lundi, mai 31, 2021

Pourquoi le grand oral aurait mérité d’être reporté

Plusieurs articles récents (Le Figaro, L’Express et d’autres...) se prononcent en faveur du maintien du grand oral. On y retrouve toujours la même idée : il s’agit d’une opportunité de développer une compétence importante ; il n’y a aucune raison de ne pas lancer cette idée cette année.

J’ai moi-même soutenu l’idée du grand oral au moment de l’annonce de la réforme du lycée (à la radio et sur les réseaux sociaux). Mais c’est justement parce que je pense que c’est une compétence essentielle qu’il ne faut pas galvauder sa mise en œuvre. Et que le bricolage actuel ne peut que pénaliser cette belle idée.


Rupture d’égalité

Pol Le Gall dans les Cahiers Pédagogiques en 2002

Il y a beaucoup de raisons de ne pas organiser le grand oral cette année.

D’abord, c’est une évidence : cette année n’a pas été une année normale. Beaucoup de lycées (c’est le cas de celui où je travaille) sont en « demi-jauge » depuis novembre. D’autres n’ont pas eu la même organisation. Certes, on peut se dire que les demi-groupes sont favorables au travail sur l’oral. Mais il faut également rappeler qu’on avance moins vite dans le programme dans ces conditions. Or, ce n’est que tardivement que les épreuves des enseignements de spécialités (supports des sujets de grand oral) de la mi-mars ont été annulées. Jusque-là, tout le monde était dans une sorte de course contre la montre pour finir un programme infaisable (et conçu avant la réforme du bac). On a donc des conditions très inégales sur le territoire, ce qui aboutit à une « rupture d’égalité » encore plus dommageable pour une nouvelle épreuve.

Cyril Delhaye, prof à Sciences Po et inspirateur du grand oral (et de sa grille d’évaluation), prône son maintien et argue que les enseignants ont été suffisamment formés pour y préparer leurs élèves. J’ai le plus grand respect pour les formateurs qui, à la demande des inspections, ont monté des formations cette année. Mais on ne peut pas dire que celles-ci, souvent tardives, soient suffisantes. Verticales, à distance, elles n’ont pas permis un réel échange entre collègues. Ces formations ont souvent plus relevé de l’explication que de l’appropriation. Une formation conséquente devrait se faire sur site dans la mutualisation et dans l’interdisciplinarité. Peu d’entre elles ont répondu à ce critère.


Vices cachés

Le vice majeur de ce grand oral n’est pas propre à cette première année et, à mon sens, il devra être résolu si on veut vraiment donner toute sa place à ce dispositif : il n’y a tout simplement pas de temps et de moyens dédiés à cette nouvelle épreuve. Celle-ci doit se préparer en plus d’un programme déjà surchargé. Le signal que l’Education nationale envoie n’est pas le bon : on vous dit que c’est une épreuve importante mais sa préparation repose sur la bonne volonté des profs dans une sorte de bricolage héroïque et en jonglant avec un programme démentiel !

Le diable est dans les détails, et la lecture approfondie des dispositions du grand oral a aussi révélé des défauts qui en pervertissent le sens.

• Pourquoi, par exemple, demander aux élèves de parler sans notes ? On peut bien sûr évaluer la prise de distance par rapport à celles-ci, mais rien ne justifiait le maintien de cette disposition.

• Pourquoi, encore, leur demander de parler de leur projet d’orientation pendant cinq minutes ? Qu’est-ce que ça apporte en plus, sinon de la discrimination et un stress superflu alors que les résultats de Parcoursup ne sont pas tous connus ?

• Quelle est la fonction de l’entretien avec les deux membres du jury ? Est-ce, comme on a cru le lire, un approfondissement du sujet abordé dans l’exposé ou est-ce un contrôle général de connaissances ? Les querelles byzantines sur l’interprétation du texte montrent qu’il y a une ambiguïté.

• Pourquoi deux sujets ? En fait, la vraie raison justifiant l’existence de deux sujets est économique. On ne peut pas organiser des jurys uniquement avec les doublettes de professeurs concernés. Mais au nom de cette contrainte, on aboutit à des sujets qui sont quelquefois difficiles à trouver pour certaines matières (les maths par exemple).


Sauver la face

Toutes ces remarques montrent que si l’idée est pertinente, sa mise en œuvre souffre de défauts liés à l’urgence et la précipitation (dictées par des impératifs électoraux) qui caractérisent toute cette réforme du lycée. Celle-ci devrait être aménagée. Mais cela supposerait qu’on entende la parole des acteurs que sont les enseignants (et les élèves). Or, l’écoute et la concertation ne semblent pas être le style de la maison…

Je me répète : je suis favorable au développement de la compétence « s’exprimer à l’oral ». On entend des arguments chez certains de mes collègues considérant que cela ne ferait que renforcer les inégalités car l’aisance à l’oral serait socialement déterminée. C’est vrai. Mais c’est justement parce que c’est un facteur d’injustice qu’il faut que l’école se donne les moyens de la combattre. Rien de pire que le fatalisme et le défaitisme.

Mais pas comme ça ! Pas sans moyens, et dans ce mélange d’injonction culpabilisatrice et de bricolage dans l’urgence.

Il serait faux de dire que cette compétence n’est jamais travaillée dans le système scolaire. Dès la maternelle, puis dans l’élémentaire, les professeurs des écoles font un travail important. De même, au collège, on retrouve des pratiques qui valorisent l’oral. Celui-ci trouve aussi sa place au brevet. Au lycée, on pourrait plus développer cette compétence, mais là encore, elle est déjà présente. Il suffirait de mieux inscrire cela dans un parcours cohérent, de se donner des moyens (humains, temps, formation…) pour en faire quelque chose de valable.


Le grand oral semble être avant tout une tentative de préserver un semblant de solennité à un simulacre de bac éparpillé façon puzzle

Mais est-ce vraiment l’objectif poursuivi par le ministre et les initiateurs de cette réforme ? On peut en douter. Le grand oral semble être (avec l’épreuve de philosophie) avant tout une tentative de préserver un semblant de solennité à un simulacre de bac éparpillé façon puzzle. Avec Parcoursup, les jeux sont déjà faits. Le grand oral permettra de faire de belles images pour le journal de 20 heures et permettra au ministre de parader dans les médias. Cela lui permettra aussi de cocher une case dans la liste des « réformes » réalisées durant le quinquennat. Mais à quel prix ?

Ce ministre, à l’instar de tout le gouvernement, a un vrai problème de gouvernance. Il fonctionne à marche forcée, sans tenir compte de l’avis des personnes concernées. Certains pourraient dire que les profs sont constamment en train de râler, toujours contre tout et qu’il faut donc les forcer un peu. Mais, on le sait, cette méthode a ses limites. Elle crée du ressentiment et le sentiment de mal faire son travail.


Le volontarisme sans moyens reposant sur la culpabilisation et l’appel au sens du service public pour le bien des élèves est une impasse. Elle conduit au cynisme : « à quoi bon, se dévouer pour les élèves, si c’est pour être déconsidéré et que votre travail ne soit pas reconnu ? », seront tentés de se dire les enseignants.

Cette impasse peut détourner durablement une partie importante des enseignants de la nécessaire transformation de l’école. Jean-Michel Blanquer en portera alors une grande responsabilité.



Cet article a été publié pour la première fois sur le site d'Alternatives économiques le 21 mai 2021

lundi, mai 10, 2021

𝐋𝐞 𝟏𝟎 𝐦𝐚𝐢 𝟏𝟗𝟖𝟏, 𝐣’𝐚𝐢 𝟐𝟏 𝐚𝐧𝐬...

Le 1o mai 1981, j'ai 21 ans et je viens de passer les écrits du CAPES de SES. J’attends les résultats de l’admissibilité avec impatience. Et tout aussi impatiemment, j’attends ce soir là, les résultats de l’élection présidentielle. 

J’habite encore chez mes parents à Savigny sur Orge  et je suis donc allé voter à quelques rues de la maison. Le bureau de vote est installé dans l’école maternelle Aristide Briand, (avenue Joyeuse !) là même où j’ai été élève. Il m’a fallu trois pas pour traverser la cour, alors qu’elle me paraissait gigantesque lorsque j’avais six ans. Je restai souvent dans le même coin, n’osant pas m’aventurer trop loin. 

La journée s’est passée tranquillement mais on sent quand même une tension. On est dans l’attente et on s’interdit de dire, par superstition peut-être, que le changement est possible. Mais on y pense secrètement. 

« il est vingt heures...»

A 20h, tout le monde est devant le poste de télévision. Nous essayons de deviner les résultats en scrutant le visage de Jean-Pierre Elkabach. Et puis cette image pixélisée apparait à l’écran. Le suspense est total car le haut des deux crânes est à peu près semblable ! 

Et puis le bas du visage arrive et avec lui, la certitude : ça y est, c’est arrivé ! 

La gauche l’a emporté et avec elle l’espoir après toutes ces années d’immobilisme et d’inégalités. Le voisin d’en face arrive avec une bouteille. On trinque et on se réjouit. J’entends à la radio qu’une grande fête animée par Claude Villers se prépare, place de la Bastille. J’hésite et finalement je décide de ne pas y aller. Trop compliqué pour le banlieusard que je suis. Je le regretterai et je serai présent quelques jours après, Place du Panthéon tout près de l’université Paris I. Je me souviens du mélange de joie et d’intensité dans cette cérémonie. Tous ceux qui allaient occuper des postes de responsabilité étaient rassemblés et semblaient  déjà bien conscients des difficultés qui les attendaient. 

Il est difficile de se remémorer ces souvenirs vieux de quarante ans sans penser aux désillusions, aux renoncements, aux espoirs trahis. 

Mais de ce jour là, je veux surtout retenir la possibilité de l’union et la certitude que la lutte contre les inégalités, le progressisme, les droits humains peuvent progresser quand on s’en donne les moyens. 

Je dis souvent que j’ai eu le CAPES grâce à Mitterrand... Ça mérite une explication. Il y avait cette année là 25 postes au Capes de SES. Déjà, dans la prépa à Sciences Po, nous commencions à nous regarder de travers ! Et puis quelques semaines avant les élections, Giscard à annoncé une (petite)  augmentation des postes aux concours d’enseignement : nous sommes passés de  25 à 30. 

Et puis, une des premières mesures du gouvernement Mauroy a été de doubler les postes aux concours d’enseignement. Quelques jours après, j’ai passé l’admissibilité et j’ai été admis 36ème  (sur 60). 

Dans mon histoire personnelle, outre la dimension politique que toute ma génération a en partage, cette date est donc associée à mon entrée dans ce métier que j’exerce toujours aujourd’hui. C’est aussi d’une certaine manière ma véritable entrée dans ma vie d’adulte avec le départ du domicile parental et de nouvelles responsabilités. 

Le Ministre qui fut nommé à l ‘éducation n’était pas prof et ce fut pourtant (ou à cause de cela) un des meilleurs qu’on ait eu. Alain Savary a mis en place l’éducation prioritaire, permis la création des lycées expérimentaux, donné des moyens à la formation continue avec un dispositif (les Mafpen) dont on pourrait encore s’inspirer aujourd’hui. Je me souviens de l’élan d’innovation et des discussions de ces années là. Il est « tombé » à cause de  l’école privée et c’est aussi un symbole.  Son remplacement par Jean-Pierre Chevenement est aussi lourd de sens puisque avec le conservatisme de ce dernier on a vu se cristalliser un débat et des tensions qui traversent toujours la question scolaire aujourd’hui. 

C’était il y a quarante ans, c’était hier...

 
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