lundi, septembre 30, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 septembre 2013



- Malheur français - Réformer- Rythmes et blues - Roms – Chemin de l’école -



Un bloc notes moins énervé que la semaine dernière. On revient sur le “malheur français” avec une interview d’une économiste qui s’intéresse à ce sujet et au rôle de l’école dans cette construction. Une autre interview, celle d’Antoine Prost, va nous servir de point de départ à une réflexion sur la capacité de changement de l’École. On dira aussi quelques mots des rythmes, des Roms et on finira par une chronique cinéma…



Le malheur français
La France est un pays malheureux. Dans tous les classements internationaux, les Français voient la vie en gris. La probabilité qu'un Français se dise "très heureux" est ainsi inférieure de 20% à la moyenne des citoyens européens. L'économiste Claudia Sénik dans un article paru en avril 2013, étudie les "importantes variations internationales en matière de bien-être auto- déclaré". Elle observe que la dimension culturelle est importante dans cette perception (ou non...) du bonheur . Elle fait l'hypothèse que l’école joue un rôle important dans la formation de ces attitudes mentales.
Elle est interviewée dans Le Nouvel Obs : “[...] il est culturellement mal considéré en France de paraître trop optimiste : on se moque beaucoup des Américains souriants et de leurs "That's great ! Wonderful !", parce que nous sommes la civilisation du doute et de l'esprit critique. [...] L'école est censée valoriser les compétences les plus diverses : le raisonnement logique, la créativité, la capacité à entreprendre, à travailler en équipe... Or, l'école française sélectionne sur un nombre très restreint de qualités - en gros, le français et les mathématiques. Elle sélectionne par l'échec une élite trop étroite. Et son système de notation est probablement plus sévère que chez nos voisins. Les petits Français devenus adultes n'ont guère développé l'estime d'eux-mêmes s'ils ont plafonné à 10 ou 12 durant toute leur scolarité... ”.
Certes, cette économiste n’est pas une pédagogue et confond allègrement disciplines et compétences. Mais il n’en reste pas moins que son intuition sur le rôle de l’École dans la fabrication du “malheur français” mérite d’être entendue. Et la notation n’est que le reflet d’un système éducatif construit pour sélectionner et pour créer de l'émulation. Il y a donc une culture de la note et plus encore l’idée que l’évaluation est associée à la sélection. Et la sélection produit l’échec à tous les niveaux et se vit sur le mode du manque. Elle ne conduit pas, en tout cas, à une bonne estime de soi.
Autre facteur connexe qui conduit au malheur français : l’ « esprit de critique » poussé à l’extrême combiné à la peur de l’échec. Je déplorais la semaine dernière l’absence de culture du “work in progress” et la difficulté à accepter les ajustements. C’est peut-être à rapprocher aussi du constat que dans les enquêtes PISA, les petits français sont les champions de la non-réponse : ils préfèrent ne rien mettre que de commettre une erreur…
Toute ressemblance avec un système éducatif à réformer serait purement fortuite…

Réformer
Dans Libération, une interview du grand historien de l’Éducation Antoine Prost nous donne à réfléchir. Signalons avant d’aller plus loin que cet entretien annonce la parution prochaine d’un livre “Du changement dans l’école” (Seuil), où il analyse la longue histoire des réformes, plus ou moins réussies, dans l’Education nationale. Ce livre sera le prochain “livre du mois” des Cahiers Pédagogiques.
Que dit ce grand expert du système ? D’abord que depuis très longtemps l’éducation nationale ne cesse de se réformer. Mais, souligne t-il, “nous avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. En d’autres termes, le temps pédagogique n’est pas celui du politique. Songeons que les premiers effets des modifications de programmes ne se voient au minimum qu’au bout d’une décennie. Mais Antoine Prost nous indique aussi que certains changements se font sans “réforme” simplement parce qu’il y a une sorte de consensus et que tout le monde ou presque s’en empare.
C’est d’ailleurs là que se situe la condition première de réussite des réformes. Et cela signifie aussi que la plus difficile à réaliser est la réforme de la pédagogie. “L’enseignement se joue dans le quotidien des classes, et pas dans les couloirs du ministère ou des rectorats. On ne peut pas le changer par en haut. Les gens se modifient eux-mêmes ou ils ne changent pas. Pour que la réforme soit acceptée, il faut qu’elle vienne des profs. Ce qui est surprenant ici, c’est l’écart entre le discours public et le discours privé. Il y a une quantité de professeurs qui font des choses très innovantes, qui se décarcassent, inventent, se passionnent. Alors que le discours public est plutôt de dire : ça va mal, on nous méprise, on ne peut rien faire, on manque de moyens. Un discours de la plainte.
Cette remarquable citation d’A. Prost résonne particulièrement après notre couplet précédent sur “le malheur français”. La déploration est en effet un mal français qui souvent pollue le débat et empêche d’avancer. Mais je retire de mon expérience d’enseignant et de militant pédagogique, qu’il faut en effet distinguer le discours des enseignants forgé sur une représentation idéalisée et mythifiée du métier et la réalité des pratiques de ces mêmes enseignants qui, elles, sont le produit des circonstances et de la nécessité. En d’autre termes, méfions nous des discours et des “postures” et attachons nous à accompagner les enseignants dans l’évolution constante de leurs pratiques. C’est notamment le rôle des mouvements pédagogiques et d’une revue comme la nôtre.
Dans l’opinion publique et les médias, on a d’ailleurs souvent présenté les enseignants français comme rétifs au changement, conservateurs et peu enclins à faire évoluer leur pratique. Et dans les politiques éducatives menées ces dernières années, c’est la méfiance qui a prévalu. Elle se fonde sur cette représentation et aboutit à une volonté de vouloir faire passer “en force” des réformes en s’appuyant sur les cadres intermédiaires (chefs d’établissement, inspecteurs,…). Antoine Prost nous dit aussi que la solution du changement est dans l’ “empowerement” des enseignants bien plus que dans leur stricte obéissance à des injonctions venues. C’est un changement de perspective important à faire pour le management, comme nous le dit aussi Hervé Hamon dans une tribune parue dans le dernier n° des Cahiers Pédagogiques
Réforme ? Vous avez dit réforme ? . Philippe Meirieu cite souvent cette phrase : “L’École fait des réformes, la médecine fait des progrès”. Que vaut-il mieux ? des réformes ou des progrès réels ? Le mot réforme est en plus générateur d’effet pervers car cela suppose que ce qui était fait avant n’était pas bien et cela crée évidemment des résistances. Pire encore, dans un métier où l’on se met en “je” et où la dimension personnelle et affective est très forte dans la construction de l’identité professionnelle, la réforme est vécue alors comme la remise en cause de son propre travail sinon de sa propre personne. On peut rajouter aussi que dans la culture anti-autoritaire des enseignants, il y a une réticence à obéir aux injonctions. Alors qu’on fera spontanément la même chose… La métaphore citée plus haut nous interpelle aussi sur la manière de faire des progrès. Pour progresser, la médecine s’appuie sur les savoirs partagés la diffusion et la capitalisation des innovations. Or, dans l’éducation nationale, malgré des progrès dans la mutualisation des supports de cours il y a encore une réelle difficulté à diffuser les innovations et à analyser et évaluer les dispositifs mis en place. Il y a du boulot pour une revue professionnelle des enseignants…

Rythmes et blues…
La semaine écoulée a été marquée par une certaine escalade dans la polémique sur la réforme des rythmes scolaires. Jusque là, celle-ci semblait se limiter à la sphère éducative et syndicale. Mais avec les déclarations de Jean-François Copé, le président de l’UMP, elle a pris un tour politique. Comme nous l’évoquions dans une des revues de presse, celui-ci a demandé le report du passage à la semaine de 4,5 jours et a appelé les mairies UMP à faire la grève des nouveaux rythmes scolaires en 2014… année des élections municipales. Des seconds couteaux de l’UMP comme Jean-Michel Fourgous dans les Échos, lui emboite le pas. L’enjeu pour l’UMP est donc clairement de faire de cette réforme un des enjeux des prochaines municipales. Sûrement dans l’intérêt de l’enfant…
Marie-Caroline Missir dans un article de l’Express.fr considère qu’il s’agit en la matière d’une forme d’amnésie collective et de manipulation de l’opinion. Et elle met dans le même sac, l’UMP mais aussi les syndicats d’enseignants et les fédérations de parents d’élèves. Elle s’interroge “Qui a commandé dès 2011 un rapport d'expert sur les rythmes scolaires, concluant à la nécessité retour à la semaine de 4 jours et demi? La droite, en la personne du ministre Luc Chatel, bras droit de... Jean-François Copé. Qui a installé une conférence nationale des rythmes scolaires, plaidant pour un rééquilibrage de la semaine en primaire, unaniment salué par les syndicats? Encore Luc Chatel. ”. L’instituteur blogueur fait le même constat dans un billet récent où il affirme que l’UMP est “doublement à l’origine de la réforme ”. D’abord parce que c’est “ l’UMP, alors au pouvoir, qui a décidé via Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, de supprimer l’école le samedi matin en 2008, sans concertation et au mépris de toutes les recommandations, sans penser une seconde aux conséquences en classe (quatre jours de classe surchargés en raison de programmes inchangés…), sans surtout songer à l’intérêt des élèves. ”. Ensuite parce que Chatel a engagé des concertations pour la rétablir mais qu’il n’a pas eu le courage politique d’aller au bout.
Des concertations qui étaient assez unanimes. Marie-Caroline Missir rappelle que les syndicats présents dans les différentes instances étaient tous d’accord pour le retour à la semaine de quatre jours et demi. Elle rappelle au passage que 2014 n’est pas seulement une année d’élections municipales mais aussi d’élections professionnelles pour les enseignants. Décidemment, le calendrier éducatif ne coincide pas avec l’agenda syndicalo-politique et on comprend mieux la volonté initiale de Vincent Peillon d’installer cette réforme rapidement. Raté…
Revenons à Jean-François Copé. Pour Lucien Marboeuf, “Copé se contrefout des élèves, se contrefout de l’école, se contrefout du contenu de la réforme, ce qui l’intéresse est le levier qu’elle peut constituer pour faire campagne en 2014. […] Son appel à la "grève" ne critique rien, n’argumente pas, ne construit rien, n’apporte rien. Une fois de plus, l’UMP s’empare d’une question d’éducation sous le seul angle de son coût (quitte à manipuler les chiffres) et perd une occasion de montrer qu’elle s’intéresse vraiment à l’école.”. La manipulation des chiffres, elle se vérifie avec un article “détecteur de mensonges” du JDD.fr . Un problème avec les “fondamentaux” ?
Avec une opinion et des médias si prompts à juger d’une politique, l’irruption de cette critique partisane ajoute de la confusion. On ne peut nier qu’il y ait des problèmes et que cela nécessite des ajustements mais cela mérite t-il cette radicalisation des positions ? D’une certaine manière, la politisation brouille le message des professionnels qui s’inquiètent sincèrement de la mise en œuvre de cette réforme. Pour certains, face à cet emballement, il y a de quoi avoir le blues…
Va t-il rester de la place pour la critique ?s’interroge Lucien Marboeuf. En “clivant” le débat et donc en le figeant, on rentre dans une logique binaire : “Pour” ou “Contre” peu propice à la nuance. Paradoxalement, on peut se demander si JF Copé n’est pas en train de rendre service à Vincent Peillon…

Roms
Tout enfant est éducable, nul peuple n'est délinquant ou marginal par nature”, a affirmé la ministre George Pau-Langevin lors d’un colloque récent sur la question de l’intégration des Roms organisé par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement. Elle a également assuré que la France saurait relever le défi de l'intégration de “ ces nouveaux déshérités”, à condition que “ les efforts so(ient) justement répartis dans notre pays et à travers les différents pays d'Europe.”.
On trouve la même tonalité dans un article du Nouvel Obs.fr . Marilisa Fantacci, coordinatrice du collectif Romeurope, veut briser un stéréotype : “ A une écrasante majorité, les parents roms veulent offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Et ils savent que cet avenir passe par l’école.” Le problème, selon elle, est que les communes sont nombreuses à refuser de scolariser ces enfants. “ Nombre d’entre elles affirment qu’elles ne peuvent le faire parce que les familles ne sont pas domiciliées sur la commune, mais c’est un faux prétexte”, tranche Marilisa Fantacci. “ Tout ce que le loi réclame aux familles est un document d’identité et un carnet de vaccination à jour.
Même tonalité chez Véronique Decker, directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui accueille une petite quarantaine d’enfants. “ On essaie de faire croire qu’il existe une spécificité rom et qu’il n’auraient pas la vocation d’apprendre à l’école, cela n’a pas de sens ! Bien sûr que ces enfants ont des difficultés scolaires importantes, bien sûr que le suivi parental est parfois défaillant, mais pas plus que chez les familles africaines dans les années 70 et 80 ou dans les bidonvilles qui accueillaient les Portugais. C’est une question sociale, pas ethnique !
Signalons pour alimenter la réflexion sur ce thème que les Cahiers Pédagogiques ont produit, sous la coordination de Régis Guyon et de Michaël Rigolot, un hors-série numérique “À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs . Sur notre site, vous pourrez aussi voir des témoignages vidéos d’enfants et de parents sur leurs rapports avec l’école. Des outils de compréhension et d’analyse pour dépasser les clichés et les réponses simplistes à une situation complexe.

Sur le chemin de l'école
Nous avons parlé dans la revue de presse de Mercredi du film "sur le chemin de l'école" . Dans un article paru dans Slate.fr la journaliste Louise Tourret (Rue des Écoles sur France Culture) porte un regard mitigé sur ce documentaire. Si elle a versé sa petite larme en regardant “ sur le chemin de l'école” elle trouve aussi des limites à ce film qui “ tient sur une seule intention de réalisation: «spectaculariser» la motivation de ces enfants à apprendre. Il ne dit rien d’autre et rien de plus.”. Elle s’étonne aussi qu’on voie si peu les parents et même le fonctionnement des écoles elles-mêmes.
Mais de cette critique je retiens surtout la chute : “ En revanche Zahira, Carlos, Samuel et Jackson possèdent quelque chose de très précieux, à l’inverse des Français, y compris des plus jeunes: ils pensent que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. ”.
Nous revoilà avec le “malheur français…!

Mais que cela ne m’empêche pas de vous souhaiter une bonne semaine et une bonne Lecture...



Philippe Watrelot

samedi, septembre 21, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 16 au 22 septembre 2013



Programmes - Couacs ou ajustements ? – Ma classe, ma maison - Méditons -

Le bloc notes de la semaine est un peu énervé… Désolé pour ceux que ça va agacer. Les sujets d’énervements sont nombreux : la consultation sur les programmes du primaire, le débat “pédagogues” vs “républicains”, la réforme des rythmes scolaires, …
Heureusement pour se calmer, on peut se livrer à la méditation.



Les programmes : fausses ou vraies querelles ?
Pour Marie-Estelle Pech, du Figaro, Peillon rallume la guerre des programmes" (même si je sais bien que les titres ne sont pas choisis par les journalistes).
La période qui vient est en effet marquée par la consultation des enseignants du primaire sur les programmes scolaires. Mais il va y avoir aussi prochainement la mise en place du Conseil Supérieur des Programmes. Il sera composé de trois députés, trois sénateurs, de deux membres du conseil économique, social et environnemental et de dix personnalités qualifiées nommées par Vincent Peillon. «Un sujet comme les programmes peut mettre les gens dans la rue», aurait déclaré Vincent Peillon à ses recteurs lors de leur réunion de rentrée. Et la journaliste du Figaro de renchérir en considérant que cela risquerait de rallumer les “vieilles querelles entre les «pédagogistes» et les «Républicains» ”.
Premier énervement. Chère Marie-Estelle Pech, si vous voulez agacer inutilement (et décevoir) les enseignants comme moi qui vous lisent en trouvant que vous avez un avis mesuré dans un journal qui ne l'est pas toujours, continuez à utiliser le terme de "pédagogiste”.... Ce terme, très connoté, a été utilisé jusqu’à la corde par certains polémistes qui ne sont pas plus (et pas moins) républicains que le supposé “camp” adverse. La terminaison en “iste”, ça sent le sectaire, l’intégriste… et c’est évidemment péjoratif. Pour dépasser les querelles, il faudrait peut-être commencer déjà par ne pas disqualifier et caricaturer les positions.
Ce n’est pas l’interview de Jean-Rémi Girard qui va arranger les choses. Le président du SNALC interviewé par Le Figaro déclare en titre «L'idée suivant laquelle l'élève “construit son propre savoir” est absurde» (on va faire, là aussi, l’hypothèse qu’il n’est pas responsable du titre). Mais la suite de l’entretien ne laisse pas de doutes sur l’analyse de ce syndicaliste qui se déclare “apolitique” : “Nous estimons que les programmes Darcos, mis en place à l'école primaire en 2008, sont de qualité, simples et lisibles, même s'ils sont un peu optimistes. Dans cette lignée, nous attendons un recentrage sur les fondamentaux, l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul, conditions d'une scolarité réussie. ” Et il s’insurge contre ce qu’il appelle la “folie des compétences ”. Et il poursuit “Plus généralement, nous défendons la notion de construction ordonnée du savoir, de progressivité dans les enseignements et de chronologie en toute chose. Dans le second degré, on accuse les «républicains» d'être les partisans d'un cours magistral ne laissant pas place à l'interaction. Ce n'est pas le cas. Nous pensons simplement que le rôle du professeur est de transmettre les connaissances, et non de laisser les élèves se débrouiller face à des «tâches complexes», lors de «mises en activités», selon le vocabulaire pédagogiste.
Second énervement lorssque la caricature peut conduire, si l'on n'y prend garde, à la malhonnêteté. Où a-t-on vu ou lu qu’il faut laisser les élèves “se débrouiller” ? Où a t-on vu que l’élève construisait ses savoirs dans une sorte de spontanéisme naïf et un “laisser-faire” imbécile ? La pédagogie constructiviste c’est exactement l’inverse ! On apprend mieux lorsqu’on est acteur et non passif. Rendre l’élève acteur dans ses apprentissages ne signifie pas qu’on le laisse seul, bien au contraire. Il s’agit de l’encadrer et de l’accompagner bien plus encore que dans la pédagogie dite traditionnelle où on semble se préoccuper assez peu de la réception par les élèves des connaissances que les enseignants leur déversent. Il est d’ailleurs assez surprenant que l’on qualifie de « pédagogie explicite », ces nouveaux habits de la pédagogie traditionnelle en laissant entendre que le travail par compétences serait fondé sur l’implicite. C’est tout le contraire puisqu’il s’agit d’identifier le plus clairement possible ce qui est attendu de l’élève. Il y a quelque chose qui m’échappe…
On peut aussi s’énerver contre cette expression usée jusqu’à la corde de “fondamentaux”. Il y aurait alors des savoirs incontournables et d’autres qui seraient secondaires et inventés par des pédagogues fous pour faire perdre du temps et faire intentionnellement baisser le “niveau” ? Bien sûr, lire, écrire, compter sont essentiels mais on sait aussi que ce qui engage dans les apprentissages c’est lorsque cela fait sens et qu’il y a un projet. Par exemple, on sait que l’on apprend mieux à lire lorsqu’on comprend que c’est nécessaire pour écrire et pour communiquer. Il ne suffit pas d’apprendre par cœur pour que ce soit compris, durable et efficace…
Comme nous l’évoquions plus haut si Le Figaro produit tout un dossier sur les programmes c’est parce que le sujet va être à l’ordre du jour avec la désignation des membres du Conseil Supérieur des Programmes.. Espérons que la désignation de ses membres ne succombera pas à la tentation de la médiatisation et de la politisation et que le critère de désignation sera d’abord la compétence avant la renommée médiatique.
Par ailleurs, débute lundi, une consultation des professeurs des écoles sur une évolution des programmes du primaire. Dans sa chronique sur France Info du 17 décembre dernier, Emmanuel Davidenkoff nous rappelle que ce serait alors la troisième réforme en dix ans. Il nous précise aussi la méthode : il s’agit d’une première consultation avec transmission de la synthèse au futur Conseil supérieur des programmes (CSP). Puis deuxième consultation, cette fois sur la base des propositions de ce Conseil, pour application à partir de la rentrée 2014. Autre motif d’énervement : on voit fleurir ici ou là des protestations chez certains enseignants. Il s’agirait d’une “fausse consultation” où les jeux seraient déjà faits et où on discuterait dans le vide et où les enseignants seraient les “dindons” de la farce. Que n’aurait-on entendu s’il avait fallu discuter sur la base d’un texte ? Et a t-on entendu de telles protestations (à part celles des “désobéisseurs” qui, eux, ont été cohérents) lorsque les programmes de 2008 élaborés vraiment en catimini ont été imposés aux enseignants ? Pas un seul “glouglou” de protestation…

“Couacs” ou ajustements ?
Plusieurs articles récents ont été également consacrés à la réforme des rythmes et à la (re)mise en place de la semaine de 4,5 jours. Un article de la Gazette des communes titre sur les “Premiers « couacs » pour les nouveaux rythmes scolaires”. Dans Libération , on essaye aussi de faire le bilan trois semaines après la rentrée. Un autre article paru dans 20 minutes rend compte de la réception de la réforme par la deuxième fédération de parents d’élèves. Selon une enquête réalisée par la fédération des parents d'élèves PEEP à laquelle ont répondu 6.479 adhérents, deux tiers des parents interrogés (68%) ne pensent pas que la réforme des rythmes permettra aux élèves de mieux réussir à l'école.
Toutes ces critiques si rapides et ces jugements si définitifs provoquent un autre motif d’énervement. Sont-ce des “couacs" ou des ajustements ? En d 'autres termes, est-on capable en France de concevoir le “work in progress" ? Peut-on s’accommoder dans notre culture française d’une situation où tout n’est pas parfait lorsqu’on met en place un dispositif ? Peut-on aussi admettre que l’égalitarisme républicain ne soit pas immédiat et que si cette mise en place provoque des inégalités, elle peut aussi générer de l’émulation entre les communes grâce à la comparaison faite par les citoyens-électeurs ? Si l'on attend que tout soit parfait et égal pour tous pour se décider à faire, on accumule de tels préalables que ça s'apparente, au final, à une forme de procrastination collective… et on ne fait rien…

“Ma” classe, ma maison
Dans Libération du 20 septembre, on pourra lire un article pas si anecdotique que cela. La journaliste constate qu’avec la réforme des temps scolaires, certains enseignants sont obligés de laisser leur salle pour les activités périscolaires.Dans les écoles exiguës, en effet, la mairie a «réquisitionné» les salles de classe. Les enseignants sont alors priés de céder leur classe aux personnels de la ville soit le temps du midi, soit l’après-midi. Et cela n’est pas si évident. Elle note que les professeurs des écoles font parfois un lapsus : en parlant de leur salle de classe, ils disent «ma chambre», tant ils ont un attachement particulier à ce lieu qui représente beaucoup plus qu’un bureau. Dans ce reportage, trois instituteurs racontent le lien particulier qu'ils entretiennent avec leur salle de classe. On y lit un attachement très fort et un rapport presque intime avec ce lieu où on passe tant de temps. A tel point qu’on a du mal à y faire rentrer des personnes “extérieures”.
On peut s’interroger sur ce métier vécu sur un mode si “intime” et si individuel. Et le voir comme un frein au travail en équipe, à la co-intervention, et au final à l’évolution du système éducatif. C’est d’ailleurs à rapprocher du fait que, bien souvent, dans ce métier où on se met autant en “je” on en arrive à confondre sa personnalité et ses gestes professionnels. Et on en vient alors à considérer toute volonté de réforme comme une remise en cause de son propre travail et une critique de sa personne. Ce qui limite, on en conviendra, la capacité à avoir une analyse critique du système éducatif. Or, il faut le redire, on peut très bien, faire son métier le mieux possible dans un système qui dysfonctionne…

Oooooom…..
Mais ne nous énervons pas plus… C’est mauvais pour la santé. Dans une interview au Huffington Post , le moine bouddhiste proche du Dalaï Lama, Mathieu Ricard milite en faveur de la méditation. “Il faudrait enseigner la méditation, sous un autre nom, dès la maternelle et de manière totalement laïque et enlever totalement le label bouddhiste. La méditation, c'est vraiment une technique. Depuis 30 ans, le médecin John Kabat Zinn enseigne la réduction du stress grâce à la méditation de pleine conscience dans 300 hôpitaux aux États-Unis. C'est venu du bouddhisme, c'est maintenant totalement laïc. ”. Et il précise : “En dix semaines, grâce à trois séances de 30 minutes de méditation par semaine, on a réussi à stimuler les comportements pro-sociaux et altruistes chez les enfants. Les résultats sont incroyables.”.
Respirons profondément… et remplissons nous d’altruisme. Même envers les anti-pédagos et les conservateurs de tous poils…

Oooommmmm….
Bonne lecture….


Philippe Watrelot

dimanche, septembre 15, 2013

Bloc notes de la semaine du 9 au 15 septembre 2013

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Le niveau monte (en CP) - Ultralibéral et réactionnaire, rigide et mou – Séance de rattrapage – Moi, Albert Jacquard, ministre de l’éducation -



Le bloc-notes de cette fin de deuxième semaine de cours revient sur quelques informations évoquées les jours précédents. C’est le cas de l’annonce de cette hausse inédite du niveau en Maternelle qui oblige le Ministre à réagir. La convention “éducation” de l’UMP suscite, elle aussi quelques commentaires. Ne reculant devant aucun sacrifice, la revue de presse propose également une séance de rattrapage en signalant quelques articles remarquables parus avant la reprise. Et on finit avec un hommage à Albert Jacquard avec un texte où il parle d’éducation.


En CP, le niveau monte
Vincent Peillon réagit dans une interview au journal Le Monde à l’enquête de la DEPP qui constate que le niveau des élèves entrés en CP a fortement progressé entre 1997 et 2011. Comme le souligne , Marie-Caroline Missir, dans l’Express s'il faut se réjouir de tels résultats pour un système éducatif plutôt habitué à la baisse du niveau, cela peut être aussi utilisé sur un plan politique comme un argument pour justifier la politique menée par la droite durant les années précédentes. Cette étude, se demande la journaliste, peut-elle remettre en cause les projets du ministre, qui entend réformer les programmes de la maternelle au lycée ?
Le Ministre lui répond indirectement : “Il y a toujours eu, dans l'histoire de la maternelle, une tension entre deux logiques, qui sont aussi deux excès à éviter. Le premier est de rentrer, dès la grande section, dans les apprentissages plutôt que de les préparer – une tendance à la " primarisation " sur laquelle le rapport des inspections générales de l'éducation nationale divulgué en mai 2012 a attiré l'attention. Le second est de ne pas considérer la maternelle comme une école à part entière, de la réduire à un espace dédié au jeu, sans lien avec la préparation des apprentissages ; une garderie améliorée. Si l'école maternelle a vu ses résultats progresser, un déséquilibre s'est instauré au profit de la première logique ces toutes dernières années. Il faut donc restituer à cette école son équilibre, car elle seule est adaptée aux besoins des jeunes enfants, sans renoncer aux apprentissages indispensables pour donner plus de chances de réussir à ceux qui en ont à priori moins. C'est ce point d'équilibre qu'il faut atteindre et maintenir”.
Et le ministre ajoute une annonce “Pour y parvenir, la maternelle va être réorganisée en un cycle unique - celui des "apprentissages premiers", liant petite, moyenne et grande sections -, effectif dès la rentrée 2014.”.
Il y a du travail pour le futur Conseil Supérieur des Programmes (qui devrait être connu dans une quinzaine de jours).

Ultralibéral et réactionnaire, rigide et mou
Pour Lionel Jeanjeau dans la revue de presse du vendredi 13 septembre , la convention UMP sur l’éducation a eu une “faible couverture médiatique”. C’est tant mieux. Mais il faut cependant signaler quelques billets qui reviennent à leur manière sur ces propositions.
Dans son blog, sur Médiapart, l’historien de l’éducation, Claude Lelièvre qualifie ces propositions de “radicalisation ultralibérale et réactionnaire ”, qui, de surcroît, nie plus de cinquante ans d’histoire. Avec le « chèque éducation », on est dans la droite ligne de la proposition de l'ultra-libéral Alain Madelin énoncée dès 1984 (et qui avait été toujours refusée jusqu'ici par ceux qui se présentent comme des héritiers du ''gaullisme''). Notre ami rappelle aussi que c'est le général de Gaulle qui institua la carte scolaire et initia ce qui allait devenir le collège unique …
Le très productif Claude Lelièvre continue ses piques contre la droite avec un autre billet publié cette fois-ci dans L’Express. Et dans ce texte, il constate que si la droite a reproché à Vincent Peillon de n'avoir pas abordé la question du statut des enseignants avec la loi sur la refondation, cette même droite s'est bien gardée d'aborder ce sujet lorsqu'elle était au pouvoir. Et on notera d’ailleurs que le ministre a inscrit ce sujet à son agenda de l’année. Bon courage…
A propos du programme de la droite pour l’École, je voudrais signaler un texte de Mara Goyet sur son blog hébergé par Le Monde . Beaucoup de “pédagogues” ont une prévention de départ à l’égard de Mara Goyet. Mais il semble qu’il y ait eu du chemin parcouru depuis le détestable “Collège de France”. Dans ce billet intitulé “Rigide et mou”, elle s’en prend, elle aussi, aux propositions de l’UMP : “L'examen d'entrée en 6ème ? Géniale idée qui sent bon la guillotine précoce, le tri, la décharge municipale. Comment osent-ils nous faire ce coup-là à l'UMP ? Un fantasme sénile, une solution débile : quand on se retrouvera avec des enfants de 14 ans en CM2, on sera bien avancé. Quand on aura des élèves en pagaille qui finiront dans des voies de garage, on aura tout gagné. Je reviens toujours à cette distinction de Péguy : il faut être ferme et souple, pas rigide et mou.”. Et elle poursuit avec beaucoup d’ironie et d’humour : “L'avantage des propositions rigides et molles c'est qu'elles peuvent être multipliées à l'infini. Copie mal présentée, main coupée. Tout élève qui, désormais, bavardera sera privé de récréation pour deux mois et nettoiera les toilettes avec sa brosse à dents. Tout élève qui oubliera son cahier trois fois, devra, encadré par deux ours, débiter un arbre, confectionner de la pâte à papier et en faire un cahier afin de comprendre l'importance du matériel scolaire. Tout élève qui n'aura pas deux mille mots de vocabulaire en grande section restera en maternelle à vie, assis sur une chaise minuscule, encadré par deux peluches. Tout élève qui fera preuve d'insolence participera, seul, à une opération à terre en Syrie. Tout parent qui sera dépassé par ses enfants paiera deux fois plus d’impôts et devra participer à un stage de rééducation parentale encadré par l'armée. Toute fille en mini-short sera dans l'obligation de porter une burqa pendant deux jours puis sera exclue de l'établissement pour port de signe religieux. Toute note en dessous de la moyenne sera punie d'une exclusion de cours de huit jours. Tout le monde aura les pleins pouvoirs (profs, surveillants, chefs d'établissements) mais certains auront plus les pleins pouvoirs que d'autres. On peut continuer longtemps comme ça... « La raideur permet tout, ne signale rien » écrivait Péguy
Si l’on veut se faire encore plus mal, on peut aussi aller lire le dossier que le magazine Valeurs actuelles consacre à l’école. Brrr…
Pour finir sur ce point, osons un petit avis personnel. Ce genre de propositions de la Droite est utile pour se rappeler que même si certains peuvent être déçus par la politique éducative actuelle (trop vite ? pas assez vite ?...) , il est difficile de dire qu'avec la politique de la droite ce serait "bonnet blanc et blanc bonnet"....
Il ne faut pas avoir la mémoire courte…

Séance de rattrapage
La revue de presse a repris son rythme quotidien depuis une semaine. Mais il n’est peut-être pas inutile de revenir sur quelques textes et informations parues avant cette reprise et d’offrir à nos lecteurs une séance de rattrapage.
Si la rentrée scolaire est souvent propice à la prolifération de marronniers, elle permet aussi l’expression d’analyses intéressantes sur l’état du système éducatif. C’est le cas avec deux textes de François Dubet. Une interview dans Le Monde et surtout une autre dans le Nouvel Obs où le sociologue appuie là où ça fait mal.
Toujours sur la rentrée, on pourra aussi lire ou relire l’interview donnée par Philippe Meirieu à La Croix sur la refondation de l’École. On peut aussi aller lire dans le JDD.fr, la tribune de Laurent Bigorgne directeur de l’Institut Montaigne. Pour l’un comme pour l’autre mais avec des points différents, le système éducatif n’a pas encore fait les réformes nécessaires.
La grande affaire des prochains mois, va être la question des programmes scolaires. La loi prévoit la mise en place d’un Conseil Supérieur des programmes. On l’a déjà lu dans la revue de presse, le ministre annonce une refonte des contenus d’enseignement à partir de 2015. Un article de Maryline Baumard dans le Monde paru le 5 septembre mettait en perspective cette question. Signalons par ailleurs que ce sera aussi le thème du prochain dossier des Cahiers Pédagogiques qui paraît la semaine prochaine. Toujours sur cette question des contenus d’enseignement, je signale une excellente synthèse sur le travail par compétences rédigée par Olivier Rey (de l’Institut Français de l’Éducation) sur son blog. Ayant pour titre “Les compétences clés dans l’enseignement obligatoire en Europe : fantasmes et réalités pédagogiques ”, ce long texte remarquable tient toutes les promesses du titre. Il déconstruit les fantasmes et donne à voir la réalité et la fécondité de cette pédagogie.

Albert Jacquard
Albert Jacquard nous a quitté le 11 septembre 2013. Sa disparition a suscité de très nombreuses réactions. Outre les hommages officiels et notamment celui de Vincent Peillon , signalons notamment le très beau texte de Philippe Meirieu : L’homme qui savait pleurer
Ce grand humaniste a aussi souvent parlé ou écrit sur l’éducation. Dans une tribune parue dans l’Humanité le 22 Mars 1999, il s’imaginait en ministre de l’éducation : Moi, Albert Jacquard, ministre de l'Éducation, je décrète… et suivaient neuf articles dont voici une petite sélection…
Article premier : Il faut supprimer tout esprit de compétition à l'école. Le moteur de notre société occidentale est la compétition, et c'est un moteur suicidaire. Il ne faut plus apprendre pour et à être le premier.
Article troisième : Les examens restent dans leur principe, sachant que seuls les examens ratés par l'élève sont valables. Ils sont utiles aux professeurs pour évaluer la compréhension des élèves. Mais les diplômes ou les concours comme le baccalauréat sont une perte de temps et sont abolis. Sur tous les frontons des lycées figurera l'inscription : " Que personne ne rentre ici s'il veut préparer des examens. "
Article cinquième : Les enseignants n'ont plus le droit de se renseigner sur l'âge de leurs élèves. Les dates de naissances doivent être rayées de tous les documents scolaires, sauf pour le médecin de l'école. Il n'est plus question de dire qu'un enfant est en retard ou en avance, car c'est un instrument de sélection. Chacun doit avancer sur le chemin du savoir à son rythme, et sans culpabilisation ou fierté par rapport aux camarades de classe. […]
Article septième : Le travail des professeurs par disciplines est annulé au profit du travail en équipe. La progression du travail des classes ne doit pas être perturbée par des impératifs de programme.
Article neuvième : le ministère de l'Économie ne dictera plus ses besoins au ministère de l'Éducation. Dorénavant, le ministre de l'Économie donnera tous les moyens nécessaires à l'Éducation nationale pour réussir sa vocation.
Et parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas le faire ( !), finissons avec le préambule de ce texte : “L'Éducation nationale ne doit pas préparer les jeunes dont l'économie ou la société ont besoin. La finalité de l'éducation est de provoquer une métamorphose chez un être pour qu'il sorte de lui-même, surmonte sa peur de l'étranger, et rencontre le monde où il vit à travers le savoir. Moi, ministre de l'Éducation nationale, je n'ai qu'une obsession : que tous ceux qui me sont confiés apprennent à regarder les autres et leur environnement, à écouter, discuter, échanger, s'exprimer, s'émerveiller.



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