« Trois mots pour caractériser l’année 2022 dans l’éducation ». 700 réponses, 2026 mots et un nuage de mots pour résumer l’état d’esprit de l’opinion enseignante. Un nuage bien sombre et qui dit beaucoup sur le sentiment d’abandon des enseignants. Mais un nuage pas si toxique que cela !
Voici la cinquième édition des « mots de l’éducation ». Le principe est toujours le même. A la fin de l’année, je demande à ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter et maintenant Mastodon) de donner trois mots pour définir leur vision de l’actualité de l’éducation pour l’année qui vient de s’écouler. Cette année, j’ai obtenu 701 réponses pour un total de 2026 mots (certains en ont donc donné moins de trois…). Avec cette récolte, après une petite harmonisation, à l’aide d’une application, je produis un « nuage de mots » où les mots sont plus ou moins gros selon leur fréquence.
En 2021, avec 800 réponses le recueil était de 2130 mots. Vous pouvez retrouver les nuages des années précédentes sur mon blog : 2020, 2019, 2017, (il n’y en a pas eu en 2018).
Comme je le fais chaque année, je rappelle que ce petit exercice n’a pas de prétention scientifique. Il n’est que le reflet de ce que veulent bien dire les nombreuses personnes qui me suivent sur les réseaux. Comme je fais surtout de la veille sur l’actualité éducative, mes lecteurs, essentiellement des personnels de l’éducation, sont très divers tant dans leurs parcours que dans leurs opinions.
Il peut bien sûr y avoir des biais dans le recueil des mots, des phénomènes de mimétisme qui induisent une tonalité… J’entends ces critiques. En revanche, j’accepte beaucoup moins le rejet a priori de ce nuage car il serait trop pessimiste. Il est représentatif d’un ressenti, d’un état d’esprit qu’il faut être capable d’entendre plutôt que d’être dans le déni. Et on verra aussi qu’il y a des nuances à apporter à ce pessimisme.
Déclassement et déception
On pourrait dire que les mots parlent d’eux mêmes… Mais on peut malgré tout se livrer à une petite analyse.
Le mot « Mépris » arrive encore une fois en tête. C’était déjà le cas l’an passé. Plusieurs mots sont du même champ et renvoient à la manière dont les enseignants se sentent traités par leur institution, les médias, l’opinion : Abandon, Dénigrement, Prof-Bashing, Maltraitance…
C’est un fort sentiment de Déclassement ou de Dévalorisation voire de Paupérisation qui tient à la question des Salaires dont la revalorisation est jugée insuffisante.
Cette petite enquête témoigne donc d’abord du sentiment de ne pas avoir été suffisamment écouté par le pouvoir. Ce n’est pas un hasard si le mot Mensonges arrive si haut dans le classement (53 citations), même si c’est bien moins que l’an dernier (199 citations). Le changement de ministre a pu faire espérer un changement de politique mais les répondants pointent une certaine Déceptionvoire de l’Hypocrisie et constatent plutôt la Continuité que le changement attendu.
Certains voient dans cette politique une stratégie délibérée de Destruction ou Démantèlement du service public et de Marchandisation dans une logique de Libéralisme. Une des réponses était : « Le bateau coule…»
Fuite ou résistance ?
Quelles réactions ? Quels ressentis ? C’est la Fatigue (109 citations contre 88 en 2021) qui domine avec des synonymes comme la Lassitude et l’Épuisement ou même le Burn-Out.
Cela peut donner lieu à plusieurs types de réactions. Il y a aussi bien la Colère, la Résistance et les Luttes que le Découragement et le Désinvestissement ou l’Indifférence. On parle aussi de Démission ou de Reconversion.
Je vais redire ce que je ne cesse d’exprimer dans mes écrits, livre, articles et interviews : on ne réforme pas une école avec des acteurs qui vont mal ! Avant de penser l’école de demain, il faut panser l’école d’aujourd’hui.
Et ce n’est pas en chargeant encore plus la barque avec une injonction à l’Innovation et des « missions nouvelles » qu’on va améliorer les choses alors qu’on parle de Surcharge. C’est ce que disent en creux, tous ceux qui ont répondu à cette invitation à s’exprimer.
Malheur public, bonheurs individuels…
Pour ne pas finir sur une note trop noire, on peut pointer l’ambivalence des réponses. Si globalement, les enseignants et les personnels d’éducation critiquent fortement la situation qui leur est faite et l’attitude du pouvoir et de l’institution, dans le même temps ils évoquent aussi ce qui fait toute la force et le cœur du métier : les Élèves et leurs apprentissages. C’est ce qui justifie l’Engagement et qui donne aussi de l’importance au travail d’Équipe.
Une des personnes qui a répondu m’indiquait qu’il aurait fallu construire deux nuages : l’un pour la politique éducative et l’autre pour parler du métier. Le deuxième étant malgré tout plus positif que le premier.
Car, même si les enseignants comme tous les français « râlent » et revendiquent à juste titre d’être mieux traités et payés, ils exercent aussi un métier essentiel avec des valeurs fortes. Il ne faudrait pas que la situation actuelle conduise au cynisme. Il y a le mot Espoir (22 citations) qu’il ne faudrait pas voir disparaitre dans le prochain nuage…
Philippe Watrelot
PS : je tiens à la disposition de qui en fait la demande, l'ensemble des documents qui ont abouti à cette enquête
Cliquez pour agrandir |
Cliquez pour agrandir |