On croyait avoir tout dit
sur le programme des “Républicains” sur l’École après les Primaires. Le
programme de François Fillon semblait connu (et lisible sur son site ou
annoncé dans une longue interview à SOS éducation) et il était déjà inquiétant. Mais on a
l’impression qu’il s’est encore durci.
C’est à Besançon le 9 mars (voir extrait de la vidéo en bas de ce texte) que le candidat a déroulé
un programme encore plus radical fondé sur les suppressions de postes, le tri
des élèves, le retour aux « fondamentaux » et même à l’uniforme. On en vient
presque à se demander où se situent les différences avec celui de Marine Le
Pen… Un programme démagogique et réactionnaire, bien loin de ce qu’il
promouvait lorsqu’il était Ministre de l’Éducation Nationale. Il y a longtemps,
très longtemps...
Changement de costume.
François Fillon a été
Ministre de l’Éducation Nationale en 2004-2005. C’est sous sa responsabilité
qu’est votée la deuxième grande loi d’orientation après la loi Jospin de 1989
et avant celle de 2013 dite « Loi de refondation». C’est cette « loi
Fillon » qui va instituer le premier “socle commun” organisé en sept
compétences. On y trouvait aussi confirmée la logique des cycles qui va à
l’encontre des redoublements. Le socle commun se situait dans le prolongement
du Collège unique de René Haby (1975) visant à donner à tous la même formation
jusqu’à l’âge de seize ans.
Même si les historiens nous
montrent que la Loi Fillon est surtout le produit de logiques qui échappaient
en partie au Ministre en exercice (Consultation Thélot, recommandations
européennes et du Haut Conseil de l’évaluation de l’École…) il n’en reste pas
moins que le contraste est saisissant entre ce que mettait en place le ministre
de l’éducation et ce que préconise aujourd’hui le candidat Fillon. Ce sont des
propositions qui remettent même en cause l’héritage gaulliste.
À ce niveau là de reniement, c’est plus qu’un retournement de veste,
c’est un changement de costume…
Les « pédagogistes prétentieux »
« Ces organisations qui bloquent depuis des années les réformes de
l’École commettent un crime contre la jeunesse et elles devraient en répondre
devant la société française. Ce n’est pas la compétence et le dévouement des
enseignants qui est en cause ; c’est la démission de l’État devant les
syndicats, c’est la dictature d’une caste de pédagogistes prétentieux, et ce
sont des réseaux de pouvoir au sein de l’Éducation nationale qui sont
responsables de ce désastre.»
C’est ce que déclare François
Fillon lors d’un meeting à Lyon, 22 novembre 2016.
Mais ce ne sont pas
uniquement des propos de tribune. On se souvient que François Fillon avait déjà
parlé de “pédagogues prétentieux lors de l’ultime débat du premier tour de la
primaire de la droite. Et cette phrase se retrouve presque telle quelle dans
une longue interview que l’ancien premier ministre a donné au mouvement SOS Éducation. Il n’en est pas encore à parler d’ «assassins de l’École» mais on voit bien qu’il a lu le livre de Carole Barjon et qu’il appuie son discours sur la recherche de
boucs émissaires qui seraient la cause de tous les maux de l’École. En cela, il
est très proche de Nicolas Sarkozy qui ne cessait de s’attaquer aux méfaits de
l’esprit de 68 et à sa « pédagogie folle» mais aussi du discours de Marine
Le Pen qui reprend la même antienne.
Retour en arrière
« Abroger », «supprimer»,
« Réécrire », sont, comme pour d’autres candidats, des verbes qu’on trouve
à plusieurs reprises dans le programme éducation. Dans son discours de
Besançon, François Fillon confirme sa volonté de supprimer les principales
réformes du quinquennat : rythmes scolaires, collège, programmes...
« Abroger la réforme du collège et revoir les programmes en les
structurant autour de deux volets pédagogiques : 1. approfondissement des
fondamentaux (français et mathématiques, sciences et histoire-géographie) ; 2.
éducation physique et sportive et ouverture au monde (langues, éducation
civique, numérique, enseignements artistiques, découverte professionnelle).
» On annonce aussi le retour des classes bilangues et européennes. On est donc
non seulement dans la fin de la réforme du collège (préconisée aussi par Marine
Le Pen et Jean Luc Mélenchon) mais
avec les restructuration des programmes on est aussi dans l’abandon du socle
commun tel qu’il existe.
« Laisser les collectivités territoriales décider de l’organisation du
temps scolaire à l’école primaire. A ce titre, elles pourront revenir sur la
réforme des rythmes scolaires et favoriser un temps pour les devoirs après la
classe.» Autre phrase lue dans le programme du candidat de la droite et du
centre. Mais pas seulement puisqu’on retrouve cette proposition chez Macron, le
Pen et Mélenchon.
Quant aux programmes, c’est
l’objet principal de la vindicte de F. Fillon. Il semble obsédé par
l’enseignement de l’histoire et d’un “récit national” qui revient à de très
nombreuses reprises dans ses interventions. Il range en effet dans ce qu’il
appelle les “fondamentaux” les « grandes
dates et grands personnages de l’histoire de la Nation » et il propose de «
réécrire les programmes d’histoire et de
français du collège sous l'autorité d'académiciens ». Et plus largement il
propose de « supprimer le Conseil
supérieur des programmes dont les choix et le langage jargonnant ne contribuent
pas au redressement de notre système éducatif »
Plus largement, François
Fillon souhaite donc que l’école transmette des savoirs fondamentaux. Il
propose pour cela d’avancer la scolarité obligatoire à 5 ans au lieu de 6 pour
« une année supplémentaire
d’apprentissage à la lecture », « de
consacrer les trois quarts du temps de classe à l’apprentissage de la lecture,
de l’écriture, du calcul, des grands personnages et des grandes dates de France
» et « de mettre fin à l’interdiction des
devoirs à l’école élémentaire ».
A la fin de l'école comme à
la fin du collège, une évaluation déterminerait le passage dans le niveau
supérieur. Le brevet deviendrait un examen d'entrée au lycée. Pour le bac, on
retrouve comme chez d’autres candidats (Macron) une volonté de simplification
en se limitant à quatre épreuves écrites et le reste en contrôle en cours de
formation.
Tri sélectif
On notera aussi la
proposition de suppression des allocations de rentrée, allocations familiales
et bourses aux familles d'élèves peu assidus - qui seraient renvoyés vers des
établissements spécialisés dans la réinsertion scolaire. « Je veux que les élèves qui sont exclus définitivement par le conseil de
discipline, soient inscrits dans des établissements adaptés afin qu’ils
modifient leur comportement et se remettent sur la voie des apprentissages
scolaires fondamentaux ». ”. En gros, ça s’appelle une filière poubelle...
L’apprentissage est également une
notion essentielle de son programme car il propose de « mobiliser tout le pays en faveur de
l’apprentissage à 15 ans et de redéployer les fonds destinés aux emplois aidés
vers les aides aux entreprises pour favoriser l’embauche d’apprentis et pour
augmenter leurs rémunérations » et ainsi « multiplier par deux le nombre de jeunes en alternance ». Comme je l’ai déjà pointé dans d’autres
textes, le problème c’est de savoir qui est orienté vers ces sections. Ce ne
sont JAMAIS les enfants des catégories sociales les plus favorisées... Derrière
le “goût” pour les études ou le travail manuel, se cachent les inégalités
sociales...
Pour celui qui fut ministre de
l’Éducation nationale entre mars 2004 et mai 2005 sous Jacques Chirac, la
France « doit avoir un système
éducatif promouvant les valeurs d’excellence et de mérite, à contre-courant de
l’égalitarisme voulu par la gauche » comme il l’explique sur son site internet.
En instaurant un tri précoce,
on ferme le champ des possibles. Derrière l’alibi du “mérite” on est dans
l’acceptation du déterminisme social et une sorte de fatalisme : il y aurait
les méritants et les autres... En oubliant que le mérite est une construction
sociale et aussi un moyen de justifier les inégalités
On peut donc dire que ce
sont les renoncements qui caractérisent ce programme et surtout le renoncement
à l’ambition du collège unique avec la mise en place d’un tri sélectif précoce
reniant l’héritage même de la loi Haby et du gaullisme.
Le choix du privé
« Si
l'enseignement privé donne de bons résultats, nous n'avons aucune raison de
vouloir nous en passer, et nous devrions même desserrer les carcans qui en
limitent la portée. Depuis un quart de siècle, la part des établissements
privés sous contrat est limitée à 20%. Il faut se poser la question de savoir
s'il convient de revenir sur cette contrainte, surtout si l'on voit naître de
plus en plus, dans toutes les couches sociales, une volonté de libre choix
[…]. Je soumets cette question à une
réflexion qui prendra le temps qu'il faudra » Et plus loin dans le même
discours (Besançon, le 9 mars), il évoque sa visite à une école du réseau
Espérance Banlieues (privé hors-contrat) qu’il présente comme un modèle. « Dans les zones de revitalisation rurale et
les zones urbaines sensibles, l’Etat soutiendra la création d’établissements
publics ou privés indépendants et innovants », et il propose aussi de les
aider « L’Etat ne devra plus s’opposer à cette nouvelle offre éducative issue
de la société civile ; il devra leur faciliter la tâche et les aider ».
Fillon veut favoriser le
développement des établissements scolaires privés, en déplafonnant les fonds
qui leurs sont alloués par l'État comme il l’exprimait déjà dans un passage de
son livre "Faire", (Albin Michel octobre 2015). On apprend enfin plus récemment qu’il compte aussi soutenir financièrement les écoles
hors contrat (dans les zones sensibles) en utilisant une partie des 65 millions
d'euros attribués aux associations d'éducation populaire.
Notons aussi, au passage que
l’abaissement de la scolarité obligatoire à cinq ans au vu des règles de
financement actuelles, pourrait mécaniquement conduire à verser jusqu'à 2
milliards d'euros en plus à l'enseignement privé.
On sait que François Fillon
a pu organiser son rassemblement au Trocadero avec l’aide de Sens Commun, une
sorte de “tea party” français. Or, ce
mouvement qui a organisé les manifestations contre le mariage pour tous est
aussi très proche des promoteurs des écoles hors contrat et de la Fondation
pour l’École d’Anne Coffinier. Un prêté pour un rendu : une pratique
courante chez celui qui a beaucoup d’amis pas si désintéressés que ça...
Uniformes et autorité
Costumes pour les uns,
uniforme pour les autres…
« Moi je veux une école primaire qui transmette les valeurs et les
savoirs fondamentaux. Je veux une école du respect et de l’autorité symbolisés
par le port de l’uniforme », avait lancé François Fillon à l’université
d’été des Républicains à la Baule, le 3 septembre dernier. Depuis la
proposition, qui fleure bon la fausse nostalgie d’une école qui n’a jamais
existé (il n’y a jamais eu d’uniforme obligatoire en France), est reprise à
chaque meeting.
Mais en dehors de ce
symbole, qu’y a t-il vraiment ? Pas grand chose... L’affirmation de la
“restauration” de l’autorité est une posture qu’on agrémente de quelques
affirmations telle que celle ci : « instaurer
une évaluation du comportement de l’élève au collège afin de prendre en compte
l’assiduité en classe, le respect des règles de l’établissement, le respect des
autres et d’abord des professeurs et éducateurs, la politesse, l’attention aux
élèves malades ou handicapés, la prise de responsabilité. »
L’autorité passe aussi par
la sanction puisque le candidat de la Droite prévoit aussi l'exclusion des
élèves qui perturbent la vie des collèges et des lycées, ainsi que des
allocations familiales suspendues en cas d'absentéisme.
Autonomie et compétition pour des chefs
d’établissements managers.
Un autre élément fort du programme
porte sur l’autonomie des établissements. “Je revaloriserai les traitements
des enseignants en tenant compte de leur mérite et en leur demandant d’être
plus présents dans l’établissement. Je confierai progressivement aux chefs
d’établissement du second degré le choix de leurs personnels... ”, annonce t-il
dans un de ses derniers discours.
La conception de l’autonomie qui se
dégage des propositions de François Fillon est donc celle d’un pouvoir accru
donné à des chefs d’établissements managers qui seraient non seulement doté du
pouvoir de recrutement mais aussi de rémunération par des primes au mérite.
Il faut aussi relier cela à sa
volonté de vouloir ouvrir le « carcan
» de la sectorisation et donc de la carte scolaire. On dit vouloir « protéger la liberté des parents de choisir
d’inscrire leurs enfants dans l’enseignement public ou l’enseignement privé ».
Tout cela peut être lu comme une mise en concurrence des établissements.
Les enseignants sont des fonctionnaires (qui créent de la dette)
Dans le programme
d’austérité du candidat est prévue la suppression de 500.000 emplois de
fonctionnaires et le retour à 39 heures pour la fonction publique. Logiquement,
la moitié devrait être trouvée dans l'Education nationale. C'est cohérent avec
l'allongement de 24% du temps de travail des enseignants en établissement
promise par F Fillon. Il souhaite aussi repousser les examens sur tout le mois
de juillet de façon à maintenir les cours sur l'ensemble de juin. Enfin, la polyvalence
dans le secondaire (un seul enseignant pour les sciences et un seul pour les
lettres et l'histoire géographie en 6ème et en 5ème ) est
aussi un moyen de faire des économies.
Lors de la primaire de la
Droite en novembre 2016, François Fillon était apparu déjà comme un des
candidats les plus conservateurs sur bien des points. Depuis, il a encore durci
son discours.
Dans le domaine de
l’éducation en particulier, les points de convergence avec le programme de
Marine Le Pen sont nombreux. C’est un projet rétrograde et passéiste et qui en
vient même à renier des acquis de la Droite ( ! ) On peut y voir
aussi une volonté libérale de mise en place d’une logique managériale et
une déconstruction du service
public d’éducation au profit du
secteur privé.
Philippe Watrelot
Le discours de Besançon
9 mars 2017
9 mars 2017
Présidentielle 2017 : Les billets consacrés aux programmes éducation des candidats
+ une synthèse : l'éducation dans la campagne : des clivages brouillés
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1 commentaire:
Je ne vois pas en quoi vouloir faire progresser les eleves en commencant par la maitrise des fondamentaux est un programme retrograde.
Quant a la proposition de donner aux chefs d'etablissement les moyens de faire progresser leur etablissement, cela me parait vital.
Ce qui est retrograde, c'est de refuser d'essayer autre chose. Autre chose de prouve dans toutes les organisations humaines.
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