dimanche, janvier 22, 2006

Garfieldd suite... et fin ?

Un petit complément à la revue de presse d'hier pour revenir sur cette affaire de proviseur révoqué pour avoir tenu un blog. On a appris vendredi soir que le Ministre semble prendre une position plus modérée puisqu'un communiqué de son service de presse indiquait hier que "Au vu de son dossier, le ministre arrêtera prochainement une décision mieux proportionnée à la faute commise par ce fonctionnaire.". J’en profite donc pour faire aussi une revue des blogs.


Je n’avais pas intégré dans ma revue de presse l’article paru dans le Monde car je n’avais pas encore la version papier et que je ne l’avais pas vu sur le site. La raison est d’ailleurs intéressante : je regarde en général plusieurs endroits et je m’attendais à trouver un article dans la rubrique « société ». Il fallait chercher à « Technologies »… ! Ce n’est pas innocent. Pour Le Monde, les blogs ne sont donc qu’un problème technologique, alors que cette affaire montre bien qu’il s’agit aujourd’hui d’un phénomène de société. L’article de ce journal allait d’ailleurs plus loin que les précédents que les autres journaux puisqu'il cite le nom du Proviseur incriminé. Il donne une identité à « Garfieldd ».

Si je m’intéresse à cette affaire (alors qu’il y a bien d’autre sujets, j’en conviens) c’est parce qu’elle révèle plusieurs choses me semble t-il.

Lorsqu’on lit le blog de cet homme, on se rend compte à quel point le statut de chef d’établissement est un métier de solitude. On comprend alors la fonction que remplissait ce blog pour l’aider à supporter cela et l’aider à réfléchir.
On a lui a surtout reproché de mélanger les genres. On peut lire, juste après une réflexion sur la vie de son établissement, des considérations sur sa vie personnelle, sur tel acteur ou les séries télévisées qu’il apprécie. Mais peut-on se « couper en deux » et nier ce que l’on est sur un média tel que le blog ? Cette question pose donc bien les limites des blogs « professionnels » et personnels. C’est en particulier
Mario Asselin , très interpellé par cette question qui pose le problème. « J’ai d’autant plus de respect pour cet homme qui a utilisé l’outil pour réfléchir à sa manière sur cet espace de conversations. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait mieux valu conserver l’une ou l’autre des perspectives : soit le regard professionnel, soit le regard personnel excluant sa vie professionnelle. Je peux me tromper, mais « la ligne pédagogique » qu’il me semble que je défends ici est celle du questionnement réflexif qui tient compte du contexte dans lequel je veux que les choses évoluent. Je peux réfléchir tout haut ici et partager bien des choses, mais pas celles qui pourraient compromettre ma capacité d’être un éducateur crédible.
Mais d’autres blogueurs considèrent que cette limite n’a pas été franchie. Maître Éolas, un juriste qui a rédigé une très belle
lettre à Gilles de Robien sur cette affaire le rappelle : « Sur son blogue, ce monsieur parlait de son école, sans jamais la nommer. Tu devrais lire ces archives, d’ailleurs, si tu as le temps, tu y apprendrais beaucoup de choses très intéressantes sur comment ça se passe sur le terrain. Mais jamais, tu m’entends, Gilles, jamais ce monsieur n’a mélangé son métier et ses orientations sexuelles. JAMAIS il n’a fait le moindre rapprochement ni exprimé le moindre propos déplacé vis à vis de ses élèves. »
On trouve aussi ce point sur
le blog de Samantdi (c’est une enseignante qui se cache sous ce pseudo) «Et si on bloguait là-dessus parce qu'on a besoin d'exprimer une parole qui ne trouve pas de lieu pour se dire ? Alors, oui, sûrement, l'Institution doit s'interroger et non se replier frileusement sur elle-même en croyant s'en tirer en désignant un bouc-émissaire. »

Avec cette réflexion c’est une question plus générale qui est posée. Celle de la liberté d’expression et de la nouvelle dimension que lui donne la technologie des blogs. . Comme le remarque avec une grande pertinence
Cyril Fievet, du PointBlog : "Tout cela met en lumière la forte incompréhension, de la part d'un système qui n'a pas intégré les évolutions de son époque, des nouveaux réflexes, usages, modes d'expression qui caractérisent désormais notre société." 
Et il conclut :"Car, qu'on ne se trompe pas de combat, le caractère choquant de la révocation ne provient pas des préférences sexuelles de l'auteur du blog. C'est de liberté d'expression dont il s'agit. De respect de l'individu, de censure, de droit à l'anonymat, aussi. De liberté tout court, en somme. Soyons-en sûr, non seulement cette affaire n'est pas terminée, mais bien d'autres similaires lui succéderont. Au moins tant que les représentants de "l'ancien système", les responsables d'une "autorité" en décalage permanent avec son époque, n'auront pas pris la mesure de ce qui est en train de se passer sur le Web."

Sur cette question de la liberté d’expression des blogs d’enseignants et des chefs d’établissement, on lira aussi l’analyse juridique assez détaillée apportée par « Mégathud » dans un texte intitulé
« Le cas Garfieldd à l'épreuve du droit de la fonction publique » . La limite entre devoir de réserve et liberté d’expression est floue.
Un commentaire de « Rcerise »trouvé sur le blog de Samantdi , l’exprime assez bien « Derrière cette histoire, se pose en fait la question non seulement de la liberté de la presse, mais aussi celle de ce fameux devoir de reserve: ou s'arrète le devoir d'un fonctionnaire, ou commence le droit du citoyen? Si l'on en croit le sévère jugement de Garfieldd, il faut croire qu'un fonctionnaire n'a jamais fini de l'être, et qu'il est toujours en fonction. »


Enfin dernier enseignement et non des moindres, le contre-pouvoir de la « blogosphère » aujourd’hui et le rôle que les blogueurs ont joué dans l’évolution du cas « Garfieldd » auprès des médias traditionnels et aussi du ministère. D’un traitement anecdotique au départ puisque le journal Libération parle d’un blog « olé-olé » on est passé à une affaire qui a été remise à sa juste place grâce à la pression des blogueurs. Ce sont eux qui ont amené le journaliste de Libération à rectifier son article et à préciser que les propos « pornographiques » étaient faux. Ce sont eux aussi qui se sont organisés pour apporter les preuves en reconstituant les archives. Peut-être aussi que cette action n’est pas sans effet sur la décision du Ministre de revenir sur la décision du rectorat de Montpellier. Je ne peux citer ici toutes les réactions et tous les messages envoyés. Ils sont très nombreux.La recension la plus complète des blogs se trouve
sur le site "Embruns" de Laurent Gloaguen.

Pour finir, on ne peut que redire combien cette « affaire » illustre bien le changement d’époque que nous vivons et combien « les autorités » semblent aujourd’hui en décalage avec notre époque.

Je joins à cette « revue des blogs » quelques articles parus dans les journaux de ce week-end.

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Le Monde du 21/01/06 et du 22/01/06


Le proviseur d'un lycée de Mende proteste après sa révocation pour un blog jugé pornographique
Des centaines de message de soutien, une pétition sur Internet qui, vendredi 20 janvier, avait déjà recueilli près de 1 500 signatures. Une semaine après la révocation par le ministère de l'éducation nationale du proviseur du lycée Peytavin de Mende, la blogosphère se mobilise. Agé de 48 ans, Michel Collet, en poste dans cet établissement de Lozère depuis septembre 2005, a été limogé pour avoir animé, sous le pseudonyme de Garfieldd, un blog dans lequel il évoquait notamment son homosexualité. "Sur ce blog se trouvaient des écrits et des photos à caractère pornographique, incompatibles avec l'exercice de la responsabilité d'un chef d'établissement", indique Paul Desneuf, directeur de l'encadrement du ministère de l'éducation nationale.
Selon l'arrêté de révocation, que Le Monde s'est procuré, le ministère de l'éducation reproche à M. Collet "d'avoir manqué à ses obligations déontologiques en publiant sur son blog des propos portant atteinte à la dignité des fonctions qu'il exerce et plus généralement aux pouvoirs publics". Il accuse aussi le proviseur "d'avoir manqué de fidélité aux devoirs de sa fonction en donnant de son emploi de chef d'établissement, ainsi que de celui d'autres agents de l'éducation nationale, une image déshonorante et indigne".
Lire la suite de l’article


"Décision mieux proportionnée" pour le proviseur de Mende
Le ministre de l'éducation nationale, Gilles de Robien, a annoncé, vendredi 20 janvier en début de soirée dans un bref communiqué, qu'il "arrêtera prochainement une décision mieux proportionnée" à l'encontre d'un proviseur de Mende (Lozère), révoqué le 9 janvier.
Michel Collet, 48 ans, proviseur du lycée Peytavin à Mende, avait été limogé pour avoir animé sous le pseudonyme de Garfieldd un blog, dans lequel il évoquait notamment son homosexualité ainsi que des épisodes de sa vie professionnelle [...]
Joint par téléphone, M. Collet se dit "soulagé" et "tient à remercier tous ceux qui l'ont aidé, ainsi que le ministre de l'éducation nationale pour avoir examiné son recours". Philippe Guittet, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN), qui a soutenu le proviseur, se "félicite de cette décision, tout en restant attentif à la sanction qui sera prise par le ministre".
La nouvelle de la révocation, une sanction rarissime et que beaucoup jugeaient disproportionnée, avait entraîné une mobilisation importante sur Internet. Une pétition de soutien à Garfieldd ainsi que des centaines de messages circulaient sur la Toile deux jours après son annonce.
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Le Figaro du 21/01/06


Robien écoute le proviseur blogueur
Au vu de son dossier, Gilles de Robien a décidé d'étudier le recours gracieux du proviseur de Mende (Lozère), auteur d'un blog controversé. Une sanction plus légère sera prise contre ce directeur qui a été révoqué de l'Éducation nationale. Il est accusé d'avoir mélangé sa vie privée et sa vie professionnelle sur Internet, dans un blog, alors qu'il était reconnaissable sur une photo. Le contenu du site était incompatible avec l'exercice de sa fonction, selon la commission paritaire nationale disciplinaire qui a décidé de l'exclure le 9 décembre dernier. Il lui était reproché d'avoir diffusé des textes et photos pornographiques, ce qu'il dément formellement.
Lire la suite de l’article


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