samedi, mars 28, 2015

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 mars 2015



- Laïcité(s)- Finlande - A propos du latin, du collège, et de l’idée de réforme...- .


Le bloc notes de la semaine aborde des sujets polémiques. La question de la laïcité est évoquée ou plus précisément son dévoiement. On reviendra aussi sur la réforme des contenus d’enseignement en Finlande qui suscite beaucoup de fantasmes et de questionnements. Enfin, après la polémique sur le latin qui a occupé le bloc notes de la semaine dernière nous nous interrogerons sur l’avenir de la réforme du collège.


LAÏCITÉ(S)
Laïcité : du vivre-ensemble à l’exclusion... ”, c’est le titre du (très bon) article d’Aurélie Collas dans Le Monde . Elle rappelle que c’est le maire UMP de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Gilles Platret, qui a relancé le débat sur les cantines en annonçant le 10 mars, à quelques jours des élections départementales, sa décision de supprimer les menus de substitution les jours où est servi du porc. Il s’est mis à voir, dans cette pratique en vigueur depuis plus de trente ans, une « discrimination » qui « ne peut être acceptée dans le cadre d’une République laïque ». On peut aussi citer le retour du débat sur le voile, à l’université cette fois-ci. On le sait, dans le contexte de la campagne, Nicolas Sarkozy s’est emparé de ces deux sujets et leur a donné une tonalité encore plus politique. Curieux positionnement pour celui, qui en 2008 avait vanté les “racines chrétiennes de la France” au cours de sa visite au Vatican. Critiquant alors une laïcité “épuisée” et menacée par “le fanatisme”, il avait dit lui préférer une laïcité dite “positive”, c'est-à-dire “qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas les religions comme un danger, mais un atout”.
Face aux surenchères de tous ordres, la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a été amené à déclarer, le 16 mars dans un entretien au Figaro , qu’il « valait mieux permettre aux mères en foulard, volontaires pour aider l’école », de participer aux sorties, puisqu’en tant qu’usagers du service public, elles ne sont pas soumises au principe de neutralité. De même, le 17 mars, elle a condamné la suppression du menu de substitution à Chalon-sur-Saone. «Le Parlement vient d'adopter un texte sur le droit à la cantine pour tous, a t-elle rappelé, La seule chose qui doit guider un responsable public est de veiller à ce que chaque enfant puisse manger à sa faim»
Mais ces rappels aussi nécessaires soient-ils, n’ont pas éteint les polémiques. Et beaucoup d’observateurs estiment qu’on assiste aujourd’hui à un dévoiement du principe de laïcité. Toujours dans l’article du Monde déjà cité, on peut noter la réaction du sociologue Pierre Merle « Ce qui me frappe dans le débat public, c’est une définition implicite de la laïcité qui ne correspond en rien à celle de notre Constitution, du droit européen et international, observe t-il. Une laïcité qui interdit les manifestations religieuses plutôt que de les respecter, qui conduit à des logiques d’exclusion au lieu de favoriser le vivre-ensemble. ». Même constat chez François Dubet « Manifestement, il ne s’agit plus de celle [la laïcité] qui garantit la liberté de conscience et de pratiquer sa religion. C’est au contraire celle qui dit : “En France, on mange du porc !” », observe, effaré, le sociologue François Dubet. Tout cela, souligne t-il est révélateur d’un « glissement du thème laïc au thème national ».
Arrêtons de jouer avec la laïcité ! c’est ce que demande le communiqué de la FSU du 20 mars. Pour le syndicat, “toutes ces initiatives conduisent plus à diviser voire à discriminer, apportent des sources de conflits là où il n’y en pas et ciblent incontestablement une seule religion. ”. Autre appel : “Laissons les filles tranquilles ! ”. C’est le titre d’une tribune collective dans Le Monde du 24 mars. Quelques extraits en donnent l’argumentation “Nous sommes féministes et nous croyons que sommer des filles de dix ans de choisir un camp entre famille et école, entre la religion et la laïcité forcée, n’est pas la solution dont ces filles ont besoin pour s’émanciper. [...]Le rôle de l’école laïque est d’accueillir chacun et chacune avec ses différences, ses hontes et ses fiertés, ses secrets de famille, ses croyances et ses doutes. Le rôle de l’école laïque est de veiller à ce que toutes les souffrances puissent s’exprimer sans crainte, et non de préjuger de qui doit être libéré. Le rôle de l’école laïque est de faire preuve de bienveillance et d’ouverture, pas d’imposer d’en haut des valeurs qui n’auraient d’universelles que le nom, puisqu’elles se fonderaient sur l’exclusion.
Les débats sur la laïcité sont récurrents dans la société française. Mais, ce qui frappe surtout dans ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’il s’agit moins d’un débat sur la laïcité au sens strict qu’un refus de la différence. Avec en plus une focalisation sur une religion et une origine ethnique et une instrumentalisation politique et identitaire. Au nom des “valeurs de la République” et d’un “esprit du 11 janvier” perverti, on exclut, on stigmatise et au final on ne fait que renforcer le sentiment d’exclusion. Et si, plutôt que le rappel incessant d’une laïcité mal comprise, on se préoccupait d’abord de faire vivre les principes qui sont, eux, inscrits sur les frontons des écoles et des mairies : “Liberté, égalité, fraternité” ? La condition d’une réelle intégration est dans le respect de cette promesse républicaine bien plus que dans le repli frileux dans une identité fantasmée et dans les appels à une assimilation qui nie la diversité et l’alterité.

FINLANDE
Le 1er article sur le sujet en dehors de la Finlande (à ma connaissance) sort dans The Independant avec le titre “Subjects scrapped and replaced with 'topics' as country reforms its education system”. Ensuite, tout cela suit le circuit médiatique maintenant classique : le même article est repris, recopié, sans réelle vérification. Après un buzz important sur les réseaux sociaux, Slate.fr reprend l’information en traduisant par “La Finlande veut abandonner les matières à l'école au profit des «sujets»”. On aurait pu plutôt traduire respectivement par “disciplines" et "Thèmes”. En d’autres termes, la Finlande veut consacrer certaines heures de cours, initialement prévues pour les cours traditionnels centrés sur une seule discipline , à un enseignement de "thèmes" plus transversaux. L’information a même les honneurs d’un article dans le Washington Post. On trouve aussi une reprise dans Le Vif un magazine belge. et dans Libération . Pour une mise en perspective, on pourra aller lire le billet de Mario Asselin dans le Journal de Québec
VousNousIls nous informe que Marjo Kyllonen, directrice de l’éducation d’Helsinki, présentera son plan (NCF 2016) à la fin du mois. Elle espère qu’il sera adopté dans toutes les écoles de Finlande d’ici 2020. Une formation au nouveau système a déjà été menée. Ceux qui adopteront cette nouvelle approche basée sur le « co-enseignement » se verront attribuer une petite hausse de salaire. Il faut souligner que cette réforme intervient alors que 70% des enseignants des écoles secondaires ont été formés à l'approche transversale. On notera aussi que la réforme est, comme d’habitude en Finlande, très progressive. Car le système finlandais est caractérisé par une grande autonomie. Ce qui va changer en 2016, c’est que toutes les écoles enseignant aux élèves de 7 à 16 ans devront avoir au moins une période prolongée pour une approche pluridisciplinaire. Mais la durée de cette période doit être décidée par les écoles elles-mêmes. Alors que certaines écoles vont saisir l'occasion de repenser l'enseignement et l'apprentissage avec des formes non traditionnelles utilisant le NCF 2016 comme un guide, d'autres choisiront des moyens plus modérés. Ce qui veut dire, comme le souligne le spécialiste finlandais Pasi Sahlberg sur le site d’information australien The conversation que les “disciplines” ne vont pas disparaitre contrairement à ce qu’une lecture rapide pouvait laisser penser.
Devons nous tous devenir finlandais ? Ce qui se passe en Finlande selon les cas, agace ou séduit. Il ne s’agit pas d ‘ériger le système éducatif finlandais en modèle et la transposition au débat français est délicate même si elle peut avoir quelques résonnances avec la réforme du collège. Il peut être cependant intéressant d’en souligner tous les aspects et de n’en oublier aucun...
D’abord on peut rappeler que des expérimentations sont faites depuis plusieurs années et des tests sur les élèves ont été faits pour mesurer les bénéfices (meilleurs résultats obtenus). Ensuite, la réforme est pensée globalement, des petites classes (élémentaire) au lycée, y compris l’enseignement professionnel. On soulignera aussi que les profs finlandais du primaire et secondaire sont aussi bien payés que dans le supérieur et le secteur privé. Leur formation est très poussée et devenir prof est très sélectif et valorisé dans l’opinion publique... Il ne faut pas oublier toutes ces dimensions quand on parle d’une réforme.
De même, il faut éviter de tomber dans les fantasmes en opposant les connaissances et les compétences ou en criant à la disparition des disciplines. L’approche par “thèmes” ou plutôt par “objets-problèmes” (“phenomenon-based”) ne peut fonctionner que si elle repose sur des connaissances solides pour les enseignants. Je cours le risque de l’immodestie en m’auto-citant dans une interview parue lundi dans La Lettre de l’Éducation : “je pense qu’on a parfois diabolisé les disciplines et que c’est une erreur commise par le camp pédagogique. Le socle a été perçu comme une remise en cause des disciplines, donc comme une menace identitaire pour de nombreux enseignants. Or, pour pratiquer efficacement l’interdisciplinarité, on a besoin d’enseignants bien formés à leur propre discipline et qui en maîtrisent la dimension épistémologique. « Comment, moi, enseignant de ma discipline, et fier de l’être, puis-je contribuer à construire des compétences en partie spécifiques et en partie partagées avec d’autres disciplines ? », telle est la question.
Cette nouvelle en provenance de la Finlande indique en tout cas que les débats sur les contenus d’enseignement au 21e siècle ne font que commencer. Peut-on toucher aux disciplines ?

À PROPOS DU COLLÈGE, DU LATIN ET DE L'IDÉE DE RÉFORME
Cette question que formulait il y a quelques temps, Jean-Michel Blanquer dans Le Café Pédagogique, on ne peut s’empêcher de se la poser lorsqu’on observe les “débats” (ou plutôt les imprécations) à propos de la réforme du Collège. En tout cas, mon précédent bloc-notes a suscité de très nombreuses réactions. Si quelques commentaires sont nuancés et argumentés (notamment certains publiés sur mon blog), la plupart relèvent plus de l’insulte que du débat d’idées. Même si ce n’est pas la première fois, et qu’elle peut s’expliquer par la passion on a du mal à s’habituer à cette démesure et à l’outrance dans les réactions. Comme je l’ai souvent évoqué, que dès que l’on touche aux disciplines qui constituent l’essentiel de l’identité professionnelle d’un enseignant, cela est vécu comme une remise en cause personnelle et déclenche des réactions passionnées. Bien sûr on comprend que chacun soit soucieux, comme dans tout métier, de l’évolution de ses conditions de travail, mais cela relève aussi de “logiques de territoire” qui sont forcément très conservatrices : « touche pas à “mes” heures” », « touche pas à mon statut »...
L’éditorial du bulletin du SNALC (signé François Portzer) est dans cet excès en titrant : Collège : la guerre est déclarée !. Et la suite est du même tonneau et utilise un vocabulaire très connoté : “Malheureusement, cette chienlit a toujours la même cause : l’institution est gangrénée par l’autoproclamé front des réformateurs constitué, avec la bénédiction de la nomenklatura qui dirige le Ministère depuis 40 ans et des prétendus chercheurs en sciences de l’éducation, de l’UNSA, du SGENCFDT, de la FCPE et de la Ligue de l’Enseignement, toutes organisations grassement financées par l’État.”. Cette outrance est dénoncée par Laurent Fillion sur son blog qui revient aussi sur la désinformation dont la réforme fait l’objet.
Comme nous le pointions la semaine dernière, l’angle d’attaque de remise en cause de la réforme du Collège a été le sort réservé au Latin avec une mobilisation assez structurée et de nombreux relais médiatiques. Un article paru dans Le Monde du 28 mars nous apprend que le projet de réforme qui est en ce moment soumis aux syndicats a changé avec une nouvelle grille horaire : l’option latin, initialement condamnée à disparaître dans sa forme actuelle – celle suivie par 20 % des élèves – au profit d’un module interdisciplinaire censé garantir le « latin pour tous », dixit Mme Vallaud-Belkacem, revient sous une forme allégée. Sur une des fiches de travail soumises aux syndicats le 25 mars, et que Le Monde a pu consulter, un EPI « Langues et cultures de l’Antiquité » demeure d’actualité, mais un « enseignement de complément » en langues anciennes voit le jour. Une demi-heure de LV1 est également rétablie en 6ème.
Nous en formulions la crainte la semaine dernière, le geste du ministère doit-il être pris comme un début de « détricotage » de la réforme ? On peut le lire comme la porte ouverte vers d’autres abandons ou plutôt un compromis destiné à préserver l’essentiel...
Peut-on se permettre d’attendre ? N’y a t-il pas urgence à réformer et à créer les conditions (4000 postes prévus...) pour que ces évolutions à la fois modestes (les ateliers interdisciplinaires ne représentent que 20% du temps) et essentielles puissent s’installer et répondre aux défis pour construire une école plus juste et plus efficace.

Bonne Lecture...

Philippe Watrelot


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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis assez choqué par la manière dont vous décrivez les réactions à votre précédent billet : j'avais pour ma part écrit un commentaire "nuancé et argumenté", que vous avez choisi de ne pas publier, alors que vous en avez publié d'autres qui commencent par "la bêtise de cet article m'effraie". Même si c'est votre droit le plus strict de choisir les commentaires qui sont publiés et ceux qui ne le sont pas sur votre blog, je trouve tout de même surprenant que vous fassiez sciemment passer les commentaires outranciers au détriment des commentaires argumentés pour ensuite vous en plaindre.

Sur le fond, je note que vous choisissez de relever un éditorial du SNALC au style lyrique, que vous relevez les attitudes de défense de territoire qui existent évidemment, mais qu'en revanche, vous passez sous silence les questionnements sur la pertinence didactique et organisationnelle de la réforme en projet. Je me permets donc de tenter à nouveau ma chance concernant ces deux aspects.

Tout en faisant mine de promouvoir l'autonomie, on constate que cette réforme, une fois de plus, prétend déployer d'en haut, sur l'ensemble du système éducatif, des dispositifs très particuliers dans lesquels il s'agit d'enfermer les élèves et les enseignants. On aurait pu imaginer d'autres modalités, avec par exemple les marges horaires consacrées aux EPI qui seraient laissées à la libre initiative des équipes pédagogiques, qui pourraient ici décider de mettre en place des activités interdisciplinaires, en lien avec un projet réellement pensé localement, là de proposer des activités culturelles et artistiques, et ailleurs des enseignements renforcés de mathématiques et de français - et plus probablement, sur tout le territoire, de moduler ces différents types d'action en fonction des sections, des classes et des inclinations des équipes.

Sur l'aspect didactique, on peine à voir quelles compétences les EPI sont censés développer. Ces enseignements, semble-t-il, ne s'inscriront dans aucune progression. Pire encore, il serait, si j'ai bien compris, exclu qu'un élève puisse suivre un même EPI sur plusieurs années consécutives. La logique en oeuvre, morbide s'il en est, serait donc que ces enseignements ne doivent surtout pas déboucher sur l'acquisition par les élèves de nouvelles compétences, et qu'il faut surtout rendre impossible qu'une telle chose se produise en interdisant des progressions pensées sur le temps long. Il ne serait donc pas ici question d'une stérile opposition compétence/connaissance que vous avez beau jeu de pourfendre, mais d'une organisation visant explicitement à empêcher l'acquisition de quelque compétence que ce soit. Je serais curieux de lire une autre interprétation de ce choix incompréhensible, mais je crains que celle-ci ne soit la bonne.

Watrelot a dit…

Je proteste de ma bonne foi en indiquant que je n'ai pas "censuré" de commentaire. Sauf un qui était en double. Y a t-il eu une erreur de manipulation ?
Je note aussi qu'il serait plus facile d'identifier les commentaires si ceux ci n'étaient pas anonymes.
Je publie donc bien volontiers ce commentaire qui est en effet argumenté.

Anonyme a dit…

Je vous accorde bien volontiers la bonne foi. J'ai donc dû commettre une erreur de manipulation et vous prie de m'excuser d'avoir imaginé autre chose.

Pour ma part, je m'en tiendrai à l'anonymat puisqu'il est toléré. Les positions que j'exprime consistent en des tentatives de mise au point de mes réflexions (je n'ose dire de ma pensée) en profitant de l'espace qu'offre un collègue dont la pensée est assise sur des bases fort différentes. Mais cela n'est pas du tout assez affiné pour que j'assume d'en faire part publiquement en mon nom propre.

Mais je reconnais volontiers que c'est bien facile, et qu'il est fort heureux que le débat puisse vivre à travers des personnes capables d'assumer publiquement leur propos, et je vous félicite sincèrement de le faire, malgré certains désaccords de fond.

 
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