dimanche, décembre 22, 2013
Bloc-Notes de la semaine du 16 au 22 décembre 2013
- Cadeaux - Toboggan – Questions d’hiver – au pied du sapin-
Bloc notes de Noël. Avec un retour sur l’annonce des créations de postes juste avant la trêve des confiseurs. Elle clôt heureusement une période difficile pour Vincent Peillon. On parle en effet de façon insistante de son départ. Le bloc notes revient aussi sur les futures vacances de printemps (2015) avec la pression du tourisme blanc sur les dates de celles-ci. Et puis on s’intéresse aussi à ce que les enfants vont trouver au pied du sapin. Au fait, bonne fin d’année !
Cadeaux
Noël est la période des cadeaux. Et l’annonce des créations de postes dans l’enseignement, juste avant la trêve des confiseurs, clôt heureusement une période difficile pour Vincent Peillon.
Alors que la plupart des ministères sont appelés à faire des économies, 4 341 postes d’enseignants vont être créés dans le primaire et le secondaire publics à la rentrée 2014. Et au total dans la loi de finances 2014, 8.804 postes équivalent temps pleins ont été budgétés, en tenant compte aussi de 345 postes dans le privé, 350 postes d'auxiliaires de vie scolaire, et 3.459 postes pour financer le temps de formation des enseignants stagiaires des Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé). Quelque 2 355 postes sont réservés au primaire, la priorité de la «refondation de l’école» engagée par Vincent Peillon. Selon le ministère, la moitié des créations de postes d’enseignants sera absorbée par la hausse démographique, 38 000 écoliers supplémentaires étant attendus. L’autre moitié sera réservée à des dispositifs comme le «plus de maîtres que de classes» (des enseignants surnuméraires dans les écoles sensibles), à des postes de Rased (les réseaux d’aide aux élèves en difficulté) ou encore aux mesures sur l’éducation prioritaire que le ministre devrait annoncer en janvier dans le cadre de la réforme des zones d’éducation prioritaire (ZEP). Dans les académies, nous apprend une infographie du journal Le Monde , les variations de moyens sont importantes. Dans la répartition des 8 804 emplois votés au budget 2014, l'académie de Créteil récupère à elle seule 15 % des nouveaux moyens d'enseignement, avec 380 postes en primaire et 233 en collèges et lycées. D'autres académies à la démographie moins dynamique n’ont pas de créations de postes. C'est le cas de Reims , de Nancy-Metz et des académies d'Outre-mer. Paris – traditionnellement très bien dotée – affiche seulement dix postes supplémentaires pour ses écoles maternelles ou primaires et quatorze pour ses collèges ou lycées. En revanche Versailles, Lyon et Grenoble ou encore Toulouse ont droit à des créations importantes.
Mais cette hausse doit être relativisée par deux éléments. D’abord comme le souligne l’Express , la hausse des moyens, est en grande partie absorbée par le rétablissement de la formation initiale. Et toujours dans ce cadre, des moyens doivent être dégagés pour créer les postes de professeurs formateurs que M. Peillon a annoncés dans le cadre de la réforme de la formation des maîtres. Ensuite et surtout parce que nous sommes confrontés à une augmentation de la démographie. Très critique, le journaliste de L’Humanité relativise les annonces : “Le ministère promet ainsi une « stabilité » des moyens, malgré la hausse démographique. Difficile à croire. À la rentrée 2013, le ministère, déjà confronté à des difficultés de recrutement de profs, a dû accueillir plus d’élèves que prévu, comme le révèle une étude publiée mercredi : 41 700 au lieu de 33 000 en primaire et 51 000 contre 40 000 dans le secondaire. De quoi absorber encore plus vite les 3 000 postes créés à cette rentrée sur la base d’effectifs sous-estimés… ”.
Paradoxalement, ces remarques montrent bien que la priorité donnée à l’éducation lors de la campagne électorale était une nécessité. Qu’aurait été la rentrée 2014 sans ces postes ? A la rentrée prochaine, et depuis l'arrivée de la gauche, 20 000 postes supplémentaires auront été créés dans le seul enseignement public, sur les 60 000 promis. Rappelons qu’environ 80.000 postes avaient été supprimés sous la droite suivant le principe de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Il n’est peut-être pas inutile de le rappeler pour lutter contre l’amnésie collective…
Toboggan ?
Vincent Peillon avouait récemment à un proche, par SMS : "Je suis sur un toboggan." C’est L’Express, dans un article daté du 17 décembre, qui donnait cette information et se faisait l’écho de cette rumeur persistante de démission (ou de remplacement) de Vincent Peillon. Ce serait la polémique sur les classes prépas qui serait le déclencheur de ce nouveau ouï-dire. Une revue de presse comme la nôtre doit-elle se faire l’écho de telles rumeurs ? Est-ce une information ? Nous choisissons d’en parler dans la mesure où elle est reprise et qu’elle a, de fait, une influence dans la construction de l’opinion enseignante. On se souvient, par exemple, qu’Emmanuel Davidenkoff dans une chronique sur France Info du 9 décembre parlait, à propos des classes prépas de “baroud d’honneur” et parlait déjà d’un Vincent Peillon sur le départ. On trouve aussi la même analyse chez Marie-Christine Corbier dans Les Échos le 13 décembre dernier .
Une interview de Vincent Peillon donnée au site VousNousIlsle 19 décembre dernier , dans ce contexte, peut être interprétée comme une forme de bilan. Il y liste en effet les avancées qui ont eu lieu dans les négociations sur le métier et le chantier de l’éducation prioritaire. Et il affirme : “en un an et demi, nous avons engagé de très nombreuses réformes, car notre système éducatif en avait grand besoin : nouveaux rythmes scolaires, reconstruction de la formation initiale des enseignants, entrée de l'école dans l'ère du numérique, refonte de tous les programmes ; les postes qui seront créés au cours du quinquennat nous permettront de les mettre en œuvre. Nous continuons à réformer, dans le dialogue avec les personnels, au premier rang desquels figurent les enseignants. On ne réforme pas l'éducation nationale sans les enseignants et encore moins contre eux. ”
Quelle que soit la validité de ces rumeurs, cela montre surtout la difficulté à réformer l’éducation nationale. Malgré la préparation, malgré les concertations préalables, malgré les garanties, le changement n’est pas garanti. Il y a bien sur des erreurs et des blocages que j’avais essayé de recenser dans un texte “prémonitoire” de janvier 2013 . On peut souligner aussi que si le cabinet du ministre n’a effectivement pas toujours été à la hauteur des ambitions, on lui a aussi savonné le “toboggan” … A la fois du côté politique, où les atermoiements du premier ministre ou du président ont conduits à des retards qui ont été défavorables aux réformes mais aussi du côté syndical où les logiques d’appareil et les pressions de la base ont conduit à des reniements et des volte-faces. La politisation de certains sujets et notamment la question des rythmes n’a pas aidé non plus à l’installation d’un débat serein. L’autre facteur de blocage est à chercher aussi du côté de l’administration de l’éducation nationale qui a finalement peu évolué et qui reste d’une pesanteur et d’une inertie préjudiciables à la logique de changement.
Partira ? partira pas ? Au delà de la question de personne, c’est le problème de l’évolution même du système qui est posé alors que les concessions se transforment de plus en plus en compromis néfastes pour l’ambition même de la refondation. La crainte majeure peut être résumée par cette phrase quasi-surréaliste d’ Edgar Faure : "Voici que s'avance l'immobilisme et, nous ne savons pas comment l'arrêter..."
Questions d’hiver
"Je souhaite que le Conseil supérieur de l’éducation se réunisse en janvier prochain afin qu’on revienne sur les semaines tronquées des vacances de février – le fait que celles-ci commencent en milieu de semaine constitue une difficulté majeure – et qu’on évite que les vacances de Pâques mordent ainsi sur le mois de mai, une dérive qui s’amplifiait avec la troisième année du calendrier". Lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale, le 18 décembre dernier , Vincent Peillon a répondu ainsi à une question d’Hervé Gaymard, député UMP de Savoie qui s’inquiétait de vacances de Pâques trop tardives et des vacances de février qui commencent en fin de semaine.
On ne peut s’empêcher de voir dans cet échange, l’activité du lobby du ski. Un article de L’Express du 6 décembre dernier nous apprenait que soixante-quatre parlementaires ont signé à l'initiative de professionnels du ski une motion pour demander au gouvernement des vacances de printemps moins tardives et un calendrier scolaire plus conciliant avec les intérêts de l'industrie touristique. Le zonage des vacances scolaires est en effet régulièrement mis en cause par les représentants de l'industrie du tourisme. On peut même dire qu’il y a un deuxième front contre la réforme des rythmes scolaires puisqu’il ne s’agit pas seulement de l’organisation de la semaine mais aussi de celle de l’année.
C’est cette réponse de Vincent Peillon qui a suscité un billet d’humeur de Catherine Chabrun. Cette responsable de l’ICEM-Pédagogie Freinet, sur son blog, fustige ce qu’elle juge être une reculade devant le lobby du “tourisme blanc”. Elle interpelle le ministre : “vous reniez vos propos du 17 décembre. En effet, ces enfants qui ont le plus besoin de « bon temps scolaire » ne partent jamais aux sports d’hiver. Seuls 8 % des Français partent au ski (et encore un an sur 2) et c’est pour cette minorité que vous allez concentrer les vacances d'hiver et de printemps sur les semaines où la neige fleurit pour satisfaire les entreprises touristiques ! […] Ces coupures rapprochées avec les temps de reprise brisent le rythme et réduisent d’autant le « bon temps scolaire » nécessaire « pour bien apprendre ». Et pour à peine 10 % des enfants qui partent aux sports d’hiver (et ce sont toujours les mêmes de vacances en vacances), il faut dire qu’une semaine aux sports d’hiver pour une famille équivaut au minimum à trois mois de SMIC.Et ce ne sont pas « ceux qui ont le plus besoin de l’école, car ils n’ont que l’école pour réussir » qui partent. Ce sont plutôt les enfants pour qui l’école fonctionne bien : les enfants de familles à haut revenu, fortement diplômées, de cadres… et si peu d’ouvriers. De plus, partir en vacances en hiver va de pair avec une vie sociale, culturelle et sportive riche. Ce sont les mêmes qui fréquentent les pistes, les cinémas, les théâtres, les activités culturelles… Et pour les autres surtout « Ceux qui ont le plus besoin de l’école, car ils n’ont que l’école pour réussir », ils n’auront guère d’activités à part la télé, l’ordinateur, les bas d’immeubles… Eh bien, ce n’est pas ainsi que l’on va renverser la tendance constatée par PISA sur les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales ! ”
Et notre collègue ouvre la réflexion sur les enjeux sociaux des vacances : “Le temps scolaire annuel est à revoir, mais également ce qu’on propose aux enfants pendant les vacances. Les séjours doivent retrouver l’expression « populaire » qu’ils ont perdue, l’accès au départ pour tous est un élément important pour réduire les inégalités sociales et donc scolaires.”. Une ambition qui est celle des mouvements d’éducation et des associations complémentaires de l’École et d’éducation populaire depuis toujours.
Au pied du sapin
Puisque la période l’impose Louise Tourret dans Slate.fr se lance dans la rubrique "conso" avec un article sur les tablettes pour les tout-petits présentées comme "ludo-éducative" et qu’on risque de trouver en grand nombre au pied des sapins . Ont-elles un intérêt pédagogique ?
Pour la journaliste "La pédagogie, c’est comme la mention «rajeunissante» sur les crèmes cosmétiques, il n’y aucune obligation à prouver ce qu’on avance!"Et elle poursuit avec une réflexion sur le "jeu éducatif" : “Le jeu éducatif est un symptôme intéressant d’une parentalité paradoxale. D’abord il déculpabilise et donne l’impression de proposer quelque chose d’intéressant à son enfant. Ensuite, la proposition de sous-traitance éducative séduit. Ah, le fantasme de la machine à éduquer avec laquelle les enfants apprendraient tous seuls, plus vite et mieux. Imaginez, vos gamins sont occupés, vous laissent tranquille mais en plus ils acquièrent des savoirs qui en feront de petits génies. LA martingale éducative. [...] Les enfants peuvent apprendre des tas de choses avec des tablettes et des applications ludo-éducatives, surtout si elles sont de bonne qualité, mais ces apprentissages sont beaucoup plus effectifs quand ils sont guidés, au moins pour commencer, par des adultes, surtout avant 6 ans.”
L’occasion de rappeler que Noël, avant d’être une grande kermesse de la consommation à outrance, devrait être surtout l’occasion de rapprocher les parents (et les grands parents) de leurs enfants.
Bonne Lecture et bonnes fêtes de fin d’année...
Philippe Watrelot
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dimanche, décembre 15, 2013
Bloc-notes de la semaine du 9 au 15 décembre 2013
- Reculade – Pisa, on s’en fout… - Chantiers- .
Le Bloc-Notes (bien tardif et enrhumé, veuillez m’en excuser) porte essentiellement sur les arbitrages rendus par le ministre à l’issue des négociations sur le métier enseignant le jeudi 12 décembre dernier. Et en premier lieu sur la reculade concernant les profs de prépas. Celle-ci est révélatrice d’un certain nombre de tensions dans le système. Et plus globalement signifie qu’on voit déjà la fin du PISA-choc à la française… Mais il n’y a pas que les prépas, et on parlera aussi des RASED, de l’éducation prioritaire et des formateurs dans les ESPÉ. Je ne savais pas que j’étais un prototype…
Reculade
C’est le titre d’un article du journal Les Échos qui résume le mieux le bilan que l’on peut faire de cette semaine : “Peillon recule sur les prépas et hypothèque ses réformes ”. Car il s’agit bien d’une reculade dans la mesure où Vincent Peillon annonce qu’il suspend les discussions sur le secondaire parmi les chantiers ouverts sur le métier enseignant. Des chantiers qui étaient d’ailleurs très modestes.
Il faut d’abord lire cette décision comme le résultat du lobbying intense mené par les enseignants de prépa et le suivisme ou l’activisme (c’est selon) de certains syndicats (le SNES et le SNALC). Un article du Monde indique d’ailleurs que la consigne serait directement venue de l’Élysée et le journal ajoute: “Sans compter que les professeurs de prépa ne manquent pas de soutiens. Les normaliens, ex-élèves de prépa, sont nombreux parmi les politiques, les chefs d'entreprise, les journalistes… voire au sein même du gouvernement. Dans les hautes sphères du pouvoir, beaucoup rechignent à s'attaquer à la formation des élites." ”
Ce qui a aussi contribué à cette situation difficile c’est le sentiment de stigmatisation qu’ont eu certains et qu’on jouait une catégorie contre une autre . Le sentiment aussi que ce qui était pris aux uns risquait aussi d’être pris aux autres. Même si le Ministre a communiqué sur sa volonté de donner plus de clarté à un système très opaque et inégalitaire et a redit à plusieurs reprises son respect pour le travail des profs de prépa (comme des autres catégories) , il semble bien que c’est cette interprétation qui l’a emporté. Une tribune écrite par plusieurs enseignants (De Cock, Servat, Gintrac, Marzin, Fournier, Layani, Mazeau, Kuhn, Leon-Benbassat ) sur Médiapart et intitulée “Réforme Peillon : des enseignants piégés dans un dangereux chantier” résume assez bien ce sentiment du “piège tendu” par le ministre: “La manière avec laquelle s’est orchestrée la discussion (fort légitime) sur les inégalités scolaires est un modèle du genre : il fallait un diagnostic (PISA), des coupables (les politiques précédentes, les pesanteurs du système perpétuées, à leur corps défendant, par des enseignants crispés sur leur obsolète statut), des solutions (désigner à la vindicte les plus privilégiés d’entre eux). On savait que se délieraient chez certains professeurs de CPGE les langues les plus farouchement opposées à toute indexation du métier aux réalités de l’urgente démocratisation scolaire à construire. Ainsi suffirait-il de montrer publiquement du doigt ces « nantis réacs » pour prouver que leur appartenance au corps enseignant n’est qu’une alliance de façade. La manœuvre est subtile. D’abord parce qu‘elle rend invisibles les collègues de CPGE soucieux de fédérer les cycles, ensuite car il nous a fallu beaucoup de patience et d’auto-contrôle pour ne pas répondre à certains de nos collègues CPGE interviewés dans les médias ainsi qu’aux tribunes indigestes vantant les derniers bastions des hussards noirs de la république . Leur répondre en effet que les week-ends de nombreux professeurs sont, autant que les leurs, occupés par la correction de copies, par la préparation de séances pour des classes de plus en plus nombreuses, par l’angoisse du lendemain pour les cours difficiles ; à leur répondre enfin que beaucoup d’enseignants, vacataires, certifiés, agrégés, passent de nombreuses heures de concertation, de régulation, de tête à tête avec leurs élèves, ou de discussions avec les parents. S’il y a bien une réalité partagée par tous, c’est l’alourdissement de nos charges de travail.”
Même si on peut ne pas partager tous les arguments de ce long texte et notamment la méfiance voire la défiance qui le traverse, il montre bien en tout cas la tension qui a été à l’œuvre au cours de cet épisode. Une tension chez de nombreux profs de prépas sincèrement persuadés, à tort ou à raison, d’œuvrer pour la méritocratie et l’égalité des chances et qui prennent pour leur compte la critique d’un système dans lequel ils évoluent. Tension aussi dans le monde enseignant qui trouve ici les limites d’une unité fantasmée mais dont les inégalités de traitements (dans tous les sens du mot !) montrent l’inverse. Tension enfin dans les rapports entre les enseignants et leurs organisations syndicales qui n’avaient pas au départ poussé de hauts cris et joué le jeu de la dramatisation devant ce qui n’étaient que des propositions. Mais la pression de la base et la compétition syndicale accrue à la veille des élections professionnelles a eu vite raison de cette posture gestionnaire.
Mais tout cela n’est rien au regard du défi majeur qui est posé au ministre. Cela ferait presque un beau sujet pour le professeur de philosophie Peillon “Peut-on faire preuve d’équité sans remettre en question certains avantages ? ”. Ou, pour le dire autrement, dans un contexte de pénurie et où les marges de manœuvre du ministre ont toutes été mangées par la promesse des 60 000 postes, peut-on donner plus aux uns sans donner (un peu) moins aux autres. Réformer dans un tel contexte suppose forcément une réallocation des ressources. Et cela n’est pas qu’une question de personnes ou de statut, c’est plus largement aussi la question posée par le rééquilibrage des moyens à destination du Primaire. On entend déjà certains dans le secondaire s’impatienter et demander un traitement égal.
Égalité ? Équité ? Décidemment un beau sujet de philo (et de science politique….)
Pour revenir à cette décision du jeudi 12 décembre, elle peut être interprétée aussi (et pas seulement par les plus progressistes) comme le signal d’une remise en question de la refondation et la porte ouverte à toutes les revendications catégorielles pour peu qu’elles aient les moyens de faire pression pour se faire entendre. Comme le dit Marie-Christine Corbier dans Les Échos (article cité plus haut) : “La ligne du ministre semble désormais claire, à l'image du résumé qu'en fait un député socialiste influent : « La ligne Hollande, c'est : "pas d'emmerdes", et Vincent Peillon se hollandise. » Pour montrer qu'il peut rester ministre, malgré sa candidature aux élections européennes. Ou simplement pour assurer son avenir politique, au gouvernement ou ailleurs….
On peut être encore plus méchant comme sait l’être Hara-Kiri dans une couverture d’il y a quelques semaines (en hommage aux tontons flingueurs) : "les socialistes, ça osent rien, c'est même à ça qu'on les reconnaît"....
Ça va être de plus en plus dur de “fatiguer le doute…”
PISA, on s’en fout !
Cette reculade est aussi le symptôme que les effets de PISA se sont très vite dissipés. Et la société Française, si elle peut se désoler pendant une semaine d’être le pays où l’influence de l’origine sociale est la plus forte dans le monde, reste en fait très attachée à l’élitisme Républicain, à la méritocratie et à une « égalité des chances » de plus en plus illusoires. “PISA, on s’en fout”, c’est ce qu’on pouvait lire en filigrane des débats sur les prépas.
Car les très nombreuses tribunes produites par les éminents collègues de prépas ou par les hommes politiques (qui sont souvent issus de ces mêmes prépas) montrent bien qu’il est difficile de critiquer et de remettre en cause un système qui vous a fait réussir…
Un exemple, parmi beaucoup d’autres, avec cet éditorial du journal Les Échos : “Une fois de plus, on a trouvé la source de tous les maux de la société française : les élites. Hier les riches, les patrons ou les médecins libéraux, aujourd’hui les profs de prépas et leurs élèves, cette aristocratie enseignante et étudiante dont il ne faudrait plus voir dépasser les têtes. A croire qu’après plus de trente ans d’exercice du pouvoir, c’est encore et toujours la passion pour l’égalité qui irrigue le parti socialiste au détriment de sa culture de réforme.”. On y voit poussés à l’extrême, une bonne partie des thèmes qu’on a retrouvé dans les différents argumentaires qui ont circulé : “ Pourquoi détruire un système qui fonctionne bien ?”, “ nous contribuons à la lutte contre les inégalités, la preuve, nous accueillons beaucoup de boursiers”, et bien d’autres encore. Plus encore que la question de la rémunération des profs de prépas et qui se comportent comme n’importe quelle catégorie devant une menace sur leur salaire, c’est cet appel aux grands principes qui me semble révélateur du malaise et de l’oubli trop rapide des conclusions de PISA. Car ce que nous disait cette enquête internationale et ce que nous disent la quasi-totalité des sociologues de l’éducation depuis plus de quarante ans, c’est que malgré des exceptions, la France reste celle des “héritiers”. Et que ce pays qui a la religion du diplôme s’accommode d’un noyau dur de 20% d’élèves en échec et ne fait pas suffisamment d’efforts pour lutter contre cette situation. On préfère penser qu’on peut continuer avec notre système dit “méritocratique” alors que les “mérites” semblent alors bien mal répartis puisque nous sommes le pays où l’origine sociale joue le rôle le plus important dans la réussite aux diplômes. Mais l’opinion semble s’en arranger…
Une citation pour réfléchir sur ce thème : « L’enseignement ne connait qu’un seul problème, les élèves qu’il perd... Vous dites que vous avez recalé les crétins et les paresseux. C’est donc que vous prétendez que Dieu fait naitre les crétins et les paresseux chez les pauvres... » Les enfants de Barbiana, Lettre à une maitresse d’école, (Mercure de France, Paris, 1968.)
Chantiers
Le ministre a lâché sur les classes prépa, mais pas sur tous les chantiers ouverts (il y avait treize commissions de travail). Il annonce des mesures sur l'éducation prioritaire : dans 100 établissements, parmi les plus difficiles, les heures des professeurs seront revalorisées (1 heure comptera pour 1,1 heure). Ce qui va libérer du temps de travail à ces enseignants pour du travail pédagogique ou des rencontres avec les parents, importants dans ces établissements. Ce qui permet aussi à Vincent Peillon d'affirmer qu'il n'a « pas besoin de [s'] attaquer aux professeurs de prépas pour [aider] l'éducation prioritaire » puisque beaucoup, comme nous l’évoquions plus haut lui avaient reproché de vouloir prendre aux uns pour donner aux autres.
Concernant les directeurs d'école, il y aura "tout un travail de simplification administrative", explique le ministère. "On va dégager du temps pour ceux qui en ont le plus besoin, les petites et moyennes écoles. On va le programmer dans le temps, en 2014, 2015 et 2016", indique-t-on. Les directeurs d'école de deux ou trois classes seront dispensés de faire classe un jour par mois pour mieux assumer leurs autres responsabilités. Les décharges seront augmentées pour les écoles de 8 et 9 classes. Pour les directeurs d'écoles de trois classes et plus, un allégement des APC (activités pédagogiques complémentaires) est prévu, par exemple pour rencontrer des parents.
Autre chantier important, celui des RASED. Vincent Peillon a validé les conclusions du chantier-métier consacré aux enseignants spécialisés E et G et aux psychologues de l’Éducation nationale. Les trois spécialités du RASED sont réaffirmées ainsi que l’importance du travail en réseau. La relance de la formation est inscrite, dans la perspective de re-création de postes. Mais ces créations ne sont pas chiffrées pour l’instant.
M. Peillon devait aussi annoncer la création d'un nouveau statut, le professeur formateur académique, pour le second degré. Ces "professionnels de terrain", nous dit l’AFP au nombre de 500 en deux ans, garderont un temps de travail dans leur classe mais enseigneront aussi dans les Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé).
Je ne peux que me réjouir de cette “création”. Mais il y a un seul problème : ça fait huit ans que je suis dans cette situation !
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France.
samedi, décembre 07, 2013
Bloc-Notes de la semaine du 2 au 8 décembre 2013
- Digestion de PISA- Pisa c’est pas de la tarte – prise de tests – schizophrénie - Vastes programmes -
Vous en reprendrez bien une petite part ? Il est difficile de passer à côté de PISA lorsqu’on récapitule l’actualité éducative de la semaine qui vient de s’écouler. Et il faut se réjouir que plusieurs jours après, cela continue à susciter du débat. Il y aura peut-être (enfin) un “PISA-choc” en France. Mais l’actualité éducative, c’est aussi la question des prépas qui continue à agiter certains établissements. Et puis ce sont les déclarations de Vincent Peillon au Conseil Supérieur de l’Éducation sur les futurs programmes, le Collège et la note de vie scolaire.
Digestion de PISA
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur les résultats de l’enquête PISA . Mes collègues de la revue de presse depuis mardi 3 décembre vous en ont rendu compte avec force détails. Je vous invite à relire leurs chroniques.
On peut s’attarder cependant sur le traitement médiatique de cette enquête internationale. On a lu sur plusieurs articles que les petits français étaient des “cancres". Cette expression est mal venue. C'est une facilité journalistique dont on pourrait se passer dans les médias. Louise Tourret l'avait très bien écrit dans un papier sur Slate.fr évoqué la semaine dernière : "Nos mauvais résultats aux tests Pisa ne sanctionnent pas les élèves, mais nos politiques". Nos élèves (tout comme leurs enseignants d'ailleurs) font du mieux qu'ils peuvent dans un système qui dysfonctionne. En plus la notion de cancre n'est pas tout à fait adaptée car notre système est très performant... pour fabriquer de l'élite ! Et plutôt que des cancres, il fabrique de l'échec. Ce que je n'aime pas non plus dans cette expression c'est aussi qu'elle individualise l'échec et rend responsable chaque individu de celui-ci hors de tout déterminisme et de tout contexte.
En revanche, ce dont on peut se réjouir c’est que le traitement des résultats de PISA donne lieu à une “longue traîne”. En d’autres termes, plusieurs jours après (ce qui est considérable à l’ère de la contraction du temps médiatique) on a toujours des analyses produites par des chercheurs qui aident à réfléchir et à penser le changement (plutôt que simplement changer le pansement…).
C’est ainsi que nous avons pu avoir le point de vue de plusieurs sociologues et experts de l’éducation : Marie Duru-Bellat (dans le Huffington Post) , Pierre Merle (Le Monde) , Sylvain Broccolichi (Libération) , Béatrice Mabilon-Bonfils (Nouvel Obs), Olivier Galland (L’Express), Jean-Pierre Terrail (L’Humanité), Agnès Van Zanten (Libération) , Jean-Yves Rochex (Café Pédagogique) , Nathalie Mons (Café Pédagogique), Bruno Suchaut (Terraeco) et Xavier Pons (Nouvel Obs) . On pourra lire aussi une contribution du philosophe de l’éducation Denis Kambouchner (Le Monde) , de l’économiste Éric Maurin (Le Monde) et de l’ancien directeur de l’évaluation au ministère Claude Thélot (L’Express)
Toutes ces analyses sont intéressantes et méritent d’être lues. Les réactions des politiques le sont un peu moins. Et, on l’a vu, les simplifications et les caricatures sont souvent de mise. Le ministre et le gouvernement s’appuient sur les résultats de cette enquête de l’OCDE pour justifier la priorité donnée à l’éducation et les réformes en cours. Mais les résistances sont vives dans l’opinion et particulièrement chez les enseignants. Intéressons nous donc à l’opinion
PISA c’est pas de la tarte…
Y aura t-il un “PISA-schock" comme il y en a eu un en Allemagne il y a douze ans ? Les réactions de l’opinion et notamment chez les enseignants sont contrastées. D’un côté, comme nous le notions plus haut, cela donne lieu à de nombreuses analyses et même à une série de sondages. Bien plus qu’en 2009 !
Mais d’un autre côté, on voit des résistances apparaître. D’abord sur l’enquête elle même qui, comme tous les “thermomètres” est critiquable. En tant que professeur de Sciences économiques et sociales, je montre à mes élèves les limites et les critiques du PIB, de la mesure du chômage, de l’inflation, etc. Il est donc normal qu’on se questionne de la même manière sur PISA. Nous reviendrons plus loin sur ce que cet indicateur mesure vraiment.
Mais le principal constat sur le système éducatif n’est pas une surprise. Comme le résume très bien le sociologue Sylvain Broccolichi dans Libération : “Qu’en France la réussite scolaire soit de plus en plus liée au milieu social des élèves ressortait déjà des dernières enquêtes Pisa. Notre système éducatif est ainsi devenu en 2009 le plus inégalitaire d’Europe et en 2012 le plus inégalitaire du monde. ”. On peut rajouter que ce n’est pas seulement l’enquête de l’OCDE qui le dit, ce sont toutes les enquêtes des sociologues de l'éducation !
La réaction de défense qui consiste donc à recourir à la théorie du complot: ("Qui est derrière PISA ? C'est la faute à qui ? Qui nous veut du mal ?)" trouve donc vite ses limites. Autre réaction de défense : la victimisation ("Encore un prétexte pour dire du mal de nous les profs"). Là aussi , dire que ce type d'enquête remet en cause le travail des enseignants et méprise toute une profession (on le lit ici ou là...) est discutable et témoigne surtout de l’état de désespérance du milieu enseignant. Il faut évidemment dissocier ses gestes professionnels de sa personne. Mais comme nous le disions plus haut, il faut aussi comprendre qu'on peut faire son métier du mieux que l'on peut dans un système qui dysfonctionne... Autre mécanisme de défense, la recherche d’alibis : “Oui, mais si c’est un système à la coréenne, non merci…” ; “oui, mais il y a moins d’étrangers en Finlande (et c’est moins grand)”. Peut-être, mais l’interrogation sur le système éducatif français demeure et les comparaisons n’enlèvent rien à sa nature profonde. Dans le même registre, on trouve aussi "on n'y peut rien, c'est la société qui est inégalitaire..." Oui, certes, mais l'École produit aussi ses propres inégalités et des pays avec des inégalités économiques et sociales aussi fortes n'ont pas forcément le même niveau d'inégalités au sein de l'École... Attendre le grand soir pour justifier de ne rien changer dans l'École, ce n'est plus possible... “Changer l’École” et “changer la société” sont deux mouvements complémentaires.
Quand on fait la liste de ces réflexes de défense dans l’opinion, on peut donc vraiment se demander s’il y aura un “PISA choc”. Pas sûr... Car derrière ces blocages et pseudo-arguments, il y a une question non tranchée et qui est celle des finalités du système. Faut-il continuer avec un système construit essentiellement comme au dix-neuvième siècle pour sélectionner les élites ou se demander vraiment comment faire pour ne pas "fabriquer" de l'échec et faire réussir le maximum d'élèves ? D'autant plus que ce système ne permet même plus de renouveler ces mêmes élites et est aujourd'hui celui où l'origine sociale joue le plus dans la réussite scolaire !
La concertation préalable à la refondation concluait à un “constat partagé”. Mais on peut se demander si ce n’est pas un unanimisme de façade. Derrière la résistance à la refondation de l’École, n’est-ce pas finalement la question du lien social qui est posée dans une société qui s’accommode de laisser sur le bord de la route un noyau dur de “vaincus” du système scolaire ?
C’est cette interrogation qu’exprime assez bien, me semble t-il Nathalie Mons dans le Café Pédagogique : “ Les inégalités scolaires fortes s’expliquent aussi par des écarts marqués dans les contextes scolaires en termes de ressources. Derrière l’affichage de la politique d’Education prioritaire, des inégalités d’allocation des ressources publiques ont vu le jour qui sont souvent occultées. […] L’organisation actuelle de l’école n’est plus en capacité de contrarier les inégalités dont elle hérite. […] Quand l’école se dégrade ou s’est dégradée - outre les compétences cognitives des élèves qui régressent- ce sont les fondements du lien social qui sont interrogés, ce qui n’est pas dans la société française actuelle, neutre.”.
Prise de tests
Avant d’en venir aux autres sujets, consacrons encore quelques lignes à PISA. Un autre symptôme de l’intérêt croissant pour ce classement est à chercher dans l’intérêt de plusieurs journaux pour les tests eux mêmes. Ça ressemble à quoi un test PISA ?
L'OCDE elle même, propose de découvrir des exemples de questions de l’épreuve de mathématiques du PISA 2012. Le Figaro propose aussi un article permettant de découvrir ces tests, tout comme Le Monde . Signalons aussi que sur le site “Educ-Eval” on trouvera des exemples plus anciens mais toujours valables concernant la compréhension de l’écrit et la culture scientifique.
A la lecture de ces tests très concrets et où on demande dans des contextes différents de mobiliser des ressources, il apparaît que ceux-ci ne sont pas forcément proches des exercices et des “contrôles” proposés aux élèves français dans leurs établissements. On peut y voir la marque d’une idéologie.
On peut aussi y voir une vraie question pédagogique… Car, c’est que nous disent les spécialistes de l’évaluation, le meilleur moyen d'inférer si un savoir est acquis c'est le transfert. Savoir c'est transférer. Et donc ça suppose en effet de mettre celui qui a appris face à des situations complexes. Des problèmes, où on demande à l'élève d'utiliser les ressources acquises dans un autre contexte. Sinon, qu’est ce donc ? Du vomissement de cours et pas de la digestion (pardon pour la métaphore mais je l'emprunte à Épitecte). Les petits français sont très forts en récitation de cours parce que le système est bâti comme ça. Et en effet les tests PISA reposent sur un autre présupposé. La connaissance ne doit pas être “utile” mais elle doit au moins être réellement acquise. Durablement. Et le meilleur moyen de le vérifier c'est de montrer qu'on sait l'utiliser.
Il serait temps que l’on se pose sérieusement cette question dans le système éducatif français et que les enseignants français plutôt que de transmettre deviennent des spécialistes du “faire apprendre”.
Schizophrénie
Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, s'est défendu, mercredi 4 décembre sur France Inter, « d'attaquer les classes préparatoires ». Il a toutefois averti qu'il « ne reculerait pas » devant les professeurs qui se disent « surchargés de travail » et craignent une dégradation de leurs conditions de travail. Le lancement par le ministère de discussions sur les métiers des enseignants, dont ceux des classes qui préparent aux concours des grandes écoles, a provoqué chez ces derniers un tollé. Beaucoup redoutent en effet une hausse du nombre d'heures de cours et une baisse de leurs rémunérations. « Je dis aux professeurs des classes préparatoires (…) : vous êtes utiles, vous êtes indispensables, je reconnais vos qualités et nous les confortons », a affirmé le ministre. Mais il a également relevé qu'il y avait des « situations très disparates – la Cour des comptes l'avait pointé – avec des gens qui travaillent huit heures d'autres seize heures, et donc [il y a] une discussion avec les classes préparatoires pour mettre de la transparence, de la justice et de l'équité ».M. Peillon a dans le même temps qualifié de « totalement inexacts » les chiffres de « 10% à 20 % de salaire en moins » avancés par les syndicats. Il y a des professeurs « et surtout les plus jeunes et ceux qui sont à la fois en lycée et en classe préparatoire, qui vont gagner avec cette réforme et d'autres qui vont perdre dans des proportions qui sont de 3 %, 4 % ou 5 % », a t-il affirmé. Selon lui, « ceux qui vont perdre le plus » sont ceux qui font beaucoup d'heures supplémentaires. « Comment vous pouvez dire à la fois “huit heures, je ne peux pas faire plus, je suis surchargé”, et faire huit heures supplémentaires », a-t-il ainsi interrogé.
Alors que lundi 9 décembre, une grève des professeurs de CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) est prévue, on voit donc que les positions semblent bien tranchées. Et le Ministre ne semble pas prêt à reculer. Même si les lobbys sont à l’œuvre et les soutiens existent au sein même du ministère. On peut regretter surtout que la situation aboutisse à des tensions fortes à l’intérieur du monde enseignant et à opposer une partie des enseignants aux autres. On peut comprendre qu’une bonne partie des enseignants de prépas partagent des valeurs d’égalité et lutte contre l’échec et soient sincèrement convaincus qu’ils œuvrent pour la méritocratie. Mais on peut aussi penser que les arguments défendus soient difficilement entendables par une autre partie des enseignants qui ont le sentiment que le travail qu’ils effectuent est tout aussi estimable que celui des premiers et mérite aussi des compensations.
Maryline Baumard dans le Monde parle de “schizophrénie de l'école française ”. Elle montre la tension à l’œuvre : “La France a évidemment besoin de continuer à former une élite. Si elle lui donnait le goût de la création, de l'invention, ce serait mieux encore… Mais elle doit aussi de toute urgence inverser les turbines de sa fabrique à cancres qui tourne à plein régime et accentue même les cadences d'année en année, selon PISA. Nos très mauvais élèves ne sont plus 16 % d'une génération comme en 2003, mais 22 %. La cinquième puissance mondiale peut-elle décemment abandonner un cinquième de sa jeunesse ?” Et elle poursuit “l'éducation nationale n'existe plus ! Fini l'unité d'antan. Il y a un système dual qui produit d'un côté des cancres, de l'autre des élites. ” [décidemment il y a un problème avec ce terme de “cancre”] Et elle poursuit : “La façade de la maison « Educ'Nat' » reste intacte et tente vaille que vaille de masquer ces différences entre profs… ou entre établissements. Mais, derrière le mur, les pièces ne se ressemblent pas. Subsistent en effet de très belles classes où l'on choie l'élite et des mansardes décrépies où l'on fabrique de l'échec, en particulier dans les territoires les plus ghettoïsés. Aujourd'hui, le coût d'un élève de classe préparatoire est de 15 000 euros annuels, celui d'un collégien 8 300 et d'un écolier 5 800… Or, pour qui la nation fait-elle un effort quand elle dépense plus pour ses prépas que pour ses collégiens ? Pour ses enfants bien nés. Ceux qui sont issus des milieux favorisés. 57 % des élèves de CPGE sont de milieux très favorisés, 11 % de milieux très défavorisés. A l'entrée au collège, les proportions sont inverses : 18 % des élèves sont en effet de milieux très aisés et 41 % de familles très défavorisées.”
Soyons clairs, le problème de Peillon dans cet épisode, est surtout que dans un contexte de pénurie comme nous sommes en ce moment, la négociation n'est pas un jeu à somme non nulle “gagnant-gagnant". C'est au contraire un jeu à somme nulle : si certains gagnent un peu, d'autres perdent. Un peu et pas pour tous. Savoir choisir et arbitrer en fonction de valeurs (valoriser la lutte contre l'échec scolaire et la réussite de tous plutôt que la reproduction des élites) et pas uniquement sur une base électoraliste ou tacticienne c'est une compétence politique. Et même une vertu.
Et je rajouterai que tant qu'on aura pas clarifié les finalités de l'École française, on restera dans cette schizophrénie qui est aussi le révélateur de l'hétérogénéité (voire de l'éclatement) du monde enseignant.
Vastes programmes
«Il convient de repenser le collège unique car il est une étape essentielle de la scolarité obligatoire et un moment déterminant pour la poursuite des études.» Le ministre de l'Éducation a officiellement ouvert le dossier collège vendredi dernier , prometteur de débats tout aussi vifs que ceux sur les rythmes ou sur le métier enseignant.
Vincent Peillon a annoncé aussi ce vendredi 6 décembre la création de 4.000 postes dans les collèges pour des temps d'accompagnement permettant aux élèves de progresser à leur rythme. Il a annoncé également la suppression de la note de vie scolaire. Le ministre de l'Education nationale réunissait le Conseil supérieur de l'éducation (CSE, instance consultative qui rassemble syndicats d'enseignants, parents d'élèves, collectivités...) pour présenter les orientations données au Conseil supérieur des programmes (CSP), chargé de refondre les programmes de la maternelle pour la rentrée 2014 et du CP à la 3ème à partir de la rentrée 2015. Signalons que vous trouverez déjà mises en ligne ces lettres de mission du ministre au Conseil supérieur des programmes sur la refondation des programmes de l'école primaire et sur le socle commun.
A propos de la refonte des programmes , on peut pour clore cette (trop) longue chronique espérer que la fabrication de ces futurs programmes aille vraiment vers une logique curriculaire , c’est-à-dire une logique qui enferme moins dans des procédures et des indications strictes et qui donne de la souplesse aux enseignants pour mettre en œuvre des objectifs clairs. Un système qui conduise moins à cet écart délétère entre le prescrit et le réel et qui, au final, est difficile à vivre pour tous les professeurs car générateur d’effet pervers et de tensions : chez les enseignants et chez les élèves. En d’autres termes, un système moins rigide sur les modalités et plus ferme sur les finalités. Et qui ne laisse personne sur le bord de la route.
Utopie ? Oui, peut-être mais les utopies sont aussi fondatrices et porteuses d’espoir et d’action. On ne pouvait finir autrement cette chronique cette semaine que par cette citation : "Education is the most powerful weapon which you can use to change the world." (l’éducation est l’arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde).
Nelson Mandela (18.07.1918-05.12.2013)
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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samedi, novembre 30, 2013
Bloc Notes du 25 novembre au 1er décembre 2013
- Profs de prépas hatifs - unité ou division ? – Ressources humaines – PISA rapido - Kiwis - .
Pour changer, il n’y aura rien sur les rythmes dans ce bloc notes. On va y parler essentiellement du métier d’enseignant. Du métier ou DES métiers ? On le sait, Vincent Peillon a lancé des négociations sur ce sujet. Et certaines des propositions (dont notamment une qui concerne les prépas) qui sont sur la table déclenchent déjà des réactions dans une profession prompte à réagir. Pour aller plus loin que cette seule question des prépas, on peut essayer de comprendre si cela peut coaguler des mécontentements (ou pas...) et élargir aussi la réflexion à la gestion des ressources humaines dans l’éducation nationale.
Pour finir on attendra la livraison de Pisa, prévue le 3 décembre et on ira aussi faire un petit détour par la nouvelle Zélande.
Profs de prépas hâtifs
Ca s’agite dans les salles des profs de lycée en ce moment. Le SNALC-FGAF et le SNES-FSU accompagnés des associations de professeurs de classes préparatoires APHEC, APPLS, UPA, UPLS, UPS et UPSTI vont déposer, ce jeudi, un préavis de grève pour le 9 décembre. « La décision effective de faire grève sera prise le mercredi 4, à l’issue d’une journée de rassemblements et de manifestations dans les académies et en fonction des résultats de la réunion prévue au ministère sur le sujet, le 2 décembre », indique aux « Echos » Dominique Schiltz (SNALC)
De quoi s’agit-il ? Dans le cadre des discussions que Vincent Peillon a ouvertes avec les syndicats pour réformer le métier d’enseignant, le ministère met sur la table la remise à plat de décharges jugées obsolètes. Et, en ce qui concerne ceux exerçant en prépa, deux heures hebdomadaires sont dans le collimateur du gouvernement. Un professeur de classe prépa doit, en théorie, 10 heures d’enseignement par semaine. Mais la plupart en font 8 à 9. Ceci, grâce à deux heures de décharge qui leur sont octroyées : l’une, à ceux qui enseignent en deuxième année ; l’autre, à ceux ayant des classes de plus de 35 élèves. Deux heures aujourd’hui mises en cause au motif que les professeurs de deuxième année finissent leur service à Pâques, lorsque les étudiants passent les concours, ce qui leur offre le temps de préparation nécessaire à leurs cours. Concernant la décharge pour cause d’effectif, les partisans d’une réforme considèrent qu’avoir 35 élèves en prépa n’est pas anormal. En cumulant traitement, heures supplémentaires et heures d’interrogation orale (les « heures de colle »), un professeur de classe prépa gagne en moyenne 4.800 euros nets par mois ; un professeur de chaire supérieure, 5.700 euros… avec, en fin de carrière et en cumulant le maximum d’heures supplémentaires et d’heures de colle, la perspective d’émoluments pouvant atteindre 9.800 euros nets comme l’avait évoqué la Cour des comptes dans un rapport récent. Mais les associations d’enseignants font valoir que de tels niveaux de revenus sont exceptionnels. Les défenseurs de la réforme, eux, n’hésitent pas à les évoquer.
Le ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon , s'est défendu vendredi de vouloir s'en "prendre aux classes préparatoires", Il affirme qu’ "Il n'y a aucune volonté, aucun projet de s'en prendre aux classes préparatoires et de vouloir les supprimer”. "Les situations mêmes des professeurs de classes préparatoires sont très disparates. Il y a en a qui ont des situations peut-être meilleures que d'autres", a-t-il dit invoquant pour justifier ses propositions un souci "de transparence et de justice". "Cette estimation que je vois circuler me semble totalement fausse, a donc affirmé Vincent Peillon. L'objet n'est pas de baisser les salaires. L'objet est de faire que les uns et les autres aient des salaires qui se justifient en fonction des tâches accomplies."
D’autant plus que la question qui est cachée derrière la remise à plat des heures de prépa est celle des “pondérations” pour l’ensemble des enseignants. C’est technique mais les enjeux sont importants. Le ministre aurait proposé une pondération de 10% pour chaque heure de cours en première et terminale avec un maximum de 1 heure supplémentaire . En éducation prioritaire chaque heure serait majorée de 10% sans plafond. Enfin les heures de STS seraient payées 1,25h et celles de CPGE 1,5 h ce qui est proche du système actuel. Donc les propositions visent avant tout à rendre plus attractifs les postes en éducation prioritaires en tenant compte de la difficulté liée à ce type de classe.
Unité ou division ?
En tout cas, passer de la querelle des rythmes au statut des enseignants, c’est comme passer de “La petite maison dans la prairie” à “Game of Thrones”. Winter is coming… Essayons de comprendre pourquoi ça risque de bloquer, ou pas…
Notons d’abord que si les profs de prépa sont remontés contre ce qui n’est pour l’instant qu’un projet, il n’est pas sur que la mobilisation dépasse leurs rangs. Car il y a une perception des inégalités chez les enseignants qui peut empêcher l’action collective de se faire. Pour le résumer de manière triviale : Les profs de CPGE sont-ils les footballeurs (ou les patrons du CAC 40) de l’éducation nationale ? Les écarts de traitements importants entre ces enseignants et le reste de la profession limitent la portée d’une action collective et peuvent faire que le sentiment d’injustice l’emporte sur la mobilisation collective.
Mais, à l’inverse, il se peut aussi que le réflexe corporatiste l’emporte sur la nécessité d’un rééquilibrage. Beaucoup pourraient se dire que la remise à plat vécue comme une attaque supposée ou réelle contre certains avantages pourrait à terme concerner d’autres catégories. Et il est vrai que le gel du point d’indice et les salaires relativement bas par rapport à la moyenne européenne peuvent conduire une bonne partie des enseignants à une certaine méfiance contre une réforme qui se fait à moyens constants (hormis les postes créés). Le découragement peut servir d’unité à une profession pourtant si hétérogène et divisée.
Rien n’est simple, tout se complique. Et tout l’enjeu sera de savoir si le corps enseignant est un corps homogène ou non et si ce qui fait l’unité tient plus à des réflexes corporatistes ou à des valeurs partagées. Mais quoi qu’il en soit se contenter de dire que "ces salauds de riches" de profs de CPGE paieront est absurde et injuste. Mais défendre le statu quo et contester l'ensemble de la démarche au motif du métier qui est attaqué l'est tout autant. Car une réforme des CPGE semble légitime et nécessaire : d'une part pour renforcer leurs liens avec le 1er cycle universitaire, d'autre part pour revoir aussi le système de rétribution à l'intérieur des classes préparatoires qui est à la fois inégalitaire et opaque, que ce soit pour la répartition des HS, la variation des pondérations et celle des heures de colles. Car les inégalités sont aussi très fortes parmi cette corporation.
Ressources humaines
Sur le site de l’association “Aide aux Profs” on pourra lire une interview de Josette Théophile, ancienne DGRH de l’Éducation Nationale qui en a été débarquée à l’été 2012. Elle y dénonce "notre conception théorique du service public prompte à habiller en 'égalité de traitement' la difficulté d’apporter des réponses adaptées à des problèmes différents". Peu amère car dit elle “je suis convaincue que mon départ n’est pas lié à l’alternance politique, mais plutôt à la querelle entre les partisans de l’immobilisme et ceux de l’évolution, qui se répartissent agréablement de gauche et de droite… ”, elle donne son point de vue sur ce que peut faire, et ce que devrait faire, le ministre actuel : "Il est possible de négocier avec les organisations syndicales un accord global" et non pas "corps par corps" sur l’évolution des métiers d’enseignant”. Pour elle, le temps de travail des enseignants doit se gérer "autrement, par exemple avec des fourchettes par type de missions sur un calendrier qui peut être trimestriel ou annuel", la gestion des emplois du temps relevant "de chaque établissement [...] dans le respect des fourchettes fixées par l’accord national".
Rémi Boyer est le fondateur et président de cette association Aide aux profs. Dans une interview donnée au blog des journalistes éducation du Monde il explique qu'il faut se préoccuper des "secondes carrières” et permettre notamment aux enseignants en souffrance de pouvoir partir. Alors que dans la gestion actuelle "tout est fait pour retenir les enseignants" Il préconise de “faire sauter les verrous de la mobilité de carrière. Sur les 4 500 professeurs qui ont demandé, en 2012, à bénéficier du dispositif « seconde carrière » pour ne plus enseigner, à peine 100 ont accédé à un poste administratif, comme attaché d’administration. Rien ne permet de faire autre chose que d’enseigner dans les plans académiques de formation, et il faut attendre cinq à sept ans pour obtenir un congé de formation. Les bilans de compétences ne sont plus financés. Certaines académies refusent même des demandes de démission tant le déficit d’enseignants dans certaines disciplines est grand !”
Y a t-il vraiment une gestion des ressources humaines à l’Éducation Nationale ? En dehors des difficultés d’organisation, si souvent pointées, le problème est aussi lié à la représentation du métier et à la construction de l'identité professionnelle. Notez tout le vocabulaire religieux associé à l'enseignement : on parle de “vocation”, de "mission" voire de “sacerdoce” quelquefois...Dans ce contexte, il est logique que la “dé-mission" soit vécue et interprétée comme une forme de trahison ou d'échec. Alors que si le métier d'enseignant était vécu comme un métier “normal" (même s'il a ses spécificités), le fait d'en partir serait alors bien mieux vécu.
Je constate en tant que formateur que les enseignants qui abordent le métier d'enseignant après avoir eu une carrière ailleurs avant ont en général une approche très saine du métier et de la formation. Bien plus d'ailleurs que ceux qui ne sont jamais sortis du système scolaire. Il faut donc militer pour les "deuxièmes carrières" mais aux deux bouts de la chaîne. D'accord pour qu'on rentre à tout âge dans l'enseignement mais aussi pour qu'on puisse en sortir quand on le souhaite ! L'un va avec l'autre. C'est pour cette raison que l’action d’une association comme “Aide aux profs” est utile car elle met l’accent sur un manque criant de véritable gestion des ressources humaines dans notre système éducatif centralisé et déresponsabilisant.
Pisa Rapido…
Attention ! Livraison imminente de PISA le 3 décembre.
Louise Tourret sur Slate.fr nous en sert déjà une petite tranche en nous prévenant : "Nos mauvais résultats aux tests Pisa ne sanctionnent pas les élèves, mais nos politiques" et en s'étonnant que jusqu'à maintenant les résultats de cette enquête n'aient pas eu d'effets sur le système éducatif français.
Pour ceux qui l’ignoreraient ou l’auraient oublié, PISA signifie “Programme international de suivi des acquis des élèves” (ou “Program for International Student Assessment”). C’est une comparaison internationale des acquis des élèves de 15 ans révolus menée aujourd’hui dans les 34 pays de l’OCDE et de nombreux autres pays partenaires. La comparaison est faite tous les trois ans sur la lecture, les mathématiques et la culture scientifique et s’accompagne aussi d’“enquêtes de contexte“. Les résultats des enquêtes de 2000, 2003, 2006 et 2009 seraient bien trop longs à détailler ici, mais dans ses grandes lignes, Pisa montre que notre pays occupe une place très moyenne dans le classement et sans cesse en baisse. Par exemple, nous étions 18e en 2009. Une place médiocre qui a surpris lors de la première parution de l’enquête, et qui a fait l’objet de bien des critiques. Pas sur notre système mais sur les modalités et la rigueur de l’enquête elle même…
Alors que dans d’autres pays, il y a eu un vrai “Pisa-choc”, cela n’a pas été le cas en France. Concernant les évaluations des élèves, les statisticiens de l’Education nationale soulignent à quel point les données de cette enquête recoupent leurs propres études. Et les détails de l’enquête sont asez éloquents. Par exemple, les élèves français sont plutôt bons en QCM et plutôt médiocres quand il s’agit de développer les réponses. Là où nous sommes très forts en revanche, c’est pour le taux de non réponse au questionnaire, et comme le rappelle Eric Charbonnier, analyste à la direction de l'Education de l’OCDE, la France se trouve dans le groupe de tête pour ce qui concerne le stress scolaire, recueillant la troisième place pour l’anxiété en 2003, derrière le Japon et la Corée. Les sociologues de l’éducation, Baudelot et Establet ont aussi montré dans un livre consacré aux derniers résultats de 2009 que le système français était profondément inégalitaire et favorisait ceux qui étaient déjà favorisés
Il y a encore une quinzaine d’années, un ministre de l’éducation (Jack Lang) affirmait que nous avions le meilleur système d’éducation, les comparaisons internationales telles que PISA (ou PIRLS) incitent à plus de modestie. Et à poser la question de l’efficacité de notre système au delà des clivages politiques. C’est que pointe Louise Tourret sur Slate.fr : “ Faites le calcul : sous quels gouvernements et quel ministre un élève de 15 ans en 2000, 2003, 2006, 2009 a-t-il passé sa scolarité? Tout le monde (et personne en particulier) peut-être responsable de nos mauvais résultats.”. Je souhaiterais rappeler aussi une de mes phrases fétiches (avec ma métaphore des musiciens du Titanic qui ont continué à jouer du mieux qu’ils pouvaient pendant le naufrage) à destination des enseignants qui voient ces enquêtes comme une remise en cause de leur travail : "on peut faire son travail du mieux que l'on peut dans un système qui dysfonctionne...."
En écho à l'article de Louise Tourret, et pour faire le lien avec la gestion des ressources humaines, Emmanuel Davidenkoff (France Info) anticipe lui aussi les résultats de Pisa et pose la question (en s'appuyant sur une note d'Andréas Schleicher) directeur éducation de l'OCDE) : Les gagnants de l'enquête PISA seront-ils ceux où les professeurs sont recrutés parmi les meilleurs étudiants ?
En fait pour Schleicher, le lien n’est pas évident mais le directeur éducation de l’OCDE considère qu’il faut faire ou refaire du métier d'enseignant une profession hautement respectée, donc le rendre aussi attractif intellectuellement que financièrement. Et dans les établissements, permettre un management qui favorise les progrès individuels et collectifs du corps enseignant. Donc se doter d’une vraie politique de ressources humaines mais on a bien vu que les enseignants sont rétifs à cette individualisation et craignent un management à la tête du client.
Kiwis
En 2007, la Nouvelle-Zélande a complètement transformé son système éducatif. On y fait entièrement confiance aux écoles et aux enseignants avec une large autonomie des équipes pour la mise en oeuvre du curriculum. Sur le site d’informations éducatives québécois Infobourg on trouve une série de trois articles sur ce pays qui a su mener des transformations et tenir compte des enseignements des comparaisons internationales.
Les résultats de 2009 du programme PISA de l’OCDE (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) classent les élèves de la Nouvelle-Zélande en 7e position pour leurs résultats académiques globaux. Des données préliminaires ont montré que ces résultats vont être en augmentation pour le dépôt du rapport de 2013. Toutefois, pour être complet il faut souligner que le système éducatif reste perfectible avec une réussite toujours faible des élèves d’origine maorie. Mais c’est le constat des inégalités qui a enclenché les profondes transformations du système.
La principale évolution tient à la définition des programmes et l’adoption d’une logique curriculaire. Les grandes lignes du curriculum de la Nouvelle-Zélande englobent la 1ère à la 13e année dans un seul document explicatif de… 49 pages! D’ailleurs, l’infographie du curriculum tient sur une seule page que je vous invite à lire. En d’autres termes, ce document fixe les finalités et des objectifs très généraux d’apprentissage et ensuite c’est aux équipes d’enseignants de les mettre en œuvre. Collectivement…
Comme le dit un des articles de ce mini-dossier : en Nouvelle-Zélande, on fait entièrement confiance aux écoles et aux enseignants. Cependant, si confiance rime avec flexibilité, elle rime aussi avec rigueur ! Chacune des plus de 2500 écoles du pays construit en toute autonomie son curriculum scolaire, en fonction de sa réalité et des 8 principes établis par le gouvernement (attentes élevées, les bases du, traité de Waitangi diversité culturelle, inclusion, apprendre à apprendre, engagement communautaire, cohérence et orientations futures). L’évaluation des enseignants se fait sur leurs capacités à collaborer, à partager et à réfléchir, et non sur leurs performances, comme c’est le cas aux États-Unis (cf articles précédents). Ils doivent, dans ce cadre, présenter un plan de développement professionnel et un portfolio (blog, vidéo, etc.). Le développement professionnel est hautement encouragé et les enseignants bénéficient même de congés pour organiser leurs idées au retour d’un colloque ou d’une formation. Ils produisent et mutualisent les évaluations des élèves destinées à vérifier que les objectifs sont atteints et celles ci sont soumises à un regroupement d’éducateurs dont le mandat est d’en valider la qualité…
En conclusion, le système éducatif de la Nouvelle-Zélande a confiance en ses enseignants et leur donne énormément de pouvoir et de flexibilité. En contrepartie, ceux-ci sont évalués et doivent démontrer qu’ils sont réflexifs, collaboratifs et qu’ils partagent leurs réalisations. Le système ne s’appuie pas, comme chez nous sur une vision individualiste et “libérale” du métier et sacro-sainte “liberté pédagogique” mais sur une réelle autonomie des équipes.
La Nouvelle Zélande, c’est intéressant à observer pour en débattre et voir s’il est possible de s’en inspirer. Et pas que pour le Rugby…
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
dimanche, novembre 24, 2013
Bloc-Notes de la semaine du 18 au 24 novembre 2013
C’est du brutal… - Façon puzzle – ce besoin de faire des phrases – nervous breakdown – une ordonnance et une sévère -
Un bloc notes en forme d’hommage à un film culte ….
Avec les nouveaux fronts qui s’ouvrent comme celui du temps de travail et du statut des enseignants et des contenus des programmes, mais aussi la querelle des rythmes qui n’en finit pas, l’actualité éducative est aussi pleine de rebondissements qu’un film de gangsters…
C’est du brutal…
Vous avez aimé la petite querelle sur les rythmes, vous allez adorer la polémique sur le temps de travail des enseignants.
Pour les amateurs de films c’est comme passer de “Ne nous fâchons pas” à “Les Tontons flingueurs”…
Régi par le fameux décret de 1950, le métier d’enseignant se résume, officiellement, au temps passé face aux élèves. Un professeur des écoles assure ainsi 24 heures de cours par semaine, un certifié, dans le secondaire, dispense 18 heures et un agrégé 15 heures. Une vision réductrice du métier qui ne tient pas compte de toute la diversité des fonctions et des missions accomplies par les enseignants. Hier et aujourd’hui…
C’est un des dossiers les plus sensibles qu’ouvre donc Vincent Peillon. Un de ceux à côté duquel la réforme des rythmes pourrait apparaître comme une “promenade de santé” selon les mots prêtés au ministre.
Des propos de Vincent Peillon sont aussi repris dans un article de Caroline Brizard, du Nouvel Obs qui délimitent prudemment le périmètre des discussions. "Ma volonté n’est pas d’attaquer les enseignants, mais de les conforter", affirme Vincent Peillon. Outre les heures devant les élèves -15 heures par semaine pour les agrégés, 18 heures pour les capésiens, une différence à laquelle le ministre n'entend pas toucher - les discussions vont identifier les autres tâches qu’assurent aujourd’hui la plupart des professeurs : rencontrer les parents, se concerter avec les collègues, accompagner les élèves… Elles devraient être inscrites dans les textes. Mais certains professeurs font plus que cela encore. Ils assurent la responsabilité du numérique dans leur établissement, ils portent un projet particulier… Le ministre évoque pour eux une forme de valorisation : "Je souhaite que les enseignants qui sont le plus engagés dans la réussite de leurs élèves aient une reconnaissance, y compris indemnitaire". Il ne peut pas chiffrer cette indemnité, puisqu'elle sera l’objet d’une négociation. Autre volet de la négociation, celui de la formation continue dont l’enjeu est celui de l’évolution de la pédagogie. "Nous allons mettre davantage de moyens humains pour permettre aux professeurs de partir en formation continue. Nous prévoyons le recrutement de quelques centaines d’emplois supplémentaires à la rentrée prochaine", annonce le ministre.
Comment mettre cela en œuvre avec une marge de manœuvre très faible puisque l’essentiel de l’effort a porté sur les re-créations de postes et qu’il ne reste presque plus rien pour des augmentations salariales ? Cela passe forcément par des rééquilibrages qui ne vont pas faire plaisir à tout le monde. On envisage ainsi d'alléger le quotidien des enseignants de zone d'éducation prioritaire (ZEP), en piochant dans les avantages octroyés à ceux réputés les plus privilégiés… C'est en tout cas une piste mise sur la table des négociations. Plus précisément nous apprend le Figaro le projet consisterait à supprimer les diminutions horaires liées aux «heures de première chaire», dont bénéficient uniquement les professeurs de première et de terminale, ainsi que celles des professeurs de classes préparatoires. Les décharges horaires seraient calculées différemment avec un système de «pondération» uniforme censé bénéficier à plus de monde, incluant les enseignants de ZEP.
Y a pas que de la pomme (de discorde) mais y en a !
Façon puzzle…
Vincent Peillon propose treize ( !) groupes de travail sur ces questions. Quelle sera l’attitude des syndicats et du milieu enseignant (on a vu que c’était de plus en plus distinct…) face à ces changements ? Va t-on vers une nouvelle glaciation avec en tête l’échec de la “revalo” de Jospin en 1989 ?
Laurent Mouloud dans L’humanité s’essaie à un repérage des sujets tabous et de ceux qui pourraient être l’objet d’avancées. Selon lui, le ministre ne devrait pas s’attaquer à des sujets polémiques comme la bivalence (enseignement de deux matières), une « ligne infranchissable », a rappelé Daniel Robin, du Snes-FSU. Mais il va devoir faire des propositions concrètes sur le quotidien des enseignants. En juin 2012, le rapport de la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin (CRC) a mis en évidence la dégradation, ces dernières années, des conditions de travail. L’élue évoquant notamment des enseignants « soumis à des injonctions contradictoires (…) et qui perdent progressivement prise sur leur travail ». Autre question centrale, celle des salaires alors que les professeurs français sont payés, en moyenne, entre 10 et 15 % de moins que leurs homologues de l’OCDE. Un point crucial sur lequel Vincent Peillon, rigueur budgétaire oblige, aura peu de marge de manœuvre.
Du côté syndical, à la question de l’Express Faut-il changer le statut de 1950, décrets qui fixent le nombre d'heures d'obligation de service par semaine?, voici la réponse de Daniel Robin, secrétaire général du SNES-FSU, syndicat national des enseignements du second-degré, majoritaire : “Oui car au-delà des heures de cours, il y a le travail invisible: réunions pédagogiques, conseils de classe, rencontre des parents, préparation des cours, corrigés des copies.... Au total, un enseignant du secondaire travaille en moyenne 42 heures par semaine, bien plus que le temps de travail légal en France. Il est essentiel que ce temps de travail soit rendu visible. ”. Mais le responsable syndical s’empresse d’ajouter que cela doit passer par des hausses de rémunération. Avec toutefois une certaine prudence : “Nous sommes conscients du cadre budgétaire qui contraint le gouvernement. Nous n'allons pas exiger des hausses immédiates, mais un engagement à inverser la tendance en matière de rémunérations. ”. Les revendications du SNUipp-FSU, majoritaire pour le primaire sont, elle plus fortes encore et pointent le décalage entre le sort réservés aux professeurs des écoles par rapport à leurs collègues du secondaire. Un sentiment de déclassement qui joue fortement sur le malaise de cette catégorie et qui rejaillit sur les freins à la réforme des rythmes dont nous parlerons plus loin.
Les syndicats considérés comme “réformistes” (SGEN-CFDT, SE-UNSA) sont favorables, quant à eux, à une discussion plus large et à des rapprochements entre les différents corps, voire à un “corps unique” pour le SGEN . Ils évoquent aussi un allè̀gement de la charge globale de travail et un service “TTC” (toutes tâches comprises) intégrant toutes les missions avec une baisse significative du nombre d’heures de cours. Pour rendre visible et reconnu, tout le “travail invisible” et pourtant bien réel évoqué plus haut.
On l’a compris, le sujet est hyper-sensible. D’autant plus que l’état d’esprit des salles des profs est quelquefois en décalage avec les négociations des instances syndicales. On l’a bien vu avec le primaire. Et le climat est aussi alourdi par la multiplication des rumeurs. Ainsi, depuis quelques jours circule dans le petit monde de l’éducation une sorte de présentation « powerpoint » (que le Monde s’est procuré ) de ce qui pourrait être une réforme des missions des professeurs agrégés et du concours de l’agrégation. Sans savoir quel était précisément le statut de ce document, qui en était l’auteur - parfois sans même l’avoir eu entre leurs mains ! -, des organisations d’agrégés (bien connues pour leur conservatisme) se sont insurgées contre la « casse » de l’agrégation. Cela donne une idée du climat. Tout comme les assemblées de profs de prépas dans les lycées dont certains envisagent de bloquer les établissements .
Touche pas au grisbi !
ce besoin de faire des phrases…
Pourquoi est-ce si difficile de réformer le statut des enseignants ? On pourra lire une très bonne analyse d'Arnaud Gonzague dans le Nouvel Obs sur le métier de prof et ses contradictions : “Pourquoi est-il si délicat de chercher à redéfinir officiellement ce qu’est le métier d’enseignant, notamment au collège et au lycée ?[...] Ce qu’il faut comprendre, c’est que le métier d’enseignant dans le secondaire (collège et lycée) français vit dans la négation d’une partie de son activité. Autrement dit, il y a ce que font les profs sur le papier et ce que font les profs dans la réalité. [...] Dans la réalité, évidemment, ils font bien d’autres choses” . C’est le fameux “travail invisible que nous évoquions plus haut : les préparations de cours et les corrections bien sûr, les conseils de classe mais aussi les réunions de coordinations, le travail en équipe et en partenariat, l’aide et le soutien. Et aussi la formation. "Dans un monde rationnel, les enseignants seraient désireux de faire valoir ces heures auprès du ministère, parce qu’elles constituent la vraie noblesse de leur métier” souligne un expert interrogé dans cet article. “Mais voilà, le monde des syndicats enseignants est loin d’être rationnel ! " Et le journaliste du Nouvel Obs poursuit ainsi son analyse : “ Car pour beaucoup d’entre eux [les enseignants], la "noblesse" du métier réside encore dans l’excellence académique – c’est-à-dire la maîtrise technique de leur matière sanctionnée par un Capes ou une agrégation. Reconnaître le reste de leur mission, c’est inscrire officiellement du "travail en plus" dans leurs agendas, même s’il est déjà très souvent accompli dans les faits. Mais surtout, cela revient à leur faire admettre qu’ils ne sont pas de purs esprits distillant leurs connaissances à des "apprenants", mais bien des adultes qui s’adaptent aux réalités changeantes d’élèves en chair et en os, avec leurs rêves, leurs difficultés, leurs contextes familiaux…”
Cette analyse est intéressante, si toutefois, on oublie pas que LES enseignants, ça n’existe pas et qu’il y a (fort heureusement) des situations et des positionnements très divers. Mais elle pointe un élément, essentiel à mon avis, qui est le décalage entre le prescrit et le réel, entre le discours et les pratiques. Comment rendre visible ce travail invisible alors même que la reconnaissance de celui-ci bouscule la construction de son identité professionnelle ?
Mes chers collègues….Comme nous avons des tas de choses en commun, je vous aime bien, tous (ou presque) mais je l’avoue j’ai quelquefois du mal avec certaines discussions de salles des profs. La déploration permanente et le cynisme de certains, ce n’est pas mon truc… Mais, j’ai appris aussi au fil des années (trente deux, déjà) qu’il fallait se méfier des discours de façade et que les actes (produit de la nécessité) étaient bien souvent sans rapport avec les affirmations péremptoires et la référence à une identité professionnelle mythifiée. Les enseignants ont bien souvent une approche intime et individuelle du métier qui les rend rétifs à tort ou à raison aux injonctions. On ne fera pas volontiers ce qui est imposé alors qu'on le fera quand même si on estime que ça correspond à ses valeurs ou à la conception qu'on se fait soi même du métier. C'est aussi toute la différence entre le discours, très important chez des gens du "verbe" dans la construction de l'identité professionnelle et les pratiques qui évoluent bien plus vite sous la pression des circonstances. Au final, c’est peut-être ce qui me rend optimiste, car avec l’évolution de la formation, c’est dans cette reconnaissance d’un travail “déjà là” qu’il pourra y avoir une remise à plat des missions des enseignants. Et une réflexion sur les missions et les valeurs de l’École. Mais j’arrête là avec cette parenthèse d’opimisme militant.
j'ai plus ma tête, j'ai plus ma tête !
Nervous breakdown
Ne croyez pas cependant que la “saison 1” de la querelle des rythmes soit terminée. Dans une chronique qui a beaucoup circulé dans les réseaux sociaux Hubert Huertas, sur France Culture affirme “Rythmes scolaires : passée l'hystérie, la montagne était une dune ”. Et l’éditorialiste argumente “C’est l’enseignement principal de l’enquête lancée auprès de 3842 communes par l’Association des maires de France, présidée par le maire UMP de Lons le Saunier, Jacques Pélissard. Objet, la fameuse réforme des rythmes scolaires, présentée, dans le débat politique, comme une catastrophe oscillant entre Tchernobyl et Fukushima. Finalement quatre maires sur cinq en seraient plutôt satisfaits. […] Oui cette adaptation coûte cher. 150 euros en moyenne par élève. Même si ce n’est pas les 4 à 500 euros dénoncés par Jean-François Copé, toujours fidèle à ses nuances de dentelière, trois communes sur quatre ont des difficultés et réclament que le conseilleur soit aussi le payeur, donc que l’Etat mette la main à la poche. Dans l’ensemble les activités périscolaires, tellement critiquées, se passeraient plutôt bien, et seraient même appréciées, avec un taux de fréquentation de 85%. Cependant le recrutement des animateurs n’a pas été simple, surtout en milieu rural. L’organisation de la journée a répondu aux demandes et aux contraintes, et a souvent évolué depuis le début de l’année. Le modèle initial, qui prévoyait de libérer du temps scolaire sur quatre jours, pour les activités, en tranches de 45 minutes, n’est plus majoritaire, chaque ville s’est adaptée à sa manière. Bref, le paysage est nuancé, et il contraste avec le drame, ou le psychodrame mis en avant depuis le début de l’année.”
Le journaliste fait allusion à l’enquête de l’AMF (Association des maires de France) qui a déjà été commentée dans les précédentes revues de presse . On pourra aussi lire un compte rendu de la visite du ministre au salon de l’Éducation sur le site des Cahiers Pédagogiques où l’on voit que la contestation doit être nuancée et qu'il y a aussi des soutiens. Même s’il ne faut pas nier les difficultés qui continuent à exister dans la mise en œuvre de cette réforme.
Dans Les Échos, Marie-Christine Corbier résume ainsi la situation : “Alors que le front des élus semblait s’éclaircir hier, celui des enseignants s’est obscurci avec l’appel à la grève. Le principal syndicat du primaire exige une « remise à plat partout où les écoles le demandent», et pointe «un climat d’exaspération». ” Face à une réforme des rythmes “mal pensée et contestée”, “la nécessaire transformation de l’école reste à quai”, déplore le SNUipp-FSU, qui réclame un “budget ambitieux” et “ une amélioration des conditions de travail”. C’est ce qu’on peut lire dans une interview de Sébastien Sihr dans Le café Pédagogique à la limite du grand écart (ce qui peut être très douloureux ). Vincent Peillon a réagi en rappelant que les professeurs des écoles avaient obtenu “ une indemnité qu’ils réclamaient depuis quinze ans” et en parlant des créations de postes. Les dirigeants du principal syndicat du primaire suivent une partie de leur base en donnant corps à un sentiment de lassitude d’une partie des enseignants qui se ressentent, à tort ou à raison, comme stigmatisés, abandonnés, etc. C’est la thèse développée dans une chronique d’Emmanuel Davidenkoff déjà signalée par Lionel Jeanjeau dans la revue de presse de Vendredi 22 novembre . Emmanuel Davidenkoff considère que la question des rythmes scolaires n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un malaise plus profond et qu'on ne fera rien évoluer dans le système si on stigmatise les enseignants du primaire. Ceux-ci se sentent aujourd’hui mis en accusation de tous les maux de l’École.
Dans son style efficace, le journaliste pointe une vraie difficulté. Mais on a envie à notre tour d’en poser une autre qui est celle du rôle des "corps intermédiaires" que sont les syndicats : doivent-ils donner prise à tous les ressentis ou les canaliser de manière positive ? les amplifier ou les relativiser ? Soit on reste dans la déploration et c'est alors la justification de l'immobilisme soit on essaie de le dépasser. On peut aussi rajouter une deuxième question, c'est celle de savoir comment s'alimente ou pas ce sentiment de stigmatisation et là se pose accessoirement aussi la question du rôle des médias...
Pour faire transition , c’est la même Marie-Christine Corbier dans Les Échos qui fait le lien entre plusieurs sujets de cette chronique et souligne que “l’appel à la grève arrive alors que viennent de s’ouvrir des discussions sur le métier d’enseignant qui font craindre au SNUipp de ne pas être traité sur un pied d’égalité par rapport aux professeurs du second degré, et dans un contexte où les mesures catégorielles sont bien maigres. Mais le message du principal syndicat du primaire pourrait bien être brouillé par la prochaine étude Pisa de l’OCDE sur l’évaluation des systèmes éducatifs dans le monde, qui paraît le 3 décembre. Et dont le ministre, qui prédit des résultats catastrophiques, entend se servir pour défendre sa politique.”
L'époque serait aux tables rondes et à la détente.
Une ordonnance, et une sévère…
“Primaire : le rapport qui accuse” était le titre initial d’un article du Monde qui s’est transformé ensuite en “D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ?”. Il est vrai que si on veut éviter la stigmatisation dans une période hyper-réactive, il vaut mieux éviter ce genre de titre !
Selon ce rapport de l’inspection générale intitulé "Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008" les programmes scolaires réformés sous Xavier Darcos ne sont pas seuls responsables des difficultés de l'école primaire. Les auteurs expliquent aussi cet échec par "des éléments de fond, récurrents" indépendants du contenu des textes. D'autres facteurs rentrent en ligne de compte : la formation et en particulier la formation continue, la gestion du temps, la différence entre le prescrit et le réel, le travail empêché.... Un exemple : "Plus que la légitimité des contenus à faire acquérir", les enseignants rencontrés par la mission d'inspection générale se sont plaints d'un "manque de temps". Cette dernière propose donc de mieux évaluer le temps réel de classe: en théorie, une semaine à l'école primaire compte 24 heures d'enseignements. Récréations et "temps interstitiels de régulation nécessaire de la vie de classe" déduits, le rapport évalue le temps "réel" de classe à 22 heures.
Un rapport à lire en intégralité et qui devrait alimenter la refonte des programmes mais aussi les autres chantiers de la refondation et notamment la question du temps de travail et du statut.
“Quand ça change, ça change... Faut jamais se laisser démonter.”
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
samedi, novembre 16, 2013
Bloc-Notes de la semaine du 11 au 17 novembre 2013
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Procrastination collective - Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….- Territoires et périmètres - Mémoire courte et dictature de l’instant - Débat citoyen ? - Rigueur ?- La facture sociale – Tocqueville - .
La réforme des rythmes que je persiste à qualifier simplement de “retour à la semaine de 4,5 jours” est un bon analyseur des blocages de la société française et du fonctionnement de l’opinion publique. Dans cette (trop) longue chronique j’essaie d’en démonter de nouveau quelques uns. Au risque de me répéter et de lasser…
Procrastination collective
Il faudrait attendre qu’un dispositif soit parfait pour qu’on s’y mette ? Mais c’est le meilleur moyen de ne jamais le faire !
Ségolène Royal, dans une intervention récente qui s’apparentait à du positionnement politique (voire à de l’offre de services) déplorait qu’on n’ait pas réfléchi en amont et expérimenté avant cette réforme. On pourrait lui rappeler qu’il y a eu un travail d'une grande commission nationale sur les rythmes en 2011 initiée par Luc Chatel, lui remémorer aussi que la question a été abondamment traitée en amont avec les syndicats (dès avant l'élection de Hollande). Des expérimentations ? Il y en a eu dans plusieurs villes dont Angers par exemple....
“On n’est pas prêts”, “il fallait prendre le temps de discuter”, On a pas été consultés”” “il faut chercher le consensus”…. Ces phrases sont entendues ici ou là pour justifier les réticences voire l’attentisme. Discuter, oui bien sûr. Mais sur quoi et comment ? Il y a en gros deux manières : la consultation et la concertation. La consultation se situe avant une décision et peut avoir des vertus pédagogiques pour faire émerger un constat partagé. Ce fut le cas des consultations Thélot et Meirieu adressées à tous les enseignants. Mais avec finalement peu d’effets sur la transformation du système. La deuxième méthode serait la concertation. Elle peut se situer après la décision pour décider collectivement de la mise en œuvre et de ses modalités pratiques. Ce n’est pas vraiment dans la culture française habituée à une logique centralisatrice et bureaucratique. C’est pourtant ce qui aurait du se passer. Il faut dire que les cartes ont été brouillées avec une consultation qui s’est adressée au départ aux seuls corps intermédiaires durant l’été 2012. Le constat semblait partagé. Mais le lourd passif de la période précédente et les pesanteurs du système administratif combinés avec les logiques propres à chaque acteur (familles, enseignants, municipalités,…) ont contribué à cette situation complexe dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Ce que nous montrent les enquêtes sur le terrain, c’est que là où ça se passe le mieux, c’est dans les communes où il y avait déjà une culture du travail en partenariat et une priorité donnée à l’enfance et à la jeunesse. Comme nous l’écrivions déjà dans le Bloc Notes du 9 octobre , l’enjeu de la réforme des rythmes tout comme celle des autres évolutions de l’École tient d’abord à l’engagement des acteurs. Plutôt que d’accumuler les préalables et de sombrer dans l’esprit de critique qui s’apparente à une forme de procrastination collective, plutôt que d’accumuler les procédures et la méfiance, il faut se redonner collectivement de la capacité d’agir.
Mais là, on se heurte aussi à une autre caractéristique française qui est la culture du conflit ou plutôt du “tout ou rien”. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Laurent Frajerman, chercheur à l'institut de recherches de la FSU dans une interview à Libération où il souligne que “L’Education nationale, comparativement à d’autres secteurs, connaît une surconflictualité.”. Le “grand soir” ou rien du tout…?
Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….
L’autre argument souvent utilisé pour s’opposer à cette réforme est que la dévolution aux communes des activités accompagnant le temps scolaire (le fameux “TAP”) risque de remettre en question l’égalité républicaine. Au lieu de lutter contre les inégalités, on les aggraverait. La décentralisation serait la porte ouverte à la compétition et la concurrence
Mais ce qu’il faut d’abord rappeler c’est que l’égalité républicaine est un mythe (fondateur mais un mythe quand même) et que les inégalités existent déjà ! Elles n’ont même jamais été aussi fortes. L’oublier c’est nier tous les travaux des sociologues de l’éducation depuis plus de trente ans et les résultats des enquêtes internationales. Par ailleurs, la décentralisation dans le domaine de l’éducation a surtout créé de l’émulation et on a vu les Régions et les départements faire de gros efforts pour rénover et créer des établissements scolaires accueillants et efficaces.
Ce que révèle surtout le débat actuel sur la “réforme” des rythmes comme l’a d’ailleurs relevé Vincent Peillon lui même à l’assemblée , c’est qu’en effet, il n’y a pas les mêmes priorités dans les communes et les mêmes sommes dépensées. Et malheureusement jusque là, la politique de l’enfance n’a pas été vraiment un critère de choix des électeurs pour juger des projets des équipes municipales…
Il est à noter aussi que ce sont les mêmes qui ont à la bouche l’argument de l’égalité républicaine qui n’hésitent pas à annoncer qu’ils enfreindront les lois de cette même République..!
Territoires et périmètres
Le retour à la semaine de 4,5 jours est aussi un révélateur des querelles de “territoires” dans tous les sens du terme qui marquent notre société.
Louise Tourret dans Slate.fr y insiste ironiquement en parlant de “lutte des classes” au sens où les activités se font souvent dans des lieux qui sont aussi ceux du travail des enseignants et que cela n’est pas sans poser des problèmes de “vivre ensemble” de méfiances réciproques et de logiques différentes entre les différents acteurs (enseignants, animateurs et intervenants, personnels communaux,…)
L’enjeu du territoire qui n’a peut être pas été assez envisagé par l’équipe ministérielle c’est surtout celui de la difficulté à faire travailler ensemble dans les communes des personnes aux statuts et aux “cultures” différentes. Et l’attentisme actuel n’arrange rien. Comme nous le notions plus haut, cette culture du travail en partenariat est loin d’être répandue également selon les communes. Et ce n’est pas seulement une question de sensibilité politique…
Le “territoire” c’est aussi une question de périmètre de compétences qu’on souhaite préserver jalousement. La France de tradition jacobine est le pays de la “circulaire”… Et ici le ministère s’est aussi donné des bâtons pour se faire battre. La circulaire sur les rythmes qui sert de base à la mise en œuvre de la réforme n’est pas forcément d’une grande souplesse. Et les cadres de l’Éducation Nationale qui l’appliquent le font avec plus ou moins d’autonomie et sont quelquefois jaloux de leurs prérogatives et du pouvoir qui va avec. Au point de bloquer certaines initiatives et marges de manœuvre. Le climat de crispation n’incite pas non plus à la négociation. On constate d’ailleurs que le Ministère concède des aménagements notamment pour les maternelles. L’obligation du mercredi matin est aussi considéré comme une rigidité par certains opposants à la réforme qui souhaiteraient revenir au samedi matin. Mais là, malheureusement on se heurte à d’autres logiques qui sont celles de l’évolution des familles.
Mémoire courte et dictature de l’instant
Nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises : la réforme n’a que trois mois… Peut-on juger d’un dispositif au bout de trois mois ? Imaginons que je porte un jugement définitif sur un élève au bout d’un seul trimestre !!!
Nous vivons une dictature de l’instant qui n’est pas propre à ce sujet de débat. Mais qui est particulièrement problématique dans le cas de l’École. Car le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. Rien de pire comme poste que celui de Ministre de l’Éducation. Il sait qu’il travaille pour des résultats qui ne se verront au mieux que dix ans plus tard….
La dictature de l’instant se double d’une mémoire courte. Dans une interview au Nouvel Obs, Christian Forestier ancien recteur et coprésident du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires (initiée par Luc Chatel, le prédécesseur de Vincent Peillon) parle à propos de cette querelle des rythmes d’un “ concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ” et rappelle qu’il y avait un accord total des différents acteurs sur la nécessité de revenir à une semaine de 4,5 jours et de repenser d’ailleurs l’ensemble du rythme scolaire. Y compris chez les maires de droite et chez les représentants syndicaux…
La mémoire courte, elle est aussi dans l’oubli de la situation précédente. Qu’était l’état de l’École sous la présidence Sarkozy ? Combien de postes supprimés ? Combien de personnes dans les rues pour défiler contre le passage à quatre jours ?
Débat citoyen ?
La question des rythmes est aussi un révélateur de la manière dont les médias traitent les questions de l’École et pus généralement de la construction de l’opinion publique sur ce sujet comme sur d’autres.
En tant que militant pédagogique faisant depuis 2003 une revue de presse sur l’actualité éducative, je devrais me réjouir que l’École occupe aujourd’hui une place si importante dans les journaux télévisés, la presse écrite et les sites d’information. Je ne cesse de clamer que “les questions d’École sont l’affaire de tous et doivent faire l’objet d’un débat citoyen” alors pourquoi se plaindre ?
Malheureusement, on est bien loin d’un réel “débat citoyen” et la presse, habituée à des analyses binaires est bien d’avantage préoccupée à compter les forces des camps en présence... sans réellement descendre sur le terrain. Toutefois, on voit enfin apparaître comme le notait la revue de presse de vendredi 15 novembre des témoignages et des reportages qui introduisent de la nuance là où il n’y avait jusque là que des positions très tranchées.
En France, il y a 64 millions de “spécialistes” de l’École… Mais pour que l’opinion se construise et que le “débat citoyen” ait lieu, et sans vouloir jeter la pierre aux journalistes éducation trop peu nombreux (et qui font ce qu’ils peuvent) plutôt que des sondages peu sérieux et des micro-trottoirs, il faut de la mise en contexte, du rappel historique, de la nuance. Du terrain et aussi de la rigueur scientifique.
Rigueur ?
Quelle parole des experts ? Comment sortir du ressenti pour aller vers une évaluation rigoureuse ? Peut-on porter un jugement après seulement trois mois ? Jean-François Copé est-il un spécialiste reconnu de la chronobiologie ? NKM est-elle une experte en pédagogie ?
Prenons un seul exemple : “Les enfants sont fatigués ”. Plus ? autant ? moins que l’an passé ? plus que ceux qui ne sont pas passés aux 4,5 jours ? Bien malin qui pourrait le dire avec sérieux et rigueur. Voyons ce que répond le chronobiologiste François Testu dans une interview au Nouvel Obs sur ce sujet de la fatigue des enfants : “Je dirais plutôt que c’est subjectif. Qu’est-ce qui leur permet de dire que leurs enfants sont plus fatigués que l’année précédente ? Les scientifiques qui s’intéressent à la question le savent : mesurer la fatigue physique et psychologique est une chose très complexe. En tout cas, on est sûrs d’une chose depuis longtemps : les enfants qui retournent en classe en septembre après la coupure estivale sont épuisés jusqu’aux vacances de la Toussaint – et cela, la réforme des rythmes scolaires n’y est pour rien.”.
Puisque nous sommes sur le terrain de la chronobiologie continuons avec François Testu qui, dans cette même interview, insiste sur ce qu’il estime être l’enjeu majeur de ce retour à 4,5 jours. “La réforme des rythmes scolaires a surtout été pensée pour les enfants les plus fragiles, issus des familles les moins favorisées sur le plan culturel – les 20% d’élèves qui se trouvent en échec scolaire quand ils arrivent en classe 6e. Ceux-là, quand ils se trouvent hors des murs de l’école, sont trop souvent livrés à eux-mêmes, ne bénéficient pas assez d’émulation intellectuelle, n’ont pas assez de régularité dans leurs horaires, pas assez d’encadrement éducatif, etc. Donc ils souffrent énormément du retour à l’école du lundi et du jeudi car, tout à coup, ils retombent dans un environnement extrêmement régulier en terme d’horaires et où leur intelligence est à nouveau très sollicitée. Ce contraste est terrible ”
Notons toutefois qu’il y a un débat entre chronobiologistes sur ce point précis. On pourra lire sur son blog, l’avis de Claire Leconte, chronobiologiste également qui réfute notamment la position du premier basée sur une “courbe de vigilance classique" dont elle conteste la validité. Elle a aussi un avis critique sur la réforme en cours. Un avis critique qui a toute sa place dans un débat “citoyen” et rigoureux… Mais dans un débat médiatique ?
Signalons aussi que le même François Testu signe avec Georges Fotinos (autre chercheur bien connu) une tribune dans Libération. . Après avoir rappelé, tout comme Christian Forestier cité plus haut que la réflexion est ancienne et faisait jusque là une certaine unanimité sur la nécessité de réformer les rythmes, ils font surtout des propositions pour sortir du blocage actuel.Elles méritent d’être entendues car elles reviennent sur des blocages que nous évoquions plus haut dans cette chornique. “il nous semble possible d’améliorer le dispositif actuel sur trois points. D’abord, introduire une plus grande souplesse d’organisation du temps scolaire, qui ouvre aux enseignants comme aux collectivités locales par les innovations possibles une véritable appropriation du projet par les acteurs. Ensuite, mieux prendre en compte l’âge des enfants qui permet de réexaminer l’obligation d’intégrer systématiquement les écoles maternelles dans le dispositif de réorganisation du temps scolaire. […]. Il faudrait aussi envisager sérieusement, au regard de la volonté du gouvernement de démocratiser pour tous les enfants l’accès à la culture et au sport (dans un souci de développement personnel et de réussite éducative, mais aussi du renforcement du lien social), une pérennisation de l’aide apportée par l’Etat en rapport avec le contexte et l’ambition éducative locale. ”.
La facture sociale
Dans le constat de la résistance à la réforme, il serait trop facile de s’en prendre au seul corporatisme enseignant et même de se demander s’il est vraiment possible de réformer l’École . Je ne suis pas, moi même, toujours tendre avec mes chers collègues. Et certains me le rendent bien d’ailleurs !
Mais sans tout excuser, il faut d’abord rappeler que les enseignants évoluent dans un système qui comporte ses effets pervers. Et il faut aussi chercher des explications à cet emballement peut-être excessif dans un contexte général et dans un lourd passif. Le gouvernement actuel, et le ministre actuel de l’éducation ont pu certainement faire des erreurs mais paient aussi une facture sociale dont ils ne sont pas les seuls débiteurs.
Le système éducatif est un système extrêmement rigide nous l’avons dit plus haut. Et cette rigidité, ces problèmes de “territoire” et de périmètres que nous avons tenté d’analyser se combinent pour aboutir à des crispations et des postures qui donnent le sentiment d’être indépassables. La techno-structure de l’EducNat produit de la circulaire, les syndicats à la veille d’élections professionnelles sont trop souvent dans la posture, les politiques eux aussi en campagne s’emparent d’une question que pour beaucoup ils ne maîtrisent pas. Les enseignants ont le sentiment, à tort ou à raison, de subir une réforme plus que d’en être partie prenante. Et de devoir s’adapter encore à une nouvelle situation après des années où le système éducatif a été malmené. Même si, rappelons le, bien d’autres catégories sociales subissent des situations bien pires.
Celui qui approche le mieux ce malaise enseignant, c’est le journaliste Emmanuel Davidenkoff dans sa chronique sur France Info . Il résume parfaitement la situation des enseignants du primaire et montre que la résistance au changement est surtout le produit d’une histoire à la fois ancienne (le sentiment de déclassement, la défiance vis-à-vis de la pédagogie) et récente (cinq ans de suppressions de postes). La “facture sociale” que nous payons (!) c’est aussi celle du lourd passif du sarkozysme et de la casse de l’École.
Tocqueville
C’est cette fatigue accumulée, cette “frustration relative” qui est aussi à l’origine des blocages. Pour finir, je voudrais finir par une citation d’un penseur du XIXeme siècle, Alexis de Tocqueville
“« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. ” Alexis de Tocqueville L’ancien Régime et la Révolution . 1856
Je ne sais pas si ça peut consoler, mais Vincent Peillon peut relire Tocqueville...
... et François Hollande aussi…
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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Procrastination collective - Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….- Territoires et périmètres - Mémoire courte et dictature de l’instant - Débat citoyen ? - Rigueur ?- La facture sociale – Tocqueville - .
La réforme des rythmes que je persiste à qualifier simplement de “retour à la semaine de 4,5 jours” est un bon analyseur des blocages de la société française et du fonctionnement de l’opinion publique. Dans cette (trop) longue chronique j’essaie d’en démonter de nouveau quelques uns. Au risque de me répéter et de lasser…
Procrastination collective
Il faudrait attendre qu’un dispositif soit parfait pour qu’on s’y mette ? Mais c’est le meilleur moyen de ne jamais le faire !
Ségolène Royal, dans une intervention récente qui s’apparentait à du positionnement politique (voire à de l’offre de services) déplorait qu’on n’ait pas réfléchi en amont et expérimenté avant cette réforme. On pourrait lui rappeler qu’il y a eu un travail d'une grande commission nationale sur les rythmes en 2011 initiée par Luc Chatel, lui remémorer aussi que la question a été abondamment traitée en amont avec les syndicats (dès avant l'élection de Hollande). Des expérimentations ? Il y en a eu dans plusieurs villes dont Angers par exemple....
“On n’est pas prêts”, “il fallait prendre le temps de discuter”, On a pas été consultés”” “il faut chercher le consensus”…. Ces phrases sont entendues ici ou là pour justifier les réticences voire l’attentisme. Discuter, oui bien sûr. Mais sur quoi et comment ? Il y a en gros deux manières : la consultation et la concertation. La consultation se situe avant une décision et peut avoir des vertus pédagogiques pour faire émerger un constat partagé. Ce fut le cas des consultations Thélot et Meirieu adressées à tous les enseignants. Mais avec finalement peu d’effets sur la transformation du système. La deuxième méthode serait la concertation. Elle peut se situer après la décision pour décider collectivement de la mise en œuvre et de ses modalités pratiques. Ce n’est pas vraiment dans la culture française habituée à une logique centralisatrice et bureaucratique. C’est pourtant ce qui aurait du se passer. Il faut dire que les cartes ont été brouillées avec une consultation qui s’est adressée au départ aux seuls corps intermédiaires durant l’été 2012. Le constat semblait partagé. Mais le lourd passif de la période précédente et les pesanteurs du système administratif combinés avec les logiques propres à chaque acteur (familles, enseignants, municipalités,…) ont contribué à cette situation complexe dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Ce que nous montrent les enquêtes sur le terrain, c’est que là où ça se passe le mieux, c’est dans les communes où il y avait déjà une culture du travail en partenariat et une priorité donnée à l’enfance et à la jeunesse. Comme nous l’écrivions déjà dans le Bloc Notes du 9 octobre , l’enjeu de la réforme des rythmes tout comme celle des autres évolutions de l’École tient d’abord à l’engagement des acteurs. Plutôt que d’accumuler les préalables et de sombrer dans l’esprit de critique qui s’apparente à une forme de procrastination collective, plutôt que d’accumuler les procédures et la méfiance, il faut se redonner collectivement de la capacité d’agir.
Mais là, on se heurte aussi à une autre caractéristique française qui est la culture du conflit ou plutôt du “tout ou rien”. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Laurent Frajerman, chercheur à l'institut de recherches de la FSU dans une interview à Libération où il souligne que “L’Education nationale, comparativement à d’autres secteurs, connaît une surconflictualité.”. Le “grand soir” ou rien du tout…?
Centralisme, jacobinisme et égalité républicaine….
L’autre argument souvent utilisé pour s’opposer à cette réforme est que la dévolution aux communes des activités accompagnant le temps scolaire (le fameux “TAP”) risque de remettre en question l’égalité républicaine. Au lieu de lutter contre les inégalités, on les aggraverait. La décentralisation serait la porte ouverte à la compétition et la concurrence
Mais ce qu’il faut d’abord rappeler c’est que l’égalité républicaine est un mythe (fondateur mais un mythe quand même) et que les inégalités existent déjà ! Elles n’ont même jamais été aussi fortes. L’oublier c’est nier tous les travaux des sociologues de l’éducation depuis plus de trente ans et les résultats des enquêtes internationales. Par ailleurs, la décentralisation dans le domaine de l’éducation a surtout créé de l’émulation et on a vu les Régions et les départements faire de gros efforts pour rénover et créer des établissements scolaires accueillants et efficaces.
Ce que révèle surtout le débat actuel sur la “réforme” des rythmes comme l’a d’ailleurs relevé Vincent Peillon lui même à l’assemblée , c’est qu’en effet, il n’y a pas les mêmes priorités dans les communes et les mêmes sommes dépensées. Et malheureusement jusque là, la politique de l’enfance n’a pas été vraiment un critère de choix des électeurs pour juger des projets des équipes municipales…
Il est à noter aussi que ce sont les mêmes qui ont à la bouche l’argument de l’égalité républicaine qui n’hésitent pas à annoncer qu’ils enfreindront les lois de cette même République..!
Territoires et périmètres
Le retour à la semaine de 4,5 jours est aussi un révélateur des querelles de “territoires” dans tous les sens du terme qui marquent notre société.
Louise Tourret dans Slate.fr y insiste ironiquement en parlant de “lutte des classes” au sens où les activités se font souvent dans des lieux qui sont aussi ceux du travail des enseignants et que cela n’est pas sans poser des problèmes de “vivre ensemble” de méfiances réciproques et de logiques différentes entre les différents acteurs (enseignants, animateurs et intervenants, personnels communaux,…)
L’enjeu du territoire qui n’a peut être pas été assez envisagé par l’équipe ministérielle c’est surtout celui de la difficulté à faire travailler ensemble dans les communes des personnes aux statuts et aux “cultures” différentes. Et l’attentisme actuel n’arrange rien. Comme nous le notions plus haut, cette culture du travail en partenariat est loin d’être répandue également selon les communes. Et ce n’est pas seulement une question de sensibilité politique…
Le “territoire” c’est aussi une question de périmètre de compétences qu’on souhaite préserver jalousement. La France de tradition jacobine est le pays de la “circulaire”… Et ici le ministère s’est aussi donné des bâtons pour se faire battre. La circulaire sur les rythmes qui sert de base à la mise en œuvre de la réforme n’est pas forcément d’une grande souplesse. Et les cadres de l’Éducation Nationale qui l’appliquent le font avec plus ou moins d’autonomie et sont quelquefois jaloux de leurs prérogatives et du pouvoir qui va avec. Au point de bloquer certaines initiatives et marges de manœuvre. Le climat de crispation n’incite pas non plus à la négociation. On constate d’ailleurs que le Ministère concède des aménagements notamment pour les maternelles. L’obligation du mercredi matin est aussi considéré comme une rigidité par certains opposants à la réforme qui souhaiteraient revenir au samedi matin. Mais là, malheureusement on se heurte à d’autres logiques qui sont celles de l’évolution des familles.
Mémoire courte et dictature de l’instant
Nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises : la réforme n’a que trois mois… Peut-on juger d’un dispositif au bout de trois mois ? Imaginons que je porte un jugement définitif sur un élève au bout d’un seul trimestre !!!
Nous vivons une dictature de l’instant qui n’est pas propre à ce sujet de débat. Mais qui est particulièrement problématique dans le cas de l’École. Car le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. Rien de pire comme poste que celui de Ministre de l’Éducation. Il sait qu’il travaille pour des résultats qui ne se verront au mieux que dix ans plus tard….
La dictature de l’instant se double d’une mémoire courte. Dans une interview au Nouvel Obs, Christian Forestier ancien recteur et coprésident du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires (initiée par Luc Chatel, le prédécesseur de Vincent Peillon) parle à propos de cette querelle des rythmes d’un “ concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ” et rappelle qu’il y avait un accord total des différents acteurs sur la nécessité de revenir à une semaine de 4,5 jours et de repenser d’ailleurs l’ensemble du rythme scolaire. Y compris chez les maires de droite et chez les représentants syndicaux…
La mémoire courte, elle est aussi dans l’oubli de la situation précédente. Qu’était l’état de l’École sous la présidence Sarkozy ? Combien de postes supprimés ? Combien de personnes dans les rues pour défiler contre le passage à quatre jours ?
Débat citoyen ?
La question des rythmes est aussi un révélateur de la manière dont les médias traitent les questions de l’École et pus généralement de la construction de l’opinion publique sur ce sujet comme sur d’autres.
En tant que militant pédagogique faisant depuis 2003 une revue de presse sur l’actualité éducative, je devrais me réjouir que l’École occupe aujourd’hui une place si importante dans les journaux télévisés, la presse écrite et les sites d’information. Je ne cesse de clamer que “les questions d’École sont l’affaire de tous et doivent faire l’objet d’un débat citoyen” alors pourquoi se plaindre ?
Malheureusement, on est bien loin d’un réel “débat citoyen” et la presse, habituée à des analyses binaires est bien d’avantage préoccupée à compter les forces des camps en présence... sans réellement descendre sur le terrain. Toutefois, on voit enfin apparaître comme le notait la revue de presse de vendredi 15 novembre des témoignages et des reportages qui introduisent de la nuance là où il n’y avait jusque là que des positions très tranchées.
En France, il y a 64 millions de “spécialistes” de l’École… Mais pour que l’opinion se construise et que le “débat citoyen” ait lieu, et sans vouloir jeter la pierre aux journalistes éducation trop peu nombreux (et qui font ce qu’ils peuvent) plutôt que des sondages peu sérieux et des micro-trottoirs, il faut de la mise en contexte, du rappel historique, de la nuance. Du terrain et aussi de la rigueur scientifique.
Rigueur ?
Quelle parole des experts ? Comment sortir du ressenti pour aller vers une évaluation rigoureuse ? Peut-on porter un jugement après seulement trois mois ? Jean-François Copé est-il un spécialiste reconnu de la chronobiologie ? NKM est-elle une experte en pédagogie ?
Prenons un seul exemple : “Les enfants sont fatigués ”. Plus ? autant ? moins que l’an passé ? plus que ceux qui ne sont pas passés aux 4,5 jours ? Bien malin qui pourrait le dire avec sérieux et rigueur. Voyons ce que répond le chronobiologiste François Testu dans une interview au Nouvel Obs sur ce sujet de la fatigue des enfants : “Je dirais plutôt que c’est subjectif. Qu’est-ce qui leur permet de dire que leurs enfants sont plus fatigués que l’année précédente ? Les scientifiques qui s’intéressent à la question le savent : mesurer la fatigue physique et psychologique est une chose très complexe. En tout cas, on est sûrs d’une chose depuis longtemps : les enfants qui retournent en classe en septembre après la coupure estivale sont épuisés jusqu’aux vacances de la Toussaint – et cela, la réforme des rythmes scolaires n’y est pour rien.”.
Puisque nous sommes sur le terrain de la chronobiologie continuons avec François Testu qui, dans cette même interview, insiste sur ce qu’il estime être l’enjeu majeur de ce retour à 4,5 jours. “La réforme des rythmes scolaires a surtout été pensée pour les enfants les plus fragiles, issus des familles les moins favorisées sur le plan culturel – les 20% d’élèves qui se trouvent en échec scolaire quand ils arrivent en classe 6e. Ceux-là, quand ils se trouvent hors des murs de l’école, sont trop souvent livrés à eux-mêmes, ne bénéficient pas assez d’émulation intellectuelle, n’ont pas assez de régularité dans leurs horaires, pas assez d’encadrement éducatif, etc. Donc ils souffrent énormément du retour à l’école du lundi et du jeudi car, tout à coup, ils retombent dans un environnement extrêmement régulier en terme d’horaires et où leur intelligence est à nouveau très sollicitée. Ce contraste est terrible ”
Notons toutefois qu’il y a un débat entre chronobiologistes sur ce point précis. On pourra lire sur son blog, l’avis de Claire Leconte, chronobiologiste également qui réfute notamment la position du premier basée sur une “courbe de vigilance classique" dont elle conteste la validité. Elle a aussi un avis critique sur la réforme en cours. Un avis critique qui a toute sa place dans un débat “citoyen” et rigoureux… Mais dans un débat médiatique ?
Signalons aussi que le même François Testu signe avec Georges Fotinos (autre chercheur bien connu) une tribune dans Libération. . Après avoir rappelé, tout comme Christian Forestier cité plus haut que la réflexion est ancienne et faisait jusque là une certaine unanimité sur la nécessité de réformer les rythmes, ils font surtout des propositions pour sortir du blocage actuel.Elles méritent d’être entendues car elles reviennent sur des blocages que nous évoquions plus haut dans cette chornique. “il nous semble possible d’améliorer le dispositif actuel sur trois points. D’abord, introduire une plus grande souplesse d’organisation du temps scolaire, qui ouvre aux enseignants comme aux collectivités locales par les innovations possibles une véritable appropriation du projet par les acteurs. Ensuite, mieux prendre en compte l’âge des enfants qui permet de réexaminer l’obligation d’intégrer systématiquement les écoles maternelles dans le dispositif de réorganisation du temps scolaire. […]. Il faudrait aussi envisager sérieusement, au regard de la volonté du gouvernement de démocratiser pour tous les enfants l’accès à la culture et au sport (dans un souci de développement personnel et de réussite éducative, mais aussi du renforcement du lien social), une pérennisation de l’aide apportée par l’Etat en rapport avec le contexte et l’ambition éducative locale. ”.
La facture sociale
Dans le constat de la résistance à la réforme, il serait trop facile de s’en prendre au seul corporatisme enseignant et même de se demander s’il est vraiment possible de réformer l’École . Je ne suis pas, moi même, toujours tendre avec mes chers collègues. Et certains me le rendent bien d’ailleurs !
Mais sans tout excuser, il faut d’abord rappeler que les enseignants évoluent dans un système qui comporte ses effets pervers. Et il faut aussi chercher des explications à cet emballement peut-être excessif dans un contexte général et dans un lourd passif. Le gouvernement actuel, et le ministre actuel de l’éducation ont pu certainement faire des erreurs mais paient aussi une facture sociale dont ils ne sont pas les seuls débiteurs.
Le système éducatif est un système extrêmement rigide nous l’avons dit plus haut. Et cette rigidité, ces problèmes de “territoire” et de périmètres que nous avons tenté d’analyser se combinent pour aboutir à des crispations et des postures qui donnent le sentiment d’être indépassables. La techno-structure de l’EducNat produit de la circulaire, les syndicats à la veille d’élections professionnelles sont trop souvent dans la posture, les politiques eux aussi en campagne s’emparent d’une question que pour beaucoup ils ne maîtrisent pas. Les enseignants ont le sentiment, à tort ou à raison, de subir une réforme plus que d’en être partie prenante. Et de devoir s’adapter encore à une nouvelle situation après des années où le système éducatif a été malmené. Même si, rappelons le, bien d’autres catégories sociales subissent des situations bien pires.
Celui qui approche le mieux ce malaise enseignant, c’est le journaliste Emmanuel Davidenkoff dans sa chronique sur France Info . Il résume parfaitement la situation des enseignants du primaire et montre que la résistance au changement est surtout le produit d’une histoire à la fois ancienne (le sentiment de déclassement, la défiance vis-à-vis de la pédagogie) et récente (cinq ans de suppressions de postes). La “facture sociale” que nous payons (!) c’est aussi celle du lourd passif du sarkozysme et de la casse de l’École.
Tocqueville
C’est cette fatigue accumulée, cette “frustration relative” qui est aussi à l’origine des blocages. Pour finir, je voudrais finir par une citation d’un penseur du XIXeme siècle, Alexis de Tocqueville
“« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. ” Alexis de Tocqueville L’ancien Régime et la Révolution . 1856
Je ne sais pas si ça peut consoler, mais Vincent Peillon peut relire Tocqueville...
... et François Hollande aussi…
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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