lundi, décembre 21, 2020

𝐂𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐣𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐝𝐞𝐯𝐞𝐧𝐮 𝐩𝐫𝐨𝐟…


Le premier cours on s'en souvient toujours...

Pour moi c'était à la rentrée 1981 au lycée Bartholdi à Colmar. Déjà, j'avais eu du mal à rentrer au lycée parce que le concierge ne voulait pas me laisser passer. Il pensait que j'étais un élève... J'avais 22 ans. 

J'avais cours avec une classe de Seconde et ils étaient déjà dans la salle quand je suis rentré. Quand j'ai ouvert la porte, à ce moment là, ils se sont tous levés. Moi, bêtement, je me suis retourné. Je croyais qu'il y avait quelqu'un d'important qui était rentré derrière moi. 

C'est quand j'ai compris que la personne "importante" c'était moi que j'ai réalisé, pour la première fois, que j'étais prof... 

Mes premiers cours, j'écrivais tout à la main. Quand je dis "tout", c'est tout... J'écrivais même les questions que je croyais que les élèves allaient me poser ! 

Et puis très vite, je me suis rendu compte que les élèves ne posaient pas ces questions là et que pour devenir vraiment prof, il fallait  "lâcher prise"... 

Ça a été ma deuxième révélation. 

La troisième étape de ma construction et on peut dire que c'est à ce moment là que je me suis dit que j'aimais vraiment ce métier, c'est quand j'ai organisé des "travaux dirigés" sous forme de travaux de groupe. 

J'avais du préparer une séance d'une heure pendant toute une après-midi : les documents, les consignes, le timing... Et le plaisir a été de les voir travailler seuls et de constater que tout ce que j'avais organisé fonctionnait. Et mieux que cela : ils avaient l'air d'apprécier et même d'"apprendre"... 

Ce sont ces trois éléments qui m'ont fait devenir prof...

Et vous ? 


Pour compléter, il y a aussi ce vieux texte : « le guide de château, le mineur et l'animateur»

vendredi, décembre 04, 2020

L’ imposture Blanquer



Les révélations de Médiapart puis de Libération sur la création d’ «Avenir Lycéen» et la réécriture de communiqués d’élus lycéens par des rectorats et l’administration centrale du ministère, commencent à éclabousser le Ministre lui même. Dans le milieu enseignant, beaucoup se prennent à rêver à son départ tant il cumule un niveau de détestation rarement atteint. 

Pourtant Jean-Michel Blanquer, dans l’opinion et dans les médias, semble bénéficier d’une sorte d’immunité qui l’épargne jusqu’à maintenant. L’objet de cet article n’est pas de revenir sur l’«affaire » en cours mais de s’interroger sur les raisons de cette image qui reste positive et de démonter l’imposture Blanquer, ou plutôt LES impostures... 

 

 

Une immunité médiatique

On se souvient des campagnes haineuses dans la presse qui ont accompagné Najat Vallaud-Belkacem durant son ministère et en particulier au moment de la réforme du Collège. Avec Jean-Michel Blanquer, rien de tout cela ! 

D’entrée de jeu, dès son arrivée, il a bénéficié d’une couverture médiatique considérable. A tel point que j’ai très vite renoncé à en tenir le compte exact. 

On a d’abord Le Point, pour qui le futur ministre a tenu une chronique régulière, qui titre en juin 2017 sur « École : Blanquer, l'homme qui veut arrêter les bêtises» puis plus tard, le qualifie  de « nouveau ''cerveau'' de Macron » et de « vice-président ». Le Figaro Magazine n’était pas en reste avec « École : et si enfin ça changeait ?». Il a aussi fait trois fois la couverture de Valeurs Actuelles :  « Dernière chance pour l'école » ; « La nouvelle star » et « Peut-on vraiment sauver l'école?». On peut citer aussi un numéro de Causeur en octobre 2017 où il partage la couverture avec Natacha Polony et cette Une : « Ecole, la dernière chance ». Même l’Obs proposera (août 2017) un grand entretien avec la vedette du gouvernement et fera sa Une sur « École, le grand ménage »

Depuis ces débuts tonitruants, l’ampleur de la couverture médiatique n’a jamais baissé d’intensité. Il faudra, un jour, faire vraiment le compte des interviews données sur tous les médias écrits ou audiovisuels. 

Ceux-ci sont-ils complaisants à son égard ? Il y a en tout cas, au moins, une connivence. L’ancien élève du collège Stanislas trouve de l’écho chez les éditorialistes, anciens « premiers de la classe » qui avaient su se mobiliser contre la "destruction des humanités" qu’ils voyaient dans la réforme du collège. Pourquoi remettre en question un système qui vous a fait réussir ? Tous ces éditorialistes et intellectuels médiatiques, qui pensent encore qu’ils font l’opinion, ont une vision très conservatrice d’une École qu’en fait ils ne connaissent pas. 

L’appareil de communication du ministre est également particulièrement efficace avec plusieurs (ex)journalistes dévoués aux commandes. 

Tout cela contribue à créer une forme d’immunité assez étrange lorsqu’on songe à toutes les fois où le ministre a été contredit au niveau gouvernemental et où son discours performatif méritait au minimum d’être vérifié et même déconstruit. Certains analystes ont parlé d’ « effet Teflon » pour qualifier ce qui est bien plus que de la bienveillance de la part d’un bon nombre d’éditorialistes et d’une partie de la presse. 

 

 

 

Il voulait le poste

L’élection présidentielle de 2017 ne s’est assurément pas faite sur l’éducation. On peut même dire que cette question a été sous-traitée à une officine spécialisée (l’institut Montaigne dont J.M. Blanquer était un éminent contributeur) et qu’il y a eu peu de prise en compte des débats citoyens sur ce sujet dans l’élaboration du programme présidentiel. Réduit à deux pages avec des propositions très disparates qui ont été la feuille de route du début du quinquennat, le programme s’est surtout incarné dans la personne de Jean-Michel Blanquer. 

Faussement présenté comme « représentant de la société civile », c’est en fait un pur haut fonctionnaire, homme de réseaux, très marqué politiquement ancien conseiller ministériel de De Robien, ancien DGesco des ministres Darcos et Chatel, ancien recteur, il a écrit plusieurs livres sur sa vision de l’école qui étaient autant de « lettres de motivation » à l’égard d’un futur président-employeur. Il a donné l’impression d’un homme compétent qui savait où il allait et c’est aussi ce qui explique sa bonne image dans les médias. 

En fait, tous ces éléments que l’on vient de brièvement rappeler sont au cœur d’une série d’impostures que l’on peut développer ici. 

 

 

Erreur sur la personne  

La première imposture n’est pas propre à l’éducation. Elle tient à la manière dont le programme d’Emmanuel Macron a été élaboré ou plutôt son image de candidat progressiste a été « vendue » à des personnes qui se sont engagées sur cette base et qui doivent se sentir aujourd’hui floués du moins pour ceux qui parviennent à gérer cette dissonance cognitive.  

Dans le domaine de l’éducation, on peut dire en effet que Jean-Michel Blanquer propose une vision de l’école décalée par rapport à une bonne partie des (ex ?) militants d’En Marche. Je pense quelquefois à toutes ces personnes, enseignants pour la plupart, soutiens sincères du candidat Macron, qui m'avaient invité dans plusieurs débats sur l'École au moment de la présidentielle. Je me demande ce qu'ils pensent aujourd'hui de l'évolution de l'École sous Blanquer où se combinent libéralisme et conservatisme autoritaire. Je fais l'hypothèse que cela ne correspond pas aux idées généreuses et progressistes qu'ils développaient à l'époque et qu'ils doivent être bien déçus...


Une double imposture apparaît donc dès sa nomination. Le ministre présenté comme « issu de la société civile »se révèle en fait être un technocrate. Mais cela est assez habituel dans la composition des gouvernements. Bien souvent, cette étiquette commode est utilisée dans ce sens. 

Mais c’est surtout comme on l'a évoqué plus haut, quelqu’un qui, même s’il n’était pas explicitement encarté, est déjà très « politique ». Il a été en effet conseiller ministériel, recteur, impliqué dans de nombreux réseaux qui le placent clairement à droite. Cet homme engagé, a beau affirmer dans plusieurs interviews qu’il place l’éducation au dessus des querelles politiques, il fait des choix très marqués idéologiquement et se révèle aussi un redoutable politicien capable de renier ses promesses (« pas de loi Blanquer »). 

 

 

L’imposture de la confiance

La plus grosse imposture, ou plutôt devrait-on parler de mensonge, c’est ce fameux slogan de l’École de la confiance, qui est non seulement un slogan creux mais l’exact inverse du mode de gouvernance adopté par le Ministre. 

Remettons nous en tête une de ses très nombreuses déclarations : « Ce que j'essaie d'enclencher, c'est que l'institution ait confiance en ses recteurs, ses inspecteurs, ses professeurs, et que les professeurs fassent confiance à l'institution, les chefs d'établissement à leurs professeurs, et qu'au bout de la chaîne les élèves aient confiance en eux-mêmes. Cela irradie la question du pouvoir. Cela commence par le cabinet, vous devez être une équipe respectueuse, que chacun soit humble, poli avec ceux avec qui il travaille. Je crois beaucoup à l'exemplarité, la façon d'être de la tête a un impact sur tout le reste. Et tout se conjugue dans les différents aspects, y compris pédagogiques : c'est-à-dire que mon objectif n'est pas de régler tout ce qui va se passer, comme du temps de Jules Ferry, quand tout le monde faisait la même dictée à la même heure, mais que tout le monde maîtrise l'orthographe. Mon but est que les chemins soient trouvés par le génie de chacun dans l'ensemble du système. »

[ «Blanquer, l’homme qui veut arrêter les bêtises» Le Point le 21/06/2017]

On ne sait si on est dans une sorte de pensée magique, où celui qui s’exprime s’auto-convainc, ou dans de la communication cynique et méprisante. Mais la réalité est l’exact opposé de ce discours

Le style de gouvernance de JM Blanquer est marqué par la verticalité et l’autoritarisme. L’administration centrale de l’Éducation Nationale était déjà bureaucratique mais elle atteint ici des sommets. Alors qu’on devrait se concentrer sur les objectifs à atteindre, on produit des circulaires et des « livrets » pour encadrer les pratiques des enseignants et la conformité aux procédures. La hiérarchie est utilisée non pas pour aider et conseiller mais pour « évaluer », surveiller et réprimer. 

 

 

Pragmatisme ?

Dans ses innombrables déclarations on l’a aussi beaucoup entendu dire qu’il se réclamait d’un certain « pragmatisme » et qu’il voulait s’appuyer sur les résultats de la science.  Mais ses choix sont en fait très politiques et idéologiques marqués par une vision très libérale et individualiste de la difficulté scolaire. On déconstruit l’éducation prioritaire et son approche sociale et on privilégie l’aide individuelle et l’exfiltration des « méritants ». A propos de la science, on voit bien que la composition du Conseil Scientifique réunit seulement une petite partie de la recherche et en néglige des pans entiers. Quant au pragmatisme, on notera que le Conseil supérieur des programmes n’a tenu aucun compte des remarques des enseignants pour construire des programmes infaisables. Et sur tous les sujets, on avance à marche forcée sans entendre les remarques du terrain et des corps intermédiaires

L’article 1 de la si mal nommée « loi pour une école de la confiance » en 2019 a également marqué une étape importante dans le sentiment d’imposture. Cet article insistait sur la nécessaire exemplarité des enseignants. Elle a été lue par ceux-ci comme une défiance à leur égard. 

Enfin, la polémique sur l’absence des enseignants durant le premier confinement s’est développée avec la complicité du cabinet du ministre. On peut donc dire qu’il a favorisé le « prof bashing ». Et, bien loin de la confiance, son mode de gouvernance repose au contraire sur la méfiance et l’autoritarisme. 

 

 

Imposture de la compétence

Le diable est dans les détails…
La réputation de Jean-Michel Blanquer s’est aussi construite sur une présomption de compétence. Pensez donc ! Cet homme connait son affaire : il a écrit trois livres sur l’École. Il « sait » ... ! 
Il y a aussi cette image, savamment distillée, de joueur d’échecs qui avance ses pions de manière calculée. 
Mais, au vu de l’action menée et notamment ces derniers temps, on peut légitimement questionner cette certitude. Est-il réellement compétent ?
D’abord il est victime de la maladie des technocrates : c’est un « sachant » empli de certitudes. On ne doute pas : « je pense donc tu suis... »
Et cette surdité, qui se double d’une incapacité à faire des compromis, n’est pas un gage de compétences lorsqu’on souhaite gouverner. 
Mais surtout les dernières décisions, notamment durant la crise du bac de l’an dernier et surtout avec la crise sanitaire, révèlent pas mal d'impréparations et une forme d’amateurisme que les affirmations péremptoires « nous sommes prêts » ne font que rendre encore plus criantes. 
Bien loin de la réputation de stratège échiquéen, on notera aussi qu’il sacrifie des pièces essentielles en réussissant même à se mettre à dos l’encadrement intermédiaire de l’EN avec des injonctions contradictoires et des demi-mesures. 
 
Fake news
Cet amateurisme conduit à la fébrilité et enferme dans le mensonge et un discours inaudible. 
On est aujourd’hui au delà du slogan et de la com’ mais dans la fabrication d’une « vérité alternative » pour reprendre une expression utilisée à propos de Donald Trump.  On va ainsi visiter des "écoles Potemkine" ou faire des colloques avec des invités choisis. 
On pourrait  aussi citer de nombreux exemples où on  tord les chiffres. On peut évoquer la manipulation des évaluations CP-CE1. Mais c'est surtout plus récemment le cas avec les chiffres du Covid au sein de l’Éducation Nationale. La revalorisation des enseignants est aussi un bel exemple de manipulation communicationnelle tout comme le Grenelle de l’Éducation. 
Mais on le voit, à l’ère du fact-checking, la presse et les journalistes spécialisés parviennent de plus en plus à démonter et déconstruire cette parole publique. 
Ce qui interroge à propos de cette vérité alternative, c’est qu’on se demande s’il n’y croit pas lui même ! 

 

 

Et après ? 

On dit qu’il a l’oreille du président (ou de la femme du président…) mais il n’arrête pas d’être contredit dans les arbitrages gouvernementaux. La dernière affaire en date avec la création et la manipulation d’un syndicat lycéen tombe bien mal dans une crise gouvernementale multiforme.  

La carte d’immunité de Jean-Michel Blanquer va t-elle tomber ?

C’est peut-être en train de se faire. Mais Emmanuel Macron a du mal à se séparer de ses fidèles. Paradoxalement, la crise actuelle risquerait de le maintenir à son poste car il serait « grillé » pour les régionales. Ou pas…

Il est en tout cas en ce moment en train de battre un triste record (et pourtant il y avait de la concurrence !) : celui d’être le ministre le plus détesté par les enseignants. 

 

 

Philippe Watrelot, le 28 novembre 2020 



Une petite rétrospective...

 

École : les mots et les maux de 2019  (décembre 2019) 

 

Tous ensemble contre Blanquer ? Oui, mais… (aout 2019)


La réforme par ruse (février 2019)


Le coup monté des évaluations de CP-CE1 (octobre 2018)


L’école de la méfiance (septembre 2018)

 

Ça va finir par se voir… (juin 2018)


Un an après, qui êtes vous M. Blanquer ? (mai 2018)

 

JM Blanquer : « je pense donc tu suis ! » (avril 2018)

 

Il faut prendre M. Blanquer au sérieux (décembre 2017)

 

Les mots de Blanquer (septembre 2017)

 

Nomination de Jean-Michel Blanquer (mai 2017)


 

Et... en bonus « Conversations à l'ombre du platane » (1er avril 2018)





☛ Cet article a fait aussi l'objet d'une publication sur le site d'Alternatives Économiques.  

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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

samedi, novembre 28, 2020

Rémunération des enseignants : « revalorisation » ou clopinettes ?


Lundi 16 novembre, le ministre de l’éducation a annoncé plusieurs mesures concernant les rémunérations des enseignants et notamment une « prime d’attractivité ». Les titres dans la presse parlent de « revalorisation ». Le terme est-il justifié ? 

On peut d’abord rappeler quelques évidences : 

  • Une prime n’est pas du salaire. 
  • Agir sur l’attractivité n’est pas un réel moyen de rattraper le retard. 
  • Une augmentation qui ne concerne que 30 % des enseignants n’est pas une revalorisation. 

Pour qu’on puisse parler de revalorisation, il faudrait un effort durable et global. Sinon, on court le risque d’amplifier la désespérance d’une profession déjà bien malmenée. 


Annonces 

à la recherche de la revalo perdue ...
Les déclarations du ministre se situent dans un double contexte. Il y a d’abord des négociations salariales qui avaient été entamées dans le cadre de la réforme des retraites. Les rémunérations actuelles des professeurs, déjà faibles mais désavantagées par l’absence de primes auraient été encore plus défavorisées. Le ministre a aussi lancé un Grenelle de l’éducation qui devrait se conclure en février 2021

Le budget 2021 du ministère a été augmenté de 400 millions d'euros (500 millions en année pleine). L’annonce du 16 novembre indique qu’environ la moitié de cette enveloppe sera utilisée pour les enseignants en début de carrière, « afin de favoriser l'attractivité du métier d'enseignant ». 

« La prime bénéficiera à 31 % des enseignants » (y compris CPE et psychologues de l'éducation nationale), « durant les 15 premières années de carrière pour les personnels titulaires et sera dégressive en fonction de l'ancienneté », précise le ministère.

A partir de mai prochain, un enseignant débutant gagnera ainsi 100 euros nets de plus par mois. Un contractuel en début de carrière gagnera 54 euros nets de plus chaque mois. La prime ne concerna pas en revanche les profs à partir de 15 ans d'ancienneté. 

Le ministère de l’éducation nationale prévoit aussi d’autres mesures grâce à cette enveloppe de 500 millions (en année pleine) – dévolue aux augmentations. Le taux de promotion à la hors classe, un grade de fin de carrière, passera ainsi de 17 % à 18 % ; 1 700 enseignants supplémentaires en bénéficieront chaque année. Une enveloppe de 21 millions d’euros de primes pour les directeurs d’école, accordée à titre exceptionnel en 2020, va également être pérennisée – selon des modalités de répartition qui restent à définir. Enfin, le ministère a confirmé l’annonce d’une prime de 150 euros par an destinée à tous les enseignants pour amortir et remplacer leur équipement informatique. 


Attractivité

Les statistiques sont imparables. Les inscriptions aux concours d’enseignement sont en baisse sensible. Le métier d’enseignant n’attire plus. Les étudiants en master comparent les salaires qu’ils peuvent espérer en étant prof avec ceux de leurs camarades ayant le même niveau d’études et ayant un emploi dans d’autres domaines. Un professeur des écoles (bac +5) gagne 72 % de ce qu’il pourrait escompter avec son niveau de diplôme s’il travaillait ailleurs que dans l’Education nationale.

Rappelons aussi que la comparaison peut se faire aussi avec nos voisins. Les salaires des enseignants français sont inférieurs de 7 % en début de carrière à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous niveaux confondus, les enseignants français gagnent 22 % de moins que la moyenne des pays développés, surtout en début et milieu de carrière, les salaires remontant en toute fin. Les enseignants français gagnent près de 28 000 euros brut par an dans le primaire, contre 29 900 pour la moyenne des pays de l’OCDE. Les profs de lycée français en début de carrière gagnent, eux, 29 400 euros, contre 32 423 euros pour la moyenne des pays de l’OCDE. L’écart se creuse ensuite, en milieu de carrière : par exemple, après 15 ans d’ancienneté, un prof de collège gagne en France 35 550 euros, contre 43 107 euros pour la moyenne de l’OCDE.

Même si la perte d’attractivité n’est pas due seulement aux salaires (d’autres pays avec des salaires plus élevés ont aussi une baisse des candidatures) mais aussi aux conditions de travail et au prestige qui y est associé, c’est cependant un élément déterminant. 

Travailler sur les débuts de carrière, réduire le temps de passage d’un échelon à l’autre semble donc une nécessité. Mais cela ne peut se réduire à une prime même si celle ci est toujours bonne à prendre pour les collègues qui en bénéficieront. 


Un tiers des enseignants

Car l’annonce du ministre crée aussi du dépit. Tous ceux qui ont plus de 15 ans d’ancienneté se sentent floués. Cette prime ne concerne que 31% des enseignants. Or, la réalité du déclassement n’est pas réservée qu’aux débuts de carrière. 

Entre 2000 et 2018, le salaire des enseignants qualifiés et ayant 15 ans d’ancienneté a augmenté dans la moitié des pays de l’OCDE. L’Angleterre, la France et la Grèce font figure d’exception : le salaire des enseignants y a diminué de respectivement de 3 %, jusqu’à 6 % et 17 %. En France, c’est notamment le gel du point d’indice depuis dix ans qui explique cette diminution.

Ce qui signifie que l’augmentation de la masse salariale dans la Fonction publique n’est due qu’aux passages d’échelon. 

Des études évaluent la perte de pouvoir d’achat entre 20 et 40 %. Un jeune enseignant touchait deux fois le Smic au début des années 1980, contre 1,3 fois aujourd’hui. 

De fait, la prime annoncée ne compensera même pas, la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation... Si un enseignant à l’échelon 5 n’avait pas changé d’échelon entre temps il lui faudrait 234 euros en plus par mois rien que pour rattraper l’inflation depuis 2010,. 

La bamboche, ce n’est pas pour demain...


Le chantier des inégalités

On l’a vu, la faible rémunération ne concerne pas que les débuts de carrière. Elle masque aussi des inégalités profondes au sein du monde enseignant.  

Il y a eu une mini polémique en septembre 2019 quand certains journalistes, à la suite d’une mauvaise lecture des statistiques de l’OCDE avaient titré que les enseignants français n’étaient pas moins bien payés que leurs collègues du reste de l’OCDE. Or, ils avaient confondu la moyenne (tirée vers le haut par quelques profs de prépa bien payés) et la médiane qui montre que les enseignants sont globalement en dessous de la norme européenne. On avait pu aussi, à cette occasion, constater la forte hétérogénéité au sein du monde enseignant avec notamment des professeurs des écoles faiblement rémunérés et exclus des quelques rares primes qui existent dans le monde de l’éducation. 

En choisissant d’accorder la même prime aux trois corps de l’enseignement – professeurs des écoles, certifiés, agrégés –, le ministre répond à une demande des organisations syndicales. Car il ne faudrait pas que cette première étape bien modeste fasse oublier les écarts de rémunération entre les différents degrés et niveaux (professeurs des écoles, certifiés, agrégés). Et là, le chantier est immense ! 


Clopinettes, rattrapage ou  revalorisation ? 


Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, affirmait en février 2020  que les hausses de salaires « ne seraient pas des clopinettes » . « L’objectif c’est que nous soyons au cours de la décennie 2020 un des pays qui paye le mieux ses professeurs », insistait-il en parlant d’un « cycle d’augmentations comme il n’y en a pas eu dans le passé ».

Il est certain que le rattrapage des retards accumulés ne peut se concevoir sur un seul budget, qui plus est, en période de crise sanitaire et économique. Mais, justement, ce contexte incite à la prudence voire la méfiance des enseignants. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient » dit un célèbre  adage. Et le ministre nous a habitué à tordre la réalité des chiffres dans un sens qui l’arrange. Alors que l’École a besoin de retrouver optimisme et attractivité, l’absence de visibilité sur une montée en charge au-delà de 2021 empêche les personnels de se projeter sur l’indispensable revalorisation complète des carrières et la correction des écarts de rémunération.

Enfin, même s’il serait indécent de dire que 500 millions sont dérisoires, il n’est peut être pas inutile de rappeler les propos d’Emmanuel Macron lui même à Rodez, le 3 octobre 2019 (avant la crise sanitaire et économique et le « quoi qu’il en coûte ») : « Si je voulais revaloriser, c’est 10 milliards. On ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts. ». On n’est donc pas dans les mêmes ordres de grandeur... ! 

Si ce ne sont pas des clopinettes, ces annonces restent des mesurettes...


Donnant-donnant 

Même si le ministre ne cesse de dire qu’il se situe dans une démarche pluri-annuelle, la stratégie qu’il développe et qui était annoncée dans ses livres est globale. Il s’agit de profiter de cette occasion pour transformer le métier d’enseignant. 

Il y a donc la question des contreparties en embuscade. S’il affirme que  « les évolutions qui se dessinent sont positives pour tous ; ce doit être gagnant-gagnant », c’est surtout du donnant-donnant. Il ne semble pas avoir abandonné l’idée de conditionner une partie des augmentations à l’idée de mérite et de profiter de la pseudo « revalorisation » pour redéfinir les missions ou « imposer des tâches supplémentaires aux enseignants » selon les discours. 


On oublie, qu’avant même de redéfinir le métier (ce qui n’est pas illégitime si cela se fait dans une vraie négociation), il faudrait déjà redonner confiance aux enseignants. 

Nous sommes arrivés à un point tel que toute idée de changement, de réforme n’est plus audible par la profession tant que le préalable de la rémunération et d’une meilleure considération n’est pas réglé. 

Car il faudrait aussi répondre à tous les aspects du malaise. Celui-ci est également lié aux conditions de travail et à la gouvernance. Sortir des injonctions contradictoires et verticales, donner un réel pouvoir d’agir, c’est aussi important. Et cela n’a pas de prix ! 


Philippe Watrelot

Ce texte est paru initialement sur le site d'Alternatives Économiques : 

Salaire des enseignants : revalorisation ou entourloupe ? (décembre 2019) 




mardi, octobre 20, 2020

𝐀𝐩𝐫è𝐬 𝐂𝐨𝐧𝐟𝐥𝐚𝐧𝐬


J’ai écrit samedi matin un texte intitulé 𝐂𝐨𝐧𝐟𝐥𝐚𝐧𝐬... (1500 vues sur mon blog et autant de transferts et autres retweets sur les réseaux). La plupart des messages reçus étaient positifs et me remerciaient d’avoir « mis des mots » sur des positions qui semblaient partagées.

Je vous épargne le récit détaillé des prises à partie et des insultes que ce texte m’a valu. J'y suis habitué. Mais je voudrais réagir à quelques constantes de la rhétorique à l’œuvre.

Naïf” n’est pas une insulte et c’est la remarque la moins désagréable qu’on a pu m’adresser. Et on la retrouve souvent. Nous n’aurions pas vu par naïveté (par "aveuglement" ou par “complicité”, degrés supplémentaires dans le discours) toutes les nombreuses atteintes à la laïcité et le travail de sape des organisations islamistes que nous refuserions, en plus, de nommer.

Discuter des chiffres ou s’appuyer sur son propre vécu d’enseignant de “terrain” semble alors inaudible. Nous serions "hors-sol”, "vivant sur une autre planète”...

J’ai eu le malheur d’écrire dans un tweet à chaud que cet acte était “monstrueusement isolé” et que nos élèves restaient attachés aux valeurs de la République. Que n’avais-je pas écrit là ! Il ne s’agit pas d’être dans le déni. Dans ma banlieue, dans mon lycée nous sommes vigilants. Nous avons vu arriver, il y a quelques années, une procession de jeunes filles entièrement recouvertes de noir (abaya) arriver à la porte du lycée et retirer juste le voile. C’était évidemment une provocation organisée. Des collègues reviennent en salle des profs en relatant les difficultés qu’ils ont eu avec telle ou telle partie du programme d’Histoire-Géographie ou de SVT. Cela suppose une vigilance et un travail collectif. Il ne s’agit pas non plus de nier qu’il s’agit bien d’un islamisme radical qui est une forme de fascisme.

Il n’y a donc pas de naïveté et encore moins de déni.

Mais, répétons le, ces atteintes à la laïcité restent peu nombreuses. A moins évidemment, comme on le fait de plus en plus souvent et à propos de tout, qu’on ne conteste les chiffres !

Et surtout, ces actes sont gérables. Certes, ça rend le travail encore plus difficile mais ça reste notre travail. Car ce que nous portons c’est “l’optimiste espoir de la vie” et l’idée que notre travail est utile sans sombrer dans le défaitisme et la méfiance. Comme je l’ai déjà écrit, il ne faut surtout pas voir dans chaque élève, chaque parent, une menace potentielle. Nous pouvons agir, si on nous en donne les moyens et si on nous fait confiance. Et surtout si on reste dans la mesure et la nuance.

Mais ce drame survient dans un contexte de très forte crispation dans le monde enseignant. Je fais l’hypothèse que cela amplifie la réaction de certains enseignants qui se sentent non seulement démunis mais attaqués par tout cela après avoir été déconsidérés. Cela conduit à de l'intransigeance.  La crispation autour d’une définition de la laïcité n’est qu’un des aspects des tensions qui traversent notre métier (et la société) mais il prend un tour dramatique aujourd’hui. Cela s’exprime à travers certaines postures et dilemmes.

- Faut-il "continuer le travail d’éducation à la citoyenneté” (communiqué du CRAP) ou faut-il les inculquer avec plus ou moins de force quitte à "bousculer les croyances” (expression souvent lue) ?Cette tentation d’un "catéchisme républicain” est vieille comme l’École. Mais on peut se demander si elle est efficace. On peut tout à fait être capable de nous réciter ce catéchisme sans y croire une seule seconde. D’autres méthodes le permettent moins.

- Interdire toute parole déviante ou écouter et tenir compte des sensibilités ? Certains nous disent : il y a la loi et les principes et nul ne peut en dévier. Mais nous savons bien que pour permettre un débat et faire évoluer, il faut d’abord écouter une parole qui dérange. Quand, il y a quelques années, dans un cours sur la famille, j’ai été confronté à un déferlement de discours homophobe, que devais-je faire ? Dire tout de suite aux élèves que ce discours était puni par la loi et fermer le débat ou écouter pour pouvoir ensuite déconstruire avec l’espoir de faire bouger les positions ? Quand des élèves nous disent “mais, ça se fait pas de blasphémer et de montrer le prophète” que faisons nous ? Est-ce qu’on leur dit de se taire et de regarder les caricatures sans bouger ? Ou est-ce qu’on tient compte de ces réticences pour construire un dispositif respectueux ? 

Il ya eu un débat sur le fait de savoir si le professeur avait bien fait de prévenir les élèves (et éventuellement de les inviter à sortir) pour tenir compte de leur sensibilité. Pour ma part, c’est la preuve que cet enseignant était bienveillant et soucieux de ses élèves. Ce qu’a montré aussi sa volonté d’apaisement après la polémique fabriquée de toutes pièces. Je rajoute, par ailleurs,  qu'affirmer qu'on ne peut pas questionner les pratiques enseignantes ne donne pas une bonne image des enseignants, même si c'est difficile à entendre dans cette crispation extrême. 

On a aussi parlé du risque d’”autocensure” pour les enseignants. C’est à mon sens, sinon un faux débat, du moins un débat bien mal posé. Il ne s’agit pas de transiger sur les valeurs mais de se questionner sur ses pratiques et les dispositifs que l’on met en place. S’interroger (collectivement c'est encore mieux) sur la  meilleure manière de faire passer une notion en tenant compte du contexte et des sensibilités n’est pas de l’auto-censure. Ça s’appelle de la pédagogie.

Nick Anderson parue dans Houston Chronicles 19 octobre 2012
On retrouve dans ces postures des débats politiques qui traversent la société française. On a longtemps parlé d’une laïcité ouverte par opposition à une laïcité de “combat”. Ces termes ne sont pas appropriés. Ils enferment dans des postures. Je refuse aussi le terme de “gauche bien pensante” qui est utilisé de manière péjorative. Il n’y a aucune complaisance à vouloir faire toujours, malgré tout, le pari de l’éducation, de la tolérance et du vivre ensemble. Ce ne sont pas des mots creux mais des valeurs qu’il nous faut plus que jamais porter.

PhWatrelot




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Post scriptum : c'est un peu décalé par rapport à la logique de mon texte mais on m'a reproché aussi de mettre en avant une "variable économique" dans l'explication.

D'abord je rappelle que mon texte initial n'était pas une analyse ni même une explication. J'avais bien pris soin de dire d'ailleurs que dans cet écrit, je me contentais de rappeler des choses déjà dites et qui n'étaient pas spécifiquement liées à l'évènement.Bien sûr, Conflans n'est pas un "quartier difficile"et ce n'est pas la dimension économique qui est l'explication principale. Rappelons toutefois que c'est moins net pour le meurtrier qui vivait dans une situation plus difficile.

Mais ce que j'écrivais ne doit pas être lu comme une explication mono-causale et directe. Je précisais que le sentiment de relégation était un terreau sur lequel prospérait cette idéologie. Je continue à le dire. Tous les français musulmans ne sont pas dans des quartiers difficiles et dans des situations de pauvreté. Heureusement. Mais il n'en reste pas moins que la discrimination est toujours une réalité vécue et même la stigmatisation. Et c'est ce ressenti sur lequel jouent les manipulateurs de l'islamisme radical.

Cette situation n'est pas neuve. je l'exprimais déjà en 2015. Si l'on veut lutter contre cela il faut rétablir la "promesse républicaine". Les enjeux de l'intégration et de la discrimination sont bien économiques et sociaux. Et, même si le discours islamiste a sa logique propre, ne pas répondre à ces questions ne fait que le renforcer.

samedi, octobre 17, 2020

Conflans

  

Samuel Paty, enseignant d’Histoire-Géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans Sainte-Honorine, a été décapité devant son établissement par un jeune de 18 ans. Cet acte a été revendiqué au nom de l’Islam.

L’enseignant était l’objet d’une polémique sur les réseaux sociaux depuis qu’il avait montré en classe des caricatures de Mahomet. Plusieurs personnes avaient même demandé à son administration qu’il soit sanctionné. 

 

C’est d’abord en tant qu’enseignant qu’il nous faut réagir pour dire à la fois notre compassion pour sa famille et ses proches et notre indignation devant ce qui s’est commis vendredi16 octobre. 

C’est aussi parce que nous sommes enseignants que nous devons réagir à ce qui est non seulement une intimidation et une menace mais aussi une atteinte à un des piliers de la République. 

 

Il est difficile à quelques heures de cet évènement d’aller beaucoup plus loin et de tirer des conclusions définitives comme le font pourtant certains. On peut toutefois rappeler quelques éléments qui sont malheureusement déjà ceux que nous pouvions énoncer il y a cinq ans. 

 

 

Ni déni, ni hystérisation. 

Il ne s’agit pas de nier la réalité des faits et de la menace. Mais il faut aussi se garder de tomber dans l’excès de la généralisation et de la métaphore guerrière. On doit continuer à penser que la très grande majorité de nos élèves n’adhère pas à ce discours de haine ou d’excuse de la violence. Il ne s’agit pas de « naïveté » comme le disent certains, mais de l’optimisme de la volonté, de la croyance dans la force de l’acte éducatif et de la fermeté de l’École dans la nécessité non seulement de transmettre mais aussi de faire vivre les valeurs de la République et de la démocratie. 

Tout comme, il ne faut rien céder sur la nécessité d’éduquer nos élèves à l’esprit critique, il n’y aurait rien de pire que de voir dans chaque élève, chaque parent, une menace potentielle. C’est ce que cherchent ceux qui promeuvent cette idéologie de mort. 

 

 

Territoire perdus ou territoires vivants ? 

Les va t-en guerre sont nombreux. On met en avant depuis plusieurs années des « atteintes à la laïcité » qui sont à prendre en considération et demandent des réponses mais qui ne sont pas non plus aussi importantes que certains le disent. 

Y a t-il des territoires perdus de la République ? Nous pensons qu’ils ne le sont pas tant que l’École est là pour montrer toute la confiance qu’il faut avoir dans cette jeunesse et agir pour la réussite de tous. Ces territoires sont bien vivants et sont riches de la diversité et de la tolérance qu’il faut construire patiemment. 

S’il y a des territoires perdus c’est surtout parce qu’on laissé des quartiers, des zones entières, s’enfermer dans un séparatisme qui est surtout social. La politique de la ville n’a jamais véritablement eu les moyens d’action suffisants. Le chômage et la précarité, encore renforcés dans la période actuelle, ne font qu’amplifier ce sentiment d’abandon. C’est sur ce terreau que prospèrent la violence, les fanatismes et le radicalisme musulman. Il y a aussi une réponse économique et sociale à apporter pour faire vivre la promesse républicaine. « La démocratie, ce n’est pas de reconnaitre des égaux mais d’en faire » disait Gambetta. 

 

 


Que peuvent les enseignants, les pédagogues ? 
Ceux ci sont en première ligne et quelquefois seuls. Bien souvent dans les quartiers, l’école reste un des derniers services publics et l’incarnation de l’État. 

Il  nous faut poursuivre notre mission éducative avec pédagogie et dans une réflexion collective. Il ne s’agit pas seulement d’inculquer les « valeurs de la République » comme une sorte de catéchisme républicain mais de les faire vivre au quotidien dans la classe et dans l’établissement. 

C’est le meilleur hommage que nous pouvons rendre à notre collègue sauvagement assassiné.


Philippe Watrelot

le 17 octobre 2020

samedi, septembre 19, 2020

Où je reparle des "temps partagés" en INSPÉ…


La direction de l’INSPÉ de Paris demande à ses enseignants de faire des propositions concernant le statut des « temps partagés ». Le message de la directrice adjointe précise un peu la commande : « certains points en particulier peuvent peut-être faire l'objet de suggestions : les modalités de recrutement de ces collègues, la part de l'INSPÉ dans les évaluations contribuant aux évolutions de carrière, les possibilités d'aménagements du service qui est composé de deux parties. » 

J'ai donc tenté de répondre à cette demande. Ce qui va suivre  n’est pas une « note  technique » mais plutôt un récit et un retour d’expérience. Ce qui n’exclut pas quelques propositions. Je le publie sur mon blog car je me dis que cette réflexion n’est peut-être pas propre à l’institut où je travaille et peut intéresser d’autres formateurs.



Le choix et la nécessité



Je suis en temps partagé depuis quinze ans. J’ai été recruté par l’IUFM de Paris en 2006 alors que j’occupais un poste de professeur agrégé de SES dans un lycée de l’Essonne. A l’époque, la formation dans ma discipline était gérée de manière inter-académique et donc un prof de Versailles pouvait être recruté à Paris. Et c’était très bien comme ça ! 

Le fait d’être en temps partagé était à la fois le  produit de la nécessité et un choix politique. Le poste était forcément un mi-temps et de toutes façons, je n’aurais pas accepté un poste à temps plein. J’estime en effet depuis longtemps que, pour ce qui me concerne, ma légitimité de formateur se trouve dans cette alternance simultanée. Mais je sais que sur ce point là particulièrement, ma position est jugée, à tort ou à raison, comme trop radicale.

Je vais redire ce que j’écrivais déjà  en 2007 et reprenait en 2013 dans un billet de blog intitulé « Temps partagé des formateurs des ESPÉ » : « La solution est certainement dans un mélange équilibré au sein de l’équipe de formateurs entre « temps plein » et « temps partagé ». C’est une condition pour lever certaines critiques et apporter aux stagiaires une formation cohérente et complète.  Encore faut-il que la place de ces enseignants à « temps partagé » soit bien établie et permette cet équilibre. »


Cailloux dans la chaussure ? 

Une semaine parmi d'autres
(bleu = Inspé / rouge = lycée)
Car les temps partagés sont quelquefois vus comme des contraintes dans l’organisation des établissements où ils exercent. Dans les collèges ou lycées, il faut que les emplois du temps s’adaptent et ce n’est pas toujours évident alors que les bénéfices de cette double casquette ne sont pas visibles pour les établissements. Dans les INSPÉ, il en est de même. Les temps partagés sont des cailloux dans la chaussure. Ils limitent la souplesse dans les plannings. 

Il est donc difficile de leur faire de la place. Cela se ressent aussi dans la hiérarchie implicite au sein de l’INSPÉ. La mention des « temps partagés » vient souvent en dernier dans la liste des différents intervenants. Alors qu’ils sont supposés être des formateurs comme les autres. 

Et si on admettait, enfin, que les formateurs en temps partagés sont des formateurs d’égale dignité avec leurs collègues à temps plein et que ce qu’ils apportent à l’institution est utile à la formation ? Et inversement, que leur pratique de formateur peut être utile là où ils enseignent ? Et si, au lieu d'être un caillou dans la chaussure, c'était une richesse qui permette d'avancer ?


Une arithmétique biaisée 

Un mi-temps + un mi-temps = bien plus qu’un temps complet ! 

C’est un constat d’évidence. Et c’est peut-être la raison principale du turnover important de cette catégorie de personnels. 

Avec quinze ans d’ancienneté dans ce type de poste, je ne sais pas si je suis un vétéran ou un survivant. Mais ce que je sais, c’est la fatigue que cela entraine. Il faut naviguer entre deux endroits. Mais il faut aussi et surtout être capable de s’impliquer dans les établissements. La critique souvent formulée, y compris par les temps partagés eux-mêmes, est celle de la difficulté de s’investir. On est un pied à un endroit et l’autre à un autre endroit. Il m’est arrivé certaines années de cumuler la fonction d’élu au CA de mon lycée avec celle de coordonnateur du département à l’IUFM/ESPÉ. Pas facile tous les jours même si c’est enrichissant et que cela nourrit sa pratique de formateur.

Ce qui a considérablement alourdi la tâche et les contraintes administratives qui vont avec, c’est le passage à la masterisation et le lien avec les universités. On a multiplié les interlocuteurs, les réunions et donc rendu plus complexes la coordination et la fabrication des plannings et alourdi les tâches administratives. De fait, cette nouvelle organisation est moins favorable aux temps partagés alors que dans le même temps, leur présence devient une injonction ministérielle. 

Je voudrais aussi signaler une bizarrerie : les enseignants en temps partagés sont convoqués pour les épreuves du bac ou du brevet. Pas les formateurs à temps plein qui sont bien souvent pourtant sur les mêmes formations. On pourrait considérer que c'est normal et formateur de faire passer ces épreuves même si ça tombe dans une fin d'année déjà très chargée, en même temps que les épreuves de concours auxquelles il peut être intéressant d'assister pour mieux y préparer nos étudiants. C'est en tout cas une disposition qui renforce le sentiment d'injustice. Encore plus quand les inspecteurs, auxquels on s'adresse pour être dispensé de participer à ces jurys, s'indignent qu'on fasse une telle demande. 

Osons une proposition : pour résoudre cette arithmétique biaisée, s’il y avait une vraie volonté ministérielle, il suffirait de considérer qu’au lieu d’un mi-temps en établissement, on ait un quart de temps. On peut aussi concevoir l’inverse : un mi-temps en établissement et un tiers ou un quart de temps en INSPÉ. 

Mais pour cela il faudrait aller contre les règles communes et l’égalitarisme qui est souvent une force d’inertie du système. 


Quelle validation ? Quelle évaluation ? 

Je n’ai pas le CAFFA. J’ai toujours refusé de le passer. J’étais formateur avant et, en plus, j’ai même fait partie du groupe de travail ministériel qui a élaboré le référentiel de cet examen. Cette belle idée qui était de professionnaliser les formateurs du second degré est devenu un instrument de pouvoir créant de l’échec, de la frustration et du clientélisme. Conditionner le recrutement à ce parchemin est, à mon sens, sinon une impasse, du moins une voie pleine d’effets pervers. 

Il nous conduit à nous soumettre aux pressions de l’inspection et alourdit inutilement le parcours pour devenir formateur. Au regard du travail demandé, certains refus au CAFFA sont incompréhensibles, sauf à y voir une sorte de certificat de conformité à une doxa et surtout une volonté de remplir la case "refusés" (que serait un concours, mon brave monsieur, s'il n'y avait pas d'échec...? ). On est dans la parfaite illustration du génie bureaucratique qui parvient à transformer une idée généreuse au départ en un monstre administratif...

Il y a plusieurs années, mon ancienne IPR a réalisé un « rapport d’activité » à mon sujet. Il s’agissait pour elle de rendre compte de mon activité de formateur puisqu’elle ne pouvait voir qu’une partie de mon travail si elle venait m’inspecter dans mon lycée alors qu’elle était en contact permanent avec moi dans mon travail de formateur. Je lui en suis très reconnaissant parce que c’est la première (et unique fois) où cette activité a été prise en compte dans mon parcours. Et cela m’a permis d’avancer d’échelon et de classe !

Car le problème c’est celui de la carrière et cette question ne touche pas que les temps partagés mais tous les formateurs. Comment évaluer et tenir compte de la dimension de formation dans notre parcours professionnel (et donc notre rémunération) ? 

Je fais la proposition que cette  partie de notre métier soit vraiment prise en compte dans notre parcours par un entretien de carrière identique à ce qui existe pour les autres enseignants. Et cela devrait s'appuyer sur une véritable évaluation de notre pratique de formateur. 


Formateur/professeur 

Je vais terminer de la même manière que j’ai commencé. Au risque d’agacer certains de mes collègues. J'ai écrit que "formateur" et "prof" étaient deux métiers différents. Mais je crois aussi que l'un doit nourrir l'autre par l'alternance (simultanée ou successive), c'est une question de légitimité et de cohérence

Je ne dis pas que tout le monde devrait être, comme moi, en temps partagé mais je pense qu’il serait nécessaire qu’il y en ait un peu plus plus et qu’on crée de meilleures conditions pour cette alternance simultanée. Et puis je continue à penser que formateur ne peut pas être non plus un métier « à vie ». Plus que la perte du contact avec le terrain que peut compenser les visites, c’est aussi une nécessité pour maintenir une certaine "modestie" et nuance dans son action. Car la critique formulée par les stagiaires sur des formateurs trop prescriptifs ou s’érigeant en « juges » d’une certaine conformité ne résiste pas bien longtemps à cet aller-retour avec la réalité de la classe. On ne pourra défendre nos formations en INSPÉ qu’à condition de se livrer à un véritable aggiornamento plutôt qu’à une simple défense  de l’existant

Il faut aussi se pencher sur la pédagogie pratiquée dans les instituts de formation. Si les stagiaires subissent essentiellement des cours magistraux comment s’étonner de la permanence de cette forme scolaire avec les élèves ? Le rôle de la formation c'est aussi de faire vivre des situations de formation et des dispositifs variés pour que chacun puisse les expérimenter assez tôt. On parle beaucoup de didactique dans les INSPÉ, et si on parlait un peu plus de pédagogie ? Ce débat sur les temps partagés peut être aussi l’occasion de se poser cette question...


Pour conclure, je dirais que la situation des temps partagés est un bon révélateur de plusieurs maux de l'éducation nationale : le décalage entre le "prescrit" et le réel, la rigidité des règles et procédures, l'attachement excessif aux diplômes, le lien distendu avec le "terrain"... L'enjeu de la formation des enseignants mérite qu'on parvienne à débloquer ces verrous. 


Philippe Watrelot


Mes textes déjà parus sur ce sujet





mercredi, août 26, 2020

La rentrée de l’incertitude


A la fin du mois de juillet, le ministère de l’Education publie sur son site un « guide sanitaire » pour la rentrée 2020. Dans la torpeur de l’été, cette publication passe un peu inaperçue (en « catimini » titrera le Monde) jusqu’à ce que la presse et une bonne partie des enseignants s’en rendent compte au milieu du mois d’aout. 

Que dit ce document ? Il assouplit la règle de distanciation physique « lorsqu’elle n’est pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves ». Les adultes (hormis les enseignants de maternelle) et les enfants de plus de 11 ans sont soumis au port du masque dans les espaces communs. Mais pour les enfants il n’est obligatoire en classe que lorsque « la distanciation d’un mètre ne peut être garantie ». Par ailleurs, le protocole du 20 juillet met fin à la limitation du brassage entre groupes d’élèves, très contraignante pour l’organisation scolaire. Tous les enfants peuvent être en récréation et rentrer dans leur établissement en même temps. 


A la mi-août c’est pas fantastique

Depuis la publication discrète de ce document, le ministre a peu communiqué sur ce sujet. Il a cependant indiqué qu’il y aurait une réévaluation de la situation avant la rentrée et qu’il prendrait la parole le 26 août. On l’a surtout vu dans son rôle de ministre de la jeunesse faire du volley, du base ball, commenter la victoire du PSG et autres activités...

Mais alors que la rentrée se rapprochait, la situation sanitaire s'est dégradée. Le nombre de contaminations augmente de nouveau. Les règles très assouplies du début des vacances sont-elles toujours pertinentes ? 

De son côté, la ministre du travail vient, en concertation avec les partenaires sociaux, de demander le port systématique du masque dans les entreprises car la plupart des nouveaux clusters s’y trouvent. 

Or, qu’est ce qu’une salle de classe de moins de 50 mètres carrés avec une trentaine (ou plus) de personnes, sinon un cluster en puissance ? 

Dans ce contexte, une prise de parole tardive du ministre devenait de plus en plus incompréhensible.  Il s’est donc exprimé  dans le Journal de France2 du jeudi 20 août. La seule annonce véritable concerne le port du masque pour tous et tout le temps à partir de 11 ans. Mais il maintient le dispositif de juillet en répétant que « tout est  prêt ». 

Pourtant, il reste bien des incertitudes après cette interview.  Et le protocole de juillet mériterait d’être réécrit et précisé pour rassurer non seulement les parents mais aussi les professeurs. 


Congés et vacances

Les enseignants, après avoir pris des congés semblables à tous les salariés, profitent en effet de la fin des vacances des élèves pour préparer leur année scolaire. Certain.e.s.,  je peux en témoigner, sont déjà retourné.e.s dans leur école et leur salle de classe pour installer leur matériel. Et tous, dans le primaire comme dans le secondaire, préparent leur cours. D’autant plus que les programmes, pour certaines matières en primaire et au collège, ont été modifiés au cours du mois de juillet ! 

Et les questions qu’ils se posent n’ont toujours pas de réponses. 

Comment faire cours ? Quelles activités, quels dispositifs, puis-je construire pour faire apprendre mes élèves ? Avec quels supports ? Toutes ces questions, les enseignants se les posent chaque année. Mais elles prennent un sens particulier dans l’incertitude de cette rentrée. 

A moins d’une semaine de la rentrée, nous nous préparons sans savoir si une partie se fera en distanciel ou en présentiel ou (mot à la mode) en « hybride »... Quelle sera l’organisation de la semaine, avec quels horaires ? De quelles salles disposerons-nous et donc de quel matériel ? Quelles seront les consignes précises et notamment sur les distances et les effectifs ? Devrons-nous nous interdire certaines formes de travail ? Les programmes seront-ils allégés ? ... 

Plus largement : Comment l’école peut-elle accueillir chacun tout en garantissant la sécurité de tous ? Comment garantir la justice sociale et sanitaire si on ne permet pas l’accès à des masques gratuits pour les élèves ? 

Et bien d’autres questions encore... 


Prof bashing

Il serait tentant pour des personnes jugeant rapidement (espèce très répandue dans les réseaux sociaux) de conclure de cette liste de questions que les profs sont des peureux qui procrastinent, ergotent et coupent les cheveux en quatre. Même si cette caricature pourrait bien arranger la communication du ministre, Il n’en est rien.

Et je suis sûr que la plupart des personnes apprécient de travailler dans un cadre relativement stable et avec des conditions de travail bien définies. Les enseignants ont envie de reprendre et de (re)voir leurs élèves. Mais ils aimeraient savoir comment cela va se passer pour bien s’y préparer. Et si en plus, ils pouvaient se concerter avec leurs collègues ce serait encore mieux ! 

Le prof bashing est une facilité dont usent et abusent certains médias pour masquer le vrai problème de lgouvernance verticale de l’éducation nationale. 


Diplodocus


Tout le monde se souvient du terme « mammouth » créé par Claude Allègre. Mais cette image ne désignait pas dans l’esprit bouillonnant du ministre provocateur, l’ensemble du système éducatif mais plus précisément son administration centrale. 

L’image la plus appropriée pour caractériser la chaîne de décisions aurait été plutôt celle du diplodocus. Selon les spécialistes, la distance entre son cerveau et ses membres inférieurs (7 mètres !) conduisait à un temps de réponse très long et qui pouvait lui être fatal. Il pouvait se faire grignoter la queue avant que l’influx nerveux ne remonte au cerveau… Et inversement, le temps qu’une décision prise descende jusqu’aux organes concernés pouvait lui aussi être très long. 

Il en va de même pour l’Éducation Nationale et sa structure bureaucratique et pyramidale. Penser que la parole du Ministre va descendre impeccablement et s’appliquer immédiatement dans chaque école, collège et lycée relève du fantasme et de la pensée magique. 

Mais cela relève aussi d’une méconnaissance de la réalité du travail des enseignants, des directeurs d’école et chefs d’établissements épuisés (malgré les « vacances ») par une succession d’ordres contradictoires. Et la méconnaissance confine (!) ici à la maltraitance…


Bas les masques ! 

Les enseignants ont su répondre « présents » au moment du confinement. Ils ont même fait preuve de beaucoup d’inventivité et de résilience. 

Mais la séquence de prof bashing fondée sur la mise en avant d’un chiffre peu fiable de « profs décrocheurs » a marqué durablement les esprits. 

Tout comme la promesse d’une prime pour l’équipement informatique dont on répète qu’elle est « sur la table » sans plus de précision. 

« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » disait le poète Pierre Reverdy. Les enseignants veulent aujourd’hui des preuves et non plus des promesses et encore moins de la culpabilisation. 

Car, tout comme pour les personnels hospitaliers, il n’est pas sûr que l’appel au sens du service public suffise demain à remobiliser. 

Les masques tombent… 


Philippe Watrelot


 
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