samedi, janvier 04, 2020

Mes "trolls" et moi...




Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur les évolutions et les dérives des réseaux sociaux.
Depuis quelques années (2015), je suis, comme d’autres sur Twitter, la cible d’un groupe à géométrie variable. Ils se qualifient ironiquement de « consternants » mais ne sont pas organisés autant que cela. Mais comme c’est malheureusement la pratique sur ce réseau, ils se répondent mutuellement, se renforcent et cela peut contribuer à donner un effet de nombre même s’ils ne sont pas aussi importants qu’ils veulent bien le croire. 
J’ai eu le malheur de parler de « harcèlement » pour désigner cette pratique d’interpellations pressantes, de sommation à rendre des comptes en s’appuyant sur des copies d’écran de vieux tweets archivés, d’indignations surjouées à propos de tout et n’importe quoi.  On m’a évidemment reproché ce terme car ils renvoyaient selon eux à une comparaison inapproprié avec le cas de la ligue du LOL et à un harcèlement sexuel*. 
Pourtant les mots ont un sens. Que dit en effet le dictionnaire Larousse pour le verbe « harceler » ? « soumettre quelqu’un, un groupe à d’incessantes petites attaques ». 
Certains de ceux qui en sont la cible ont choisi de répondre à chaque attaque. Cette position est légitime mais peut avoir un effet pervers en contribuant à donner l’impression d’une gué-guerre sans fin où tout le monde est à blâmer. Il est tentant alors pour les spectateurs de ce spectacle affligeant de se mettre dans une posture de surplomb et de renvoyer les deux camps supposés dos-à-dos...
On m’a souvent questionné sur ma propre position dans cette situation. C’est d’ailleurs une interpellation récente qui est à l’origine de ce court texte. Comme ce n’est pas facilement résumable en 280 caractères il était plus facile d’en faire un billet de blog.


Quelle attitude ? 
On peut résumer l’alternative ainsi et c'est toujours une mauvaise réponse :
  • Leur répondre pied à pied ? ils vont retourner cela en disant qu'on les agresse tout autant ! L’idée de réciprocité (« ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse ») ne semble pas les effleurer.
  • Ne pas leur répondre ? C'est courir le risque que leur parole mensongère ait plus d'espace. Sans compter les diffamations et autres atteintes à l'honneur, insultes etc.
Il faut faire le deuil d'un débat argumenté et de l'appel à la raison. Et même à l'idée qu'ils peuvent évoluer, ce qui est le pire pour un enseignant...
Il faut se dire au contraire que malheureusement tout ce que l'on dira, fera, soutiendra... sera lu de manière biaisée pour correspondre à leur représentation. Ma « bisournousitude » trouve là ses limites !  
Cela me rappelle quelquefois (l'innocence et l’excuse de l’âge en moins) quelques discussions avec des ados lorsque la mauvaise foi se combine à la victimation et le retournement  de la  culpabilisation. Avec en plus la volonté d'avoir toujours le dernier mot et d'attirer l'attention à soi.
« ah, tu vois bien si ça t'énerve c'est bien parce que j'ai touché juste ! » ; « c'est celui qui dit qui y est...» et autres joyeusetés du même genre...


Construction mentale 
Il y a aussi une bonne dose d'idéologie et de construction mentale nécessaires pour éviter la dissonance cognitive. Pour que leurs attaques tiennent debout, ils faut qu'ils se construisent (inconsciemment ou consciemment ?) une "mission" et une image de chevalier blanc.
C'est parce que nous sommes de "méchants néo-libéraux" destructeurs de l'école que nous avons soutenu la réforme du collège et que nous sommes favorables à l'"innovation" (mot piégé !). Et c'est pour cela qu'ils mènent cette guérilla sans fin au nom de cette "lutte".  
Ils ne harcèlent pas, vous dis-je, ils ont une « mission »...!
[A ce propos, je signale que cette position, exacerbée chez ceux que j’évoque,  existe chez bien d’autres qui voient la politique de Blanquer comme la continuité de la politique précédente. J’ai essayé de construire une réponse sur ce point qu’on pourra lire sur le site des Cahiers Pédagogiques ou sur mon blog]

Il leur faut enfin se construire une image négative de l'adversaire qu'on se fabrique et le parer de tous les défauts. 
Ainsi, je serais, pour ma part, un arriviste courtisan prêt à toutes les bassesses,  sans aucune "déhontologie" à qui on a confié la présidence d’un comité “Théodule’ en remerciement de ses vilenies. [les membres du CNIRÉ pour qui j’ai le plus grand respect apprécieront]
L'idée même que le comportement de l'autre soit fondé sur l'engagement militant au sein d'un collectif ne peut être intégrée dans ce schéma mental. Ce type de raisonnement où on ne voit l’autre que sous l’angle individuel de la cupidité et du calcul en dit finalement plus long sur celui qui le formule que sur celui qu’il croit accuser ! 
Malgré mes efforts (!) je ne suis pas parfait mais je crois que les personnes qui me connaissent me renvoient une autre image fort heureusement. Et je dois être un bien piètre « courtisan » pour rester fidèle aujourd'hui à mes convictions et à mon métier d’enseignant que j’exerce toujours avec passion depuis 38 ans ! 


Muets 
Face à cette combinaison d'irrationalité adolescente, d'idéologie pervertie et de pure méchanceté haineuse, comment réagir ?
Depuis dix ans, et surtout depuis 2015, j'ai adopté plusieurs tactiques. Il m'est arrivé de répondre pied-à-pied. J'ai essayé la dérision, le blocage... j'ai même songé à quitter Twitter. De toutes façons comme je le disais plus haut, il faut partir de l'hypothèse que tout sera déformé, ré-interprété, utilisé pour blesser, choquer...

Pour ma part, aujourd'hui, je les ai rendus "muets" (fonction "masquer" sur Twitter) : ils peuvent lire ce que j'écris (pas d’occasion de crier à la "censure", donc) mais parlent dans le vide lorsqu'ils s'adressent à moi. Je n'ai ainsi que des échos lointains de ce qui se dit quand quelqu'un que je suis est intégré à un échange masqué.  
De temps en temps, de moins en moins, je vais quand même voir ce qui se dit sur moi (fonction“rechercher”) pour vérifier que les limites que je me suis fixées ne sont pas atteintes (diffamation ou injure publique). 
Ma position actuelle est donc de ne jamais m'adresser à eux directement ni même de les citer car je sais que ce qu'ils recherchent c'est justement qu'on leur accorde de l'importance. Bien sûr, ça peut rater parce qu'ils font des émules que je n'ai pas forcément repérés. 

D’une certaine manière, le présent texte rentre aussi en contradiction avec cette position !  

Mais surtout je passe moins de temps sur Twitter (mais oui, c'est vrai !). Je sais bien que le "persona" qu'ils ont fabriqué n'est pas moi mais je me préserve. Je n'ai pas envie de (re)tomber dans ces polémiques perpétuelles qui sont devenues le carburant de ce réseau social.
Je fais la "veille" que je pratique depuis si longtemps. J’ai la faiblesse de penser qu’elle est utile. De temps en temps, je dis ce que j'ai à dire et j'essaye d'éviter de m'engager dans des interactions forcément perdantes et biaisées.
Au début de mon texte (mais pourquoi est-il si long?), je disais que toutes les stratégies sont mauvaises. J'ai choisi la deuxième car c'est la moins mauvaise.
Ne pas répondre aux provocations mais continuer à m'exprimer parce que je sais aussi que ce harcèlement (car c'en est un...) vise avant tout à faire taire !
Autrement dit:  Bien faire et laisser braire...

Philippe Watrelot




* le tweet auquel j'ai fait allusion en début de chapitre est ci dessous. Je ne l'avais pas conservé  mais les petits archivistes/procureurs de twitter sont là pour me rafraichir la mémoire !








Licence Creative Commons
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



Aucun commentaire:

 
Licence Creative Commons
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.