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Une tonalité très économique à ce bloc-notes avec un point sur le budget 2015 mais aussi avec un petit peu d’économie expérimentale avec la décision de la municipalité de Pontault Combault (et de quelques autres) de pénaliser les parents retardataires. On évoquera aussi la situation très contrastée dans les ESPÉ un mois après la rentrée ainsi que quelques réflexions sur les concours enseignants.
Budget
Mercredi dernier, le gouvernement a présenté en conseil des ministres le projet de budget 2015. La « loi de finances » qui va être débattue et votée par les parlementaires durant les semaines qui viennent est un acte politique important. Ce budget, on le sait est marqué par la recherche de 50 milliards d’économies et par l’austérité.
En tant que ministère, l'Education nationale échappe à la rigueur. La Ministre a réussi à obtenir un milliard supplémentaire pour soutenir la refondation. Par ailleurs, la promesse faite en 2012 de (re)-créer des postes est maintenue. 9 421 emplois seront créés en 2015 et 25 000 seront mis aux concours. Mais dans le même temps, en 2015, la carrière des enseignants comme des autres fonctionnaires va encore se dégrader. On est donc face à un budget contradictoire. Et il nous faut examiner le verre à moitié plein et celui qui est à moitié vide...
Commençons par les “bonnes nouvelles” 9.421 postes d'enseignants seront donc créés dès l'année prochaine. Parmi eux, 2.511 iront dans le premier degré public et 2.555 dans le second degré public. 3.137 postes «d'équivalent temps-plein» seront également créés, permettant aux jeunes tout juste reçus aux concours d'enseigner à temps partiel et d'étudier à côté. Seuls 588 postes seront dédiés à l'enseignement privé. Notons toutefois qu’il ne suffit pas de créer des postes. On a vu l’an dernier que les jurys de concours n’ont pas pourvu tous ces postes disponibles. . Sur le plan du budget proprement dit, les 65,02 milliards d’euros que l’Etat a décidé de consacrer à ses 12,3 millions d’élèves actent une hausse de 1,1 milliard d’euros pour l’année prochaine, soit 2,4 %. C’est une exception dans un projet de loi de finances marqué par la rigueur. Pour Maryline Baumard, (Le Monde) , l’École reste le “premier budget de la nation ”. Ce qui n’est pas tout à fait vrai puisque le « service de la dette » est devant. Toutefois, elle note elle aussi que “en dépit de ces créations de postes, l’éducation n’échappe pas aux économies. Les dépenses de fonctionnement du ministère seront donc diminuées de 5 % en 2015 (et de 12 % d’ici à la fin du quinquennat). L’an dernier, elles avaient déjà baissé de 3 %. L’entourage de la ministre table d’abord sur des économies d’échelle, et peut-être aussi sur quelques déménagements.”
Mais voyons aussi l’autre aspect de ce budget, celui qui concerne les traitements des fonctionnaires. Un article du site d’information en ligne Acteurs publics nous informe que le projet de loi de finances 2015, présenté mercredi 1er octobre, confirme le gel du point d’indice des agents publics jusqu’en 2017 et n’évoque aucune “clause de revoyure”. Les mesures catégorielles seront par ailleurs très fortement réduites jusqu’à la fin de la mandature. Dans le plan d’économies de 7,7 milliards d’euros programmé sur l’ensemble des dépenses de l’État et de ses agences pour l’année 2015, 1,4 milliard d’économies est réalisé sur la masse salariale. Sa progression sera, peut-on lire, limitée à 0,6 %. Gelé depuis l’été 2010, le point d’indice – qui sert de base au calcul du traitement des agents publics – ne sera pas augmenté, non seulement l’année prochaine, mais jusqu’à la fin de la mandature, en 2017. Alors que le Premier ministre évoquait alors une possible “clause de revoyure” en fonction d’un retour marqué de la croissance celle ci n’est plus évoquée dans les documents publiés mercredi par Bercy… L’article d’ Acteurs publics évoque aussi la diminution drastique des enveloppes consacrées aux mesures catégorielles. Sans rentrer dans le détail, cela signifie que les ministères n’auront quasiment plus aucune marge de manœuvre financière pour revaloriser leurs agents. Ces informations arrivent alors que le ministère de la Fonction publique doit démarrer une importante négociation – plusieurs fois reportée ces dernières semaines – sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations des agents publics, le 8 octobre. Elles arrivent aussi dans le contexte des élections professionnelles dans le monde enseignant qui auront lieu au mois de novembre. On peut aussi les interpréter en revenant sur la question posée plus haut : « Suffit-il de créer des postes pour qu’ils soient pourvus ? » Sans revalorisation salariale, sans attractivité, on peut s’interroger sur le nombre de candidats aux concours et sur la réalité des 60 000 postes à la fin du quinquennat.
Amendes
Un reportage récent passé sur France 3 et sur France 2 nous apprenait récemment que la commune de Pontault-Combault avait décidé de pénaliser les parents d’élèves retardataires pour récupérer leurs enfants à la garderie. Au bout du troisième retard, les parents se verront donc infliger une amende variant entre 5 et 35 euros, en fonction du quotient familial. "Un enfant qui reste au-delà de 19 heures, cela nécessite de demander à nos animateurs de rester sur un temps supplémentaire, donc forcément, de payer des heures supplémentaires", justifie la maire adjointe de Pontault-Combault dans le reportage. On apprend que d’autres commune vont faire de même.
Bonne idée ? Pas sûr...
Pour un enseignant d’économie, cette information rappelle quelques paradoxes apparents qui nous montrent que le « bon sens » ne suffit pas toujours pour expliquer et analyser les phénomènes économiques. En effet l’économie expérimentale nous montre que dans ces cas là, les parents ont tendance à considérer qu'ils paient leur retard. On peut donc prévoir et craindre que les retards vont donc s'accumuler plutôt que se réduire.
Allons voir le blog “Classe éco” de l’économiste Alexandre Delaigue. Celui-ci nous apprend qu’en 1998, les économistes Uri Gneezy et Aldo Rustichini ont mené l'expérience suivante. “Dans les maternelles en Israël, les parents d'élèves arrivaient parfois en retard pour chercher leurs enfants. Résultat, alors que l'heure de fermeture est normalement à 16 heures, certains parents arrivaient jusqu'à 16h30, obligeant un enseignant à rester pour attendre les parents retardataires. Pendant 20 semaines, de manière expérimentale, dans la moitié des crèches de la ville de Haïfa, les parents en retard devaient payer une amende de 10 shekels pour un retard de 10 minutes ou plus (par comparaison, le salaire horaire d'une baby-sitter en Israël était de 15 shekels à l'époque de l'étude). Aucune amende n'a été imposée dans les autres crèches. Résultat ? [...] le nombre de retards a augmenté (pratiquement doublé même) après la mise en place de l'amende, alors qu'il restait constant dans les crèches sans amendes.”
Ce paradoxe n'est pas isolé nous rappelle Alexandre Delaigue. L'expérience a été reproduite et toujours confirmée. Car le problème est que l’amende change la perspective des individus par rapport au service. C’est la conclusion de ce billet (ancien mais donc toujours actuel) d’A. Delaigue : « Lorsqu'aucune amende n'existait, les parents qui arrivaient en retard avaient le sentiment de violer une norme sociale : on n'arrive pas en retard, c'est impoli, et ne pas le faire suscite de la honte et de l'embarras. En arrivant en retard, on impose une contrainte à une personne serviable, l'employé obligé de rester tard. Mais dès lors qu'une amende existe, le contexte devient un contexte marchand. Il y a un prix au fait d'arriver en retard. Et pour les parents, désormais, il n'y a plus de honte associée : "je paie, j'ai donc le droit d'arriver en retard". Arriver en retard devient acceptable, pourvu qu'on en paie le prix.”
Première conclusion : On souhaite bien du plaisir à la commune de Pontault-Combault et à ses animateurs !
Deuxième conclusion : on a toujours besoin d’un peu de culture économique et de connaissances en sciences sociales !
ESPÉ
“Vis ma vie de stagiaires” est un long billet de blog publié initialement lundi dernier sur Mediapart et qui a été repris ensuite sur d’autres sites . L’auteur reste anonyme mais son pseudonyme est bien connu des milieux de la gauche radicale. Mais ici, si le billet n’évite pas les postures politiques, la jeune femme raconte surtout ses débuts dans l’enseignement. Et ce long témoignage en dit long sur la situation de ces stagiaires dans la plupart des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation.
Rappelons que celles ci ont été créées par la loi de refondation et se sont mises en place progressivement dès la rentrée 2013. La formation est maintenant organisée sur deux ans de Master avec le concours passé en fin de M1. La première année de Master prépare à des concours qui ont été rénovés avec une dimension “professionnelle” plus marquée dont la première session était en juin 2014. Cette année est donc la première où les ESPÉ est en pleine puissance avec l’arrivée des M2. Ceux ci sont à la fois stagiaires (à mi temps) et étudiants de M2 avec des cours qui accompagnent leur pratique professionnelle et qui complètent leur Master. A l’issue de l’année, ils devront donc à la fois valider le diplôme et être titularisé
Mais ce que je viens de décrire correspond au parcours idéal comme l’ont souligné plusieurs acteurs et observateur de la formation . Car, à côté de ce parcours qui ne représente qu’un tiers des personnes, il faut aussi tenir compte des lauréats du concours qui sont déjà détenteurs d’un Master et de ceux qui sont en M2 et n’ont pas réussi le concours. Et le sort de chacun est différent selon les académies et, de fait, s’organise dans une certaine urgence
C’est cette situation confuse et cette improvisation que décrit le texte de “Tatiana Ventôse”. Elle raconte : “La semaine de pré-rentrée (fin août) fut un véritable calvaire : les titulaires de masters (dont je suis, donc), n'ont eu cesse de poser des questions, afin de savoir où nous devions nous inscrire, quand, à quelle ESPE, à quels cours, et surtout, comment (les sites des ESPEs de chaque académie n'ouvrant la possibilité que de s'inscrire au Master MEEF et pas au fameux “parcours adapté”). Chaque fois, la réponse nous fut donnée : “on ne sait pas, l'administration, qui se réunira prochainement, étudiera les cas de chacun pour déterminer les obligations de chacun et leurs parcours adaptés. Ne vous inscrivez pas, nous vous recontacterons quand ce sera fait”. ” Et le reste du texte décrit la suite des galères.
Dans l’académie de Créteil, on a répondu à la situation pointée par le texte de cette enseignante débutante. La directrice de l’ESPÉ en recevant une délégation de stagiairesleur a annoncé que ceux qui sont déjà titulaires d’un M2 seront dispensés de revalider leur diplôme. Il ne sera exigé ni mémoire, ni écrit professionnel pour ceux qui ont un M2 (quel qu’il soit). Si on peut être d'accord pour admettre que les stagiaires déjà titulaires d'un master n'aient pas les mêmes contraintes en termes de cours à suivre pour valider leur année de stage on peut s’étonner qu'ils soient dispensés de ce qui est avant tout un écrit réflexif sur leur pratique. Etre détenteur d’un master ne veut pas dire que vous savez déjà enseigner ! Or cet écrit (qui ressemble beaucoup à ce qui se faisait avant dans les IUFM il y a encore cinq ans) est une belle occasion de se mettre dans une situation de réfléchir sur sa pratique et dans une logique de recherche. Si on voulait alléger on pouvait s'y prendre autrement. Le problème tient, me semble t-il, au mot même de “mémoire". Dans le langage universitaire, il a un sens bien précis et renvoie à ce qui se fait dans des master recherche et est nécessaire pour valider le master. Alors que pour les "ex-IUFM" (comme moi), il se situe surtout du côté des mémoires professionnels et de ce qu'on appelle un "écrit réflexif". Ce ne sont pas tout à fait les mêmes formats et les mêmes exigences.
C'est finalement un symptôme du “choc de culture" que l’on peut voir comme une des sources des difficultés actuelles de la formation des enseignants. On peut se dire que cela va se résoudre avec du temps et les étudiants actuels ont vraiment l'impression d'essuyer les plâtres et de servir de cobayes. On peut aussi considérer que certaines difficultés tiennent à des contradictions et des défauts de structure qu’il faut corriger. Ainsi, la multiplicité des décideurs et des intervenants pose un vrai problème de gouvernance qu’il faudrait résoudre en allant vers plus d’autonomie. Mais cette multiplicité pose aussi un problème très pratique pointé par le billet de blog cité plus haut. Les ESPÉ sont des lieux virtuels mais dans la réalité les stagiaires se baladent souvent d’un endroit à un autre selon que c’est telle ou telle université ou l’ex-IUFM qui interviennent. Multiplier les intervenants et les lieux rend les choses très complexes. Et les étudiants, au final, n'ont pas forcément l'impression d'avoir une formation cohérente
On pourra lire d’autres témoignages plus positifs sur les ESPÉ dans VousNousIls . Ils insistent sur l’aspect positif des stages déjà réalisés en M1 et qui donnent déjà une idée de ce qui attend les stagiaires. De même, il faut rappeler que la formation est en alternance et que les stagiaires sont donc à mi temps. Alors que les quatre années précédentes, ils devaient se former en plus d’un temps complet. Il n’est pas inutile de rappeler cela pour ne pas voir uniquement le verre à moitié vide...
Concours
Pendant la formation, il y a le concours. Et un article du Nouvel Obs pose une question provocante “est-ce qu'on saque trop les futurs profs ?”. Le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale), premier syndicat des chefs d’établissement pense que l’on va trop loin. "Le rôle des jurys est de classer les candidats sur les compétences par rapport au nombre de postes, pas de s’arroger le droit d’éliminer les candidats jugés pas ‘au niveau’", affirme Michel Richard, secrétaire général adjoint du SNPDEN. Et il poursuit "Voilà des jeunes gens qui ont tous en poche un master 1 ou 2 dans leur discipline et qui seraient incapables d’enseigner à des collégiens ? En ce cas, soit l’université est nulle et il faut le dire, soit les jurés ont des exigences disciplinaires inutiles”.
On ne peut pas exclure quelques arrières pensées chez ceux qui ont auparavant revendiqué de participer au recrutement des enseignants. Mais il y a cependant une question qui mérite d’être posée. Comme nous l’avons vu, on a récemment fait évoluer les concours vers des épreuves plus didactiques et pédagogiques. Alors ne faudrait-il pas aussi faire évoluer les jurys eux-mêmes...?
On peut constater que les comportements des jurys sont très malthusiens. Chaque année, on peut voir que tous les postes ne sont pas pourvus. Le taux d’admission au Capes est passé de 35% en 2013 à 24% en 2014. 11 points de réussite en moins, et 75% des candidats écartés. Certes, la première analyse est de dire que c’est parce que les candidats n’ont pas le « niveau ». Et c’est sûrement vrai pour une bonne part des cas de rejets. Et c’est la principale justification des concours que d’opérer cette sélection.
Mais ces décisions des jurys peuvent être aussi lues comme l’expression d’un pouvoir et d’un marquage de territoire. Ils le manifestent en montrant qu’ils ont de la distance et de l’indépendance par rapport à ce qu’ils peuvent voir comme une injonction ministérielle. Ce comportement ne peut être négligé. Et il a été particulièrement visible durant le « CAPES exceptionnel » où les jurys ont recalé des candidats qui venaient de passer une année dans les classes sans problèmes (avec des contrats 6h). Par ailleurs sur les concours changent et ont maintenant des épreuves didactiques et pédagogiques, certains membres du jury semblent ne toujours pas avoir compris que les épreuves ont changé et posent les mêmes questions qu’avant et évaluent sur les mêmes critères. La culture pédagogique et didactique des membres des jurys mérite en tout cas d’être questionnée. Et c’est un préalable à la réflexion sur le “niveau” des candidats. Le “niveau” tout comme la note est une donnée très relative...
D’autant plus si on rappelle qu’une bonne part de ces recalés vont ensuite être recrutés comme vacataires pour suppléer aux carences du système ! En somme, des enseignants jugés "inaptes" aux fonctions que pourtant, on leur confie sur le terrain. Et un système fondé sur la précarité et l'hypocrisie...
Concertations
Dans les semaines prochaines vont se tenir les concertations sur le socle commun dans les écoles et les collèges. Une demie-journée banalisée où les enseignants vont se réunir pour parler des contenus enseignés, c’est suffisamment rare pour être souligné. Ces concertations se situent dans le cadre des premières propositions du Conseil Supérieur des Programmes qui a défini un “socle commun de connaissances, de compétences et de culture“ ainsi qu’une charte des programmes. Ces travaux doivent ensuite se poursuivre avec la définition de nouveaux programmes pour le primaire puis pour le collège.
Sur le site des Cahiers Pédagogiques, vous pourrez trouver un ensemble de documents et de liens utiles pour bien préparer ces concertations. Et vous pouvez prolonger la réflexion par une discussion sur les “cercles” des Cahiers Pédagogiques avec un forum spécialement ouvert pour l’occasion.
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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2 commentaires:
Le même exemple des crèches Israëliennes a été repris par Jean-Pierre Dupuy dans Le Monde du 8 octobre. Avec la même naïveté.
Car la réaction des parents dépend du taux pratiqué. Si le taux des "amendes" est inférieur ou égal au prix du marché pour faire garder leurs enfants, il est prévisible qu'ils vont utiliser les enseignants comme des offreurs de service de garde.
Pour que le système fonctionne il faut que le taux des amendes pour retard soit très supérieur au prix d'une garde.
A cette condition le principe "pollueur-payeur" garde toute sa force.
Tiens ? vous regretteriez donc le temps béni des mémoires IUFM ? C'est assez surprenant, il me semblait pourtant que tout le monde s'accordait sur la parfaite vacuité de l'exercice, et la nullité absolue des productions qui étaient demandées, et des procédures d'évaluation.
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