jeudi, avril 02, 2020

A propos du bac, des symboles, du principe de réalité et du contrôle continu…


Pendant que le ministre tergiverse et promet des réponses sur le bac d’ici la fin de la semaine, le débat sur le contrôle continu se poursuit !

Certains continuent à s’insurger d’autant plus que l’an dernier, les luttes autour de la réforme du bac portaient déjà sur l’introduction d’une dose de contrôle continu. On se souvient des blocages et autres rétentions de notes. 
Et aujourd’hui malgré les circonstances et l’urgence sanitaire, cela fait toujours polémique. 

Quitte à relancer le débat, je voudrais faire valoir quelques arguments aussi bien pour la période actuelle que d’une manière plus générale. 


On entend encore certains regretter que l’on soit, cette année, privés de ce grand rite de passage républicain. 
Jack Lang parlait d’ailleurs à propos du bac de « monument national ». 
Moi aussi, j’aime bien les symboles avec les images des salles d’examen et l’ouverture solennelle des sujets, les cris de joie devant les panneaux d’affichage, la fête avec la famille et les copains...
Mais faut-il sacrifier sa santé au nom d’un totem ? La sécurité nous oblige à ce renoncement. Il y a un principe de réalité qui s’impose. 

D’autres, ou les mêmes, ont peur que le baccalauréat 2020 soit dévalué à l’instar du bac 68. Outre que ce dernier n’a pas empêché ses lauréats de faire de belles carrières, les situations ne sont pas comparables (voir plus bas). 
On rappellera aussi à une société marquée par l’élitisme que le bac est un examen et pas un concours ! 

Je vais vous faire une révélation : le bac 2020 a déjà eu lieu ! 
Il se termine le 2 avril avec la fin des inscriptions ParcourSup... 
Si, dans une école qui n’était pas encore massifiée, le bac avait encore une certaine valeur en soi en tant que certificat de fin d’études , aujourd’hui alors qu’il concerne 80% d’un classe d’âge, il faut reconnaitre que ce diplôme aujourd'hui n'est qu'un passe pour des portes qui sont déjà ouvertes. 
En termes plus clairs, la réussite au bac n'est que la validation d'orientations qui se sont jouées avant avec Parcoursup (ou APB avant). Sa suppression ne changerait rien à la logique Bac-3 / Bac + 3. Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, c’est ainsi. Et c’est d’ailleurs plutôt sur la transparence des critères et attendus de ParcourSup qu’il faudrait se mobiliser. 
Se battre pour le bac est donc d’une certaine manière un combat d’arrière garde. 
Sa conservation relève du rituel. Un symbole dont on semble avoir perdu le sens. 

Venons en maintenant d’une manière plus générale aux critiques sur le contrôle continu. Celui ci, nous dit-on, amplifierait les inégalités. 
Cela repose à mon avis sur un déni, des illusions et un manque de confiance qui confine (!) au défaitisme. 

Un déni tout d'abord dans la mesure où les inégalités sont déjà très fortes et que le Bac actuel ne les empêche en rien. C'est bien avant que se situent les enjeux comme l’ont très bien montré les sociologues de l’éducation. 
Le fait d’avoir ou pas le bac change t-il quelque chose aux orientations ? Si c’est le cas, c’est marginal et en général plutôt dans le sens de stopper un parcours à la suite d’un « accident » qui se joue sur une épreuve à un jour donné... 

L’illusion repose sur l’idée que les notes du bac obtenues par une épreuve terminale seraient plus « objectives ». On a tous en tête des contre-exemples. Mais il faudrait aussi se saisir des résultats des travaux de la docimologie (l’étude des biais de la notation) qui nous montrent que la variation des notes est très importante. Tout autant que dans le contrôle continu. 
L’autre illusion réside dans l’idée que l’épreuve finale serait structurante et motivante pour les élèves. On peut retourner facilement cet argument et constater qu’elle peut aussi conduire certains à procrastiner jusqu’à la dernière ligne droite. Et puis l’impact de l’épreuve finale nous impose aussi un rythme qui peut être délétère et nous conduit à cravacher pour « finir le programme » au détriment de certains apprentissages. 

Un manque de confiance enfin. L'implicite du discours c'est qu'il y aurait une tendance à "trafiquer" les notes avec le contrôle continu. 
C’est, me semble t-il, un manque de confiance dans l'esprit de service public des enseignants et l'action collective. Pourquoi penser qu'a priori, les enseignants, les personnels de direction seraient amenés à tricher ? 
On devrait faire confiance à l’auto-contrôle et à une régulation collective.
C'est une forme de défaitisme qui est d'autant plus surprenant quand il est formulé par des militants habitués à la lutte collective. 

Je rajoute aussi un glissement sémantique parce qu'on semble oublier qu'entre les examens terminaux et le contrôle continu dans la classe, il y a une situation intermédiaire qui offre quelque garanties : il s'agit du contrôle en cours de formation où l’évaluation est faite par des enseignants proches mais distincts du professeur habituel et dans un cadre défini. Des E3C sans l'usine à gaz... 


Ce qui est important aujourd’hui c’est surtout de construire des réponses collectives et de nouvelles formes de régulation entre professionnels au service de la réussite de tous les élèves. 
L’attachement à des symboles est estimable. Mais il doit être questionné quand on ne voit plus le but des rites et qu’on oublie l’essentiel. Ce que nous enseigne cette période, c’est que la logique de sélection ne doit pas se faire au détriment des plus faibles. Ne les pénalisons pas plus !




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