mercredi, septembre 11, 2019

Salaires des profs : non, "les" enseignants français ne sont pas mieux payés



« Les (vrais) salaires des profs » (D. Seux, Les Échos),  « Non, les enseignants français ne sont pas "bien moins bien payés que dans la moyenne des pays de l'OCDE" » (Le JDD) ...
La publication du dernier rapport « Regards sur l’éducation » de l’OCDE peut servir à un bel exercice d’éducation aux médias (et de lecture de statistiques). Tout le monde ne lit pas la même chose à partir des mêmes chiffres ! 
Car d’autres médias, plus nombreux, insistent quant à eux sur la faible rémunération des enseignants français. 
Qui a raison ? Tout le monde... Mais le problème c’est surtout que l’on ne parle pas de la même chose et on ne s’appuie pas exactement sur les mêmes chiffres et les mêmes définitions. 
Je suis prof de SES : analyser des stats et réfléchir sur les concepts qui les sous-tendent, figurez vous que j’aime ça...


Moyenne et médiane
C’est un grand classique des cours de SES. Le salaire moyen peut être élevé mais cela peut être le résultat d’une minorité qui tire la moyenne vers le haut. Si on veut s’intéresser à la dispersion et aux inégalités, il vaut mieux s’intéresser à la médiane. Et le salaire médian est beaucoup plus faible. 
En d’autres termes, il y a un petit groupe de profs agrégés, de classe prépa, en fin de carrière, avec beaucoup d’heures sup’ qui tirent la moyenne vers le haut. Mais la majorité des profs est clairement en dessous des chiffres dans le reste des pays comparables de l’OCDE (évidemment pas des pays les plus pauvres). 
On notera aussi que les enseignants en milieu de carrière sont clairement désavantagés comme le montre très bien le rapport. 


Les profs c’est qui ? 
Malheureusement dans l’esprit de beaucoup, "les profs" ça reste ceux qui enseignent dans le secondaire. La lecture de certains éditoriaux le confirme. Or, les enseignants du primaire sont aussi des “profs”. Et, eux sont clairement sous-payés. 
Non seulement, ils ont des horaires devant élèves plus élevés mais ils ont aussi très peu de primes et une progression qui a été pendant longtemps, ralentie par rapport à leurs collègues des collèges et lycées. 


Salaire statutaire et salaire réel (et PPA)
Le rapport de l’OCDE distingue à juste titre, le salaire statutaire c’est-à-dire celui qui correspond à la grille indiciaire et le salaire réel qui est celui qui est inscrit en bas de la feuille de paie. Certains commentateurs se focalisent sur ce dernier qui inclut donc les primes et autres heures supplémentaires pour en conclure que « les profs ne sont pas à plaindre ». 
Mais ainsi ils oublient les situations inégalitaires que nous évoquions plus haut. Tout le monde ne peut pas faire d’heures supplémentaires (dans le primaire, c’est quasi –impossible, sauf pour les cantines et les études). Et puis, est-ce normal que l’on soit obligé de faire des heures sup’ ? Pourquoi le salaire statutaire ne suffirait-il pas ? (et question annexe : pourquoi le point d'indice est-il gelé depuis si longtemps ?)
Je rajoute que les chiffres utilisés dans le rapport et repris sans commentaire et distance par certains médias sont exprimés en "euros PPA". La Parité de Pouvoir d'Achat est un procédé utilisé pour tenir compte du pouvoir d'achat de chaque pays. Les chiffres, qui peuvent surprendre, ne correspondent  donc pas à ce que nous avons sur notre feuille de paie...


L’impensé de cette polémique
Derrière ce pauvre débat, il y a l’idée que ces geignards de profs (du secondaire) ont suffisamment de temps libre pour pouvoir se permettre de faire des heures supplémentaires. 
Répétons nous : est-ce normal de devoir faire des HS ? Est-ce un vrai choix, d’autant plus que ces heures peuvent être imposées par les chefs d’établissement ? N’est-ce pas plutôt le symptôme d’un refus de créer les postes suffisants ? Et lorsqu’on accumule ces heures n’est-ce pas au détriment de la qualité de son travail et même de sa santé ? 


Des questions en embuscade
Derrière la question de la rémunération, il y en a plein d’autres qui en découlent. A commencer par la question des retraites qui inquiète tant les enseignants. Il y a bien sûr aussi la question de l’attractivité du métier même si mieux payer les enseignants n’empêche pas complètement la pénurie comme le montrent d’autres pays européens. 
Plus largement, nous sommes arrivés à un point tel que toute idée de changement, de réforme n’est plus audible par la profession tant que le préalable de la rémunération et d’une meilleure considération n’est pas réglé. Le passage en force qui semble être l’option choisie par le ministre risque de se heurter de plein fouet tout autant à la force d’inertie et au ressentiment qu’au risque de colère sociale. 

Ph. Watrelot
11 septembre 2019 


 
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