vendredi, août 23, 2019

Dix mots clés pour les enseignants débutants (et les autres)



En août 2016, je proposais sur mon blog une série de billets destinés aux enseignants débutants avec notamment un texte intitulé « Conseils de (vieux) prof». Que s’est-il passé depuis ? D’abord ces textes font partie du Top 10 de mes billets les plus lus. Ils répondent donc à un besoin. Et, depuis 2016, je suis devenu encore plus vieux ! Et donc je radote... Ou plutôt, je vous propose de nouveaux conseils sous une forme renouvelée. Ils ne prétendent pas faire le tour de la question mais insistent sur des points qui me semblent importants ou négligés. 
Voici donc des conseils sous forme de dix mots clés (mais ce ne sont pas les dix commandements...). Et en plus, ce sont des verbes. Car, notre métier est un métier d’action !


Faire apprendre
Le premier mot qui vient le plus souvent quand on parle de l’enseignement c’est « Transmettre ». Et ce mot est, bien sûr, important. Enseigner, s’appuie évidemment sur des contenus : des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être, pour reprendre une vieille formulation. Mais changeons un peu de perspective : ce qui est important, c’est ce que les élèves apprennent (learn en anglais) plutôt que ce que vous enseignez (teach). Se focaliser sur l’acte d’enseigner peut faire oublier l’importance de la réception. Or, nous sommes avant tout des professionnels du « faire apprendre ». 
Pour cela, il faut donc faire preuve d’empathie et être capable de se décentrer : « rien de pire que celui qui ne peut pas comprendre qu’on ne peut pas comprendre » (Bachelard). Il faut aussi faire le deuil du fantasme du pouvoir du verbe et de l’empreinte très présent au début du métier : Non, votre discours aussi bon soit-il, votre parole, ne suffira pas à faire comprendre à tous. Apprendre est un phénomène complexe qui ne se fait pas de la même manière pour chacun et qui suppose de mettre les élèves en position d’être acteurs de leurs apprentissages. Il faut aussi ne pas craindre de reproduire et renforcer les apprentissages pour qu’ils soient durables. 


Ralentir / Écouter
Je suis formateur en temps partagé à l’IUFM/ESPÉ/INSPÉ (rayez les mentions inutiles) depuis une douzaine d’années. Je fais donc des visites dans les classes des stagiaires. Une des choses qui m’a le plus frappé c’est le rythme très élevé des cours. C’est un des effets pervers du désir de bien faire : on veut en donner le plus possible en un temps record. Un élève donne la bonne réponse ? On considère que tous ont compris ! Et on avance !
Bien sûr, il y a ces foutus programmes et il faut avancer. Mais se mettre au travail, apprendre, évaluer demande du temps. Il faut donc ralentir ! Et c’est une des conditions pour ne pas tomber dans l’illusion d’optique des seuls bons élèves et s'intéresser à tous. Et c’est aussi nécessaire pour pouvoir écouter ce que les élèves ont à nous dire ! 




Motiver
Philippe Meirieu rappelle souvent qu’on ne peut contraindre quelqu’un à apprendre. « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » dit la sagesse populaire. Mais Célestin Freinet rajoutait que notre métier est justement de donner soif... La motivation est donc un élément moteur dans le processus d’apprentissage pour favoriser l’engagement des élèves dans les activités mais comment y parvenir ?
Je vous le dis tout de suite : je n’ai pas de formule miracle. Mais l’expérience permet au fil des années, de repérer ce qui fait du sens pour les élèves, ce qui peut être une énigme ou un problème à résoudre. J’ai aussi acquis une certitude : la motivation externe (« si tu apprends tu auras une bonne note ») ne fonctionne pas longtemps ! S’engager dans une démarche d’apprentissage suppose une motivation interne fondée sur le plaisir d’apprendre et/ou l’émulation par la coopération. C’est tout le talent des enseignants que de la créer. Sans formule magique mais avec de l’inventivité et de l’observation.


Transférer / reformuler
« Comment être sûr qu’ils ont appris ? » Suffit-il de réciter par cœur ou refaire l’exercice pour s’en assurer ? On a tous appris des choses (pour un examen, un concours...) qu’on s’est empressé d’oublier... Si l’on veut “inférer” la maîtrise d’un concept et donc supposer la compétence, il faut passer à un autre stade. Savoir c’est transférer, c’est-à-dire utiliser ses ressources (connaissances, savoir-faire) dans un contexte inédit pour résoudre une nouvelle situation, un problème, un exercice.
Il faut donc aussi mettre les élèves en capacité de reformuler ce qu’ils ont appris en l’expliquant aux autres. Je dis souvent que celui à qui profite le plus le cours c’est l’enseignant.e car c’est lui/elle qui reformule le plus et qui parle le plus ! Plus je parle et moins ils travaillent (et apprennent)...


Instituer / cadrer
Le beau mot d’«instituteur»... Un enseignant c’est quelqu’un qui institue. Cela peut avoir plusieurs sens. C’est d’abord celui de fixer et d’être garant d’un cadre qui soit sécurisant et permette d’apprendre. Pour le dire autrement, avant d’apprendre, il faut instituer des règles de vie et les faire respecter. Lorsqu’on débute on a quelquefois du mal à assumer sa position d’adulte et le « côté obscur » de ce métier. Or les élèves attendent une certaine cohérence qui passe par le fait de ne pas craindre de sanctionner pour les garantir.
« Instituer » a un autre sens. C’est celui de valider par la parole institutionnelle, celle du maître, ce que les élèves apprennent. Une de mes phrases fétiches en formation est :« il ne suffit pas d’apprendre, il faut aussi faire prendre conscience que l’on a appris ». S’il est important de créer des situations où les élèves sont autonomes et acteurs, ceux ci ne voient pas forcément ce qu’ils ont acquis. Il l’est tout aussi important de prendre un temps pour faire le point et « instituer » les savoirs. Le spontanéisme de l’activité a ses limites et c’est au prof d’assumer ce rôle d’institutionnalisation des savoirs.


Dépersonnaliser
C’est un des grands principes du droit. Il faut distinguer l’acte et la personne. On peut appliquer cela à deux niveaux. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, c’est utile dans la gestion des conflits. Si c’est une personne qui a commis un acte qui n’est pas acceptable, c’est celui ci c’est qui est l’objet du conflit et d’une forme de jugement. Mais (et c’est aussi un moyen de préserver l’estime de soi) poser que celui qui a commis cela n’est pas réductible à ce seul acte. Il faut aussi appliquer ce raisonnement aux productions des élèves et distinguer le niveau de la copie de ce que « vaut » l’élève. Question de respect et de prise en compte de l’estime de soi. 
La dépersonnalisation est aussi une question de survie pour les enseignants eux mêmes. Lorsque ça ne marche pas bien avec une classe, qu’il y a des tensions, des conflits, il est difficile mais nécessaire de faire la distinction entre sa propre personne et ce que l’on représente pour les élèves en tant que représentant d’une institution. Ne pas prendre pour soi ce qui est avant tout institutionnel. Plus facile à dire qu’à faire, mais nécessaire...


Distinguer /différencier 
En 2010, j’écrivais « Qu’est-ce qu’un bon prof ? » qui reste aujourd’hui le texte le plus lu de mon blog (95000 vues). J’évoquais notamment les réponses libres à cette question de 600 élèves de seconde. Parmi, celles ci on évoquait souvent le fait qu’on attend à la fois un traitement égal pour tous « Il ne doit pas faire de différence entre les élèves » mais aussi de l’écoute et la prise en compte des situations particulières. Avant de parler de différenciation, il y donc cette nécessité de reconnaitre chaque élève pour ce qu’il est avec ses particularités et ses spécificités. Connaître les prénoms de ses élèves (même s’il y en a beaucoup !) mais aussi ne pas les réduire à une suite de notes. Et s’adapter à leurs difficultés. 
Car ce qui frappe quand on débute, et même après, c’est la grande diversité des profils d’apprentissage des élèves. Ce qui marche avec les uns ne fonctionne pas forcément avec les autres. Avant même de différencier l’aide et le soutien, il faut donc diversifier ses supports et ses activités. On n’apprend pas tous de la même manière !


Aménager / se décentrer
Avant d’être enseignant j’ai été animateur de centre de vacances et c’est là que j’ai compris qu’il n’était pas forcément nécessaire d’être au centre pour être utile. On est quelquefois bien plus utile quand on va aménager l’espace et créer des dispositifs qui permettent l’autonomie.
Il en est de même pour l’enseignement. Il y a bien souvent une composante narcissique forte dans le fait de vouloir devenir enseignant. Or, créer des dispositifs pour favoriser l’activité et l’apprentissage autonome et collectif suppose de se décentrer et de préparer avant et d’aménager les locaux et le temps.  Et, même en étant en retrait, il peut y avoir une grande satisfaction à voir tout cela se dérouler comme prévu ! 


Coopérer 
On a encore trop une vision très individualiste du métier d’enseignant. Ce que j’ai appris au cours de ces années c’est qu’on ne peut « survivre » dans cette profession que si on s’appuie sur un véritable collectif. C’est important aussi bien pour construire une autorité que pour trouver des réponses aux difficultés des élèves.
Quand on est prof dans le secondaire, on a tendance au départ à voir l’enseignement sous le prisme de sa seule discipline. Mais le métier est bien plus que cela. La coopération avec les collègues est utile pour mener des projets et donner du sens à certains apprentissages en combinant les regards et les méthodologies. Mais la coopération est aussi utile avec tous les autres acteurs de l’éducation. Y compris avec les parents : « inviter » les parents plutôt que les « convoquer » c’est déjà construire des relations sous un autre angle.



(s’)Évaluer
L’évaluation représente entre un tiers et un quart du travail de l’enseignant. On pourra consacrer un autre billet à des conseils sur l’évaluation des élèves. Mais je voudrais ici insister sur une autre dimension : évaluer c’est d’abord évaluer son propre travail. On peut bien sûr considérer que les élèves n’ont pas appris et que c’est de leur faute. Et on aura en grande partie raison. Mais l’évaluation des élèves est aussi le moyen de vérifier qu’on a atteint ou pas ses objectifs. Et si tous les élèves ont raté la question 4 du contrôle, ce n’est peut-être pas parce qu’ils n’ont rien compris à votre génie mais que vous avez mal posé la question ou que vous avez mal traité en cours le point en question !
Cette évaluation de son propre travail doit être permanente. Après 39 ans d’enseignement, je continue à avoir des petits carnets où je note à la fin de la journée ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien marché... Pour ajuster et pour m’améliorer. En considérant que rien n’est jamais acquis et que ce qui a marché une année avec une classe peut très bien ne pas fonctionner avec une autre. « Lorsque tout marche bien, il est grand temps d’entreprendre autre chose » disait le grand pédagogue Fernand Deligny. Nous avons un métier d’initiative et de création. C’est là un des intérêts majeurs de ce métier qu’il faut préserver face aux tentatives de formatage et de standardisation. 



Et c’est finalement là mon dernier conseil : remettez vous en question en permanence, ne soyez jamais satisfaits au point de penser avoir trouvé LA méthode, créez, inventez, confrontez vos expériences et vos idées avec vos collègues, affinez vos pratiques et questionnez vous sans cesse sur les valeurs que vous transmettez et défendez à travers ces pratiques. La cause en vaut le coup !



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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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