Il y a plusieurs années, lors des « rencontres du CRAP-Cahiers Pédagogiques » qui se tiennent à la fin août, nous avions accueilli une enseignante néozélandaise.
Nous lui avions demandé un soir de nous faire une présentation du système éducatif de son pays. Elle a sorti de son sac une brochure assez fine et nous a dit : « voilà les programmes de l’ensemble de la scolarité obligatoire en NZ ». Stupeur des participants. J’ose à peine imaginer la hauteur que représenterait l’empilement de tous les programmes équivalents en France...
Pourquoi ce document était-il si mince ? Nous y reviendrons...
Cette anecdote m’est revenue en mémoire lorsque j’expliquais à mes élèves de Terminale que nous allions continuer à travailler même s’il y avait le contrôle continu. Car, ce qui importait plus que le bac, c’était de les préparer à l’enseignement supérieur en continuant à leur donner des habitudes de travail, des compétences utiles : savoir argumenter, structurer un raisonnement, lire des informations avec recul et esprit critique, savoir faire une synthèse...
C’était finalement cela qui était le plus important plus que la logique encyclopédique des 120 notions du programme de Terminale de SES...
L’enseignement à distance et le confinement (qui “gèle” une partie de l’année) bouleversent les cartes du système français dans de nombreux domaines. Et la question de ce que l’on enseigne et de ce qu’on évalue prend un jour nouveau qui devra être reposée dans l’école d’après.
Outre les conditions matérielles d’organisation, ce qui met à mal le bac c’est l’impossibilité de « finir le programme ». Celui-ci a été traité différemment selon les enseignants qui ne le prennent pas tous dans le même sens.
Or, l’évaluation terminale repose avant tout sur les notions qui ont été vues tout au long de l’année. Si on a fait l’impasse sur une partie du programme, on est bien embêté...
Pour appuyer mon propos, je racontais à mes élèves qu’au Danemark, l’équivalent du bac comme certificat de fin d’études se déroulait dans des conditions bien différentes : les élèves ont leur ordinateur et accès à Internet. Dans ces conditions, ce qu’on évalue est bien sûr différent. Ce ne sont plus des notions apprises plus ou moins par cœur mais des compétences mettant en œuvre des savoirs : lecture de données, synthèse, argumentation, démonstration, rédaction...
Ce que nous montrait notre amie néo-zélandaise avec sa brochure, c’était un programme d’enseignement basé sur une approche « curriculaire ». On pourrait en donner une définition précise et savante mais on peut aussi le résumer par une formule simple : un programme qui décrit les compétences attendues plutôt qu’un empilement de connaissances, les moyens de les évaluer et qui fait confiance aux profs sur les moyens d’y parvenir (plutôt que de se focaliser sur les procédures)...
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de références disciplinaires, bien au contraire. Chaque discipline a sa spécificité et contribue à la construction de savoirs propres. Mais la manière de les évaluer met l’accent sur les postures propres à la démarche scientifique (savoir traiter des données par exemple en SES) et sur la mobilisation des concepts dans la résolution de "problèmes".
Dans ces conditions, l’angoisse de ne pas « finir le programme » n’est pas la même puisqu’il s’agit surtout de construire, renforcer et évaluer des apprentissages à l’occasion de chaque nouvelle partie du cours.
Notre système français est largement piloté par l’aval. En d’autres termes, ce sont les épreuves terminales (brevet, bac) qui déterminent fortement la pédagogie menée en amont. Et c’est cette logique là qui est percutée aujourd’hui quand on est dans l’incapacité de mettre en œuvre ces examens. Il serait temps qu’on se pose la question d’une véritable réflexion sur cet aspect essentiel de la pédagogie.
D’autant plus que dans le contexte particulier qui est le nôtre avec l’enseignement à distance, nous avons tous collectivement progressé. Nous savons qu’il est difficile d’inculquer de nouvelles notions dans ces conditions mais qu’il faut plutôt rechercher la consolidation des apprentissages.
D'une manière accélérée, dans cette période de crise, nous prenons conscience que, loin de l’accumulation encyclopédique, ce qui est important de promouvoir et préserver, ce sont des attitudes intellectuelles, des compétences, qui permettront de s’approprier les connaissances et d’aller vers l’autonomie. N’est-ce pas là que se situe la plus grande « exigence » ?
PhW
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
--------------------
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.