samedi, avril 04, 2020

Le virus qui fait tousser les programmes scolaires



Il y a plusieurs années, lors des « rencontres du  CRAP-Cahiers Pédagogiques » qui se tiennent à la fin août, nous avions accueilli une enseignante néozélandaise. 
Nous lui avions demandé un soir de nous faire une présentation du système éducatif de son pays. Elle a sorti de son sac une brochure assez fine et nous a dit : « voilà les programmes de l’ensemble de la scolarité obligatoire en NZ ». Stupeur des participants. J’ose à peine imaginer la hauteur que représenterait l’empilement de tous les programmes équivalents en France... 
Pourquoi ce document était-il si mince ? Nous y reviendrons...

Cette anecdote m’est revenue en mémoire lorsque j’expliquais à mes élèves de Terminale que nous allions continuer à travailler  même s’il y avait le contrôle continu. Car, ce qui importait plus que le bac, c’était de les préparer à l’enseignement supérieur en continuant à leur donner des habitudes de travail, des compétences utiles : savoir argumenter, structurer un raisonnement, lire des informations avec recul et esprit critique, savoir faire une synthèse...
C’était  finalement cela qui était le plus important plus que la logique encyclopédique des 120 notions du programme de Terminale de SES...

L’enseignement à distance et le confinement (qui “gèle” une partie de l’année) bouleversent les cartes du système français dans de nombreux domaines. Et la question de ce que l’on enseigne et de ce qu’on évalue prend un jour nouveau qui devra être reposée dans l’école d’après. 
Outre les  conditions matérielles d’organisation, ce qui met à mal le bac c’est l’impossibilité de « finir le programme ». Celui-ci a été traité différemment selon les enseignants qui ne le prennent pas tous dans le même sens. 
Or, l’évaluation terminale repose avant tout sur les notions qui ont été vues tout au long de l’année. Si on a fait l’impasse sur une partie du programme, on est bien embêté...
Pour appuyer mon propos, je racontais à mes élèves qu’au Danemark, l’équivalent du bac comme certificat de fin d’études se déroulait dans des conditions bien différentes : les élèves ont  leur ordinateur et accès à Internet. Dans ces conditions, ce qu’on évalue est bien sûr différent. Ce ne sont plus des notions apprises plus ou moins par cœur mais des compétences mettant en œuvre des savoirs : lecture de données, synthèse, argumentation, démonstration, rédaction...


Ce que nous montrait notre amie néo-zélandaise avec sa brochure, c’était un programme d’enseignement basé sur une approche « curriculaire ». On pourrait en donner une définition précise et savante mais on peut aussi le résumer par une formule simple : un programme qui décrit les compétences attendues plutôt qu’un empilement de connaissances, les moyens de les évaluer et qui fait confiance aux profs sur les moyens d’y parvenir (plutôt que de se focaliser sur les procédures)...
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de références disciplinaires, bien au contraire. Chaque discipline a sa spécificité et contribue à la construction de savoirs propres. Mais la manière de les évaluer met l’accent sur les postures propres à la démarche scientifique (savoir traiter des données par exemple en SES) et sur la mobilisation  des concepts dans la résolution de "problèmes". 
Dans ces conditions, l’angoisse de ne pas « finir le programme » n’est pas la même puisqu’il s’agit surtout de construire, renforcer et évaluer des apprentissages à l’occasion de chaque nouvelle partie du cours. 

Notre système français est largement piloté par l’aval. En d’autres termes, ce sont les épreuves terminales (brevet, bac) qui déterminent fortement la pédagogie menée en amont.  Et c’est cette logique là qui est percutée aujourd’hui quand on est dans l’incapacité de mettre en œuvre ces examens. Il serait temps qu’on se pose la question d’une véritable réflexion sur cet aspect essentiel de la pédagogie.



D’autant plus que dans le contexte particulier qui est le nôtre avec l’enseignement à distance, nous avons tous collectivement progressé. Nous savons qu’il est difficile d’inculquer de nouvelles notions dans ces conditions mais qu’il faut plutôt rechercher la consolidation des apprentissages.
D'une manière accélérée, dans cette période de crise, nous prenons conscience que, loin de l’accumulation encyclopédique, ce qui est  important de promouvoir et préserver, ce sont des attitudes intellectuelles, des compétences, qui permettront de s’approprier les connaissances et d’aller vers l’autonomie. N’est-ce pas là que se situe la plus grande « exigence » ? 

PhW

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jeudi, avril 02, 2020

A propos du bac, des symboles, du principe de réalité et du contrôle continu…


Pendant que le ministre tergiverse et promet des réponses sur le bac d’ici la fin de la semaine, le débat sur le contrôle continu se poursuit !

Certains continuent à s’insurger d’autant plus que l’an dernier, les luttes autour de la réforme du bac portaient déjà sur l’introduction d’une dose de contrôle continu. On se souvient des blocages et autres rétentions de notes. 
Et aujourd’hui malgré les circonstances et l’urgence sanitaire, cela fait toujours polémique. 

Quitte à relancer le débat, je voudrais faire valoir quelques arguments aussi bien pour la période actuelle que d’une manière plus générale. 


On entend encore certains regretter que l’on soit, cette année, privés de ce grand rite de passage républicain. 
Jack Lang parlait d’ailleurs à propos du bac de « monument national ». 
Moi aussi, j’aime bien les symboles avec les images des salles d’examen et l’ouverture solennelle des sujets, les cris de joie devant les panneaux d’affichage, la fête avec la famille et les copains...
Mais faut-il sacrifier sa santé au nom d’un totem ? La sécurité nous oblige à ce renoncement. Il y a un principe de réalité qui s’impose. 

D’autres, ou les mêmes, ont peur que le baccalauréat 2020 soit dévalué à l’instar du bac 68. Outre que ce dernier n’a pas empêché ses lauréats de faire de belles carrières, les situations ne sont pas comparables (voir plus bas). 
On rappellera aussi à une société marquée par l’élitisme que le bac est un examen et pas un concours ! 

Je vais vous faire une révélation : le bac 2020 a déjà eu lieu ! 
Il se termine le 2 avril avec la fin des inscriptions ParcourSup... 
Si, dans une école qui n’était pas encore massifiée, le bac avait encore une certaine valeur en soi en tant que certificat de fin d’études , aujourd’hui alors qu’il concerne 80% d’un classe d’âge, il faut reconnaitre que ce diplôme aujourd'hui n'est qu'un passe pour des portes qui sont déjà ouvertes. 
En termes plus clairs, la réussite au bac n'est que la validation d'orientations qui se sont jouées avant avec Parcoursup (ou APB avant). Sa suppression ne changerait rien à la logique Bac-3 / Bac + 3. Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, c’est ainsi. Et c’est d’ailleurs plutôt sur la transparence des critères et attendus de ParcourSup qu’il faudrait se mobiliser. 
Se battre pour le bac est donc d’une certaine manière un combat d’arrière garde. 
Sa conservation relève du rituel. Un symbole dont on semble avoir perdu le sens. 

Venons en maintenant d’une manière plus générale aux critiques sur le contrôle continu. Celui ci, nous dit-on, amplifierait les inégalités. 
Cela repose à mon avis sur un déni, des illusions et un manque de confiance qui confine (!) au défaitisme. 

Un déni tout d'abord dans la mesure où les inégalités sont déjà très fortes et que le Bac actuel ne les empêche en rien. C'est bien avant que se situent les enjeux comme l’ont très bien montré les sociologues de l’éducation. 
Le fait d’avoir ou pas le bac change t-il quelque chose aux orientations ? Si c’est le cas, c’est marginal et en général plutôt dans le sens de stopper un parcours à la suite d’un « accident » qui se joue sur une épreuve à un jour donné... 

L’illusion repose sur l’idée que les notes du bac obtenues par une épreuve terminale seraient plus « objectives ». On a tous en tête des contre-exemples. Mais il faudrait aussi se saisir des résultats des travaux de la docimologie (l’étude des biais de la notation) qui nous montrent que la variation des notes est très importante. Tout autant que dans le contrôle continu. 
L’autre illusion réside dans l’idée que l’épreuve finale serait structurante et motivante pour les élèves. On peut retourner facilement cet argument et constater qu’elle peut aussi conduire certains à procrastiner jusqu’à la dernière ligne droite. Et puis l’impact de l’épreuve finale nous impose aussi un rythme qui peut être délétère et nous conduit à cravacher pour « finir le programme » au détriment de certains apprentissages. 

Un manque de confiance enfin. L'implicite du discours c'est qu'il y aurait une tendance à "trafiquer" les notes avec le contrôle continu. 
C’est, me semble t-il, un manque de confiance dans l'esprit de service public des enseignants et l'action collective. Pourquoi penser qu'a priori, les enseignants, les personnels de direction seraient amenés à tricher ? 
On devrait faire confiance à l’auto-contrôle et à une régulation collective.
C'est une forme de défaitisme qui est d'autant plus surprenant quand il est formulé par des militants habitués à la lutte collective. 

Je rajoute aussi un glissement sémantique parce qu'on semble oublier qu'entre les examens terminaux et le contrôle continu dans la classe, il y a une situation intermédiaire qui offre quelque garanties : il s'agit du contrôle en cours de formation où l’évaluation est faite par des enseignants proches mais distincts du professeur habituel et dans un cadre défini. Des E3C sans l'usine à gaz... 


Ce qui est important aujourd’hui c’est surtout de construire des réponses collectives et de nouvelles formes de régulation entre professionnels au service de la réussite de tous les élèves. 
L’attachement à des symboles est estimable. Mais il doit être questionné quand on ne voit plus le but des rites et qu’on oublie l’essentiel. Ce que nous enseigne cette période, c’est que la logique de sélection ne doit pas se faire au détriment des plus faibles. Ne les pénalisons pas plus !




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mercredi, avril 01, 2020

Opération "école résiliente"


Le travail de Jean-Michel Blanquer est remarquable. En ces temps difficiles, il est le seul à maintenir le cap. Le danger principal de ce virus serait de changer nos habitudes de travail et nos manières de faire. Et c’est particulièrement vrai pour l’École. Ce qu’il s’agit de préserver avant tout c’est cette École avec ses réussites et son administration que le monde entier nous envie. 

C’est ce que je me suis dit ce matin et je me suis attelé à mettre sur pied un nouveau projet dans la suite des actions de notre Ministre. Je propose de le nommer « Opération école résiliente ». On pourrait l’appeler aussi « école constante » ou « école résistante » puisqu’il s’agit de faire comme si rien n’avait changé et de maintenir notre Mammouth en vie.
Mais la résilience est encore plus appropriée. Si ce terme a une connotation plutôt positive chez les psychologues , il désigne en fait originellement « la résistance d'un matériau aux chocs ». On peut aussi en donner une définition tirée du domaine militaire : « niveau de capacité d’un système de pouvoir continuer de fonctionner en mode dégradé tout en évoluant dans un milieu hostile »

Bien loin des délires psychologisants, c’est cette définition qu’il faut retenir pour définir l’action de notre bon ministre. L’institution doit continuer à fonctionner en milieu hostile et en mode dégradé. Notre école doit résister !
Ce dont l’opinion a besoin c’est de cette permanence rassurante. Nous devons, chacun de notre côté, continuer à noter, envoyer des devoirs et sermonner les retardataires et ceux qui ne suivent pas.
Les parents, les médias, l'opinion,  ont aussi besoin de voir des élèves assis dans une salle pour passer les épreuves du bac, des correcteurs corriger, des cris de joie et des pleurs devant les panneaux d’affichage. 
C’est cela l’École, c’est cela la France éternelle !!!
Nous devons aussi bien comprendre que pour fonctionner (même si c’est en « mode dégradé »), nous devons rester des fonctionnaires. Et donc obéir et se fier à notre hiérarchie qui nous dit comment faire. La mission de notre ministre est aussi de préserver cette magnifique chaine de commandement qui a montré toute son efficacité et son anticipation. 

Plus rien ne sera comme avant”. Foutaises ! Ce que les gens veulent c’est au contraire de revenir à la situation antérieure. La vraie résilience c’est de reprendre sa forme initiale et de continuer à fonctionner coûte que coûte. C'est la vraie "continuité pédagogique". 
En écrivant ces mots, je me dis que cette opération « École résiliente » est, de fait, déjà lancée !
Je vais juste essayer de vendre le concept aux communicants de l’Éducation Nationale. 
Le business doit, lui aussi, continuer comme avant...






C’est ce que j’écrivais ce matin après une nuit agitée. J’ai pris ma température. Pas de fièvre... Et puis je me suis rappelé que nous étions le 1er avril...
PhW



Post Scriptum

- L'an dernier à la même époque je proposais ce dispositif
- En 2018, il y avait cette annonce
- et en 2017, j'écrivais ceci


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