En cherchant un document dans les tréfonds du disque dur de mon ordinateur, je suis retombé sur ce texte écrit lors d'un atelier d'écriture durant les “Rencontres du CRAP” en 2008. C'est un texte très personnel et presque intime mais qui essaie de dire des choses sur le métier que j'exerce et sur les motivations qui sont les miennes.
Comme ce blog n'est pas qu'une revue de presse mais aussi un journal “extime”, je me permets de le proposer aujourd'hui.
Comme ce blog n'est pas qu'une revue de presse mais aussi un journal “extime”, je me permets de le proposer aujourd'hui.
Ph.W
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Pourquoi devient-on prof ?
Pourquoi devient-on prof de Sciences Économiques et sociales (SES, la discipline que j’enseigne) ?
Bien souvent, pour beaucoup d’enseignants, ces deux questions n’en forment qu’une seule tant (dans le secondaire) l’attachement à une discipline d’enseignement est un élément fort dans le fait de devenir enseignant. Dans les enquêtes réalisées sur les enseignants et leur métier « l’amour de la discipline » (sic) vient en premier dans les raisons de l’entrée dans cette carrière.
Pour ma part, et même si j’aime beaucoup la matière que j’enseigne et que je peux même dire que j’en suis un militant, il me semble nécessaire de distinguer ces deux questions. Je suis “prof” avant d’enseigner les SES et je pense même que j’aurais pu enseigner autre chose. Il y a donc deux récits qui sont tout aussi vrais et légitimes l’un que l’autre.
Une anecdote pour commencer. Vers l’âge de 9-10 ans, mes parents nous ont emmenés, ma petite sœur et moi, visiter les châteaux de la Loire. J’avais beaucoup aimé. Revenu à la maison, un jour que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, j’avais répondu sans hésiter “guide de château”. Pourquoi ? “Car, le monsieur frappe dans ses mains, tout le monde se regroupe autour de lui et vient l’écouter !” (depuis j’ai compris que ce n’était pas aussi facile que ça…). Je crois qu’il y a une composante narcissique forte dans le désir de devenir enseignant. Beaucoup souhaitent “ être au centre” pour être écoutés. Je ne faisais pas exception à la règle. Mais j’ai évolué.
Ce qui m’a fait évoluer, c’est la pratique de l’animation. Depuis mon plus jeune âge, je vais en colonie de vacances (ai-je vraiment arrêté ?). Puis ensuite, je suis devenu animateur (puis directeur et formateur). Une des choses que j’ai apprise durant ma formation et mon engagement aux CÉMÉA, c’est que pour que l’activité ait lieu, il n’est pas forcément nécessaire que l’adulte soit toujours “au centre”. Les meilleurs jeux, les meilleures activités sont souvent celles, où l’on crée les conditions, l’aménagement (j’allais dire le “dispositif”) pour que l’enfant puisse agir en autonomie avec l’aide de l’animateur. La meilleure place de l’adulte dans une logique éducative n’est pas forcément “au centre” mais plutôt “à côté ”. Je crois que c’est cette conviction forgée dans l’adolescence qui me guide encore aujourd’hui et qui m’a conduit assez logiquement à souhaiter devenir enseignant. Pour faire grandir les jeunes qui me sont confiés et leur donner les moyens d’être plus autonomes.
Mais pourquoi une matière précise plutôt qu’être instituteur ? J’avais une prédilection pour plusieurs matières. J’aime beaucoup l’histoire et j’aurais aussi beaucoup aimé être prof de lettres (je me rattrape en faisant des ateliers de jeux littéraires aux Rencontres du CRAP).
Mais j’ai aussi découvert les sciences économiques et sociales en seconde. Ici, un deuxième récit s’impose.
Mais j’ai aussi découvert les sciences économiques et sociales en seconde. Ici, un deuxième récit s’impose.
Je suis né à Savigny sur Orge. Mes parents y vivent toujours, mon père était ouvrier tôlier-chaudronnier à Air France et ma mère dactylo. Après avoir été au collège Paul Bert, je suis arrivé au Lycée Corot (où j'enseigne aujourd'hui...) dans le bas de la ville (très loin pour moi, mais j’avais un Peugeot 103 orange sur lequel je fonçais dans la rue de la Montagne pavée…) à la rentrée 1973.
J’étais en seconde AB et j’avais trois heures de cette nouvelle matière que je découvrais : les SES. 1er contact un peu froid. « Les SES demandent de la rigueur », pas facile quand on a 14 ans. Et puis, bien qu’assez bon élève , j’avais un rapport assez difficile avec l’école. J’avais l’impression d’y être un imposteur, de ne pas y être à ma place. La culture ouvrière dont j’étais issu (et nous n’étions pas encore très nombreux dans ces années là) me semblait ignorée, voire méprisée.
- Les hommes produisent
- Les Hommes consomment
- Les hommes vivent en société
Voilà en gros quel était le programme de l’époque. Je cite de mémoire et j’en oublie sûrement. Je me souviens que c’était intéressant mais pas très folichon.
Et puis un jour, alors que les TPE et autres dispositifs pédagogiques n’avaient pas encore germé dans l’esprit de ceux qui nous dirigent, nous trouvons devant nous nos deux profs de SES et de Français (Mme Fréjean, Mme Romieu) Elles nous expliquent que nous allons travailler sur un projet commun aux deux disciplines à partir de l’étude de Germinal. Nous allions étudier le texte en classe de Français et en même temps travailler sur les conditions de travail et les conflits du travail en SES. Et là je me rends compte, enfin, que l’école parle de moi. Que l’on peut aussi étudier des choses qui font du sens pour le fils d’ouvrier et petit-fils (et arrière petit fils …) que je suis.
Je somme mes parents de partir en week-end à Billy-Berclau , commune du Pas de Calais en plein bassin minier et berceau de la famille Watrelot. J’y emporte mon beau magnétophone à cassette Philips bleu que l’on m’avait offert pour ma communion. J’y interviewe longuement un de mes grands oncles (qui décèdera d’ailleurs peu de temps après de la silicose) qui me parle de la mine, du travail du fond, de la manière dont on traitait les ouvriers. Il me confie son vieux livret ouvrier qui était obligatoire auparavant. Nous faisons des dessins de la mine, de la salle des pendus, du chevalet, du cuffat…
Ais-je besoin de vous dire que cela m’a profondément marqué ? Vous le devinez aisément. Je me suis passionné pour ce projet et je crois avoir eu une (très) bonne note à cet exposé. Cela m’a raccroché à mon histoire, mais aussi à l’école. Au delà, je crois que cet évènement m’a permis aussi de me construire non seulement en tant qu’être humain (ce qui est déjà beaucoup) mais aussi dans ma pratique d’enseignant de SES.
Peut-être ai-je choisi cette matière à cause de ce projet lancé par ces deux enseignantes.
Plus largement, cette anecdote m’a aussi appris que les apprentissages ne sont efficaces que lorsqu’ils font sens et qu’ils permettent de relier les savoirs, que l’on apprend mieux et durablement lorsque l’on est acteur de la construction de son savoir. Ces phrases, pour moi, ne sont pas creuses et vides de sens. Elles font écho à des souvenirs vieux maintenant de plus de trente ans mais toujours vivaces.
Ce que j’aime dans les SES, c’est qu’elles sont une des clés pour lire le monde et comprendre la société dans laquelle on vit. Ce qui me passionne c’est que les concepts de l’économie, de la sociologie, de la science politique, l’anthropologie et de toutes les autres sciences sociales sont des savoirs émancipateurs. On ne peut bien comprendre les enjeux de nos sociétés (ou tout simplement lire le journal !) si on ne possède pas certains de ces outils. La connaissance des mécanismes sociaux est aussi un moyen de prendre du recul sur sa propre position sociale, de découvrir que ce que l’on vit est à la fois singulier et universel.
La formation du citoyen passe donc par ces savoirs. Mais il n’y a pas que les savoirs. Cette citoyenneté critique qui me semble être un des objectifs de notre enseignement passe aussi par une pédagogie spécifique basée sur l’étude de documents et des méthodes actives. Les documents permettent de comprendre qu’il n’y a pas une seule approche, une seule vérité. Ils amènent au débat démocratique. L’enseignant devient alors un “passeur”, un décodeur qui aide les élèves à formuler leur propre analyse, à développer leurs propres arguments.
En somme, en étant “à côté” pour les aider à grandir…
Philippe Watrelot
le 20 aout 2008
1 commentaire:
Tiens, j'étais dans ton atelier quand tu as écrit ce texte aux Rencontres, non ? C'était sur la saveur des savoirs, animé par Patrice ? En tout cas je me souviens bien alors que je ne me souviens de presque rien. Tu étais sorti pour écrire. Et quand tu es revenu tu donnais l'impression d'avoir rencontré quelqu'un d'important. C'est ton passé sans doute que tu avais croisé, se promenant bras dessus bras dessous avec ton jour d'alors.
Merci Philippe.
N'oubliez pas le guide.
Christine
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