mardi, août 03, 2021

A propos du "rapport à l'échec" et du "sens de l'effort".



La publication de la chronique de Riss dans Charlie Hebdo du 14/07 (texte en bas de page) a suscité de très nombreux commentaires. Il y aurait plein de choses à dire sur la dérive de cette personne et de beaucoup d'autres dans cette période de confusionnisme

Je voudrais ici me centrer sur un double thème développé dans ce texte qui est celui du "rapport à l'échec" et du "sens de l'effort". Ce sont deux choses distinctes en effet mais qui se rejoignent.


Parlons d'abord du sens de l'effort. Ça fait trente neuf ans que j'enseigne et c'est pour moi en effet un souci constant. Je ne m'accommode jamais d'élèves qui baissent les bras dès la première difficulté. Et je peux dire que des ados un peu « mollusques » j'en ai connu !

Mais mon boulot c'est justement de créer les conditions de la motivation !

Alors, ça peut être de manière extrêmement basique en les asticotant pour qu'ils s'y mettent (c'est souvent le premier pas qui coûte, parole de procrastinateur qui est en train de répondre à cette chronique plutôt que de faire un boulot plus important).

On peut aussi essayer de créer ces conditions par des dispositifs qui créent de l'enjeu, donnent du sens à ce que l'on fait. C'est tout le talent du prof que de créer des dispositifs de mises en activités qui favorisent la motivation (ça va ? pas trop de jargon? )

Et surtout ce qui crée la motivation c'est quand on a le sentiment qu'on peut y arriver. Il ne s'agit pas seulement de dire "tu vas y arriver" dans une sorte de mantra stérile mais de favoriser une certaine progressivité. Je sais l’allergie de certains pour la pédagogie mais vous avez peut-être entendu parler de "zone proximale de développement" (Vygotsky) ou de "sentiment d'efficacité personnelle" d'Albert  Bandura (qui vient de disparaitre) ? Qu'est ce que ça veut dire ? 

Tout simplement qu'on fait des efforts quand ceux ci sont payants, quand on pense qu'on va y arriver et que ça donne envie d'en faire d'autres pour aller plus loin encore. Si je donne d'entrée de jeu une tâche infaisable à mes élèves, il ne faudra pas s'étonner s'ils baissent les bras. Nul besoin d'avoir un doctorat en sciences de l'éducation pour le savoir, nos instituteurs le savaient déjà !

Donc le sens de l'effort a bien à voir avec le rapport à l'échec. Trop d'échec tue l'effort.

Charb, tu nous manques..ils sont devenus fous…
Un mot encore  : celui ci n'est pas synonyme de "souffrance". Il n'est pas besoin d'en baver pour faire des efforts. Un enfant qui joue fait des efforts sans s'en rendre compte. On a l'impression que le raisonnement de certains vieux schnocks est de dire « puisque moi j'en ai bavé il n'y a pas de raison que les jeunes n'en bavent pas aussi ». 


Par ailleurs, tous ceux qui parlent d'un "bac en carton" oublient les conditions dans lesquelles se sont passées ces deux dernières années. Il y a eu des efforts et même de la souffrance.  L'oublier, c'est une insulte pour ces élèves. 


Passons maintenant au "rapport à l'échec".

L'échec n'est pas non plus un gros mot en pédagogie. Ni un tabou. Il me semble incontournable mais il faut qu'il soit accompagné et qu'il soit surtout présenté non pas comme une fatalité mais comme une occasion d'analyser les erreurs pour éviter de les refaire.

Cela pose d'abord la question sous jacente de l'évaluation. Dans notre beau pays, l'évaluation est encore vue trop souvent uniquement comme une évaluation sommative (zut, encore du -vieux- jargon...) et destinée à tirer le bilan de ce qui a été vu et bien souvent de sélectionner. On pourrait aussi se préoccuper un peu plus de ce qui se passe avant et avoir des évaluations formatives qui soient faites pour aider à progresser. Et même avec les bonnes vieilles "interros" (ie sommatives), on pourrait se demander ce qu'on fait après : si l'élève a eu une mauvaise note est-ce une fatalité ? Qu'est-ce qu'on lui propose pour y remédier ? Et surtout : est-ce que si l'élève a eu une mauvaise note c'est uniquement parce qu'il n'a pas assez travaillé ? Il y a plein d'autres raisons qui mériteraient de longs développements...

Le texte de Riss évoque le bac. J'ai essayé dans plusieurs textes récents de montrer que le problème était que le bac avait deux fonctions qui sont disjointes dans bien d'autres pays : valider un parcours de fin d'études (le lycée) et permettre l'accès au supérieur. Aujourd'hui cette deuxième fonction est assurée par ParcourSup. Quant à la première, on peut ergoter longtemps sur ce qu'est le "niveau" qui est quelque chose de très fluctuant tout comme la notation (il n'y a pas un "10" étalon déposé au pavillon de Sèvres).

le "niveau" est une notion très relative…

Riss et bien d'autres sont dans le mythe d'un bac qui serait toujours le rituel qu'ils ont connu. Ils pensent que le fait de "trop faire réussir au bac" ne confronte pas à l'échec. C'est faux ! Le prof de Terminale que je suis peut dire que l'échec est bien présent et qu'il est plus insidieux : il est dans les refus sur ParcoursSup que se prennent dans la figure mes élèves dès le mois de mai... J'ai aussi écrit sur le caractère très opaque des critères de ParcourSup et la nécessité de s’en préoccuper mais c'est là encore un autre sujet.

Il y en a un peu marre de ces polémiques construites par des vieux "scrogneugneux" déclinistes… Comme souvent, on construit une image du "pédagogiste" qui n'a rien à voir avec la réalité du terrain. L'échec n'est pas un tabou, je l'ai dit. La "bienveillance" quant à elle, est un terme qui a été complètement perverti par nos adversaires en "laxisme" ou refus de l'exigence. Alors qu'il faut être bien peu "exigeant" pour s'accommoder d'un système éducatif qui produit tant d'échec...

En revanche, et je voudrais conclure par là, il faudrait peut-être s'interroger sur la fatalité de cet échec. Pourquoi ce sont toujours les mêmes qui échouent ? Dans les années 70 j'avais été très marqué par la lecture de "lettre à une maitresse d'école" des enfants de Barbiana où on trouve cette interpellation : « L’enseignement ne connait qu’un seul problème, les élèves qu’il perd... Vous dites que vous avez recalé les crétins et les paresseux. C’est donc que vous prétendez que Dieu fait naitre les crétins et les paresseux chez les pauvres... »

Expliquer l'échec ainsi c'est oublier toutes les conditions socio-économiques qui conduisent à ce que l'échec soit plus fort dans certaines catégories sociales.

Ne voir l'«échec» que comme le produit d'un manque d' «efforts» d'un individu (qui l'aurait bien "mérité") c'est être dans une forme de déni politique. 

Et ça, c'est clairement de droite...

Philippe Watrelot

cliquez pour agrandir










Aucun commentaire:

 
Licence Creative Commons
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.