mardi, mai 12, 2020

Questions et réflexions sur la reprise/rentrée




L’exercice auquel je vais me livrer est périlleux à plus d’un titre. D’abord parce que la tension est vive en ce moment autour de la reprise/rentrée dans les écoles et bientôt dans les collèges. Ensuite parce que le danger est grand lorsqu’on exprime un avis, d’être vu comme un « donneur de leçons ». Pourtant mon propos est plus empli de questions que de certitudes croyez le ! 

l'origine de cette image partagée
sur les réseaux sociaux n'est pas connue
Ce qui est le point de départ de mon envie de m’exprimer se trouve dans les propos de tous ceux qui considèrent que la situation actuelle « ce n’est pas l’école » et que ce qu’on fait vivre aux enfants est indigne. 
J’ai dénoncé dans d’autres billets, les contraintes énormes et le protocole presque infaisable qui encadrent cette reprise en présentiel. Je n’y reviens pas. 
De même, je laisse de côté pour l’instant, le débat sur le risque sanitaire qui ne peut à lui seul servir de justification aux déclarations. 

Dans une école de Tourcoing ce 12/05
Je voudrais surtout questionner le maximalisme et l’intransigeance qui s’expriment à travers les billets et autres déclarations de ces jours derniers. 
Oui, les conditions de travail sont dégradées pour les élèves et leurs enseignants. Oui, certaines images font mal.
Mais cela signifie t-il pour autant que « ce n’est pas l’école »  ou qu'il faille parler de « maltraitance »? Sommes nous à ce point si peu sûrs de notre travail pour considérer que nous ne pouvons faire mieux que de la « garderie », pourquoi ne serait-ce pas de l'école, malgré tout... ?
N'y a t-il pas des marges de manœuvre et des évolutions possibles dont nous pouvons nous emparer ? 

D’une manière plus générale, cela soulève des questions qui sont valables au delà de la situation actuelle dans l'École ou ailleurs...
- Faut-il que toutes les conditions soient réunies pour avancer ? 
- Faut-il que tout soit parfait de le premier jour ? 
- Jusqu’à quel point peut-on s’accommoder de l’imperfection ? 
- Quelle part doit-on accorder au travail des équipes au niveau local ? 
- Peut-on et doit-on tout attendre du pouvoir central ? 
- Quelle est la part de prophéties auto-réalisatrices négatives dans la réussite ou non d’un projet ? 
Voilà quelques questions que je soumets au débat. 

Au delà  de ces interrogations, je me demande si on ne retrouve pas, derrière les expressions actuelles, des positionnements politiques et syndicaux. Chacun est respectable, bien sûr. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement. 
De manière un peu schématique, on va trouver un positionnement marqué par la recherche un peu maximaliste du « meilleur » et qui peut conduire à l’intransigeance. 
De l’autre, une position plus tournée vers le compromis et les concessions (mais jusqu’où aller ?) où on s’accommode du « moins pire » en se demandant quelle peut-être sa propre marge de manœuvre là dedans... 

Je rajouterais une autre dimension à cette petite analyse. Dans les positionnements des uns et des autres, il faut aussi prendre en compte la vision que l’on peut avoir de l’action du gouvernement. Cela peut conduire certains à privilégier plus l’échec du gouvernement (voire le blocage du système économique) dans leur positionnement bien plus que le simple débat sur l’École… 

Mais je m’égare... Je terminerais donc par un constat plus rassembleur sur le manque de confiance et la trop grande verticalité toujours à l’œuvre dans la gouvernance de l’Éducation Nationale. Si on considérait mieux les enseignants (comme tous les Français d’ailleurs) et qu’on leur tenait un langage de vérité nul doute qu’ils auraient moins d’inquiétudes et de défiance... ! 

PhW

samedi, mai 09, 2020

L’école d’après sera ce que nous en ferons




Je republie ici (avec l'aimable autorisation du journal Le Monde) cette tribune parue le mardi 5 mai 2020. N'hésitez pas à commenter !


« Plus rien ne sera comme avant », on nous a déjà fait le coup ! 
On semble sous-estimer la capacité des systèmes à absorber les chocs et à reprendre leur forme antérieure, à faire preuve de résilience. Y aura t-il une « école d’après » ? En dehors de l’indécence éventuelle qu’il peut y avoir à se poser ce genre de questions alors que de nombreuses personnes vivent des drames, c’est prématuré. Et ce n’est pas, non plus, dans la cacophonie et les difficultés d’organisation du déconfinement qui s’amorce, que nous pouvons le mieux y réfléchir.

Pourtant ce qui s’est produit au cours de ces semaines inédites nous oblige à penser le changement. Il ne viendra pas tout seul mais devra être le fruit d’une réflexion et d’une action collective. L’École d’après sera ce que nous en ferons. 

Car le confinement, les cours à distance et la remise en cause des examens sont des chocs profonds et systémiques qui ont remis en cause de nombreux domaines de notre système éducatif. Nous pouvons en énumérer quelques uns. 

L’école, un “acte collectif”
L’école c’est d’abord une relation et un accompagnement. Un ordinateur n’est pas une école. Et les parents ne sont pas des enseignants. Apprendre suppose une relation directe avec des enseignants et avec des camarades. C’est un acte collectif et singulier qui ne peut se réduire à des exercices programmés. Pour apprendre, il faut coopérer, confronter ses idées, surmonter des obstacles avec à ses côtés un(e) enseignant(e) qui puisse donner les outils pour avancer.  Le numérique n’est qu’un outil au service de la relation éducative et a aussi ses limites. 
L’éloignement nous a montré aussi l’importance du lien avec les familles. Cette épreuve nous rappelle que la réussite éducative suppose de dépasser les méfiances réciproques pour «faire alliance». 

C’est aussi le métier d’enseignant lui même qui est questionné par la crise que nous traversons. Nous faisons, en ce moment, notre métier (et avec nos propres moyens !). Différemment mais c'est bien un métier pour lequel nous sommes payés. Nous nous adaptons, nous innovons, nous nous auto-formons, nous inventons des solutions pour ne pas perdre nos élèves. Comment mieux accompagner et les aider à “tous” apprendre. ? Cette question est déjà essentielle en « présentiel », elle l’est encore plus à distance. 
Plutôt que la seule « transmission », l’éloignement nous montre que nous devons être des spécialistes du « faire apprendre ». 

On a cru que les enseignants étaient des individualistes rétifs au changement. Et en l’espace de quelques jours, ils se sont formés et adaptés à une situation inédite. Il ont aussi énormément mutualisé et fait des réseaux sociaux des lieux d’échange et de construction collective (et pas seulement de déploration !). Et si on profitait de cette dynamique pour concevoir demain une nouvelle manière d’envisager la formation continue qui en finisse avec l’information descendante et l’inculcation des « bonnes pratiques » ? Il nous faut construire une formation fondée sur une démarche volontaire au plus près des problématiques locales.  C’est l’occasion de construire de réels collectifs de travail qui nous sortent de la logique solitaire dont nous voyons bien les limites. 

Avec quel pilotage ? « On peut se débrouiller tout seuls sans la hiérarchie » C’est plus ou moins la conclusion que beaucoup d’enseignants tirent des semaines qui viennent de s’écouler. On retiendra la force d’inertie d’un système bureaucratique attaché à la conformité aux procédures. Forcément, cette crise questionne aussi le rapport à la hiérarchie et la conception très « verticale » de la gouvernance.  
Je fais le pari (optimiste ?) qu’il sera plus difficile pour la technostructure de l’éducation nationale, après cet épisode, de continuer à gérer à coup de  circulaires et de livrets orange ou de toute autre couleur... 


“Finir le programme”
La crise que nous traversons a aussi mis à mal, notre obsession de « finir le programme ». Cela montre bien dans quelle impasse nous sommes. Nous définissons trop ce que nous enseignons dans une logique encyclopédique d’empilement. 
La construction des programmes autour de grands objectifs d’apprentissage, leur continuité au sein de cycles sont peut-être des voies à explorer, tout comme la redéfinition des formes d’évaluation. 
Car notre système français est largement piloté par l’aval. En d’autres termes, ce sont les épreuves terminales (brevet, bac) qui déterminent fortement la pédagogie menée en amont. Et c’est cette logique là qui est percutée quand on est dans l’incapacité de mettre en œuvre ces examens. 
D'une manière accélérée, dans cette crise, nous avons pris conscience que, loin de l’accumulation encyclopédique, ce qu’il est important de promouvoir et préserver, ce sont des attitudes intellectuelles, des compétences, qui permettront de s’approprier les connaissances et d’aller vers l’autonomie. N’est-ce pas là que se situe la plus grande « exigence » ?

Enfin et surtout la crise est aussi un révélateur et un amplificateur des inégalités sociales. L’éloignement physique a renforcé la distance sociale de certains élèves à l’égard des normes et des attentes du travail scolaire. Ce n’est pas, loin de là, une simple question de distribution de matériels qui résoudra cette question. 
Car ces inégalités ne sont pas nouvelles. Cela fait longtemps que les enquêtes, les sociologues, les mouvements pédagogiques montrent que le système éducatif français est celui « du grand écart» et qu’il laisse de côté les vaincus de l’École. 
Si l’on veut que la question des inégalités n’ait pas été qu’un simple alibi pour la réouverture des écoles, alors il faudra engager une véritable réflexion pédagogique pour construire une École plus juste et plus efficace. 
On ne pourra enseigner, dans l’École d’après, avec la pédagogie d’hier...

L’image de l’école et celle des enseignants peuvent sortir grandies de cette crise. Ne serait-ce que par la prise de conscience de l’expertise que constitue l’acte d’apprendre et de l'importance du rôle des enseignants dans les services publics. On peut espérer qu’il en ressorte une redéfinition et une réévaluation de la place de ce métier dans la société.
Je ne suis pas prophète et je me garderais bien de dire ce que sera ou devrait être l’école de demain. Mais on peut cependant affirmer que « l’école d’après » devra se poser ces quelques questions (et bien d’autres) si elle veut faire de cette crise l’occasion d’une réelle mutation. 
Penser le changement plutôt que changer le pansement”… 
(Francis Blanche)

Philippe Watrelot
Professeur de sciences économiques et sociales, formateur.
Militant pédagogique, 
Ancien président du Conseil National de l’innovation pour la réussite éducative. 

Tribune parue dans Le Monde le Mardi 5 mai 2020 (publié sur ce blog avec son aimable autorisation) 

dimanche, mai 03, 2020

“Garderie Nationale", vraiment ?



J'en ai un peu assez de cette remarque qu’on entend de plus en plus :  «en fait l"éducation nationale est une garderie »... 

précision : j'aime beaucoup habituellement
"ParentsProfs Le mag”...

Avant toute chose, il est bien clair que mon propos n’est pas de faire ici la promotion d’un retour en classe irraisonné. Je suis bien conscient des risques encourus pour les personnels comme pour les élèves et leurs parents. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. 
Rappelons aussi que le reproche de la « garderie » provient d’une hypocrisie de communication. Si le gouvernement disait clairement : « enseignants, on a besoin de vous pour que l’activité reprenne, pour que l’économie ne s’effondre pas, il faut donc accueillir les enfants à l’école. Vous ferez du mieux que vous pouvez pour instruire. En échange nous vous garantissons ainsi qu’aux enfants la sécurité sanitaire », plutôt que de s’abriter derrière un argument social qui trouve vite ses limites, les choses seraient peut-être perçues différemment (quoique...)


Mais dans l’usage immodéré du mot « garderie », j’entends, à tort ou à raison, une sorte de position surplombante voire de "mépris". En tout cas l'idée d'une déchéance qui mérite d’être analysée. 
D'abord pour avoir été pendant longtemps animateur de centre de loisirs autrement dit (dans l'esprit de beaucoup) de "garderie", je trouve cela désagréable. Je lis chez certains l’idée qu’il serait bien suffisant que ce dispositif soit assumé par des animateurs...

Ensuite, je crois aussi qu'il faut que les enseignants, s'ils sont fiers d'exercer un métier particulier et ô combien estimable, comprennent que nous vivons une situation inédite et exceptionnelle où cette dimension normalement très secondaire de notre activité (l'accueil des élèves) prend un sens plus important. Ce n'est pas déchoir...
A tort ou à raison, j’y lis une forme de sentiment de déchéance teinté de mépris. 
Peut-être est-ce de la sur-interprétation, mais il me semble que cela a à voir avec le sentiment de déclassement qu’expriment beaucoup d’enseignants et qui les conduit à se raccrocher à des symboles et des statuts : nous valons mieux que la garderie... 
J’y vois aussi un indicateur du rapport au métier que nous pouvons avoir. Instruction ou éducation ? Transmission ou accompagnement ? Magistral ou pas ? Notes ou pas notes ? Je me souviens toujours des péroraisons de certains collègues en salle de profs proclamant haut et fort qu’ils « ne sont pas des animateurs » ou qu’«ils ne font pas dans le social !»
On peut aussi y lire une forme d’auto-dévalorisation. Pourquoi ne serions nous pas capables, même dans ces conditions dégradées, de faire mieux que de la garderie ? Cette déploration nous renvoie au déclassement évoqué plus haut. 
Je crois en tout cas que cette expression est porteuse d’effets pervers. Pas sûr que ça contribue à améliorer l’image des enseignants : en plus de leurs autres défauts, ils seraient « prétentieux »...


Mon troisième motif pour intervenir, c’est ce thème très fréquent de l’autonomie de l’école par rapport à l’économique. Nous serions au dessus de ça ! Les aspects économiques n’auraient pas à interférer avec le monde de l’École. Celui-ci devrait en être préservé. 
Or, l’Histoire nous montre que dès le début de l’école publique, une de ses fonctions est non seulement de transmettre une culture, de former des citoyens mais aussi de préparer au monde du travail. Ça fait partie des trois missions historiques de l’École. 
Mais dans une culture scolaire encore imprégnée de celle des clercs, cette dimension semble avoir un prestige moindre et relève presque de la déchéance que j’évoquais plus haut. Il suffit de voir comment sont perçus les lycées professionnels et leurs enseignants par leurs collègues.
Tout devrait être « gratuit » comme le travail scolaire lui même. Mais on oublie que si cette valeur est présente chez les enseignants et même constitutive de leur identité, elle ne l’est pas forcément chez leurs élèves et leurs parents. Et ce n’est pas forcément détestable. 

Nos indignations (légitimes) sur la « marchandisation » de l’école sont souvent très binaires alors que la réalité est plus complexe. La marchandisation est très ancienne autant que les manuels scolaires, le mobilier scolaire ou même la photo de classe ! Les « Edtech » et autres entreprises gravitant autour de l’École ne prospèrent que grâce aux lacunes dans le service public. 
les haineux de Twitter résisteront-ils à la pelle ? 
Ce qui est piquant c’est que ceux qui s’indignent le font sur des réseaux sociaux tout ce qu’il y a de plus privés et en tapant rageusement sur des ordinateurs siglés d’une pomme... 
Même si cet argument peut faire bondir, il ne faut pas oublier qu’en tant que fonctionnaires, nous sommes payés grâce à l’impôt. Il faut bien sûr militer pour que celui-ci soit le plus juste possible, on peut aussi vouloir faire advenir un fonctionnement de l'économie plus humain et respectueux de l’environnement et de la santé.
Mais malgré tout il faut rappeler que c’est parce qu’il y a de l’activité économique qu’il y a des revenus, des bénéfices et des recettes fiscales. 

Nous vivons dans un système économique et ces contraintes s'imposent à tous. Considérer que l'école doive se tenir en dehors de ce contexte relève du fantasme. Nous ne sommes pas hors du monde. 


 
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