jugé dès la mise en place d’un dispositif. Cela nous confirme ce défaut français où il faudrait attendre que tout soit parfait avant que l’on se lance…
Cette crise a aussi été révélatrice d’une organisation restée très centraliste et d’un jacobinisme déresponsabilisant. On attend beaucoup d’ “en haut”, peut-être trop, alors que cette réforme suppose en effet une mise en œuvre décentralisée et des initiatives locales. Dans différentes chroniques nous nous sommes aussi interrogés sur l’absence de culture du “work in progress” où tout semble déjà jugé dès la mise en place d’un dispositif. Cela nous confirme ce défaut français où il faudrait attendre que tout soit parfait avant que l’on se lance…
Cette question des rythmes a été aussi le principal sujet pour les médias. La tonalité générale sur les « rythmes » dans les médias a été pendant une longue période assez pessimiste et s’est auto-alimentée. On connaît bien l’effet de lampadaire : on met la lumière sur les endroits où ça ne va pas et les autres endroits restent dans l’ombre. C’est ce qui s’est passé avec cette polémique sur les rythmes scolaires. On me dira qu’il est logique que la presse parle d’abord de ce qui ne marche pas. Mais on a attendu longtemps une mise en contexte avec de la nuance et une capacité à questionner les évidences. Une difficulté renforcée lorsqu’il y a eu une instrumentalisation politique de cette question. On a pu même voir Jean-François Copé en spécialiste de la chronobiologie ! En répercutant ces critiques, les radios, les télévisions ont-elle joué leur rôle de vigies face au gouvernement ou bien ont-elles servi de caisse de résonance de certains parents de certains milieux - en l'occurrence, les plus aisés (et qui ont accès aux médias) ? C’est ce questionnement qui a été formulé dans une émission d'Arrêt sur images ainsi que dans un article de Maryline Baumard, journaliste éducation au Monde.
Quoi qu'il en soit, on peut dire qu’il y a eu un emballement et une instrumentalisation politique, c’est indéniable. L’effet de lampadaire a joué à plein et a mis en évidence les “couacs” de la réforme. Il était difficile dans un tel contexte de voir qu’il y avait aussi des critiques constructives qui visaient à améliorer un dispositif qui pouvait être perfectible.
Quoi qu'il en soit, on peut dire qu’il y a eu un emballement et une instrumentalisation politique, c’est indéniable. L’effet de lampadaire a joué à plein et a mis en évidence les “couacs” de la réforme. Il était difficile dans un tel contexte de voir qu’il y avait aussi des critiques constructives qui visaient à améliorer un dispositif qui pouvait être perfectible.
Il faut noter que cette tempête médiatique s’est déclenchée alors que seuls 20% des communes ont mis en place la réforme en 2013. Qu’en sera t-il lorsqu’elle s’appliquera à toutes en septembre prochain ? Toutefois, des subventions pour les communes ont été reconduites. Va t-on vers la fin de la polémique comme le pense la sénatrice Françoise Cartron chargée d’une mission d’étude sur ce sujet? Les élections municipales pourraient au contraire raviver le débat. A l’inverse, on peut espérer que, malgré cela, la mise en place se fasse en s’appuyant sur les expériences des pionniers. A condition que cette période ait été mise à profit pour construire au lieu d’attendre…
refondation ou restauration ?
La “loi d’orientation et de programmation portant sur la refondation de l’École” a été publiée au journal officiel le 9 juillet 2013 après un long processus d’élaboration et de discussion. Refondation ? Le terme est ambitieux et est porteur de fortes espérances. Mais on notera que dans les médias, il est de moins en moins utilisé au profit de celui de “réforme”. Voyons les principaux éléments de cette loi qui ont commencé à être mis en œuvre cette année.
Dès le 1er juillet se tenait à Villeurbanne, un “séminaire préparatoire au lancement des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education”. Cet “événement” n’a pas eu le même retentissement que la moindre déclaration sur les rythmes. Pourtant le sujet était important, il ne s’agissait, rien de moins, que de reconstruire la formation des enseignants pratiquement détruite sous la mandature précédente. En fait, dès le début de l’année 2013, le processus de transformation des IUFM en ESPÉ était enclenché. Il ne s’agissait pas d’une simple restauration puisqu’il s’agissait de créer une structure nouvelle où la formation s’inscrivait dans des “écoles” rattachées à des universités et préparant à des Masters dédiés à l’enseignement. Un processus complexe que nous avons détaillé dans de nombreuses chroniques et marqué par des compromis qui alourdissent encore sa mise en œuvre. En effet, les concours de recrutement (dont les épreuves ont été modifiées) sont placés en fin de M1 (bac + 4) c’est-à-dire au milieu d’un cursus et les ESPÉ n’ont pas de statut véritablement autonome puisqu’elles dépendent des universités et avec un modèle économique qui reste encore aujourd’hui à construire. Tout cela contribue à un manque de lisibilité et crée des tensions et des querelles de territoires, là aussi, entre les différents acteurs (ex-IUFM, universitaires,…) appelés à travailler ensemble. Mais cela a été réaffirmé et acté par la création d’un « comité de suivi » : l’année scolaire actuelle est transitoire et le système devrait connaître des ajustements.
Quoi qu’il en soit, la restauration d’une véritable formation située dorénavant en M1 et M2 a eu le mérite de relancer les inscriptions au concours d’enseignement et le Ministère n’a pas manqué de communiquer sur ce point. Reste à savoir si la greffe de la pédagogie prendra sur des jurys de concours et sur une structure universitaire peu connus jusque là pour leur appétence sur ce sujet. On peut aussi avoir des inquiétudes sur la capacité des acteurs de terrain à remettre à plat l’an prochain, des “maquettes” de formation qui ont été déjà élaborées dans l’urgence et la fatigue cette année.
Quoi qu’il en soit, la restauration d’une véritable formation située dorénavant en M1 et M2 a eu le mérite de relancer les inscriptions au concours d’enseignement et le Ministère n’a pas manqué de communiquer sur ce point. Reste à savoir si la greffe de la pédagogie prendra sur des jurys de concours et sur une structure universitaire peu connus jusque là pour leur appétence sur ce sujet. On peut aussi avoir des inquiétudes sur la capacité des acteurs de terrain à remettre à plat l’an prochain, des “maquettes” de formation qui ont été déjà élaborées dans l’urgence et la fatigue cette année.
En octobre dernier, Vincent Peillon a installé le Conseil supérieur des programmes (CSP). Celui ci est constitué de 10 personnalités qualifiées nommées par le ministre, trois députés, trois sénateurs et deux représentants du Conseil économique social et environnemental. On pourra lire dans le dossier de presse sur le site du M.E.N. une présentation plus complète de ses membres et la lettre de mission du CSP et celle de son président, Alain Boissinot. Il faut rappeler que leur mission n'est pas de fabriquer eux-mêmes les programmes mais de définir des orientations générales et une charte présidant à leur élaboration. Ils nommeront ensuite des groupes d'experts pour chacun des programmes en question. Comme premier chantier, le CSP aura pour mission de «redéfinir les missions de l’école maternelle» et «la mise en application est prévue pour la rentrée de l’année scolaire 2014-2015», a annoncé le ministère . Au-delà, le CSP révisera les programmes de l’élémentaire au collège, puis du lycée.
Alain Boissinot, dans une interview donnée à nos confrères du Café Pédagogique, a indiqué que l’ambition de l’instance qu’il préside va toutefois au delà de la seule définition des programmes. “Avant on définissait les programmes comme des contenus d'enseignement en lien avec un cadre horaire. Aujourd'hui l'idée c'est de réfléchir comme dans de nombreux pays en terme de curriculum, ce qui suppose une approche plus globale. Le curriculum ce n'est pas que du contenu mais une réflexion sur les compétences, l'évaluation, les outils numériques, la formation professionnelle. C'est une nouvelle approche , une nouvelle manière d'aborder les questions au programme. Plutôt que remplacer les programmes, procédure qui lasse les enseignants, on réfléchit à une nouvelle méthode pour élaborer plus globalement et les accompagner mieux en terme de formation et d'outillage pédagogique et d'accompagnement. ”. En d’autres termes, l’enjeu est de desserrer les procédures et les détails qui encombrent les programmes actuels pour se concentrer sur les finalités et redonner ainsi du pouvoir et de l’expertise aux enseignants dans la mise en œuvre des contenus à enseigner.
Alain Boissinot, dans une interview donnée à nos confrères du Café Pédagogique, a indiqué que l’ambition de l’instance qu’il préside va toutefois au delà de la seule définition des programmes. “Avant on définissait les programmes comme des contenus d'enseignement en lien avec un cadre horaire. Aujourd'hui l'idée c'est de réfléchir comme dans de nombreux pays en terme de curriculum, ce qui suppose une approche plus globale. Le curriculum ce n'est pas que du contenu mais une réflexion sur les compétences, l'évaluation, les outils numériques, la formation professionnelle. C'est une nouvelle approche , une nouvelle manière d'aborder les questions au programme. Plutôt que remplacer les programmes, procédure qui lasse les enseignants, on réfléchit à une nouvelle méthode pour élaborer plus globalement et les accompagner mieux en terme de formation et d'outillage pédagogique et d'accompagnement. ”. En d’autres termes, l’enjeu est de desserrer les procédures et les détails qui encombrent les programmes actuels pour se concentrer sur les finalités et redonner ainsi du pouvoir et de l’expertise aux enseignants dans la mise en œuvre des contenus à enseigner.
L’action ministérielle a été marquée aussi par l’organisation des assises de l’éducation prioritaire. Celles ci sont encore en cours et doivent donner lieu prochainement à des synthèses début 2014. Le Ministre fait de la “refondation” de l’éducation prioritaire et de la revalorisation du travail des enseignants qui y travaillent un de ses thèmes de travail pour l’année qui vient.
C’est d’ailleurs avec cet objectif en tête que Vincent Peillon a proposé dans une négociation sur les métiers enseignants, en novembre-décembre, de refondre le système des “pondérations” utilisé pour les décharges horaires et les heures supplémentaires. C’est cela qui a déclenché la mobilisation des profs de prépa qui ont vu cela comme une remise en cause de leur statut et de leur propre rémunération. Devant la mobilisation, la négociation a été abandonnée ou au moins gelée…
Du changement dans l’École
On a donc pu assister en cette fin d’année 2013 à une série de reculades au niveau gouvernemental. Et on a pu se demander si, dans l’éducation qui était pourtant une des priorités du président (et curieusement absente des vœux de fin d’année), le changement c’est maintenu ? La refondation est-elle toujours à l’ordre du jour, ou assiste t-on à une simple restauration d’un système mis à mal par les 70 000 postes supprimés sous la présidence Sarkozy ?
Pour répondre à cette question, je me permets de citer un extrait d’une tribune du CRAP-Cahiers Pédagogiques : “En un an et demi, on aurait aimé voir les choses avancer bien plus vite. La logique du compromis et des petits arrangements en coulisse avec les « forces qui comptent » prend trop souvent le dessus sur la transparence et sur la consultation démocratique. Mais on sait aussi qu’il est de bon ton aujourd’hui d’afficher déception et amertume, dès que des changements se mettent en place. On souligne les effets pervers, ou on prétend qu’au fond, rien ne change, et on rejoue l’éternel remake du feuilleton des illusions perdues. Argumentations souvent hypocrites qui masquent des résistances corporatistes et une manifestation de cette société de défiance, toujours prompte à dénoncer, à souligner tout ce qui ne va pas, à dénigrer ceux qui s’engagent dans le positif ”
On peut aussi répondre en reprenant les propos de l’historien Antoine Prost auteur (selon moi) du livre de l’année : “Du changement dans l’école” (Seuil), où il analyse la longue histoire des réformes, plus ou moins réussies, dans l’Education nationale.
Que dit ce grand expert du système ? D’abord que depuis très longtemps l’éducation nationale ne cesse de se réformer. Mais, souligne t-il, “nous avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. En d’autres termes, le temps pédagogique n’est pas celui du politique. Songeons que les premiers effets des modifications de programmes ne se verront au minimum qu’au bout d’une décennie. Mais Antoine Prost nous indique aussi que certains changements se font sans “réforme” simplement parce qu’il y a une sorte de consensus et que tout le monde ou presque s’en empare. Quand on lui pose la question du succès ou de l'échec d'une réforme, voici ce qu'il répond à Jean-michel Zakhartchouk sur notre site : “ Le succès tient à la rencontre de plusieurs facteurs : la continuité politique et administrative, l’adhésion d’une partie suffisante de l’opinion et des enseignants, un accord assez large sur ses objectifs, un peu d’argent, de l’habileté. Mais l’essentiel est la continuité, qui suppose un minimum de consensus. Sans un accord minimum entre les partis de gouvernement sur la politique à suivre, la droite défait ce que la gauche a fait, et réciproquement. Les enseignants en ont assez d’être ainsi ballotés de réforme en réforme. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’alternance politique démolit l’Éducation nationale. [...] La concertation nationale touche les responsables associatifs ou syndicaux. Mais pour qu’une réforme passe, ce sont les professeurs et les parents qu’il faut convaincre, ce qui suppose une concertation avec la base, au niveau des établissements. Et la mise en œuvre de la réforme demande de multiples décisions locales. Elle exige une administration qui l’explique et la construise sur le terrain ”.
Que dit ce grand expert du système ? D’abord que depuis très longtemps l’éducation nationale ne cesse de se réformer. Mais, souligne t-il, “nous avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. En d’autres termes, le temps pédagogique n’est pas celui du politique. Songeons que les premiers effets des modifications de programmes ne se verront au minimum qu’au bout d’une décennie. Mais Antoine Prost nous indique aussi que certains changements se font sans “réforme” simplement parce qu’il y a une sorte de consensus et que tout le monde ou presque s’en empare. Quand on lui pose la question du succès ou de l'échec d'une réforme, voici ce qu'il répond à Jean-michel Zakhartchouk sur notre site : “ Le succès tient à la rencontre de plusieurs facteurs : la continuité politique et administrative, l’adhésion d’une partie suffisante de l’opinion et des enseignants, un accord assez large sur ses objectifs, un peu d’argent, de l’habileté. Mais l’essentiel est la continuité, qui suppose un minimum de consensus. Sans un accord minimum entre les partis de gouvernement sur la politique à suivre, la droite défait ce que la gauche a fait, et réciproquement. Les enseignants en ont assez d’être ainsi ballotés de réforme en réforme. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’alternance politique démolit l’Éducation nationale. [...] La concertation nationale touche les responsables associatifs ou syndicaux. Mais pour qu’une réforme passe, ce sont les professeurs et les parents qu’il faut convaincre, ce qui suppose une concertation avec la base, au niveau des établissements. Et la mise en œuvre de la réforme demande de multiples décisions locales. Elle exige une administration qui l’explique et la construise sur le terrain ”.
Le pays du grand écart
Quelquefois, les réformes se font parce qu’il y a un choc qui provoque une prise de conscience collective. Ce fut le cas en Allemagne avec la publication des résultats de PISA en 2000 où on a assisté à un “PISA-schock". Lors de la sortie de PISA 2013, en France les réactions et les analyses ont été très nombreuses. Pendant trois jours…
On peut donc douter de l’impact cette fois encore de cette étude internationale sur l’évolution de notre système éducatif. Pourtant les résultats 2013 confirment des constats faits depuis longtemps par les sociologues de l’éducation. Notre école est une des plus inégalitaires et où les écarts sont les plus importants entre les élèves. Nous sommes aussi un des pays où l’influence du milieu social est la plus forte dans l’obtention des diplômes. La France reste le pays des “héritiers” et le pays du grand écart. Et la question qui se pose à la société toute entière est bien de savoir s’il faut continuer avec un système construit essentiellement comme au dix-neuvième siècle pour sélectionner les élites ou se demander vraiment comment faire pour ne pas "fabriquer" de l'échec et faire réussir le maximum d'élèves ? La concertation préalable à la refondation concluait à un “constat partagé”. Mais on peut se demander si ce n’est pas un unanimisme de façade. Derrière la résistance à la refondation de l’École, n’est-ce pas finalement la question du lien social qui est posée dans une société qui s’accommode de laisser sur le bord de la route un noyau dur de “vaincus” du système scolaire ? Et où le constat des inégalités dans la société toute entière empêche de voir que l’École elle-même produit ses propres inégalités et dispense certains de s’emparer des marges de manœuvre pour transformer l’école au quotidien…
Indignations éphémères et rumeurs
L’actualité éducative est aussi faite d’emballements, d’indignations éphémères ou de rumeurs.
L’affaire Léonarda fait partie des deux premières catégories. Le bloc notes que j’ai consacré à cette affaire en octobre dernier a battu les records de fréquentation sur le site des Cahiers Pédagogiques ! L’expulsion d’une adolescente de 15 ans extirpée de son bus scolaire pour être renvoyée vers le Kosovo a ému une partie de l’opinion et notamment les lycéens. Même si les sondages montraient qu’une majorité de français était opposée à l’annulation de l’expulsion. Cela a surtout posé la question de la sanctuarisation de l’École et de savoir si elle devrait être un lieu préservé de ce type d’opération. Mais cela n’a pas fait beaucoup évoluer le sentiment des Français à l’égard des Roms. Et la parenthèse s’est vite refermée sur cette indignation éphémère.
La rumeur qui a alimenté aussi l’actualité éducative est celle du départ de Vincent Peillon. Depuis que ce dernier a annoncé qu’il serait candidat aux élections européennes, les rumeurs vont bon train. Elles se sont renforcées avec la reculade sur les classes prépas. Comme nous le disions déjà dans le précédent Bloc Notes , au-delà de la question de sa personne, c’est le problème de la continuité de l'action politique qui est posé alors que les concessions se transforment de plus en plus en compromis néfastes pour l’ambition même de la refondation.
Verrous et leviers
De quoi l’année 2014 sera t-elle faite ? A l’issue de ce bilan de l’année, les questions restent ouvertes et les verrous sont nombreux. La priorité à la jeunesse et à l’École annoncée symboliquement dès son investiture par François Hollande sous la statue de Jules Ferry est-elle toujours d’actualité ? Ou va t-on voir cette volonté de changement se perdre dans les sables de l’inertie du système, les compromis et les corporatismes ?
On peut prédire, au vu de l’agenda ministériel, que des sujets de tensions vont apparaître. A commencer par la question du métier et des salaires. Le principal syndicat du secondaire a annoncé son intention de faire de la question des salaires un thème prioritaire de son action pour 2014. La question du rééquilibrage (statut et rémunération) entre le primaire et le secondaire est aussi posée. Les fameux « statuts de 1950 » qui régissent le temps de travail et les missions des enseignants seront-ils un obstacle indépassable ?
Car la difficulté est que la marge de négociation du ministre et du gouvernement est très faible. Avec les 60 000 postes (re)créés, on a tout mis sur la table et il ne reste plus rien à négocier. Surtout dans un contexte d’austérité qui se poursuit et une impatience qui grandit.
On peut penser aussi que les premières évolutions sur les contenus déclencheront des polémiques tant cette question des disciplines enseignées touche à l’identité professionnelle des enseignants (surtout du secondaire). De même, les crispations se nourrissent d’une force d’inertie qui n’est pas seulement du côté des enseignants mais aussi de l’administration.
Pour aboutir à une réelle refondation, la marge de manœuvre est étroite, mais elle est réelle. Les leviers existent. Pour obtenir l’adhésion des enseignants il faudrait vraiment faire évoluer le “management” et aller vers un système plus responsabilisant et moins infantilisant. Plus clair sur les finalités et plus souple sur les procédures.
Un dernier mot sur le bilan de l’année écoulée. Pour moi, elle est marquée aussi par la reprise de la revue de presse sous la forme d’un projet collectif et d’une écriture plurielle. Une évolution qui se situe dans l’esprit des Cahiers Pédagogiques depuis leur création.
Je souhaite à tous les lecteurs de cette revue de presse une bonne année 2014. Une année combative et constructive et de mobilisation autour de la lutte contre les inégalités et l'échec scolaire Une année où nous ne cesserons pas d'exercer notre lecture critique et pédagogique de l'actualité éducative et de nous mobiliser pour la nécessaire évolution vers une École plus juste et plus efficace
Je souhaite à tous les lecteurs de cette revue de presse une bonne année 2014. Une année combative et constructive et de mobilisation autour de la lutte contre les inégalités et l'échec scolaire Une année où nous ne cesserons pas d'exercer notre lecture critique et pédagogique de l'actualité éducative et de nous mobiliser pour la nécessaire évolution vers une École plus juste et plus efficace
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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