lundi, octobre 22, 2018

Braquage(s) et effet d'aubaine...

Ce qui est délicat dans cette affaire de lycéen qui braque une arme sur une prof, c'est de distinguer le fait lui même de l'exploitation médiatique et politique qui en est faite.

Le fait, en lui même, est grave. En 36 ans de carrière j'ai déjà connu quelques situations extrêmes (et pas uniquement dans la période récente). Mais je dois dire que les images diffusées et reprises sont extrêmement choquantes. Le symbole est fort : un jeune braque une arme sur un(e) enseignant(e). 
Même si c'était "pour rigoler" (comme il semble le dire), même si l'arme était factice, cela doit être sanctionné. Car il faut qu'il y ait prise de conscience de la gravité de l'acte. Et c'est important qu'il y ait publicité de cette sanction pour qu'elle ait une vertu sinon éducative du moins d'avertissement. 

 Il est logique que les médias aient repris cette image qui est forte et symbolique. Elle attaque une représentation de l’École et des enseignants. Mais comme toute image, elle doit être questionnée et ne pas être sur-interprétée et l’information doit être délivrée avec précaution. 
C’est d’abord l’honneur de la presse que de ne pas tomber dans l’intrusion et de respecter les personnes. En d’autres termes, si on pouvait laisser en paix l’enseignante ainsi que les familles, ce serait la moindre des choses . « Braquer » les projecteurs doit se faire avec mesure. 

La presse et les commentateurs se doivent aussi de ne pas sombrer dans les clichés et les lieux communs. En d’autres termes, il importe de relativiser et de remettre en contexte. Ce fait est heureusement rarissime à moins qu’on ne prouve le contraire. 
Il est tentant de donner prise à tous les lieux communs autour de la perte de l’autorité, du laxisme, de la recrudescence de la violence... 
Il est moins confortable et plus rigoureux de montrer que dans la très grande majorité des cas, l’autorité des enseignants et des personnels éducatifs est respectée et construite collectivement et que les établissements savent gérer cela en alliant fermeté et éducation. Tous les travaux montrent aussi que la supposée « recrudescence » est à relativiser. 
Dire cela ne relève pas du déni et encore moins de l’excuse mais d’une simple exigence de rigueur dans l’analyse et n’enlève rien à la gravité de l’acte évoqué plus haut. 

 La responsabilité est encore plus grande pour les hommes politiques. Il s’agit de ne pas tomber dans la démagogie et la gesticulation. Malheureusement cette affaire apparait comme un effet d’aubaine médiatique. On retrouve des vieux réflexes politiciens qu’on a déjà connus par le passé et qui consistent à inventer des dispositifs ou même des lois pour répondre à l’émotion et à l’actualité. Nicolas Sarkozy en avait fait sa spécialité. 
Ici, Jean-Michel Blanquer et Christophe Castaner nous annoncent un « grand plan d’action », alors que tout l’arsenal juridique existe déjà. Mais cela permet des grandes déclarations où on annonce qu’on va restaurer l’autorité et « rétablir l’ordre ». Pour l’opinion publique, cela laisse entendre que les établissements scolaires sont des lieux où cela aurait disparu et jette encore plus le discrédit sur les enseignants. 

 Présenté comme « issu de la société civile », Jean Michel Blanquer est peut être le plus politicien de tous les ministres de l’éducation. Il sait se servir de toutes les occasions et maîtrise parfaitement la dimension médiatique. Cet évènement tragique est aussi, pour lui, un formidable moyen pour détourner l’attention des premières critiques sur son action et reprendre la main. 
Pendant ce temps, on ne parle plus de la dérive autoritaire de son ministère, et en particulier du CSP, dans la confection des programmes. On ne parle plus des évaluations des élèves et des établissements. On ne parle plus de la confusion et de l’impréparation de la réforme du lycée. On ne parle pas de la remise en cause de la formation des enseignants. On ne parle pas des suppressions de postes dans les lycées et collèges. Et de bien d’autres choses... 
La réponse à cet évènement risque d’être purement cosmétique (l’interdiction des portables dans les lycées) et répressive. Alors que la réponse doit être aussi du côte de la prévention. Avec non seulement une vraie politique des quartiers et de soutien aux associations qui y œuvrent mais aussi dans les établissements, des personnels suffisants avec des temps d’échange et de la formation continue... 
Mais mettre en place tout cela, ça demande du temps et ça ne fait pas de bruit médiatique. 

Philippe Watrelot


Ajout à ce billet (lundi 22/10 17h)
Sur Twitter a été lancé un mot-balise #pasdevague. Celui-ci semble rencontrer un succès certain (plus de 20 000 messages). Les témoignages doivent être surtout vus comme l'expression d'une souffrance et une défaillance de la gestion des ressources humaines dans un certain nombre d'établissements.
Si ce hashtag peut conduire à la naissance de lieux de paroles et à plus de solidarité et d'écoute mutuelle ce serait une bonne chose. S'il permet aussi d'éviter la culture du déni qui existe dans quelques endroits, ce serait encore mieux.



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