« Dans les
époques paisibles, haïssant pour le plaisir de haïr, il nous faut chercher des
ennemis qui nous agréent; souci délicieux que nous épargnent les époques
mouvementées. »
Cioran. “Syllogismes
de l'amertume” 1952
« Mal nommer les
choses, c'est ajouter au malheur du monde. »
Albert Camus
“Les pédagogistes fous”
(Une du Point de cette semaine), “Les nouvelles perles de la novlangue
pédagogiste” (Le Figaro du 16 avril 2015), “Réforme du collège : les délires
pédagogistes” (Sophie
Coignard, Le Point du 20 avril 2015),
“Ubu, roi des « pédagogistes » ?” (Sophie Roquelle L’Opinion le 15 avril 2015),
“Triomphe du pédagogisme” (Alain Nabat Les Échos le 24 avril 2015), sans
compter la
Une de Marianne de la semaine dernière qui titre sur “le massacre des innocents” et le “mépris des savoirs” et ne cesse d’utiliser l’expression dans son
dossier. Le mot “pédagogisme” jusque là utilisé avec prudence semble
aujourd’hui être passé dans le vocabulaire courant. Je viens de découvrir aussi
qu’une notice Wikipédia,
très orientée, est consacrée à ce terme.
Nommer les choses est un combat politique et s’inscrit dans
un rapport de forces. Le retour de cette expression avec encore plus de
virulence signifie bien que quelque chose a changé. Il ne s’agit pas seulement
d’une escalade verbale. On est aussi face à tout un courant de pensée qui se
renforce. En tant que militant pédagogique cela m’inquiète. L’expression est
péjorative, certes, et elle n’est pas agréable à entendre, mais surtout elle
montre que le combat des idées est difficile.
Je ne vais pas me poser en victime et plutôt que de crier à
l’insulte et au mépris ressenti, je voudrais profiter de l’occasion pour faire
le point sur toutes ces expressions[1]
et essayer de donner des clés d’analyse. Et éventuellement quelques réponses...
Pédago...
gistes ?
“Pédagogistes” est l’expression la plus utilisée.
J’y avais déjà consacré un billet de blog en 2008. Mais elle est encore plus ancienne. Elle est utilisée
depuis une trentaine d’années par les “républicains”pour disqualifier le
discours des “pédagogues”. Mais on en trouve des traces dans un sens un peu
différent dès le 16ème siècle.
“Pédagogistes” ça sonne comme “intégristes”. Le suffixe est
en général utilisé pour évoquer une approche fondamentaliste et dogmatique d’un
courant de pensée. Le “pédagogiste” serait un idéologue pétri de certitudes et
voulant imposer ses théories à tous. C’est pourquoi ce terme est aussi associé
à l’idée de “complot”.
Le mot a aussi été beaucoup utilisé pendant la présidence
Sarkozy, par l’ancien président lui même lorsqu’il s’attaquait à la “pensée 68”,
et surtout par son ministre Xavier Darcos. Nicolas Sarkozy la réutilise dernièrement
dans une interview
au Figaro.
Au delà du politique, le mot est aussi rattaché au refus d’une approche “socio-constructiviste” des apprentissages et assimilé à l’idée (fausse) que l’enfant construirait seul (?) spontanément et sans effort ses propres savoirs.
Au delà du politique, le mot est aussi rattaché au refus d’une approche “socio-constructiviste” des apprentissages et assimilé à l’idée (fausse) que l’enfant construirait seul (?) spontanément et sans effort ses propres savoirs.
« Il est plus
facile de désintégrer un atome qu’un préjugé » aurait dit Einstein.
Que répondre face à ces représentations et prénotions ? Même si je
succombe encore au fantasme du prof qui parvient à convaincre par la seule
force de son argumentation, je sais bien qu’il est difficile de se faire
entendre de ceux qui ne veulent pas entendre. J’y ai déjà consacré plusieurs
billets (en 2008, 2011,
2014,...)
mais pourtant je continue...
On peut une nouvelle fois réaffirmer avec force qu’un
pédagogue est d’abord un enseignant qui se questionne et qui cherche à
améliorer sa pratique. Le doute est permanent. En tant que militant
pédagogique, j’ai des convictions mais pas de certitudes. Et des valeurs qui
guident mon action.
Ces convictions, elles sont issues d’abord de ma pratique
d’enseignant avant d’être le produit d’une “théorie” trop souvent vue comme
déconnectée du réel. C’est d’abord la conviction que l’élève apprend mieux
quand il est actif et surtout acteur. Si je crée des dispositifs qui permettent
aux élèves de se motiver, de s’impliquer et les mettent en situation de
produire et pas seulement de subir, si nous définissons le plus clairement
possible ce qui doit être appris et comme cela sera évalué, je suis, en tant
qu’enseignant, bien plus présent que si je fais de l’“instruction” par un
simple cours magistral. Aucun spontanéisme là dedans, aucune mise en retrait de
l’enseignant, bien au contraire et aucune baisse d’exigence. Quant à l’idée que
l’apprentissage se ferait sans effort, elle n’est nullement présente. Mais pour
beaucoup de nos contempteurs, il y a une confusion entre effort et
douleur. Apprendre exige un effort, c’est une évidence pour tous mais rien
n’oblige à ce que ce soit douloureux. Ni même ennuyeux !
Répétons le également, le débat qui opposerait les
connaissances disciplinaires à la pédagogie est un débat vain[2].
Il ne s’agit pas de “brader les savoirs” comme il est souvent dit dans ces
pamphlets. Au contraire, il s’agit de les prendre au sérieux. La piste du
“travail par compétences”, par exemple, peut être une voie féconde pour rendre la pédagogie
plus explicite et mettre les élèves en capacité de mobiliser les ressources
acquises (savoirs, savoir-faire, attitudes,…) dans des situations inédites et
complexes et non pas dans la récitation et la répétition.
Les valeurs qui orientent mon action sont celles de
l’éducabilité et le refus de la résignation au déterminisme social.
L’éducabilité, ce n’est pas du “jargon” ! Cela signifie simplement,
bien loin de l’idéologie des “dons”, que nous devons croire à la capacité de
chacun à apprendre et progresser. Si l'on ne postule pas que les êtres que l'on
veut éduquer sont éducables, si on ne pense pas que son action peut agir sur
leur destin, il vaut mieux changer de métier... C’est aussi pourquoi il nous
faut agir au quotidien pour que, par nos pratiques, nous ne renforcions pas les
inégalités produites par la société mais aussi par l’École. Comment puis-je
faire pour créer les conditions d’un réel apprentissage des élèves ? Comment organiser le cadre qui permet de faire des jeunes des élèves, créer la
motivation, l’intérêt pour ce qui est enseigné, donner du sens aux savoirs appris, donner des objectifs clairs et explicites aux élèves, identifier les
difficultés des élèves et proposer des aides pour les résoudre, évaluer leurs
progrès et leurs compétences ? Telles sont les questions que se posent les
enseignants aujourd’hui s’ils veulent être des professionnels de l’acte
d’apprendre. Par ailleurs, on peut considérer que l'acquisition des savoirs est inséparable de celle des règles du
« vivre ensemble » : apprendre à respecter celui qui raisonne
juste et convainc sans violence relève bien de la mission première de l'école.
La pédagogie est en effet porteuse de valeurs, il y a des dispositifs qui sont
plus démocratiques que d’autres. On peut instituer des modes de travail qui
soient plus coopératifs et fondées sur l’échange et la solidarité plus que sur
la compétition.
Le refus du déterminisme social nous amène à la question de
la finalité de l’enseignement. Certains anti-pédagogues renvoient la
responsabilité de la difficulté scolaire sur l’élève lui même[3].
S’il n’apprend pas c’est qu’il n’est pas sérieux et c’est de sa faute et “à chacun selon ses mérites”... Et le
caractère sélectif de l’enseignement se trouve justifié et l’échec devient
alors une sorte de maladie nosocomiale de l’École. En revanche, si l’on se
donne comme ambition de “faire apprendre” tous les élèves, il faut alors mettre
en œuvre une pédagogie qui permette de lutter contre les inégalités sociales et
scolaires. Et qui passe par une pédagogie différenciée et une véritable prise
en compte de la difficulté scolaire.
“L’idéologie, ce sont
les idées de mes adversaires” disait Raymond Aron. Penser que chacun peut
apprendre, être révolté par les inégalités sociales et la sélection précoce,
penser que l’École peut aider à construire des citoyens autonomes, critiques et
responsables qui prennent plaisir à apprendre, croire aux vertus de la
coopération et de l’agir pour apprendre, ... Est-ce de l’idéologie ? Si
oui, quelle serait alors celle de nos supposés adversaires ?
Péda...
Gogos ???
“Gogos” et
quelquefois même “gogols”... ! Car
il y a plusieurs stades dans l’insulte, au mieux les pédagogues seraient des
“bisounours” au pire ils seraient tout simplement “fous” (titre du magazine Le Point de cette semaine).
Dans une époque où le cynisme tient lieu de valeur et de
posture permanente, les pédagogues sont considérés comme des naïfs qui ne voient
pas tous les obstacles et les préalables à l’action. Ceux qui sont revenus de
tout sans jamais y être allés (selon la belle formule de Ph. Meirieu) moquent
ceux qui croient aux vertus de l’action individuelle et collective pour changer
les pratiques de classe.
“Et puis, c’est bien
joli de vouloir faire de la pédagogie, et vouloir innover, mais tu comprends,
l’École ne peut pas lutter contre les inégalités sociales... ” “Si
les élèves ne veulent pas travailler on y peut rien” “Tu ne vois pas qu’il y a une intention
cachée derrière cette réforme ?” “Tant
qu’on aura pas plus de moyens/moins d’élèves/de la formation, on ne pourra pas
avancer...”
Ce discours “aquoiboniste” fait de renoncement et
de déploration existe aussi dans les salles des profs. Même si les discours
sont une chose et les actes en sont une autre. En fait, dans les actes, les
enseignants font du mieux qu’ils peuvent et agissent au quotidien. Mais avec le
sentiment d’un “travail empêché” résultant d’un décalage entre le métier
idéalisé et le métier réel.
Dans ce contexte, le discours pédagogique souvent très
volontariste est alors vécu comme culpabilisant et culpabilisateur. La réaction
est alors de disqualifier ce discours en le considérant comme irréaliste et naïf.
L’optimisme n’est pas de la naïveté. Comme nous le disions
plus haut, si on ne pense pas que son action peut avoir un effet sur la
réussite de tous les élèves, il y a de quoi s’inquiéter. “Combiner le pessimisme de la raison et l’optimisme de l’action”,
cette belle formule d’Antonio Gramsci (reprise de Romain Rolland) résume assez
bien la posture qui est celle d’un militant.
Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas essayer. Tout en étant conscient des limites de son action. On ne va pas tout seul résoudre toutes les difficultés des élèves et supprimer les inégalités sociales ! Mais on fait sa part...
Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas essayer. Tout en étant conscient des limites de son action. On ne va pas tout seul résoudre toutes les difficultés des élèves et supprimer les inégalités sociales ! Mais on fait sa part...
Pédago...
crates ?
On parle de “pédagocrates” tout comme on parle du
complot “pédagogiste”. Avec l’idée que les idées pédagogiques sont imposées
d’en haut par une technostructure déconnectée du terrain.
Un peu d’histoire s’impose. Dès
sa création en 1945[4], la revue “Cahiers Pédagogiques” se voulait un
organe de liaison entre les enseignants
des classes nouvelles (issues du Plan Langevin-Wallon) et tout ceux qui voulaient innover dans une école
marquée, hormis ces quelques îlots, par un grand conservatisme. Plus tôt dans
le siècle, Célestin Freinet, se rebelle contre les pesanteurs et est contraint
de quitter l’enseignement public pour mener son projet. Enseigner autrement que les autres était difficile, alors qu’on était
isolé et qu’on subissait la pression conservatrice de la hiérarchie. La liberté
pédagogique était alors surtout revendiquée par les pionniers de la transformation de l'école. Mais
aujourd’hui, le message est brouillé et c’est plutôt dans le camp des
“conservateurs” que le thème de la liberté pédagogique a été repris pour
justifier la liberté... de ne pas changer.
Le vocabulaire, les idées de la pédagogie ont en effet
pénétré dans l’administration de l’Éducation Nationale et ses différentes
instances (IUFM, ESPÉ, formation continue, ). Nul complot là dedans. Il s’agit d’une évolution dictée
par la nécessité de la démocratisation. Mais cette récupération des thèses
pédagogiques par la technostructure n’est pas sans effets pervers. Car bien
souvent il y a eu édulcoration et construction d’une vulgate pédagogique qui
contribue à en détourner le sens et la portée et qui a pu masquer
(reconnaissons le) une gestion de la pénurie. Et comme, de plus, cela s’inscrit
dans une logique qui reste très bureaucratique, l’administration s’attache plus
à la conformité des procédures qu’aux finalités de l’action pédagogique.
Et surtout cela contribue à une situation paradoxale. Comme
le discours pédagogique (même s’il est un peu dévoyé) semble être devenu le discours
dominant de l’administration, la posture change de camp : le
“conservateur” devient alors un pseudo “rebelle”. Un rebelle face à une administration
vue trop souvent comme un ennemi mais un conformiste sur le plan des idées
pédagogiques. Un conformisme qui est très important dans les salles des profs
et qui conduit toujours à considérer
le ou la collègue qui veut innover comme un(e) déviant(e) et un “pédagogo”...
L’appellation de “pédagocrates”
et les procès en légitimité qui sont faits pour disqualifier, ne résistent pas à l’examen. Les
militants du CRAP-Cahiers Pédagogiques, comme des autres mouvements
pédagogiques sont d’abord des enseignants de terrain qui agissent dans leurs
classes au quotidien et dans leurs différents champs d’intervention (formation
initiale et continue, activités péri-scolaires). Que les idées que nous portons
soient reprises aujourd’hui, on peut évidemment s’en réjouir. Cela signifie que
notre action militante à tous les niveaux (et au grand jour !) est entendue. Cela n’empêche pas la
vigilance car nous savons bien qu’il peut y avoir dévoiement si cela apparait
comme venant d’en haut.
Nous militons, quant à nous, pour que la structure de l’éducation nationale devienne moins rigide et donne plus de pouvoir d’agir aux équipes enseignantes au plus près des réalités et des besoins des élèves. Les “pédagocrates” ce devrait être chacun et chacune d’entre nous !
Nous militons, quant à nous, pour que la structure de l’éducation nationale devienne moins rigide et donne plus de pouvoir d’agir aux équipes enseignantes au plus près des réalités et des besoins des élèves. Les “pédagocrates” ce devrait être chacun et chacune d’entre nous !
Parlez vous le pédagol ?
“Novlangue”, “Jargon”, “Charabia”... On s’en est donné à coeur joie dans la presse récemment
pour dénoncer “la novlangue pédagogiste
élaborée rue de Grenelle” ...
La publication des projets de programme par le Conseil
Supérieur des programmes a déclenché les moqueries.
Certes, "Se
déplacer […] dans un milieu aquatique
profond standardisé” prête à sourire... Mais quelle profession n'a pas son
vocabulaire spécialisé pour désigner le plus précisément possible ce que l'on
doit faire ? Avez vous déjà lu un texte juridique ou un texte médical ?
Pourquoi seule l'éducation en serait privée ?
Le problème c'est que le vocabulaire pédagogique a un double
usage. Il est utilisé par les professionnels pour décrire ce qu’ils doivent
faire mais il peut aussi être destiné aux parents et au grand public. Il faut
donc bien distinguer ces deux niveaux et un effort de traduction s’impose tout
comme le médecin se doit d’expliquer le plus clairement possible à ses patients
Mais je ne peux m’empêcher de penser que, à tort ou à
raison, derrière cette nouvelle attaque, c'est encore un procès en légitimité
qui se dessine. Avec l'idée que la “pédagogie" ne relève que du “bon
sens" et de l'art. Et qu'elle ne peut être envisagée comme une approche rigoureuse
et scientifique ni même une profession. Dans toutes les attaques contre les
pédagogistes dans la presse, de nombreux polémistes ont en effet parlé de
“pseudo-sciences” à propos des
sciences de l’éducation.
Il ne s’agit pas ici dans ce billet (déjà trop long) de
revenir sur cette discussion récurrente et qui peut aussi s’analyser comme le
résultat de rapports de forces entre différents “champs”. De part et d’autres
il y a des excès. On aimerait que les éditorialistes et autres intellectuels
aient une meilleure connaissance des mécanismes d’apprentissage qui ne se
limitent pas à leur expérience personnelle. Et qu’ils aient aussi un peu plus
de culture sociologique pour pouvoir vraiment comprendre la difficulté
scolaire. Et les pédagogues et (surtout) les didacticiens doivent aussi éviter de
“jargonner”. Nous le savons bien aux Cahiers Pédagogiques où les rédacteurs en
chef de la revue veillent sans cesse à ce que les articles soient le plus
accessibles !
Le jargon de métier n'est admissible que là où il y a “métier” et cette polémique semble dire que “pédagogue”
n'est est pas un... Si les enseignants doivent travailler ensemble, il faut
comme dans toute profession qu’ils aient donc un vocabulaire de métier. Il faut
aussi qu’ils s’appuient sur des connaissances solides non seulement sur leur
discipline mais aussi sur leurs pratiques et sur les élèves. Je suis frappé
pour ma part, par la faible culture sociologique de nombreux collègues, qui les
amènent à “naturaliser” la difficulté scolaire (“il n’est pas doué”). Le
recours au bon sens et à la seule expérience personnelle est tout aussi inquiétant.
On a besoin
d’un vocabulaire précis pour échanger entre nous. Parler d’évaluation
“formative” ou d’évaluation “sommative”, par exemple, ce n’est pas la même
chose et c’est utile pour débattre entre collègues. Mais, tout comme il ne faut
pas abuser des sigles, il ne faut pas non plus utiliser dans la communication
externe, un vocabulaire qui fasse écran au partenariat et au travail avec les
parents.
A l’inverse, il serait utile que, tout comme il y a des
émissions sur la santé, il y ait des émissions de vulgarisation sur les enjeux
de l’éducation dans les médias. Car l’éducation c’est en effet l’affaire de
tous. Mais plutôt que d’en parler sur le mode de la moquerie ou de la polémique
caricaturale, les médias seraient bien inspirés d’en faire un sujet de
connaissance et de culture. On peut rêver...
“Qu’est-ce que ça vous
fait d’être traité de pédagogiste fou ?” m’a demandé récemment une
journaliste.
Evidemment ça ne fait pas plaisir. J’assume bien volontiers d’être contredit et j’accepte le
débat mais je m’accommode mal de constater que nos idées sont caricaturées et
déformées. Ce qu’on dit de la pédagogie ne correspond à rien de ce que je
connais. On a l’impression que pour certains, il est plus facile de combattre quand
on s’invente ses ennemis...
Plutôt que de construire un épouvantail que serait la
caricature du “pédagogiste”, il serait bon que l’opinion publique et tous nos
intellectuels s’intéressent vraiment aux finalités de l’École et à la lutte
contre les inégalités.
Constater que la France est un des pays où le poids de l’origine
sociale pèse le plus sur la réussite scolaire devrait nous interpeller tous. Ce
qui continue à m’animer après toutes ces années, et qui explique mon
militantisme, c’est surtout une indignation. Je ne m’accommode pas des
inégalités et de l’injustice de notre système éducatif. Et la pédagogie telle
que je la conçois, bien loin de tous ces suffixes péjoratifs, c’est d’abord agir
au quotidien, par mon action dans ma classe et plus largement par la diffusion des idées et des
pratiques pour lutter contre ces inégalités.
Philippe Watrelot
Le 9 mai 2015
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
----------------------------
[1] D’où l’abus de guillemets dans ce texte veuillez m’en excuser.
[2] « Il faudrait enfin qu'on arrive à sortir de
cette méthode qui consiste à penser toujours sur le mode de variation en sens
inverse, c'est-à-dire que plus je m'intéresse à l'élève, moins je m'intéresse
au savoir ou plus je m'intéresse au savoir, moins je m'intéresse à l'élève ... »
. (Ph. Meirieu)
[3]
Bernard Charlot "Vade retro Satanas, pourquoi le débat avec les antipédagogues est
impossible" article paru dans “L'École entre Autorité et Zizanie Ou 26
façons de renoncer au dernier mot” Lyon, Chronique Sociale, 2003.
[4] Le Cercle de Recherche et
d’Action Pédagogiques (CRAP) est né quant à lui en 1963.
1 commentaire:
Cher monsieur,
j'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre article. Je mettrai de côté les considérations sur les média, leur intérêt est de vendre de la copie d'où les titres accrocheurs et les formules racoleuses.
Néanmoins, il faut considérer que beaucoup de parents constatent qu'au sortir d'un cursus primaire où tout c'est à peu près "bien passé", beaucoup d'enfants "s'effondrent" au collège, que d'autres arrivent cahin-caha au lycée pour découvrir qu'ils n'ont pas les connaissances nécessaires pour intégrer la filière de leur choix, et quand ils y parviennent que la première année d'université est souvent la dernière.
Je suis d'accord avec vous, une des missions de l'école est de mettre en place des outils qui permettent à tous les élèves, quel que soit leur milieu social et leurs origines d'aller aussi loin que possible dans la filière de leur choix.
Ceci étant dit, on peut accomplir cette mission de deux façons : soit l'école se donne tous les moyens pour amener tous les enfants au niveau d'un diplôme de qualité, sans baisser son exigence, soit elle vide les diplômes de leur substance afin de permettre à plus d'enfants de l'accrocher sur le mur du salon , ou de l'inscrire sur leur cv.
Actuellement, beaucoup de parents ont le sentiment que c'est la seconde option qui est choisie. Toute proposition en matière de réforme pédagogique est perçue comme un nouveau coup porté à l'avenir de leurs enfants.
Dire que les gens ne comprennent rien à rien ne résoudra pas le problème. Ils se souviennent d'une époque, peut-être fantasmée, où un enfant d'ouvrier pouvait aspirer à une meilleure vie que ses parents. À l'époque il lui suffisait d'accéder au bac, parfois de faire un DEUG ... Aujourd'hui, tout le monde ou presque a le bac, beaucoup ont une licence, ou Master voire un doctorat et leur vie n'est pas meilleure, loin s'en faut, que celle de leurs parents.
Crise économique ? Sans doute, mais reconnaissez que ce sont les produits des grandes écoles, payantes, qui ont le plus de chances d'accéder à une certaine réussite sociale, ou des écoles de commerce, payantes bien sûr... et dont le sésame est un concours d'accès, inaccessible à un élève issu du système public d'une banlieue modeste.
Je sais que le ministère connait cette réalité, preuve en est, ces tentatives d'intégrer artificiellement des élèves issus de banlieues difficiles à Henry IV et à Sciences Po, mais tout cela c'est un emplâtre sur une jambe de bois, c'est un morceau de pain jeté aux pauvres pour leur dire "vous voyez, nous faisons des efforts pour vous accepter parmi nous".
La vraie réforme, cela sera quand les meilleurs élèves des lycées de Saint-Denis seront aussi formés et compétents que ceux d'Henry IV, et qu'ils seront admis par la grande porte à science po ou ailleurs.
Vous avez tous raison, il faut une réforme en profondeur de notre système. Je crains que celle qui est en marche ne fasse que creuser encore plus les inégalités.
Cordialement
C.A.
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