L’actualité éducative est chargée avec la présentation du projet de loi sur l’éducation (par l’homme qui déclarait il y a un an qu’il n’y aurait pas de « loi Blanquer »). Avec une petite loi de rien du tout censée acter le passage à la scolarité obligatoire à trois ans, le ministre utilise la bonne vieille méthode du « cavalier législatif » pour faire passer en douce plusieurs décisions qui mériteraient chacune de longs développements.
Mais ici, je voudrais surtout me concentrer sur un aspect qui peut sembler marginal et qui ne relève pas directement de la loi : la publication des résultats des évaluations CP-CE1. C’est un bel exemple de coup monté et de communication politique digne des pires politiciens.
Rappelons les faits. Des évaluations en français et en mathématiques ont été lancées le 17 septembre pour plus de 1,6 million d'écoliers de CP et CE1. Elles ont été élaborées par les membres du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale. Elles ont fait l’objet de critiques de différentes natures sur lesquelles nous reviendrons. Dans un entretien à 20 Minutes publié dimanche 14 octobre, le ministre de l'Education nationale en livre les premiers résultats repris partout dans la Presse : « En CE1, un élève sur deux a des difficultés en calcul mental »affirme-t-il. « Concernant les élèves en début de CE1, 30% lisent moins de 30 mots par minute, alors que l'objectif national est de 50 mots. Un élève sur deux (49%) a des difficultés en calcul mental et 47% ont des soucis pour résoudre des problèmes», poursuit-il.
Baron noir
Mais pourquoi communiquer sur ces résultats, précisément le 14 octobre ? Avant même la fin officielle de la saisie et tandis que les bugs se multiplient ? Pourquoi en tirer déjà des conclusions ? Toute coïncidence avec la présentation de la loi Blanquer n’est évidemment pas fortuite. Cela lui permet d’occuper le terrain et de détourner l’attention du projet de loi. Des techniques très politiciennes dignes de la série Baron Noir que notre « ministre issu de la société civile » maîtrise parfaitement
Le Ministre se sert aussi et surtout de ces pseudo-résultats pour justifier sa politique. Et de plus, il se dote d’une caution scientifique. Les tests vont justifier des pratiques normatives justement prônées par le Conseil Scientifique pour performer aux tests...
« C’est de bonne guerre »me direz vous... ? Et c’est alors tout aussi légitime d’essayer de déconstruire la communication et les manœuvres politiques !
Des tests de positionnement très critiquables.
On peut d’abord s’interroger sur leur finalité. Les « évaluations diagnostiques » ne sont pas une nouveauté et font partie de la boîte à outils de tous les enseignants. Chaque professeur a à cœur de situer ses élèves dans la maîtrise des pré-requis et d’apporter une remédiation aux difficultés repérées. Les tests pourraient être vus ainsi et c’est d’ailleurs ce que fait le Ministre en les présentant comme conçus « pour aider les élèves». Mais pourquoi en faire un évènement national et standardisé alors que tous les enseignants le faisaient déjà ? Les inquiétudes sur un autre usage tel que l’évaluation des enseignants ou des établissements sont logiques.
Cette critique n’est pas propre aux évaluations de primaire. On a passé aussi des tests en début de seconde. C’est à se demander à quoi sert le Brevet de collèges passé en fin de troisième !
Enfin pour qu’une évaluation soit au service des apprentissages, il ne faut pas qu’elle soit anxiogène. Les conditions de passation et la nature de certaines questions nous montrent que cet objectif n’était pas forcément celui des concepteurs de ces tests.
Car il y a aussi des critiques sur la nature des tests eux-mêmes. Certains items proposaient des mots extrêmement complexes ou des tâches impossibles à réaliser. On me dira qu’il est normal de chercher à discriminer mais un des grands principes de l’évaluation c’est de n’évaluer que ce qui a été enseigné. Ici, on a l’impression que ces tests sont en complet décalage avec ce qui est enseigné à la maternelle. On évalue quoi ? Ce que les enfants favorisés ont appris dans la famille ?
Comme le dit plaisamment un internaute sur Twitter : « Les CP ne savent pas lire en septembre. Les CE1 doivent gagner en fluence. Il est donc maintenant scientifiquement prouvé qu'ils ne savent pas faire en début d'année ce qu'on attend d'eux à la fin. Ça prouve que l'école ne marche pas si mal en fait. »
Enfin, on peut aussi s’interroger sur leur fiabilité et les conditions de leur passation. Les témoignages sont nombreux sur la difficulté à faire passer ces tests chronophages et anxiogènes. On a pu en lire de nombreux sur Twitter et le SNUipp, principal syndicat du primaire en a rassemblé de nombreux (à lire ici). Les concepteurs savent-ils ce qu’est un élève de CP et plus encore une classe entière d’enfants de CP ?
C’est d’abord la passation qui a été difficile. C’est ce qui a amené de nombreux enseignants (encouragés par leurs syndicats) à aménager les tests ou à augmenter la durée. Ce qui, de fait, biaise la fiabilité de cette évaluation.
C’est ensuite la saisie qui est une autre épreuve. Beaucoup de temps perdu avec des serveurs qui plantent, des saisies fausses et qui donnent des résultats entièrement négatifs avec 0% de réponses (constaté de visu), les bugs sont nombreux et font douter de la rigueur de ces tests de positionnement .
Évaluationnite
Le Ministre veut développer une « culture de l’évaluation », il en veut partout et tout le temps... (sauf pour sa propre action comme le montre sa volonté de supprimer le Cnesco)
Mais cette évaluation nationale et normée peut être porteuse de bien des dérives.
D’abord elle nie l’expertise des enseignants. Ceux-ci produisent des évaluations destinées à leurs élèves en fonction des programmes. Et celles-ci sont alors au service des apprentissages et donnent lieu à des travaux destinés à répondre aux difficultés repérées . Ici, face à des tests déconnectés du vécu de la classe, on n’a pas de propositions opératoires d’outils de remédiation.
Ensuite, elle peut conduire à la dérive du « teaching to test ». On enseignera pour performer aux tests. D’autant plus, si comme on peut le craindre, cela sert aussi à évaluer les écoles et les établissements voire les enseignants.
C’est aussi le danger du pilotage par les résultats purement quantitatifs. « Concernant les élèves en début de CE1, 30% lisent moins de 30 mots par minute, alors que l'objectif national est de 50 mots.» Comme le dit un internaute, notre ministre de l'Education parle comme un responsable du "Gosse-plan" !
Enfin à travers ces tests permanents et les solutions proposées par le ministre et ceux qui l’entourent, c’est toute une conception de l’apprentissage qui apparaît. Fini l’élève qui tâtonne, qui expérimente et qui se confronte à ses camarades, place à l’élève isolé face à un écran qui répond de manière automatisée et minutée. Adieu l’élève acteur, bonjour l’élève exécutant...
House of cards
Pour finir revenons au coup que vient de réaliser le plus politicien des ministres de l'éducation qu'est Blanquer. Comme souvent c’est un coup à plusieurs détentes. D’abord comme nous l’avons déjà dit, il permet de détourner l’attention du projet de loi présenté au CSE et bientôt voté au Parlement. Ensuite, il offre l’avantage de dresser un bilan assez négatif de l’action de ses prédécesseurs et lui donne ainsi le beau rôle.
Les tests eux mêmes sont aussi une belle manipulation. C’est le coup du lampadaire : on cherche là où on met la lumière en négligeant ce qui n’est pas éclairé. Ces évaluations mettent en effet l’accent sur la « fluence » c’est-à-dire la capacité à lire des mots (sans forcément les comprendre). On mesure la vitesse de lecture, les correspondances phonétiques. Et pourtant, les difficultés en lecture des jeunes Français se situent plutôt sur la compréhension de textes, ils sont déjà de bons déchiffreurs (Etude internationale PIRLS).
Avant d’être ministre, Jean-Michel Blanquer était un conseiller influent de l’institut Montaigne. Ce think tank, classé à droite a développé tout un programme par le biais d’une association satellite « Agir pour l’école » dont Jean-Michel Blanquer était administrateur. Intitulé « P.A.R.L.E.R.» ce dispositif destiné à améliorer la fluence est actuellement déployé dans plusieurs écoles avec le soutien actif du ministre et malgré les réticences des enseignants concernés. C’est un dispositif qui est aussi préconisé par Stanislas Dehaene, le président du Conseil scientifique de l’Éducation Nationale.
A quoi pouvaient servir ces évaluations précipitées, avec des exercices trop difficiles et un temps de passation délirant ? On a donc la réponse : à être instrumentalisées pour justifier la politique ministérielle.
Blanquer : saison 2
Si la première année du ministère Blanquer a été surtout consacrée à cocher les cases des (rares) promesses de campagne du candidat Macron sur l’éducation, dans cette deuxième saison, notre joueur d’échec avance ses propres pions et déploie son talent de communicant et de stratège politique.
Toutefois on s’aperçoit aussi que le rideau de fumée semble se dissiper et la sidération disparaitre. L’annonce du budget fait peser une hypothèque sur toutes les décisions futures marquées par la recherche d’économies. Et le ministre « technicien issu de la société civile »se révèle en un redoutable politicien capable de renier ses promesses (« pas de loi Blanquer ») et d’user de slogans creux et vides de sens.
L’ « école de la confiance », mon œil !
Philippe Watrelot
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
2 commentaires:
D'accord à 120% avec cet article. Mais pourquoi les enseignants, TOUS, EN BLOC, n'ont-ils pas refusé de faire passer ces tests dont tout le monde savait qu'ils étaient non seulement ineptes mais nuisibles, et uniquement destinés à la communication de ce ministre indigne ? Aujourd'hui, toutes les critiques passent pour une défense. Imaginez le poids qu'aurait eu un refus total du type : "Nous, qui connaissons notre métier et le faisons avec cœur, protégeons les enfants contre des agissements qui ne peuvent que leur nuire." Cela aurait eu un impact auprès des journalistes moutons qui relaient l'information sans approfondir mais qui adorent le sensationnel. Cela aurait eu un impact médiatique auprès des parents. Cela aurait porté un coup d'arrêt au rouleau compresseur destructeur de JM Blanquer.
Bonjour Sylvia...
Pour fréquenter des Forums d'Enseignantes et d'Enseignants je peux témoigner du leur "désarroi" ... et de leurs inquiétudes ...
Mais il est difficile pour des Enseignantes et des Enseignant de s'opposer frontalement à des Injonctions de leur Hiérarchie directe ... quelles que soient leurs réserves par rapport aux évaluations, à leur mode de passation ...et à leur saisie informatique...
Pris entre le Manche ( les Parents... ) et la Cognée que pouvaient-ils faire d'autre ...
Et nous ne sommes plus à une époque où les Syndicats avaient suffisamment de poids pour faire plier les ministres dans l'erreur ... JMB ne le sait que trop bien !!!
@t... alain l.
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