mardi, octobre 20, 2020

𝐀𝐩𝐫è𝐬 𝐂𝐨𝐧𝐟𝐥𝐚𝐧𝐬


J’ai écrit samedi matin un texte intitulé 𝐂𝐨𝐧𝐟𝐥𝐚𝐧𝐬... (1500 vues sur mon blog et autant de transferts et autres retweets sur les réseaux). La plupart des messages reçus étaient positifs et me remerciaient d’avoir « mis des mots » sur des positions qui semblaient partagées.

Je vous épargne le récit détaillé des prises à partie et des insultes que ce texte m’a valu. J'y suis habitué. Mais je voudrais réagir à quelques constantes de la rhétorique à l’œuvre.

Naïf” n’est pas une insulte et c’est la remarque la moins désagréable qu’on a pu m’adresser. Et on la retrouve souvent. Nous n’aurions pas vu par naïveté (par "aveuglement" ou par “complicité”, degrés supplémentaires dans le discours) toutes les nombreuses atteintes à la laïcité et le travail de sape des organisations islamistes que nous refuserions, en plus, de nommer.

Discuter des chiffres ou s’appuyer sur son propre vécu d’enseignant de “terrain” semble alors inaudible. Nous serions "hors-sol”, "vivant sur une autre planète”...

J’ai eu le malheur d’écrire dans un tweet à chaud que cet acte était “monstrueusement isolé” et que nos élèves restaient attachés aux valeurs de la République. Que n’avais-je pas écrit là ! Il ne s’agit pas d’être dans le déni. Dans ma banlieue, dans mon lycée nous sommes vigilants. Nous avons vu arriver, il y a quelques années, une procession de jeunes filles entièrement recouvertes de noir (abaya) arriver à la porte du lycée et retirer juste le voile. C’était évidemment une provocation organisée. Des collègues reviennent en salle des profs en relatant les difficultés qu’ils ont eu avec telle ou telle partie du programme d’Histoire-Géographie ou de SVT. Cela suppose une vigilance et un travail collectif. Il ne s’agit pas non plus de nier qu’il s’agit bien d’un islamisme radical qui est une forme de fascisme.

Il n’y a donc pas de naïveté et encore moins de déni.

Mais, répétons le, ces atteintes à la laïcité restent peu nombreuses. A moins évidemment, comme on le fait de plus en plus souvent et à propos de tout, qu’on ne conteste les chiffres !

Et surtout, ces actes sont gérables. Certes, ça rend le travail encore plus difficile mais ça reste notre travail. Car ce que nous portons c’est “l’optimiste espoir de la vie” et l’idée que notre travail est utile sans sombrer dans le défaitisme et la méfiance. Comme je l’ai déjà écrit, il ne faut surtout pas voir dans chaque élève, chaque parent, une menace potentielle. Nous pouvons agir, si on nous en donne les moyens et si on nous fait confiance. Et surtout si on reste dans la mesure et la nuance.

Mais ce drame survient dans un contexte de très forte crispation dans le monde enseignant. Je fais l’hypothèse que cela amplifie la réaction de certains enseignants qui se sentent non seulement démunis mais attaqués par tout cela après avoir été déconsidérés. Cela conduit à de l'intransigeance.  La crispation autour d’une définition de la laïcité n’est qu’un des aspects des tensions qui traversent notre métier (et la société) mais il prend un tour dramatique aujourd’hui. Cela s’exprime à travers certaines postures et dilemmes.

- Faut-il "continuer le travail d’éducation à la citoyenneté” (communiqué du CRAP) ou faut-il les inculquer avec plus ou moins de force quitte à "bousculer les croyances” (expression souvent lue) ?Cette tentation d’un "catéchisme républicain” est vieille comme l’École. Mais on peut se demander si elle est efficace. On peut tout à fait être capable de nous réciter ce catéchisme sans y croire une seule seconde. D’autres méthodes le permettent moins.

- Interdire toute parole déviante ou écouter et tenir compte des sensibilités ? Certains nous disent : il y a la loi et les principes et nul ne peut en dévier. Mais nous savons bien que pour permettre un débat et faire évoluer, il faut d’abord écouter une parole qui dérange. Quand, il y a quelques années, dans un cours sur la famille, j’ai été confronté à un déferlement de discours homophobe, que devais-je faire ? Dire tout de suite aux élèves que ce discours était puni par la loi et fermer le débat ou écouter pour pouvoir ensuite déconstruire avec l’espoir de faire bouger les positions ? Quand des élèves nous disent “mais, ça se fait pas de blasphémer et de montrer le prophète” que faisons nous ? Est-ce qu’on leur dit de se taire et de regarder les caricatures sans bouger ? Ou est-ce qu’on tient compte de ces réticences pour construire un dispositif respectueux ? 

Il ya eu un débat sur le fait de savoir si le professeur avait bien fait de prévenir les élèves (et éventuellement de les inviter à sortir) pour tenir compte de leur sensibilité. Pour ma part, c’est la preuve que cet enseignant était bienveillant et soucieux de ses élèves. Ce qu’a montré aussi sa volonté d’apaisement après la polémique fabriquée de toutes pièces. Je rajoute, par ailleurs,  qu'affirmer qu'on ne peut pas questionner les pratiques enseignantes ne donne pas une bonne image des enseignants, même si c'est difficile à entendre dans cette crispation extrême. 

On a aussi parlé du risque d’”autocensure” pour les enseignants. C’est à mon sens, sinon un faux débat, du moins un débat bien mal posé. Il ne s’agit pas de transiger sur les valeurs mais de se questionner sur ses pratiques et les dispositifs que l’on met en place. S’interroger (collectivement c'est encore mieux) sur la  meilleure manière de faire passer une notion en tenant compte du contexte et des sensibilités n’est pas de l’auto-censure. Ça s’appelle de la pédagogie.

Nick Anderson parue dans Houston Chronicles 19 octobre 2012
On retrouve dans ces postures des débats politiques qui traversent la société française. On a longtemps parlé d’une laïcité ouverte par opposition à une laïcité de “combat”. Ces termes ne sont pas appropriés. Ils enferment dans des postures. Je refuse aussi le terme de “gauche bien pensante” qui est utilisé de manière péjorative. Il n’y a aucune complaisance à vouloir faire toujours, malgré tout, le pari de l’éducation, de la tolérance et du vivre ensemble. Ce ne sont pas des mots creux mais des valeurs qu’il nous faut plus que jamais porter.

PhWatrelot




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Post scriptum : c'est un peu décalé par rapport à la logique de mon texte mais on m'a reproché aussi de mettre en avant une "variable économique" dans l'explication.

D'abord je rappelle que mon texte initial n'était pas une analyse ni même une explication. J'avais bien pris soin de dire d'ailleurs que dans cet écrit, je me contentais de rappeler des choses déjà dites et qui n'étaient pas spécifiquement liées à l'évènement.Bien sûr, Conflans n'est pas un "quartier difficile"et ce n'est pas la dimension économique qui est l'explication principale. Rappelons toutefois que c'est moins net pour le meurtrier qui vivait dans une situation plus difficile.

Mais ce que j'écrivais ne doit pas être lu comme une explication mono-causale et directe. Je précisais que le sentiment de relégation était un terreau sur lequel prospérait cette idéologie. Je continue à le dire. Tous les français musulmans ne sont pas dans des quartiers difficiles et dans des situations de pauvreté. Heureusement. Mais il n'en reste pas moins que la discrimination est toujours une réalité vécue et même la stigmatisation. Et c'est ce ressenti sur lequel jouent les manipulateurs de l'islamisme radical.

Cette situation n'est pas neuve. je l'exprimais déjà en 2015. Si l'on veut lutter contre cela il faut rétablir la "promesse républicaine". Les enjeux de l'intégration et de la discrimination sont bien économiques et sociaux. Et, même si le discours islamiste a sa logique propre, ne pas répondre à ces questions ne fait que le renforcer.

samedi, octobre 17, 2020

Conflans

  

Samuel Paty, enseignant d’Histoire-Géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans Sainte-Honorine, a été décapité devant son établissement par un jeune de 18 ans. Cet acte a été revendiqué au nom de l’Islam.

L’enseignant était l’objet d’une polémique sur les réseaux sociaux depuis qu’il avait montré en classe des caricatures de Mahomet. Plusieurs personnes avaient même demandé à son administration qu’il soit sanctionné. 

 

C’est d’abord en tant qu’enseignant qu’il nous faut réagir pour dire à la fois notre compassion pour sa famille et ses proches et notre indignation devant ce qui s’est commis vendredi16 octobre. 

C’est aussi parce que nous sommes enseignants que nous devons réagir à ce qui est non seulement une intimidation et une menace mais aussi une atteinte à un des piliers de la République. 

 

Il est difficile à quelques heures de cet évènement d’aller beaucoup plus loin et de tirer des conclusions définitives comme le font pourtant certains. On peut toutefois rappeler quelques éléments qui sont malheureusement déjà ceux que nous pouvions énoncer il y a cinq ans. 

 

 

Ni déni, ni hystérisation. 

Il ne s’agit pas de nier la réalité des faits et de la menace. Mais il faut aussi se garder de tomber dans l’excès de la généralisation et de la métaphore guerrière. On doit continuer à penser que la très grande majorité de nos élèves n’adhère pas à ce discours de haine ou d’excuse de la violence. Il ne s’agit pas de « naïveté » comme le disent certains, mais de l’optimisme de la volonté, de la croyance dans la force de l’acte éducatif et de la fermeté de l’École dans la nécessité non seulement de transmettre mais aussi de faire vivre les valeurs de la République et de la démocratie. 

Tout comme, il ne faut rien céder sur la nécessité d’éduquer nos élèves à l’esprit critique, il n’y aurait rien de pire que de voir dans chaque élève, chaque parent, une menace potentielle. C’est ce que cherchent ceux qui promeuvent cette idéologie de mort. 

 

 

Territoire perdus ou territoires vivants ? 

Les va t-en guerre sont nombreux. On met en avant depuis plusieurs années des « atteintes à la laïcité » qui sont à prendre en considération et demandent des réponses mais qui ne sont pas non plus aussi importantes que certains le disent. 

Y a t-il des territoires perdus de la République ? Nous pensons qu’ils ne le sont pas tant que l’École est là pour montrer toute la confiance qu’il faut avoir dans cette jeunesse et agir pour la réussite de tous. Ces territoires sont bien vivants et sont riches de la diversité et de la tolérance qu’il faut construire patiemment. 

S’il y a des territoires perdus c’est surtout parce qu’on laissé des quartiers, des zones entières, s’enfermer dans un séparatisme qui est surtout social. La politique de la ville n’a jamais véritablement eu les moyens d’action suffisants. Le chômage et la précarité, encore renforcés dans la période actuelle, ne font qu’amplifier ce sentiment d’abandon. C’est sur ce terreau que prospèrent la violence, les fanatismes et le radicalisme musulman. Il y a aussi une réponse économique et sociale à apporter pour faire vivre la promesse républicaine. « La démocratie, ce n’est pas de reconnaitre des égaux mais d’en faire » disait Gambetta. 

 

 


Que peuvent les enseignants, les pédagogues ? 
Ceux ci sont en première ligne et quelquefois seuls. Bien souvent dans les quartiers, l’école reste un des derniers services publics et l’incarnation de l’État. 

Il  nous faut poursuivre notre mission éducative avec pédagogie et dans une réflexion collective. Il ne s’agit pas seulement d’inculquer les « valeurs de la République » comme une sorte de catéchisme républicain mais de les faire vivre au quotidien dans la classe et dans l’établissement. 

C’est le meilleur hommage que nous pouvons rendre à notre collègue sauvagement assassiné.


Philippe Watrelot

le 17 octobre 2020

 
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