« Blanquer signe la fin du bac national » dans l’Humanité, « Jean-Michel Blanquer signe la fin du bac » dans Libération, on voit fleurir des titres catastrophistes après l’annonce par le Ministre de la suppression des épreuves communes (ex «E3C») au profit d’un contrôle continu représentant 40 % de la note.
Plus que la préservation du rituel, c’est surtout la question de l’égalité « républicaine » qui inquiète. Mais on oublie peut-être que les véritables enjeux se situent ailleurs : derrière le bac, il y a la question des études supérieures. Enfin, à travers cette question, on peut se questionner sur la pédagogie et la manière de concevoir collectivement ou non le métier d’enseignant.
Le bac est déjà mort
Je vais vous faire une révélation : le bac 2021 à déjà eu lieu ! J’usais déjà de cette astuce dans une chronique publiée en 2020. L’argument est toujours le même : ce qui est déterminant aujourd’hui c’est ParcourSup. Le bac n’est plus que la validation d’un processus de sélection pour le supérieur qui se joue ailleurs à partir de la fin du mois de mars. On semble le découvrir alors que l’évolution est à l’œuvre depuis plusieurs années.
Autrefois, le baccalauréat français était à la fois un diplôme de fin d’études (et on devrait se réjouir de son taux de réussite) et le premier diplôme universitaire (c’est pour cela que les jurys sont toujours présidés par un universitaire). Mais depuis, il y a eu APB d’abord et ParcourSup aujourd’hui. Et les deux fonctions évoquées plus haut sont aujourd’hui distinctes comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays. La réussite au bac n’est plus suffisante pour le passage dans le supérieur puisque la sélection s’est généralisée.
C’est le produit de deux phénomènes :
- la massification : l’objectif aujourd’hui n’est plus 80 % d’une classe d’âge au bac, on y est ! Mais c’est plutôt 50 % en L3 avec une logique de continuité bac-3/bac+3.
- la pénurie : la généralisation des processus de sélection est d’abord le résultat de la pénurie de places dans le supérieur. Alors qu’arrivent à ce niveau d’enseignement les générations nombreuses issues du mini baby-boom des années 2000, on n’a pas fait les efforts pour adapter l’offre et on fait le dos rond en attendant que les effectifs décroissent...
De fait, qu’on le déplore ou pas, cela modifie la nature même du baccalauréat. Si celui-ci avait autrefois une finalité en lui-même, il n’est plus aujourd’hui, et notamment pour le bac général, qu’une validation d’un processus de passage vers le supérieur qui se joue en amont.
Cela conduit aussi, et pour ma part je le regrette, à oublier la dimension de « culture générale » du bac pour un profilage et d’une logique de « parcours » qui commencent beaucoup trop tôt.
Le but des rites
Vouloir préserver le bac même en y ajoutant de nouveaux rituels me semble relever d’une nostalgie et d’un attachement aux symboles qui ne peut tenir lieu de politique éducative. C’est un combat d’arrière-garde et c’est méconnaître l’évolution sociale. Il n’y a pas si longtemps, avoir le certificat d’études représentait quelque chose…
Cette préservation du « monument national » est clairement à l’œuvre avec le Grrrand Oral. On a inventé un nouveau rituel pour préserver le caractère solennel d’un bac en mille morceaux. L’argument de la promotion de la compétence orale aurait eu plus de poids si on avait vraiment donné des moyens pour sa mise en œuvre plutôt que ce bricolage imposé à tous.
On peut bien sûr souhaiter que les élèves se confrontent à un moment solennel tel qu’une « épreuve » terminale. Mais on peut aussi souhaiter que tout ne se joue pas sur un seul jour ! D’autant que cette attente du grand jour peut aussi conduire certains élèves à procrastiner en l’attendant. C’est donc une question d’équilibre entre le contrôle continu et les épreuves terminales.
Bac National vs Bac local ?
L’un des arguments le plus souvent utilisé est celui de l’égalité « Républicaine » associée à l’existence d’épreuves nationales.
La lecture des travaux de la docimologie (étude des biais de la notation) devrait inciter à plus de modestie sur la garantie d’une égalité de traitement. J’ai eu il y a quelques années un élève qui a eu la note de « 1 » en SES au bac alors qu’il avait 14 toute l’année (et sa copie, que j’ai pu voir, valait bien plus !).
Le bac d’hier n’empêchait en rien les inégalités. S’il pouvait jouer un rôle dans l’orientation c’était de manière marginale et plutôt quand un échec empêchait une orientation déjà prévue.
Le risque, nous dit-on, est celui d’un « bac local » avec des épreuves elles aussi locales qui feraient perdre sa valeur au diplôme. Curieusement, on n’entend pas les mêmes reproches pour les diplômes universitaires dont les épreuves et les modalités sont purement locales, pourtant…
Le contrôle continu serait inégalitaire et source de pressions, nous dit-on. Le risque existe c’est vrai. Mais il est surtout le révélateur d’une vision du métier très individualiste. Des règles communes sur le nombre de notes et la gestion des absences « stratégiques » ainsi que des critères élaborés à la fois nationalement et retravaillés localement permettraient d’éviter bien des dérives et des critiques.
Tout se passe comme si les enseignants ne se faisaient pas confiance et préféraient rester seuls dans leurs classes. Comme s’ils préféraient se décharger sur un processus extérieur (mais défaillant et désuet) plutôt que d’être amenés à envisager un travail collectif au sein de leurs établissements. Comme s’ils ne croyaient plus au sens du service public et de l’intérêt général partagé par tous.
Les défis à relever
Un dessin de Gérard Mathieu |
L’« égalité » ne devrait pas être un moyen mais une fin. Vouloir défendre un bac supposé « égalitaire » relève plus de l’incantation et aboutit au final à la conservation des inégalités
Plutôt que de s’arc-bouter sur un rituel républicain, c’est sur la transparence des critères et attendus de ParcourSup que les enseignants devraient se mobiliser.
L’autre enjeu est de construire une vraie culture collective de l’évaluation dans les établissements. On peut aboutir à un système équitable si les collectifs enseignants fonctionnent et si l’encadrement intermédiaire (inspection et chefs d’établissement) joue enfin (!) un vrai rôle d’animation plutôt que d’être d’abord dans le contrôle.
Enfin, il ne faudrait pas oublier que l’évaluation a plusieurs fonctions. Il ne faudrait pas que la dimension certificative l’emporte sur l’aspect formatif. En d’autres termes, on ne doit pas seulement évaluer pour donner une note pour un examen mais aussi et d’abord pour donner à apprendre et valider une progression. Ce serait une évaluation au service de la réussite et pas seulement de la sélection. Là encore, c’est un équilibre à trouver et une réflexion pédagogique collective à mener.
Machiavelisme, opportunisme ou réalisme ?
La décision du 28 juin d’aménager le bac semble cristalliser aussi les passions et les indignations.
On accuse le Ministre d’avoir machiavéliquement organisé le désordre pour mieux préparer cette transition. Même si pour ma part je privilégie toujours l’hypothèse de la bêtise avant celle de l’intention malveillante (c’est ce qu’on appelle le rasoir d’Hanlon), on ne peut exclure une part de stratégie chez notre ministre joueur d’échecs. On peut aussi y voir une forme d’opportunisme après qu’en effet la crise sanitaire ait rebattu les cartes sur la place du contrôle continu
Mais si cette « réforme de la réforme » agit comme un révélateur, on semble découvrir une évolution qui est à l’œuvre depuis longtemps Cette polémique, tout comme le thème récurrent du « bac en carton » sont le signe d’une société plus attachée aux symboles qu’à la recherche d’une égalité réelle et de la justice sociale.
Philippe Watrelot
Ce texte a été publié initialement sur le site d'Alternatives Économiques, le 05/07/2021