vendredi, novembre 29, 2019

Pisa, c'est pas de la tarte !



Tous les 3 ans, c’est le même tour (de PISA) au début du mois de décembre (le 3/12) : publication des résultats de PISA (datés de l’année précédente), discours d’auto-satisfaction du ministre qui se félicite d’une étude qui justifie sa politique, quelques articles dans la presse, polémique récurrente sur la valeur de ce “palmarès”, déclarations conservatrices sur la nécessité de préserver notre modèle éducatif et puis... c’est tout ! Rendez vous dans trois ans ! Pourquoi cette incapacité à analyser et tenir compte des résultats de cette enquête internationale ? 

Mésusages des résultats de PISA 
Rappelons d’abord que, depuis 2000, grâce aux enquêtes PISA (Program for International Student Assessment ou Programme international de suivi des acquis des élèves) menées tous les 3 ans, l'OCDE tente d'évaluer la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et la culture scientifique des élèves de 15 ans révolus à partir de situations de la vie réelle. Elle ne mesure pas l'acquisition de programmes scolaires mais vérifie que les élèves savent se débrouiller avec les compétences nécessaires dans nos sociétés. 
Ceci rappelé, commençons par un petit coup de gueule préventif sur les dérives du traitement médiatique de cette enquête. Voir titrer “les élèves français toujours médiocres” et autres titres de la même pâte (à Pisa...) est profondément agaçant. Il faut rappeler que ce ne sont pas les élèves qu'on évalue ni même les enseignants mais le système. 
Autre dérive médiatique : les palmarès. Ceux ci n’ont pas de sens. Ils se jouent à deux décimales et conduisent à surestimer les écarts entre pays. Bien plus intéressants sont les indicateurs qui mettent en avant l’équité du système c’est-à-dire l’influence ou non de l’origine sociale sur la réussite aux tests. 
Il y a aussi la contestation de la méthodologie. Nous en sommes des spécialistes en France d’autant plus que cette enquête est commanditée par l’OCDE vue comme « le-bras-armé-du-néo-libéralisme » par de nombreux critiques. On notera que le CNESCO dont tout le monde a pleuré la disparition fait pourtant les mêmes constats ! Il en va de cet indicateur comme de tant d’autres : il a des imperfections mais il est relativement fiable et grâce à sa périodicité permet de mesurer des évolutions. Casser le thermomètre ne ferait pas tomber la fièvre. 

 Pisa Choc ou déni ? 
La publication des premiers résultats PISA avait été un véritable traumatisme dans plusieurs pays notamment en Allemagne où l’on avait construit cette expression de “Pisa Choc” après que ce pays ait mis en œuvre une réforme importante pour modifier ses résultats. D’autres pays, depuis, ont tenu compte des analyses des experts pour orienter leur politique éducative. 
Une enquête ne fait pas une politique. On ne peut reprendre tels quels les indicateurs élaborés par les experts sans un réel débat démocratique. On peut encore moins construire des programmes pour performer aux tests (c’est la dérive du teaching to test). Mais l’opinion pourrait être interpellée plus qu’elle ne l’est habituellement par le poids des inégalités sociales que montre cette enquête (corroborée donc par d’autres études comme celles du Cnesco). 

 Le pays du grand écart 
Dans PISA 2015 nous étions un des pays où l’origine sociale était le plus déterminant dans la réussite (critère d’équité) et où les écarts de performance entre élèves sont les plus marqués. En d’autres termes, plus on vient d’un milieu défavorisé en France, moins on a de chances de réussir à l’évaluation PISA C’est une constante depuis plusieurs enquêtes. Le système éducatif français est efficace pour la moitié des élèves mais ne parvient pas à faire réussir 30% de ses enfants. Si l'on ne prenait en compte que les performances des élèves issus de milieux sociaux favorisés, c'est-à-dire "les meilleurs", la France se situerait dans les premiers du classement, alors que si l'on ne comptait que les élèves des milieux défavorisés, "les moins bons", la France se situerait en queue du classement. 
La faute à une société elle même trop inégalitaire ? Pas si simple... Il n’y a pas de relation directe entre le niveau d’inégalité d’une société et les inégalités scolaires. Dans « les sociétés et leur école » Dubet Duru-Bellat et Veretout en 2010 ont montré que certains pays peuvent combiner des inégalités sociales fortes avec des inégalités scolaires faibles ou l’inverse. Dans le cas de la France, l’École accentue les inégalités sociales et on peut même dire qu’elle en crée de nouvelles. Et ce constat cruel n’a jusqu’à maintenant pas créé de « PISA choc ». Pourquoi ? 


Indifférence aux inégalités 
Il faut d’abord passer par l’histoire. Notre système éducatif s’est construit par le haut. Ce n’est pas un hasard si la France est le pays des classements, des concours et des grandes écoles. Le système supposément méritocratique ne sélectionne que ceux qui en maîtrisent les codes avec une pédagogie qui reste fondamentalement destinée aux meilleurs. Malgré les efforts de nombreux enseignants, l’École a une vraie difficulté à gérer la différenciation et la remédiation. S’interroge t-on suffisamment sur les pratiques des enseignants et des établissements ? Si on a réduit considérablement les redoublements, a-t-on pour autant trouvé des alternatives efficaces ? 
Le système s’accommode des inégalités et l’opinion aussi. Les débats sur l’École sont indigents et confisqués par les élites. Pourquoi remettre en cause un système qui vous a fait réussir ? Qui écoute les plus pauvres ? On a les débats qu’on mérite et l’école qu’on mérite. 
Les inégalités entre les élèves dépendent aussi de l’importance de la ségrégation géographique sociale et scolaire entre les établissements et la faible mixité qui en résulte. On observe en effet que dans les systèmes les moins inégalitaires, le choix de l’école est régulé, la décentralisation est encadrée et la part du privé est faible. 


 Quelles politiques ? 
 En 2016, lors de la précédente livraison de PISA, la ministre Vallaud Belkacem avait été invitée à l’OCDE. Les experts, qui trouvaient que la politique allait dans le bon sens lui avait remis une brochure qui recensait les “bonnes pratiques” dont la France pourrait s’inspirer et pointait quatre défis à relever pour notre système éducatif : 
  • Rendre le système éducatif plus équitable en France et soutenir les élèves et les établissements défavorisés 
  • Lutter contre l'échec scolaire dés le plus jeune âge.
  • Améliorer la qualité de l’enseignement et de la transmission du savoir dans le primaire et le secondaire, et revaloriser le métier d’enseignant.
  • Rehausser la qualité et la valorisation des filières professionnelles au lycée.
On jugera si les mesures prises par l’actuel ministre, qui s’est pourtant empressé de détricoter la politique précédente, vont dans le « bon » sens préconisé par l’OCDE... 

 Car une autre difficulté de la France à faire évoluer son système tient sans doute au mode de gouvernance. Pour changer l’école, et rendre notre système éducatif plus efficace et plus juste, il faudrait établir un consensus social et politique et ne pas changer de politique à chaque alternance. Ce n’est pas par l’arrogance technocratique, la verticalité et l’urgence dictée par un agenda politicien qu’on fera vraiment changer l’École. Le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. 
L’engagement et le pouvoir d’agir des enseignants doivent être favorisés et valorisés. Cela passe par la revalorisation du métier comme le préconisaient les experts de l’OCDE. Et surtout faire (vraiment) confiance aux enseignants. 
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On peut douter que ce soient ces considérations qui ressortent des communications officielles. On peut plutôt supposer qu'elles ne manqueront pas au contraire de souligner que les résultats confirment l’action entreprise… On peut même craindre que certains, oubliant qu’on parle des résultats en 2018 d’élèves de 15 ans, attribuent à la politique actuelle l’amélioration des résultats ! 

 Or, la question des inégalités sociales et scolaires posée par cette enquête comme par bien d’autres est un point majeur qui ne se réduit pas à un débat « pédagogues contre élitistes ». L’École est elle encore capable de tenir la promesse républicaine et de lutter contre le déterminisme ? c’est une question éminemment politique. 
Dans le contexte actuel de tension sociale, la publication de ces résultats pourrait être l’occasion d’un réel débat citoyen sur les finalités de l’école et les moyens de construire une école plus juste et plus efficace. 
Sinon cette nouvelle enquête ne serait qu’un pis-aller... 

 Philippe Watrelot

[ce texte est la version longue d'un article paru sur le site d'Alternatives économiques]



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